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Johann Wolfgang von GOETHE

La fiancée de Corinthe

Poème, 1797

Date de mise en ligne : samedi 8 novembre 2003

Langue de cet article : Deutsch > Die Braut von Korinth

Mots-clés : ,

D’Athènes à Corinthe, un jeune homme vint encore inconnu ; il comptait sur l’accueil d’un habitant. Les deux pères, unis par les liens de l’hospitalité, avaient, dès leur jeune âge, fiancé déjà la fille et le fils.

Mais sera-t-il bien venu s’il n’achète d’avance leurs faveurs bien cher ? Il est encore païen avec les siens, et ils sont déjà chrétiens et baptisés. Quand germe une nouvelle croyance, souvent l’amour et la foi sont arrachés comme une ivraie.

Déjà la maison repose tout entière dans le silence : le père, les filles ; la mère seule veille ; elle reçoit son hôte avec empressement, on le conduit tout d’abord dans la chambre d’apparat. Le vin et les mets abondent avant qu’il les demande ; ces soins donnés, elle lui souhaite bonne nuit.

Mais devant cette table bien servie, l’appétit reste sans s’éveiller : de lassitude il oublie de boire et le manger tellement, qu’il se jette habillé sur le lit ; or il sommeille à peine, qu’un hôte singulier se glisse par la porte ouverte.

Il voit à la lueur de sa lampe une jeune fille vêtue et voilée de blanc, les tempes ceintes d’un bandeau noir et doré, entrer pudiquement dans sa chambre. À son aspect, elle, tout effrayée, lève sa blanche main avec étonnement.

« Suis-je, s’écrie-t-elle, si étrangère dans la maison, que je n’aie rien appris d’un tel hôte ? Ah ! c’est ainsi qu’on me retient dans ma cellule ! Et maintenant ici la honte me pénètre. Va ! continue à reposer là sur ta couche ; je me retire comme je suis venue.
 Demeure, belle fille ! s’écrie le jeune homme en s’élançant de sa couche aussitôt : ici sont les dons de Cérès et de Bacchus ; avec toi vient l’amour, aimable enfant ! La frayeur te pâlit ! chère, viens et laisse, laisse que nous voyions combien les dieux nous sont propices.
 Loin de moi ! ô jeune homme ! loin de moi ! Je n’appartiens pas aux joies de ce monde. Hélas ! c’en est fait désormais, grâce au délire de ma bonne mère malade, qui jura dans sa convalescence d’enchaîner au ciel pour l’avenir jeunesse et nature.
 Et la multitude des anciens dieux a soudain déserté la maison silencieuse. Un seul être invisible règne dans le ciel, et l’on adore un Sauveur sur la croix. Les sacrifices tombent ici, non plus la brebis et le taureau, mais des victimes humaines... horreur inouïe ! »

Et il questionne et pèse ses moindres paroles, dont aucune n’échappe à son esprit. - Est-il possible qu’en ce lieu retiré j’aie là devant mes yeux ma fiancée bien-aimée ? Sois à moi ! sois à moi ! Le serment de nos pères a sur nous invoqué la bénédiction du ciel.

« Non pas moi, cœur généreux ! mais ma sœur à qui l’on te destine. Tandis que je gémis dans ma froide cellule, ah ! dans ses bras pense à moi, à moi qui ne pense qu’à toi, que l’amour consume, et que la terre couvrira bientôt. »
 Non ! j’en atteste cette flamme, elle nous annonce l’hymen, non, tu n’es perdue ni pour moi ni pour les joies du monde. Tu viendras avec moi dans la maison de mon père. Ma bien-aimée, reste ici ! et célébrons ensemble à l’improviste notre festin des noces.

Et déjà ils échangent des gages de fidélité ; elle lui présente une chaîne d’or ; lui, offre une coupe d’argent ciselé sans égale. - Non pour moi, cette coupe ; mais, je t’en supplie, donne une boucle de tes cheveux.

Alors sonna l’heure funèbre des Esprits, et de ce moment elle parut se trouver mieux. Elle engloutit avidement de sa lèvre pâme le vin foncé couleur de sang ; mais du pain de froment qu’il lui tend d’une main amie, elle ne prend pas le plus léger morceau.

