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Joseph DELBOEUF

La clinique de M. Bernheim

Le magnétisme animal (1890) - Section III

Date de mise en ligne : samedi 1er octobre 2005

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IX

Nancy a hérité de la faculté de médecine de Strasbourg. On sait qu’en France, par le mot université on comprend l’ensemble des établissements d’instruction publique. En province, comme à Paris, les institutions d’enseignement supérieur portent le nom de faculté. Telle ville n’a qu’une faculté, telle autre en a deux, telle autre trois, quatre ou cinq. Nancy possède aujourd’hui quatre facultés.

La faculté de médecine compte 130 à 140 élèves. Ce nombre paraîtra bien faible comparé à celui des étudiants qui peuplent nos facultés belges. Et pourtant l’Académie de médecine de Nancy est une institution considérable qui, à elle seule, équivaut presque à nos facultés des sciences et de médecine réunies. Car aux cours ordinaires sont adjoints des cours de physique, de chimie, de botanique, de zoologie médicales, etc., même de photographie. Outre de nombreux laboratoires avec de magnifiques instruments, entre autre un superbe objectif pour des préparations microscopiques, la faculté possède une bibliothèque spéciale de 13 000 volumes, dont le bibliothécaire, M. Netter, est connu par ses opinions du cartésianisme le plus décidé concernant l’âme des animaux. Sans compter des hommes comme MM. Beaunis et Bernheim, elle peut citer avec orgueil des savants comme M. A. Charpentier, que ses recherches ingénieuses sur les sensations lumineuses et acoustiques ont mis en haute estime [1]. Il est l’inventeur d’un instrument d’optique, extrêmement bien imaginé, et qui est disposé pour plusieurs fins, entre autres, pour des expériences psychophysiques relatives à la loi de Fechner. Il s’occupait, quand je l’ai vu, de la comparaison des intensités apparentes des lumières continues et des lumières instantanées. Ces dernières paraissent bien plus vives. La raison en est, me semble-t-il, qu’elles viennent toujours frapper des parties non accommodées de la rétine.

J’ai entrevu M. Dumont, celui qui a fait connaître M. Liébeault et a converti au magnétisme M. Beaunis et Bernheim. Il est docteur en droit et assistant d’un cours de médecine. Tout le monde m’a parlé de lui comme d’une intelligence extraordinairement douée. Il comprend tout, s’assimile tout et pénètre tout. Malheureusement, ajoutait-on, M. Dumont, incomparable comme initiateur et propagateur, est changeant, et ne mène les choses que jusqu’à mi-chemin. Chacun s’étonne qu’ayant abordé toutes les sciences, il ait eu la persévérance de poursuivre jusqu’au bout ses études de droit.

Une faculté de médecine ne va pas sans un hôpital. Celui de Nancy est tout récent. J’ai dû admirer, moi originaire d’un pays où le provisoire est ce qui dure le plus, combien les Français sont prompts à mettre la main aux oeuvres nécessaires. L’hôpital, situé aux portes mêmes de la ville, couvre trois hectares ; un quatrième est réservé pour les besoins futurs. Il est construit pour environ 300 lits, et en compte à peu près 200. Ces lits occupent le premier étage. Au deuxième et au troisième étage sont logés les pensionnaires. Le prix de la pension varie entre 5 francs et 7 fr. 50 c. par jour, non compris les soins médicaux que les malades peuvent se faire donner par le médecin de leur choix. Les corps de bâtiment faisant face à la rue principale sont destinés à l’administration, aux cuisines, à la lingerie, à la pharmacie, au logement des soeurs, etc. Les malades sont ainsi soustraits aux bruits de toute nature.

Rien de plus riant que l’aspect, tant intérieur qu’extérieur, de ce monument. Les salles des malades donnent la même impression. Beaucoup de lumière ; sur le plancher, sur les tables, sur les appuis de fenêtres, des aquariums et surtout des plantes, palmiers, fougères, bégonias ; il y en a jusque dans les chambrettes des malades isolés pour maladies contagieuses.

Les salles générales sont au nombre de huit, quatre pour les hommes et quatre pour les femmes ; elles renferment chacune seize lits. Les auditoires et les cabinets des professeurs les séparent deux par deux. C’est dans ces salles qu’opère M. Bernheim.

M. Bernheim est israélite. Il a le type juif, mais peu prononcé ; petit, un peu replet, belle figure régulière, nez légèrement aquilin, chevelure serrée et grise, yeux bleuâtres, vifs et doux, moustaches et barbe en pointe à la militaire, voix caressante, perçante et pénétrante.

J’arrivai au moment où son cours allait finir. Dans l’antichambre où nous fûmes introduits, M. Maréchal et moi, se trouvait déjà un malade. C’était un jeune homme de 20 ans, grand et fort d’apparence, hystérique depuis longues années. Il a un jour ramassé dans la rue un épileptique qui, dans son accès, avait laissé tomber des papiers de sa poche. Notre jeune homme les y avait remis, et, depuis lors, il est assailli de scrupules : ces papiers avaient peut-être une grande importance, et il n’est pas bien sûr de les avoir remis tous, ni surtout d’avoir pris des précautions suffisantes pour qu’ils ne glissent plus dehors. Il a été guéri une première fois, mais il revient depuis quelques jours parce que « ses idées folles » l’ont repris. C’est lui-même qui nous donne ces détails.

M. Bernheim sort de son cours, et s’occupe devant nous du jeune homme, qu’il endort sur sa chaise, et à qui il fait quelques suggestions. Tout le temps que dura notre visite des salles, il resta endormi. Je l’ai revu le lendemain. Les suggestions ne l’avaient pas suffisamment calmé, et M. Bernheim lui donna le conseil de venir prendre son séjour à l’hôpital, comme il l’avait fait une première fois.

Ces sortes de monomanes sont extraordinairement rebelles. Ils s’endorment à l’égard de tout ce qu’on veut, excepté pour leur idée fixe. Cette idée fait partie de leur être moral. Il est à présumer que, même dans leur sommeil naturel, ils ne cessent pas d’en être obsédés. J’en ai justement en traitement un qui m’a été confié par un docteur renommé. Je lui ferais plus facilement croire que je suis habillé tout en jaune que de lui faire admettre l’innocuité absolue d’une certaine enveloppe de lettre, dans laquelle a été un jour renfermé un papier touché par une personne que, sans motif, il a prise en aversion.

Autre particularité : quand ces sortes de malades raisonnent avec vous, ils conviendront que leur idée n’a pas le sens commun, qu’elle est parfaitement absurde, mais... au moment d’agir, par exemple, quand il faut toucher l’enveloppe, la répulsion sera la plus forte, et la liberté disparaît.

La suggestion est cependant la seule ressource rationnelle et efficace. Est-il besoin de dire que ni l’électricité, ni les douches, ni l’antipyrine et les bromures et les autres drogues, ne peuvent avoir raison d’une idée qui a sa source dans une suggestion morbide ?

Voici une pauvre mère. Sa chambre était contiguë à celle de son fils malade et condamné. Un jour, vers six heures du matin, comme elle dormait, elle croit entendre ce cri : Maman ! Réveillée à moitié, elle estime qu’elle a rêvé et se rendort. Une demi-heure plus tard, elle entre, suivant son habitude, dans la chambre de son fils et le trouve étendu par terre, mort et baignant dans le sang qu’il a rendu par la bouche. À ce spectacle, sa raison s’égare, elle est assaillie de remords, et depuis ce jour, un cri résonne sans cesse à ses oreilles : Maman ! Ce cri, elle finit par le jeter elle-même, et chez elle, devant sa famille et devant les étrangers, dans la rue, en chemin de fer, à chaque instant, l’image ensanglantée de son fils se dresse devant elle, et le cri : Maman ! jaillit de sa poitrine.

Tous les remèdes sont essayés, toujours y compris l’antipyrine. Son médecin, homme très instruit et connu par ses nombreuses publications, le docteur Droixhe, comprend que l’hypnotisme seul pourra avoir raison de cette folie commençante, mais il ne parvient pas l’endormir.

Il me l’amène. Elle est endormie sous ses yeux en quelques instants. À ma voix, la vision pâlit, s’efface, disparaît. J’ose la défier de la voir. Je vais jusqu’à lui faire la description dramatique de la scène. C’est fini, plus de fantôme ensanglanté surgissant à l’improviste, plus de cri ; la malade peut sourire.

Pour terminer cette histoire, disons qu’un malencontreux accident (une amie qui l’entraîna près de son chien mourant), arrivé une heure à peine après cette première suggestion, fit réapparaître l’image funèbre. La guérison, qui peut-être aurait été radicale du premier coup, n’en fut heureusement que retardée. Elle s’obtint après quelques séances à plusieurs semaines d’intervalle.

Il ne peut être un instant douteux d’abord que la personne était sur la voie d’une monomanie incurable, ensuite que l’hypnotisme, appliqué de cette façon, était le remède le plus rationnel. Je reviendrai plus loin sur ce sujet.

Autre exemple. Vient chez moi un beau et fort jeune homme de bonne instruction.

Un jour, à une demande que lui adressait une personne qui l’intimide, il s’est senti tout interloqué et n’a pu répondre. Le voilà frappé ; il a des appréhensions chaque fois qu’il est tenu de parler, et aujourd’hui il n’ose même pas adresser la parole à ses frères, à ses parents. Si ses chefs l’interrogent, sa parole s’arrête dans son gosier. Encore une fois, la suggestion seule sera capable de lutter contre cette auto-suggestion, si terrible dans ses conséquences [2].

Mais n’allez pas conclure d’un insuccès à l’inefficacité de la suggestion. N’oubliez pas que le magnétiseur ne tient le sujet sous influence que pendant un quart d’heure, et que l’idée morbide a tout le reste du jour pour reprendre son empire. Quand je suis présent, ce malade parlera à qui je voudrai, cet autre touchera sans appréhension des enveloppes empoisonnées ; mais, une fois qu’ils sont hors de ma présence, leur mal leur revient peu à peu ; à un certain moment, la parole de l’un s’embarrasse, le dégoût s’empare de l’autre ; s’ils ont le temps de ruminer leur idée, je perds le terrain gagné. D’où, en pareil cas, nécessité de procéder par degrés insensibles, et de s’arranger de manière que le malade soit exposé le moins possible à des contre-suggestions de hasard.

X

Nous pénétrons dans une salle d’hommes. Une moitié des lits sont occupés.

Une dizaine de malades se promènent ; d’autres causent rassemblés autour du poêle.

M. Bernheim nous conduit au premier lit. À côté est assis un homme d’une trentaine d’années. Il a un carcinome, et vomit sans cesse.

Inutile de dire que M. Bernheim n’a pas la prétention de guérir par l’hypnotisme des cancers à l’estomac. Mais si l’hypnotisme ne détruit pas des tissus parasites, non plus qu’il ne fera repousser des membres perdus, il peut du moins calmer les douleurs, procurer le sommeil, donner des illusions , rassurer le patient, lui inspirer des idées sereines ; et qui oserait soutenir que cet apaisement général du corps et de l’esprit ne contribue pas à la guérison, quand elle est possible ? La médecine n’est-elle pas tout heureuse de posséder la morphine ? Pourtant, quelle comparaison établir entre cet agent terrible et le sommeil magnétique ? Celui-là procure le repos en altérant profondément l’organisme, son usage prolongé finit même par être destructif de tout repos ; l’autre est le frère du sommeil naturel, frère complaisant et maniable, qui repousse ou accepte à volonté les songes et berce le malade dans le néant ou l’illusion riante.

« Voyez, dit M. Bernheim en se tournant vers mon compagnon, je touche le front du côté du pôle positif, et le malade s’endort. Pour le réveiller, il suffit de toucher le pôle négatif. »

Le pôle positif, dois-je le dire ? c’est un point quelconque du crâne ; le pôle négatif, c’est un point opposé.

« Pour le moment, continue M. Bernheim, il ne sait plus parler. Pour le faire parler, il suffit, comme vous allez voir, de toucher la troisième circonvolution frontale gauche. » Tous les phénomènes se réalisent.

Quelle meilleure réfutation voudrait-on des théories trompeuses de certains expérimentateurs qui, assimilant le corps à un aimant, ou à un système d’aimants, croient étayer leur doctrine sur des effets directs ou inverses qu’ils obtiennent... par pure suggestion ?

Tout récemment encore, M. Chalande, de Toulouse, a publié un petit mémoire intitulé : Essai d’application de l’hypnotisme à l’étude des fonctions cérébrales. L’auteur s’imagine qu’il a fait l’anatomie du cerveau et déterminé les fonctions de ses diverses parties, quand il touche en différents points le crâne des hypnotisés pour obtenir des effets préconçus. Pauvre hypnotisme ! à quoi l’on te fait servir, et quelle moisson de savants tu as su faire pousser en un jour ! Le magnétisme est l’une des sciences les plus délicates, sinon la plus délicate qui existe, et le premier venu, pour avoir lu un article de journal ou un livre, pour avoir assisté à une séance publique ou privée, pour avoir même eu sous la main l’un ou l’autre sujet qu’il a su plus ou moins endormir, se proclame compétent ! Et, lorsque botaniste, jurisconsulte, médecin, physicien ou chimiste, il n’émettra qu’avec réserve, doute et modestie une opinion personnelle sur la botanique, le droit, la médecine, la physique ou la chimie, il tranchera, sans hésitation, les plus graves problèmes de la psychologie des hypnotisés ! Il reconnaît volontiers qu’il ne sait pas ce qu’est la cellule végétale, le délit, la maladie, la pesanteur ou l’atome, mais il lit sans difficulté dans l’âme de quelqu’un qui dort du sommeil magnétique ! En fait d’hypnotisme, des gens aujourd’hui savent tout qui hier ne savaient rien. Qu’ils daignent méditer ces paroles du directeur de la Revue de l’hypnotisme, M. le docteur Bérillon :

« On ne s’improvise pas plus médecin hypnotiseur qu’on ne s’improvise oculiste. Nous avons pu nous assurer que la plupart de ceux qui n’ont eu à enregistrer que des accidents ou des insuccès, le doivent uniquement à leur défaut de méthode, à leur inexpérience et à leur incompétence. Entre les mains d’un maladroit, d’un brutal ou d’un ignorant, il est naturel que l’hypnotisme devienne aussi dangereux que peuvent l’être la digitale et l’opium entre les mains d’un empirique [3]. »

Mais ils ne méditerons pas ces paroles. Il est bien plus commode de se dire en possession de la science, sans avoir lu, sans avoir expérimenté, ou, ce qui est presque aussi grave, sinon plus grave, pour avoir expérimenté de travers.

Tenez, ce même malade va nous en donner une preuve. M. Bernheim le fait marcher : « Il fera dix pas et ne pourra plus avancer. » C’est ce qui a lieu. « Mais par une friction exercée de haut en bas sur l’épine dorsale, il marchera. » Friction, et le sujet ne bouge pas. « Ah ! dit M. Bernheim, c’est un de ces malades qui ne recouvrent le mouvement que si la friction se fait de bas en haut. Vous allez voir. » Friction de bas en haut - le sujet marche.