Puis elle offre la coupe au jeune homme, qui la vide ardemment comme elle. Il convie l’Amour à ce festin silencieux ! Ah ! son pauvre cœur, la fièvre de l’amour le consume. Cependant elle résiste malgré qu’il supplie, jusqu’à ce qu’il tombe en pleurant sur le lit.

Elle vient à lui, et, se jetant à ses côtés : « Ah ! que tes angoisses me font mal ! mais, hélas ! si tu touchais mes membres, tu sentirais avec effroi ce que je t’ai caché. Blanche comme la neige, froide comme la glace, telle est la bien-aimée que tu t’es choisie. »

Il l’étreint avec ardeur dans ses bras puissants, enhardi par la force juvénile de l’amour : - Sois sûre de te réchauffer près de moi, me fusses-tu envoyée du tombeau. - Échange d’haleines et de baisers ! transports amoureux ! tu ne brûles pas, et me sens brûler !

L’amour les enlace en des nœuds plus étroits, des larmes se mêlent à leur ivresse ; elle dévore avec fureur les flammes de sa bouche ; l’un dans l’autre seulement se sent vivre. Sa rage amoureuse embrase son sang figé, mais il ne bat point de cœur dans sa poitrine. -

La mère, cependant, ménagère attardée, se glisse dans le corridor : elle écoute à la porte, elle écoute longtemps ; quelle rumeur singulière ! cris de plainte et de volupté du fiancé et de la fiancée ! paroles que l’amour bégaie en son délire !

Immobile, elle reste à la porte, car elle veut d’abord se convaincre ; mais, ô douleur ! elle n’entend que serments effrénés, accents d’amour et de tendresse. - Chut ! le coq s’éveille ! - Mais demain dans la nuit tu seras encore là ? - Et baisers sur baisers.

La mère ne contient pas davantage son courroux, et poussant la serrure bien connue : - « Y a-t-il donc ici dans la maison de telles créatures, qu’elles se livrent sur le champs aux désirs de l’étranger ? » - À ces mots, elle franchit le seuil, et voit à la clarté de la lampe - ô Dieu ! sa propre enfant !

Dans son premier effroi le jeune homme s’efforce d’envelopper sa bien-aimée dans ses propres voiles et les couvertures ; mais elle se dégage aussitôt. Par la force de l’Esprit, la forme se lève et grandit lentement sur la couche.

« Ô mère, mère ! dit-elle d’une voix sépulcrale, ainsi vous m’enviez ma belle nuit, et me chassez de ce tiède séjour ! Ne me suis-je donc éveillée que pour le désespoir ? N’est-ce point assez pour vous de m’avoir sitôt roulée dans un linceul et couchée au tombeau ?

Mais hors de la pesante cellule me pousse une loi spéciale ; le bourdonnement de vos prêtres, leur bénédiction, perdent leurs droits ici. Le sel et l’eau n’ont point de glace contre la chaleur de la jeunesse. Ah ! la terre ne refroidit pas l’amour.

Ce jeune homme me fut d’abord promis, lorsque le temple heureux de Vénus s’élevait encore. Mère ! vous avez cependant rompu votre parole, parce qu’un vœu étranger, illusoire, vous liait ! mais nul dieu n’exauce la mère qui refuse de donner la main de sa fille.

Le sépulcre a lâché sa proie, et je viens redemander le bien qu’on m’a ravi ; je viens pour aimer encore le fiancé perdu et sucer le sang de son cœur. Sitôt que c’en est fait de lui, je vais à d’autres, et la jeune race succombe à ma fureur.

Beau jeune homme ! tu ne peux vivre plus longtemps ; tu languirais désormais dans ce lieu. Je t’ai donné ma chaîne, je prends avec moi une boucle de tes cheveux ; regarde-la bien ! demain tu auras blanchi, et ne redeviendras brun que là-bas.

Entends, mère, à présent ma dernière prière : fais disposer un bûcher, ouvre mon étroite cellule, et rends à l’amante le repos dans la flamme ! Lorsque l’étincelle jaillira, que la cendre s’embrasera, nous nous envolerons aux dieux anciens. »

P.-S.

Wolfgang GŒTHE, La fiancée de Corinthe (Die Braut von Korinth) [1797].
 Texte établi par Abréactions Associations d’après les Poésies de Gœthe, traduite par M. Henri Blaze, Éd. Charpentier, Paris, 1863.

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