Mon Dieu ! en gros le phénomène est bien simple. La première suggestion n’a pas été efficace, et la seconde l’a été. Pourquoi ? La réponse est toujours facile : M. Bernheim n’aura pas mis assez d’autorité dans le ton dont il a fait la première ; il en aura mis suffisamment dans la seconde. M. X., lui, en conclura que les courants magnétiques avaient chez cet individu une direction spéciale, et il s’entêtera d’autant plus volontiers dans son idée, que l’hypnotisé ne marchera probablement désormais que si on lui frictionne au préalable l’épine dorsale de bas en haut.

Mais, si on veut aller jusqu’au bout du phénomène, on perd bientôt pied. Cet homme, qui est là devant vous, paralysé dans sa marche, a une âme, une âme qui vous entend, vous écoute, vous obéit, puisque, sur votre parole, elle frappe le corps d’impuissance. Voilà que cette même parole veut lever l’obstacle, et l’âme ne le lève pas. Contre quelle résistance êtes-vous donc venu vous heurter ? D’où est partie la voix qui a ordonné à l’âme de ne pas cette fois vous obéir ? Qu’est-ce qui s’est passé dans ce cerveau si suggestible jusqu’à cette heure ?

Maintenant, un changement dans l’ordre des mots, dans le son de la voix, va lever l’obstacle. Comment cela s’est-il fait ? Et si l’obstacle ne s’était pas levé ? Pouvait-il ne pas se lever à l’injonction de l’hypnotiseur ? Voilà des mystères, voilà les vrais mystères ; et les savants improvisés ne les soupçonnent même pas.

Passons. Voici un second sujet. C’est un jeune homme, affecté de dysenterie. On lui touche « l’organe du sommeil ». Il s’endort instantanément. On le réveille, et on lui donne des hallucinations. Pendant ces hallucinations, il n’a pas son air naturel.

Est-il éveillé ?

J’ai étudié avec soin ce phénomène des hallucinations à l’état de veille, et je suis arrivé à cette conclusion que, chaque fois que l’effet produit reste dans l’imagination, il y a hypnotisation latente [4].

Quand je dis à un sujet hypnotisable : « Vous ne pouvez plus remuer votre bras », l’effet est réel ; il sent qu’il ne peut plus remuer son bras. Mais je lui dis : « Vous avez dix doigts à chaque main », l’effet se confine dans l’imagination uniquement. Dans le premier cas, il n’y a pas nécessairement rêve ni par conséquent sommeil ; dans le second cas, il n’en est plus de même ; le sujet est certainement soustrait, pour la vue du moins, au monde extérieur, puisque ses yeux lui montrent cinq doigts et que son esprit en compte le double. Il fait un rêve et, partant, il est plongé dans un état analogue au sommeil.

Or, j’ai toujours cru remarquer un changement de physionomie chez tous mes somnambules, suivant que, sans les avoir préalablement hypnotisés, je leur disais, par exemple, en les pinçant ou en leur pinçant la peau : « Vous n’avez pas mal », ou suivant que, faisant le geste, je leur montrais un oiseau volant dans l’appartement.

Dans un cas, leur regard, leur sourire, le son de leur voix indiquent nettement ou semblent indiquer qu’ils sont dans leur état ordinaire et en communication complète avec l’extérieur ; dans l’autre cas, qu’il s’est passé en eux quelque chose de particulier qui les rend absolument attentifs à la vision, fermant leurs sens pour tout le reste. De plus, - est-ce fondé sur la réalité ou sur une convention d’habitude entre eux et moi ? - je me suis toujours vu dans la nécessité, chaque fois que je provoquais de cette façon cet état particulier, de les en tirer par les signes qui me sont familiers pour provoquer le réveil.

Certes, les deux ordres de phénomènes ont quelque chose de commun, mais ils n’en sont pas moins distincts. Je connais un jeune savant, attaché à l’université de Liège, qui ne peut plus ouvrir les yeux quand un de ses amis le regarde d’une certaine façon. Notez qu’il n’a jamais été ce que l’on dit hypnotisé. Il a toute sa conscience, toute sa volonté, sauf pour ouvrir ses paupières. Si cependant on lui fermait, par le même procédé, les oreilles, le goût, l’odorat, le toucher, ne serait-il pas hypnotisé ? ne serait-il pas endormi ? Qu’est-ce que dormir, sinon avoir tous les sens fermés ? Dort-on absolument, si l’on entend l’aboiement des chiens, le chant des oiseaux, le bruit du vent dans les arbres ou de la pluie contre les vitres ? Et, par suite, dort-il absolument l’hypnotisé quand il tend son oreille vers l’hypnotiseur ou la sonnerie de pendule qui doit le réveiller ? Mais, d’un autre côté, le sommeil absolu n’est-il pas celui qui n’a pas de réveil possible ?

Nous pouvons donc dire provisoirement que le sommeil hypnotique ne diffère du sommeil naturel qu’en ce que l’un des sens au moins reste complètement ouvert pour certain genre d’impressions (par exemple la voix de l’hypnotiseur), et que ce sommeil, comme l’autre, se caractérise par la puissance relative de l’imagination qui substitue un monde imaginaire au monde réel. Je dis relative, car l’image suggérée paraît n’avoir que rarement le relief de l’image réelle. Du moment que celle-là est mise en comparaison de celle-ci, elle apparaît comme une reproduction pâle et à moitié effacée. Un portrait imaginaire sur une carte blanche fait à l’hypnotisé l’effet d’une photographie en voie de passer. C’est du moins ce qui résulte de tous les récits que m’ont faits les sujets aptes à rassembler leurs souvenirs et à les apprécier.

XI

Poursuivons notre visite de la salle.

Dans le second lit est couché un emphysémateux : grand, robuste, arrivé de la veille, ne sachant de l’hypnotisme que ce qu’il vient de voir. En moins de deux minutes, il est endormi et tourne les bras. Il est insensible aux piqûres et accessible aux hallucinations. Alors M. Bernheim se tournant vers nous : « Désirez-vous voir une expérience de transfert ? Vous voyez ce bras (le bras gauche), il est en léthargie ; le bras droit, au contraire, est en catalepsie ; je le lève en l’air, il y reste. Mais voici un aimant (cet aimant est un stéthoscope), je l’approche du membre paralysé ; celui-ci va prendre la position du membre catalepsié et inversement. Voyez, j’approche l’aimant sans toucher le membre ; il se soulève peu à peu, et pendant ce temps l’autre retombe. » Ainsi, en effet, se passent les choses conformément aux paroles. Le lecteur n’en doute pas d’après ce qu’il a lu plus haut. Mais l’expérience était surtout faite en vue de mon compagnon - qui avait annoncé l’intention d’aller bientôt visiter la Salpêtrière.

N’allez pas croire du reste que l’on réussira le phénomène du transfert avec tous les sujets. Ceux-ci doivent posséder une certaine dose d’intelligence. Il est clair que, s’ils ne comprennent pas ce qu’on attend d’eux, ils ne l’exécuteront pas.

Ainsi le surlendemain, visitant la salle des femmes, nous arrivons près d’une jeune fille, entrée de la veille, et absolument ignorante des phénomènes magnétiques. Elle souffre d’une bronchite bacillaire, m’apprend M. Bernheim, qui vient de l’ausculter. En une ou deux minutes, elle est hypnotisée ; elle reçoit, sans hésiter, des hallucinations : elle est chez elle, près de sa soeur, elle coud. Le rêve est complet, mais la suggestion du transfert ne prend pas. La malade ne sait manifestement pas ce qu’on lui veut. Elle fait bien quelques mouvements qui montrent sa bonne volonté..., mais aussi sa gaucherie.

Nous arrivons devant un autre malade qui, lui aussi, est nouveau venu et est resté étranger aux expériences. Il a de terribles névralgies dans la face et dans la tête. « Nous allons vous faire passer cela, mon ami, » lui dit M. Bernheim. Mais avant de l’entreprendre, il endort d’autres malades, déjà antérieurement assujettis. Le névralgique applique cette fois aux expériences toute la curiosité compatible avec son mal ; puis, quand son imagination est suffisamment frappée, M. Bernheim le fait asseoir sur une chaise et l’endort - toujours avec la même facilité et le même succès. Mais si le malade concède qu’il va mieux, il ne veut pas toutefois admettre qu’il n’a plus mal. Il résiste aux instances de M. Bernheim : « Vous voilà tout à fait soulagé, lui dit le docteur en passant sa main sur les parties douloureuses. - Cela va mieux, je ne ressens plus autant de douleur ; mais ce n’est pas fini, loin de là ! - Mais si ! tenez ! après cette friction, vous n’avez plus rien ! - Non ! je vais mieux, je le répète, mais je continue à avoir mal. » Réveillé, ses déclarations restent les mêmes.

Il y a en effet de ces douleurs qui résistent à toutes les suggestions. L’année dernière, j’ai eu entre les mains une jeune servante qui avait fait dans la rue une chute malheureuse sur le genou. La peau avait été fendue sur une longueur de six à sept centimètres. Un docteur la lui avait recousue plutôt mal que bien. Depuis lors, la pauvre fille ne pouvait plus marcher. Congédiée de son service, elle était depuis plus de trois mois à la charge de ses parents et s’abandonnait à des empiriques de campagne. Elle demeurait dans mon voisinage immédiat. Elle s’adressa à moi. Rapidement hypnotisée, elle put, dans son sommeil, marcher convenablement, plier la jambe, se mettre à genoux. Elle me disait qu’elle allait très bien, seulement qu’elle avait encore une petite douleur à un endroit précis, quand elle s’agenouillait. J’insiste sans succès ; éveillée, même réponse. Je la renvoie avec ordre de revenir plus tard. Elle revient, elle marchait avec facilité, mais la même petite gêne était toujours là. Je débarrasse le genou des loques qui l’entourent, puis des onguents et des couches de liniments de toute espèce qu’on lui a prescrits. La plaie est fort laide. Au toucher, je détermine bientôt le point sensible. La suggestion réitérée reste inefficace : « Ma fille, lui dis-je dans son sommeil, demain, vous irez à l’hôpital ; vous prendrez le premier train, je vous remettrai un billet pour le professeur de clinique. Si l’on doit vous faire une opération, vous n’aurez pas de mal. »

Le tout fut ponctuellement accompli. À l’endroit en question, on trouva un fragment de houille, gros comme un pois, qui avait été emprisonné avec beaucoup d’autres plus petits dans les tissus. De l’extérieur, on ne le sentait pas.

Ce fait, qui n’est qu’un exemple entre cent, montre que l’hypnotisme peut venir en aide au diagnostic. En général, peut-on dire, quand il y a altération organique, toute douleur qui ne disparaît pas, est attachée à cette altération ; celle qui disparaît en est, à certains égards, comme une dérivée.

Il est clair que l’hypnotisme ne peut faire évanouir un corps étranger emprisonné dans les chairs, ni, par conséquent, empêcher complètement les désordres dont il est cause. Il ne peut non plus, semble-t-il, réparer instantanément les lésions des organes, même dans le cas où elles sont réparables. Le temps est un agent indispensable.

Mais aussi, il ne faut pas oublier que la maladie peut résulter d’un symptôme. À mon sens, bien souvent le symptôme fait la suggestion. Un jour, on manque d’appétit ; on s’avise de s’en préoccuper, et l’on devient gastralgique. C’est ainsi, je n’en doute pas, que se forment nombre d’idiosyncrasies, comme disent les livres de médecine, c’est-à-dire de certaines dispositions inexplicables. J’ai connu un jeune docteur qui éprouvait tous les signes d’un empoisonnement, rien que pour avoir goûté d’une sauce où il y avait un parfum de champignon. Il y a des personnes qui gagnent l’urticaire pour avoir mangé des moules ou des fraises. D’autres sont malades pour avoir pris un verre de bourgogne ou de vin du Rhin. Il y a dans tous ces phénomènes de la suggestion.

Enfant, j’ai un jour éprouvé une forte indigestion pour avoir mangé des choux rouges. Pendant plus de vingt ans, la seule odeur des choux rouges m’indisposait. J’ai fini par vaincre cette répugnance et je mange de nouveau avec plaisir les choux rouges. N’est-il pas juste d’attribuer à l’idée, c’est-à-dire au souvenir de mon indigestion et à la crainte d’en avoir une nouvelle, la répulsion que j’ai si longtemps gardée pour ce plat ?

Tel capitaine de vaisseau se fait fort de donner le mal de mer, par un temps absolument calme, aux personnes un peu impressionnables. Je crois bien que moi et un de mes compagnons, avec qui je faisais la traversée de Gênes à Naples, aurions pu devenir les victimes d’un farceur qui, nous jugeant marins novices, s’approcha de nous et nous dit avec un air effrayé : “La mer sera grosse cette nuit. Sentez-vous le roulis, roum ! roum ? et le tangage, pan ! pan ?” Nous en étions tout de suite arrivés à sentir le roulis roum roum et le tangage pan pan, et notre coeur allait s’affadissant. Ce fut un Anglais qui, entendant cette conversation, s’y mêla avec le sérieux britannique : “Mais, monsieur ! dit-il à notre interlocuteur, la mer est unie comme une glace !” » Et c’était vrai. Ces simples mots nous rendirent nos jambes en train de défaillir.

La sagesse du vulgaire recommande aux malades de ne pas “se frapper”. Le vulgaire a raison, et, sans le savoir, se rallie à la théorie de la suggestion et de l’auto-suggestion.

Je parlais précédemment de la cataracte que j’ai à l’oeil droit. Toute cataracte est accompagnée d’un scotome, et si je regarde le ciel ou une surface claire, je puis voir distinctement une mouche volante ayant les dimensions d’une grosse tête d’épingle, qui vient se promener dans le champ visuel. Rien de plus agaçant que cette apparition. Mais la science nous apprend que nous avons tous un point obscur dans la rétine, c’est-à-dire une partie insensible à la lumière, et que l’habitude nous fait combler cette lacune. D’un autre côté, je sais, par expérience, qu’un malade tourmenté par les mouches volantes, convenablement hypnotisé et suggéré, serait mis dans l’impossibilité de les voir. Je suis parti de là pour agir sur moi-même et me faire des suggestions conscientes et libres. En fort peu de temps, je suis arrivé à ne plus voir de mouche. Voilà une préoccupation de moins. Eh bien ! je ne suis pas éloigné de penser que par là j’empêche dans une grande mesure la cataracte de progresser. Celui qui pense qu’il n’a pas mal, n’a pas mal, et celui qui prétend être incurable, ne guérira pas.

Au mois de novembre dernier, un médecin me fit appeler près d’une malade atteinte d’une sciatique qui la clouait au lit depuis plus de sept mois. Les mouvements du membre étaient extrêmement douloureux. Hypnotisée le lundi, elle fit sans douleur avec ce membre des mouvements d’abord passifs, puis actifs ; le mercredi, elle marchait. Naturellement, comme la longue inaction avait atrophié les muscles, la marche était peu ferme ; mais à partir de ce jour, la guérison complète était une affaire d’exercice et de temps. Et de quoi avait dépendu la guérison ? De la persuasion que le mouvement ne causait plus de douleur. Et puisque le mouvement pouvait maintenant se faire sans douleur, il saute aux yeux que la douleur ressentie auparavant était, en grande partie du moins, le fait de l’idée et pas autre chose.

Voici maintenant, dans le service de M. Bernheim, un robuste vieillard de 75 ans, affligé lui aussi d’une sciatique qui le fait horriblement souffrir et le paralyse. M. Bernheim le fait lever pour l’examiner. Il ne peut poser le pied à terre sans pousser des cris de douleur, « Recouchez-vous, mon ami, je vais vous faire passer vos souffrances. - Impossible, monsieur le docteur. - Vous allez voir. - Oui, nous allons voir, mais ce ne sera pas. »

Sur cette réponse, je dis tout bas à M. Maréchal : « La suggestion ne prendra pas. » Le vieux avait un air renfrogné et entêté. Chose étrange ! il s’endormit très vite, tomba en catalepsie, se montra insensible aux piqûres. Mais quand M. Bernheim lui dit : « Maintenant, vous pouvez marcher », - « Je ne saurais, répondit-il, vous me demandez une chose impossible ». Ici, bien qu’il dût échouer, je ne pus qu’admirer le grand art de M. Bernheim. De la persuasion par insinuation et caresse, il passa tout d’un coup à l’injonction impérieuse, et, de ce ton bref et sec qui n’admet pas la réplique : « Je vous dis que vous le pouvez ! levez-vous et marchez ! - Vous le voulez ? soit ! » Et l’homme sort du lit. Mais en mettant le pied à terre, il crie plus fort que la première fois. M. Bernheim lui intime l’ordre de faire un pas. « Vous me demandez l’impossible. » Il ne marche pas ; on dut le laisser se recoucher, et il garda tout le temps un air bougonneur et obstiné dans la souffrance.

Je dis à M. Bernheim que, dans mon opinion, il ne reprendra pas empire sur lui. Quoi qu’il en doive être de cette prédiction, le lendemain, je revis le sujet : « Eh bien ! comment allez-vous ? lui demandai-je avec intérêt. - J’ai plus mal que jamais, me dit-il d’un ton bourru ; quelle idée aussi de me faire marcher, quand je sentais que ce m’était impossible ! » Certes, la marche pouvait lui être impossible ; mais on n’en voit pas moins ici l’empire de l’idée, puisqu’il se sentait plus souffrant, bien que, au fond, on ne lui eût demandé la veille que des mouvements ordinaires et très simples, qu’il savait ne pas s’interdire pour la satisfaction de l’un ou de l’autre besoins [5].

M. Bernheim s’en alla ainsi, en notre présence, de lit en lit et de malade en malade. Il les endormait tous, ici un ataxique, là un phtisique se mourant, là un cardiaque, calmant chez l’un la souffrance, donnant à l’autre le sommeil ou l’illusion de la santé.

Certes, M. Bernheim ne songe nullement à faire de l’hypnotisme une panacée universelle, et il ne se fait pas faute de lui adjoindre d’autres remèdes. Mais, dans la dernière édition de son livre, il nous apprend que, sur 103 cas de maladies diverses, il a obtenu 79 guérisons complètes ; 2 seulement sont restés sans guérison, et les 22 autres vont de la guérison presque incomplète à la simple amélioration.

XII

Le lendemain, nous visitâmes les salles des femmes. Mêmes phénomènes. Je n’ai pas remarqué que les femmes eussent plus d’aptitude au sommeil que les hommes.

Voici une femme hystérique qui souffre de la poitrine. Dans l’hypnose, sa respiration devient facile et régulière. M. Bernheim provoque une crise tétanique qu’il prolonge ou arrête à volonté.

Quand on est parvenu à obtenir le sommeil chez une hystérique, il est assez facile, sinon de la guérir, du moins de dominer la crise. Cependant, les cas de guérison complète et instantanée ne sont pas rares, surtout lorsque le corps n’est pas réduit, soit par l’abstinence prolongée, soit par l’ancienneté du mal. Mais pour cela, il faut consacrer le magnétisme à l’amélioration de l’état du malade. Les hystériques de la Salpêtrière m’ont fait l’effet d’être réservées pour les démonstrations publiques et les cours [6]. C’est ainsi qu’aujourd’hui la célèbre Blanche Wittman est devenue totalement insensible, a perdu le sens musculaire, l’ouïe de l’oreille gauche, le sens des couleurs et une grande partie de l’acuité visuelle, et on la fait encore servir à la démonstration des fameux trois états. De plus, pendant l’hypnose, les phénomènes morbides disparaissent et les fonctions des sens redeviennent normales, mais on ne réussit pas à obtenir la prolongation de cette amélioration passagère pendant l’état de veille [7].

Dans les expériences que j’ai faites avec les malades que des médecins m’ont confiés, j’ai toujours tendu à maintenir à l’état de veille l’amélioration obtenue pendant le sommeil, comme je le montrerai un jour [8].

Quant à M. Bernheim, on sent qu’il ne poursuit qu’une chose, le soulagement des souffrances au milieu desquelles il vit. Sans doute, il se permettra des expériences qui n’ont pas pour but essentiel l’amélioration de l’état du malade. C’est par ces sortes d’expériences qu’on fait progresser la science. Hâtons-nous d’ajouter que nous n’en avons jamais vu résulter d’inconvénients, ce qui ne veut pas dire que les inconvénients ne sont pas à craindre. C’est un fait que j’énonce. Et mon affirmation - déjà fondée sur une longue pratique - est corroborée par celle de M. Bernheim, qui a hypnotisé, à ce jour, des milliers de personnes.

En bonne logique, on est en droit, après cela, de soutenir que les praticiens entre les mains de qui l’hypnotisme a produit des accidents - d’ailleurs généralement peu graves - en sont eux-mêmes la cause. Quel accident, du reste, peut résulter du sommeil obtenu par persuasion ?

M. Bernheim répéta sur une vieille femme de plus de 70 ans les expériences de la veille sur la « localisation des fonctions cérébrales ».

Remarquez bien, nous dit-il, je vais toucher la bosse du rire et elle rira. » Il touche un point quelconque de la joue droite, la vieille rit. « Maintenant, je touche le point symétrique de la joue gauche, elle pleurera. » La vieille sanglote et verse des larmes. « Si je touche ce point du front, elle se mettra à prier. » La malade joint les mains et récite tout haut ses prières. Voilà les phénomènes physiques des adeptes de la Salpêtrière.

À côté de cette femme est une jeune fille malade, arrivée de la veille. C’est une épileptique. Elle n’a jamais entendu parler de magnétisme. M. Bernheim ne craint pas de l’endormir ; il la met en catalepsie ; lui fait exécuter des mouvements automatiques. Seulement, il s’abstient de vérifier son insensibilité, de peur de provoquer une attaque. Peut-on trouver de meilleures preuves de l’innocuité du magnétisme ?

Ce jour-là et le lendemain, M. Bernheim nous montra qu’on peut, par simple affirmation, raviver la mémoire des hypnotisés. Je l’ai déjà dit, les médecins de Nancy soutiennent que leurs sujets oublient naturellement, si je puis ainsi dire, et se souviennent par ordre, et encore, faut-il considérablement les aider pour qu’ils retrouvent tous les détails de leurs rêves. Mes sujets à moi font aujourd’hui exactement le contraire. Ceci seul prouverait que l’oubli ou le souvenir sont des phénomènes accidentels ; il y a des rêves dont on se souvient et d’autres dont on ne se souvient pas. Les uns ne diffèrent pas des autres. C’est un accident qui cause ici le rappel, là l’oubli. Cet accident, j’ai essayé de le dégager dans mon étude sur Le sommeil et les rêves. La démonstration de M. Bernheim m’a paru être bien plus favorable à ma théorie qu’à la sienne. Sans qu’il s’en aperçoive, il insinue aux malades, quand il ne le leur dit pas ouvertement, que le souvenir sera chez eux aboli. C’est par là, d’ailleurs, qu’il s’assure s’ils tombent dans ce qu’il appelle le 6e degré, celui qui est caractérisé par l’oubli : « Vous ne vous souviendrez plus de ce que je vous ai dit ou fait faire. » Si la suggestion prend, 6e degré ; si elle ne prend pas, degré inférieur. C’est une pétition de principe.

D’ailleurs, qu’est-ce que ce signe ? quelle pourrait en être la signification ? S’il était de règle que le sommeil magnétique abolît tout souvenir, il y aurait lieu de se demander s’il n’introduit pas une autre âme chez le sujet. Au fond, il en est de l’hypnose comme du sommeil ordinaire, comme du délire, comme de certaines maladies, comme des accidents qui abolissent partiellement la mémoire. Il y a des commotions cérébrales provenant, par exemple, d’un coup sur le crâne, qui abolissent le souvenir, d’autres qui ne l’abolissent pas ; pourrait-on faire entre elles une distinction fondamentale fondée sur ce simple phénomène ? On me dit à Nancy : « Sans vous en douter, vous commandez à vos sujets de se souvenir. » L’objection est commode, mais elle se rétorque trop facilement. J’ai observé MM. Liébeault et Bernheim, et j’ai vu qu’ils provoquaient toujours l’oubli, qui souvent ne se manifestait pas. À moi, bien souvent le malade, qui s’est montré insensible aux piqûres, m’objecte à son réveil qu’il m’a parfaitement entendu et se souvient de tout ce que j’ai dit et fait, et part de là pour me soutenir qu’il n’a pas été magnétisé ; je suis alors obligé de rectifier la fausse idée qu’il se fait du sommeil magnétique. Au même malade, la fois suivante, je pourrai faire oublier jusqu’à son nom.

Au reste, je ne soutiens pas que le souvenir soit la règle, et l’oubli l’exception ; je dis qu’il n’y a ni règle ni exception, ni surtout signe caractéristique. C’est aller à l’encontre de la rigoureuse déduction scientifique que de généraliser dans cette mesure ce qu’on observe et de soutenir qu’on tient la vérité lorsque, de cette prétendue vérité, il n’y a rien à tirer, absolument rien [9]. Il serait bien plus intéressant de rechercher quelle est la nature de cet oubli provoqué. Pour moi, c’est un oubli volontaire ou bien un oubli par inertie. Mais une discussion sur ce point obscur m’entraînerait trop loin. Je reviendrai encore sur ce sujet capital.

Jusqu’à présent, je n’ai pas remarqué de différence dans l’action thérapeutique des suggestions dont on se souvient et de celles dont on ne se souvient pas [10]. Mais les unes et les autres ne me paraissent pas pouvoir être employées indistinctement. Si le magnétiseur n’est pas sûr d’obtenir un résultat désiré et demandé par le patient, le plus prudent est de provoquer l’oubli. De cette manière, si le résultat n’a pas lieu, le patient ne perd pas confiance. Mais s’il s’agit de maintenir au delà du sommeil un bien obtenu, par exemple le rétablissement d’une fonction, il me semble que, dans ce cas, le souvenir est tout indiqué. Cependant, si je m’aperçois que le réveil abolit dans une mesure notable l’amélioration provoquée, j’ai de nouveau recours à l’oubli pour ne pas décourager le sujet.

Je ne sais si mon procédé est le bon. Ce n’est que dans une clinique - comme celle de M. Bernheim - qu’on peut faire des expériences en quantité suffisante pour énoncer des conclusions bien assises. Aussi j’affirme, presque sans hésitation, que le médecin qui ne fera de l’hypnotisme que par occasion, fera généralement des écoles. Pour savoir user de l’hypnotisme, il faut la pratique. Il semblerait qu’on ne dût pas énoncer une vérité aussi évidente. Mais des intérêts tout aussi évidents se liguent pour l’obscurcir. On a vu plus haut ce que disait M. Bérillon ; voici l’avis de M. Bernheim dans une lettre qu’il m’a adressée et que j’ai publiée [11] : « M. Thiriar... croit que son abus (de l’hypnotisme) peut entraîner des malheurs. Vous répondez très bien que la lancette, le chloroforme, le chlorate de potasse sont susceptibles des mêmes inconvénients, et plus redoutables encore. Je ne crois pas que l’hypnotisme doive rester, comme le bistouri, le monopole du médecin ; d’abord, ce ne sont pas les médecins qui l’ont inventé ; ensuite, les études classiques de médecine et de chirurgie ne font pas l’hypnotiseur. »

En effet, où sont donc les hypnotiseur ? où sont donc ceux qui, sur cent malades dans une clinique, oseraient se faire forts d’en hypnotiser quatre-vingts, comme M. Bernheim, même cinquante, même vingt ? Sont-ce nos académiciens ? je ne le crois pas.

Nous venons de voir M. Bernheim à l’oeuvre dans les salles communes ; accompagnons-le dans un pavillon isolé.

Nous sommes le dimanche. Au lit est un solide journalier affligé d’un érésypèle et arrivé de la veille.

La figure est tuméfiée et en feu. Il n’a pas dormi de toute la nuit. « Eh bien ! mon ami, je vais vous débarrasser de toutes vos douleurs ; je vais vous endormir. Connaissez-vous le magnétisme ? - Non. - Vous n’avez jamais été chez M. Liébeault ? - Non. - Ni vu ou connu des gens qui y étaient allés ou qui avaient été guéris par le magnétisme ? - Non. - Vous n’avez pas assisté à des spectacles où l’on endormait des gens sur la scène ? - Non. Je ne sais ce que vous voulez dire. - Dans ce cas, vous allez le savoir. Tenez, je mets mon doigt sur cet endroit du front. Sentez-vous le sommeil qui vient ? -Je ne sais pas. - Oh ! que si ; vous ne pouvez déjà plus tenir les yeux ouverts (M. Bernheim lui ferme les yeux) ; l’engourdissement gagne tous vos membres ; vous ne pouvez plus remuer vos bras (il lui lève le bras) ; vous ne sauriez pas l’abaisser. Et si je le fais tourner (il le lui met en mouvement), vous ne pourrez pas l’arrêter. Bien mieux, plus vous chercherez à l’arrêter, plus il ira vite. (C’est ainsi.) Voyons, où avez-vous mal ? - À la tête. - Votre mal de tête va partir ; il s’en va ! il est parti ! vous n’avez plus mal ! - Non. - Vous dormez ? - Je ne pense pas. - Vous dormez ! Vous ne vous souviendrez de rien au réveil. Vous êtes insensible. (On le pique.) À votre réveil, vous boirez un demi-verre d’eau. »

Toute cette scène a pris à peine le temps qu’il me faut pour l’écrire. L’homme est profondément endormi. Un grand calme est répandu sur sa figure ; sa respiration est profonde et régulière. Il est visiblement débarrassé de ses douleurs. On le réveille. « Vous avez dormi ? - Je ne sais pas. Je crois bien que oui. Combien de temps ? - Je ne sais pas. Un quart d’heure ? Il se sert un verre d’eau et en boit la moitié. Pourquoi avez-vous bu ? - Tiens, j’avais soif ! - Pourquoi n’avez-vous pas bu le verre entier ? - Parce que je n’avais plus soif ! - Vous ne vous souvenez de rien ? - Non. - Vous ne vous souvenez pas que je vous ai dit ceci et ceci ? Non. - Vous allez vous souvenir. Rappelez-vous ! » Et par un interrogatoire bien conduit, M. Bernheim ranime peu à peu tous les souvenirs du patient.

Voilà qui montre mieux que tous les discours la puissance du magnétiseur... et la conservation de la mémoire.

XIII

Nous repassons chez les femmes. Là, nous trouvons cette jeune fille affligée d’une bronchite bacillaire dont j’ai déjà parlé. Elle reçoit des hallucinations ; elle entend la musique militaire. Un coup de grosse caisse la réveille. Mais, comme je l’ai dit, elle ne s’est pas prêtée aux phénomènes de transfert, ni non plus à une hallucination pour le réveil. Elle devait, en ouvrant le journal de modes qui était sur son lit, y découvrir son portrait avec des cheveux rouges. Cette suggestion n’a pas pris, malgré toutes les questions qu’on lui fit pour l’aviver.

Il est difficile de déterminer à quoi tient cette différence dans la susceptibilité des sujets. Mais il est indiscutable qu’après un certain entraînement, des sujets d’abord réfractaires deviennent très dociles. La réciproque est vraie. De sorte qu’une même personne peut résumer en elle, mais successivement, tous les degrés de suggestibilité.

Quant à moi, je pense que chacun de nous, pris à un certain moment de la journée, entre la veille et le sommeil, présente le degré de suggestibilité le plus élevé. Le magnétisme est l’art de faire naître ce moment et cet état, et surtout l’art de le prolonger et de le maintenir.

Mes observations me conduisent même plus loin. Elles tendent à me faire croire que beaucoup d’états nerveux ou de maladies mentales ont pour origine une suggestion naturelle qui a agi à ce moment spécial. Qu’on se rappelle la mère dont j’ai raconté plus haut la lamentable histoire. On s’expliquerait dès lors comment le magnétiseur aide à la guérison. Il remet le sujet dans l’état où le mal s’est manifesté et combat par la parole le même mal, mais renaissant.

Nous revenons dans la salle des hommes. La veille au soir est arrivé un jeune homme, 19 ans, cordonnier de son état. M. Bernheim procède à un examen sommaire ; il constate un coryza avec grippe. Le malade accuse un violent mal de tête. Il a entendu parler du magnétisme : « Une blague, quoi ? - Vous allez vous endormir et être débarrassé de votre mal de tête. Voilà déjà le sommeil qui vient ». Le malade rit. « Ah ! vous pouvez rire. Plus de douleur ! Le sommeil est de plus en plus profond ! » Se tournant vers nous : « Il n’entend plus que moi. Le voilà pris ! » - Le sujet rit de plus belle, d’un rire d’incrédule. « Dites donc, mon ami, vous allez dormir. Je ne suis pas ici pour m’amuser, et je n’ai pas de temps à perdre. Dormez ! Cette fois-ci, vous dormez. Je vous lève la main ; essayez de la baisser. Cela vous est impossible. Je vous fais tourner les bras ; si vous tentez de les arrêter, ils vont tourner de plus en plus vite. » Effectivement. La figure du cordonnier est devenue grave ; il tourne les bras avec rapidité. « Vous voilà insensible ; je vous pique, vous ne sentez rien ! » En effet. « Tenez ! voilà un verre de bière. Buvez ! » Il fait le geste de boire. « Vous n’avez plus mal à la tête. » Il le reconnaît. « Pendant que vous dormez, je fais votre portrait. Mais, pour vous faire rire, je vous ai fait un nez rouge. À votre réveil, vous le verrez. » On le réveille. On lui met en main le tableau d’entrée à l’hôpital, qui lui est destiné et qui est encore sans écriture. Il le contemple quelques instants, puis se met à rire. Il se reconnaît et se voit un nez rouge. « Une farce ! Je le garde quand même. Il est bien ressemblant. » Il n’a plus mal à la tête et n’a aucun souvenir.

Ainsi, dans cet esprit, la crédulité a succédé brusquement à l’incrédulité. Pourquoi ? Comment ? Mystère. C’est dans des occasions semblables qu’on reconnaît le vrai hypnotiseur. Celui qui, en pareil cas, perd la tête et abandonne le sujet, doit se dire qu’il est encore novice. C’est la conviction de l’opérateur qui est ici le levier qui remue les montagnes. Et cette conviction, il est difficile de la feindre. Au moment où il va être influencé, le sujet devient d’une subtilité incroyable, et il découvrira en vous la moindre indécision. Si vous hésitez, tout est perdu. Du moment que vous pensez ne pas réussir, vous ne réussirez pas. C’est pourquoi j’ai abandonné le jeune homme affligé de mutisme. C’est aussi ce qui fait que des magnétiseurs croient au fluide. Quand ils cherchent à prendre un sujet pour la première fois, leur esprit est absolument tendu vers le but à atteindre. Ils ne veulent qu’une chose, et la veulent de toutes les forces de leur âme. De là ils concluent que leur volonté a tout fait. Cette foi dans la réussite finale dompte le plus récalcitrant, quand, bien entendu, il a foi lui-même dans la réalité des phénomènes et qu’il n’oppose pas volonté à volonté.

Mais, même en de tels cas, on voit des choses étranges. Un jour vint chez moi, accompagné de sa femme, un monsieur âgé de quarante à cinquante ans, membre d’un tribunal. Il souffrait d’insomnie depuis de longues années (quinze à vingt ans). Remèdes et régime avaient été impuissants. Sa famille le sollicitait depuis longtemps de recourir au magnétisme. Le voilà chez moi.

« C’est ma femme qui m’a entraîné ici. Je ne voulais pas. Je ne crois pas à toutes ces nouveautés, je ne dis pas cela pour vous ; mais tout cela, c’est de la frime ou du compérage. » Notez qu’il y avait à ce moment chez moi une demoiselle hypnotisable, et deux jeunes collègues. « Moi, monsieur, je suis allé l’autre jour voir Léon. J’ai tout de suite vu qu’il y avait entente entre lui et ses sujets. Sur la scène, un jeune homme s’est déshabillé. Mais j’ai entendu parfaitement Léon lui dire : Déshabillez-vous ! je l’ai entendu. »

C’est le cas ou jamais, dira-t-on, de ne pas s’occuper d’un pareil malade. Toutefois, j’endors devant lui la demoiselle. Naturellement pour lui, nous répétions des scènes arrangées à l’avance. Comment prouver qu’il en est autrement à qui ne veut pas se rendre ? Car tout peut se simuler. On ne peut pourtant pas mettre l’hypnotisé sur un gril.

Je dis néanmoins à mon visiteur de se prêter à un essai. « Oh ! je veux bien, pour faire plaisir à ma femme et lui prouver que toutes ces nouveautés sont de la fantasmagorie. » Le voilà installé dans le fauteuil. Au bout de deux minutes, il ferme les yeux : « Vous fermez les yeux. - Oui, mais je ne dors pas ; j’ai les yeux fatigués, voilà tout. Je pourrais les ouvrir. » Il les entr’ouvre avec peine. Je le pince. « Je sens que vous me pincez. - Oui, mais vous n’avez pas mal. - Je le crois bien, vous ne pincez pas fort. - Maintenant, je pince plus fort. - Aussi j’ai mal. - Vous n’avez plus mal. - Mais vous ne pincez plus. - Certainement !, je pince plus fort. Je le disais bien ; j’ai de nouveau mal. - Le mal cesse. - C’est que vous ne pincez plus. » Bref, je finis par lui percer le bras avec une grosse aiguille, sans que, à la piqûre de sortie, le moindre trait de sa figure se contracte ; et il continue à protester de cette façon. Je le réveille, l’aiguille dans le bras. Il manifeste peu d’étonnement : « Je suis très résistant à la douleur, vous savez. - Eh bien ! essayons, maintenant que vous êtes éveillé. » J’essaye ; il a mal. « Je n’ai pas eu aussi mal, c’est vrai ; mais j’étais quand même éveillé. Je n’ai pas dormi du tout. » Ce qui n’empêcha pas que la suggestion lui donna du sommeil pour cette nuit au point que le lendemain on dut le réveiller.

C’est l’un des cas les plus curieux que j’aie vus dans ma pratique. D’habitude, les sceptiques instruits sont réfractaires, parce qu’ils mettent leur amour propre à justifier leur scepticisme. Au contraire, le sceptique disposé à se défaire de son scepticisme devant le fait est un sujet plutôt favorable, parce que les premiers effets le font promptement changer d’avis.

M. Bernheim rappelait qu’il dit volontiers à ceux qui nient le magnétisme qu’il n’a rencontré de réfractaires que parmi les idiots ou les entêtés. Sur ces mots, je lui ai offert de l’hypnotiser. Certes, je crois M. Bernheim non magnétisable. Pourquoi ? Que lui manquera-t-il ? L’attention convenablement dirigée. Il la portera toujours sur les procédés de celui qui l’entreprendra, et nullement sur les phénomènes psychiques, qui, sans cela, se passeraient en lui.

Je me suis étendu longuement sur les expériences que M. Bernheim a faites devant moi. Si le lecteur les a suivies point par point, il a pu se convaincre que la suggestion seule était la cause des phénomènes provoqués. Or, ces phénomènes sont des plus variés ; ce sont tous les phénomènes que l’on obtient à la Salpêtrière avec les fameuses hystériques, tant et si souvent mises à contribution. Où sont donc les causes physiques ? Et, après avoir vu ces choses, conçoit-on que M. Gilles de la Tourette, dans son nouveau livre, écrive : « S’il y a quelque chose de dangereux dans le magnétisme, ce n’est pas la suggestion ? »

C’est là une singulière fortune du magnétisme de n’avoir cessé d’être l’objet d’ardentes controverses depuis son apparition jusqu’aujourd’hui que les savants s’en occupent. Mais le magnétisme tient, par de nombreux côtés, par les côtés psychologiques surtout, à la philosophie ; et ainsi s’expliquent les disputes interminables auxquelles il donne lieu. Matérialistes, sensualistes, idéalistes sont plus près de s’entendre que M. Bernheim et ceux qui se disent disciples de M. Charcot.

Certes, je l’ai déjà dit, il y a peut-être dans les phénomènes magnétiques autre chose que de la suggestion. M. Beaunis n’est pas aussi exclusif que M. Bernheim. Mais une chose paraît incontestable, c’est que les phénomènes obtenus avec les hystériques de la Salpêtrière sont tous dus à la suggestion, car on les reproduit à volonté avec des sujets qui n’ont aucune tare hystérique. Là est le grand point. De là découlent des conséquences psychologiques de la plus grande importance. C’est que l’âme a un empire presque absolu sur le corps. Seulement, pour qu’elle l’exerce, elle doit être placée dans un état particulier voisin du sommeil. Alors elle pénètre dans les recoins les plus secrets des organes, rétablit l’ordre dans les parties troublées, stimule les fonctions suspendues, réprime les excès de zèle ou les révoltes, expulse les éléments de dissolution, en un mot fait partout le travail d’épuration devenu nécessaire.

Quelque faculté qu’on ait à comprendre cette action de l’âme, elle est indiscutable. Et, si l’on veut bien y réfléchir, elle est beaucoup plus compréhensible que la conception contraire et généralement acceptée. Quelle est l’opinion courante ? L’école matérialiste, aussi bien que l’école spiritualiste, regarde le corps comme un appareil de physique et de chimie qui fonctionne sans l’intervention de la partie pensante de notre être. Des faits d’expérience journalière nous montrent en nous des organes qui travaillent les uns sans, les autres avec notre intervention. Je puis mouvoir mon bras et, de cette façon, y appeler la chaleur, mais je ne puis pas modérer les contractions du coeur ou de l’estomac ; je puis provoquer dans une certaine mesure l’évacuation de la vessie, mais non la sécrétion des reins. Si ces faits étaient l’expression de toute la réalité, il y a en nous deux puissances, une puissance corporelle et une puissance spirituelle. Aussi, malgré des divergences profondes pour le reste, au fond, les deux écoles sont, l’une comme l’autre, dualistes.

L’hypnotisme semble bien fait pour remettre à flot l’animisme de Stahl. Il serait difficile de désigner une fonction qui ne pût être influencée par la volonté du sujet magnétisé. Si les préjugés n’interdisaient pas de faire certaines expériences, il serait intéressant de soumettre à des investigations minutieuses les rapports de dépendance entre le foetus et la mère. M. Féré a fait quelques expériences dans cette direction ; mais, par la force des choses et des lois, elles sont absolument trop restreintes. Quant à moi, répétant ce que j’ai dit ailleurs, je voudrais qu’il fût permis de faire servir aux progrès de la science les êtres que la justice a retranchés de la société. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi le respect de la dignité humaine défendrait l’utilisation de leur chair, quand il n’interdit pas de les priver de leur liberté.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations à partir de l’ouvrage de Joseph Delbœuf, Le magnétisme animal, À propos d’une visite à l’école de Nancy, Éd. Félix Alcan, Paris, 1890.

Notes

[1Il vient de faire paraître chez Baillière et fils (1888) un volume intitulé : La lumière et les couleurs au point de vue physiologique.

[2Ce qui m’est arrivé avec ce jeune homme est tout particulièrement remarquable et met bien en lumière la nature de la suggestion. Je l’endormis en un clin d’oeil, catalepsie, mouvements automatiques, suggestion. Comme il m’avait attendu assez longtemps, il allait arriver à son bureau avec deux heures de retard. Je le rendors et lui enjoins d’en expliquer la cause, sans embarras, à son chef. II le fit. J’étais heureux. Mais vers la troisième ou la quatrième séance, je fus frappé de quelque chose d’insolite qui me fit douter qu’il fût véritablement endormi. Je le pince, il était sensible et restait sensible. Mon jeune homme avait fait semblant d’être hypnotisé ! II avait cru que c’était cela l’hypnotisme ! J’eus le malheur de laisser voir mon désappointement. Il retomba à l’instant même dans son infirmité. Je lui ai dit de s’adresser à un autre magnétiseur, que là était le salut. Je n’en ai plus eu de nouvelles.

[3Revue de l’hypnotisme, 1er mars 1888, p. 281. Depuis lors, la revue, qui avait même publié un article tout à l’éloge de Donato (1er février 1887, p. 249), penche vers l’opinion que tout médecin est de par son diplôme hypnotiseur !

[4Voir, dans la Revue philosophique (février et mars 1887), mes articles sur La prétendue veille somnambulique.

[5Je me suis trompé dans mes prévisions, voici ce que m’écrit M. Bernheim à la date du 27 juin : « Le bonhomme atteint de sciatique, dont vous m’aviez demandé des nouvelles, celui qui ne voulait pas obéir à la première suggestion, a bien guéri. Je l’ai laissé tranquille pendant huit jours ; puis je l’ai repris ; sommeil sans souvenir au réveil et guérison en quelques séances. »

[6N’a-t-on pas émis la prétention de réserver l’hypnotisme aux médecins « pour faire des expériences de physiologie et de psychologie » (lettre de M. Charcot à M. Menotti) ? Puis on s’élèvera contre les représentations publiques de Donato, qui n’ont jamais causé de mal sérieux à personne.

[7Voir les expériences de M. Jules Janet dans la Revue scientifique du 19 mai 1888.

[8Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé le temps de rédiger mes nombreuses observations.

[9Voir sur ce point un article que j’ai publié sur L’analogie entre l’état hypnotique et l’état normal dans la Revue de l’hypnotisme (avril 1888).

[10La question m’a été faite par le Dr Moll, de Berlin.

[11L’hypnotisme et la liberté des représentations publiques, p. 70.

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