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La Topologie et le Temps (IV)

Il n’y a pas de corps, il n’y a pas d’esprit : il n’y a que l’inconscient !

Texte de l’intervention au Cercle Psychanalytique de Paris (28 février 2008)

Date de mise en ligne : mercredi 5 mars 2008

Auteur : Guy MASSAT

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Guy Massat, « Il n’y a pas de corps, il n’y a pas d’esprit : il n’y a que l’inconscient ! », Quatrième séance du séminaire sur « La Topologie et le Temps », au Cercle psychanalytique de Paris, le jeudi 28 février 2008.

Il n’y a pas de corps. Il n’y a pas d’esprit : il n’y a que l’inconscient qui se génère lui-même tel le temps, toujours en expansion. Il y a de plus en plus de temps. « À l’origine tout était ça », nous dit Freud dans son dernier ouvrage l’Abrégé (p. 26). Qu’est-ce que l’origine ? L’origine n’est pas un début. Un début est spatial, il se dépasse, s’efface et s’oublie comme toute chose tandis que l’origine, étant le temps en tant que tel, accompagne toute chose jusqu’à sa fin. De ce mot, de cette dit-mention, comme l’écrit Lacan(la mention est un signe autonyme, c’est-à-dire qui se désigne lui-même) à cette dit-mention de l’inconscient appartient l’ob-jet petit a avec ses cinq éclairs : les fèces (l’agressivité), le sein (Eros), le regard (l’espace), la voix (le temps) et le rien (depuis toujours le rien est ce par quoi on passe les résistances. C’est à strictement parler « la passe » psychanalytique.) Comment se saisir de ces objets insaisissables ? Sinon à évoquer le flux sans cesse en mouvement des cinq éléments de la l’ancienne pensée chinoise, le vide central autour duquel tourne les quatre saisons ou les quatre phase du temps qui entretiennent les unes les autres des relations d’aide, d’opposition ou de fécondité complexes, elles aussi causes des désirs et des fantasmes. Du point de vue du ça nous ne sommes et ne serons jamais que des objets anonymes dans l’impermanence générale. Cela peut nous sembler effrayant ou éblouissant, déprimant ou tonique selon que nous nous situons dans l’espace ou dans le temps. Dans le Pi yen Lou, (Recueil de la falaise verte), texte chinois du Xème siècle, l’empereur Wou demande à Bodhidharma, le fondateur du Zen, c’est-à-dire du tchan en chinois : « Qu’est-ce que le principe ultime, qu’est-ce que le réel ? » Réponse de Bodhidharma : « Un vide sans fond sans rien de sacré ». Ce vide est-il spatial ou temporel ?

Ceux qui ont écouté Lacan savent qu’il ne s’agit pas ici du vide spatial qu’on se représente lorsque nous disons : ma poche est vide, mon verre est vide ou lorsque nous désignions toute espèce de creux ou de dépression. Ce vide négatif n’est que le contraire du plein. C’est un vide relatif, imaginaire, statique, un moins. À rebours, le vide qu’est le temps, engendre les choses. C’est parce qu’il est coupure qu’il produit des limites et comme il ne cesse pas il les dépasse et les absorbe. C’est le trou qui précède ses bords. Ce temps vide fait apparaître et disparaître les choses. C’est par nature l’inconscient. L’inconscient, nous dit Lacan, est la pulsation temporelle. La triplicité pulsionnelle du temps. Il n’y a plus de chose, nous apprend la science, il n’y a plus de substance en soi puisque l’atome est désormais sécable. Et en conséquence il n’y a plus non plus d’espace, rajoute Einstein ! « En supprimant la matière, disait-il, nous nous sommes aperçu que nous avions aussi supprimé l’espace. » Voilà donc que tout espace est habité par le temps qui le transforme. Nous ne sommes jamais ce que nous étions ni ce que nous serons. Nous n’avons jamais été ce que nous sommes ni ce que nous serons. Nous ne serons jamais ce que nous sommes ni ce que nous avons été. Les points qui forment les bords des cercles qui circulent ne sont jamais les mêmes.

Nous distinguerons donc le réel qu’est l’inconscient, celui de Bodhidharma, celui de la topologie du temps, d’avec ce qu’on appelle réel dans le conscient (la tasse et le donut). Dans le conscient réel, imaginaire et symbolique relèvent de la matière et de l’espace. L’artiste conceptuel Joseph Kosuth expose par exemple, une chaise, voilà le réel dans le conscient. À côté il expose la photo de la chaise, voilà l’imaginaire du conscient. Puis il expose le texte d’un dictionnaire qui définit le mot chaise. Voilà le symbolique dans le conscient. Le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique de Lacan ne relèvent donc pas du conscient mais de l’inconscient. Ici, le Réel c’est le temps sans horloge, l’imaginaire c’est la limite et le symbolique l’association libre, le langage des oies qui dira ce qui cloche. Identité et différence ne sont donc pas les mêmes pour l’inconscient et le conscient. Le mot inceste n’y a pas le même sens. L’inceste dans le système inconscient n’est qu’un mot. Mais ce mot constitue dans cette dimension un interdit plus lourd et conséquent que les faits relatifs du monde conscient. Sur ce point, contrairement à ce qu’affirme le dictionnaire Larousse de Psychiatrie, le code pénal ne réprime pas l’inceste (Art 331), mais la violence. Le code civil (art 161) n’interdit que le mariage entre les parents. Le juriste s’y connaîtrait-il mieux sur la question de l’inceste que le psychiatre ? Ce ne serait pas étonnant. Un bon juriste ne confondra pas étourdiment l’inconscient avec le conscient parce que sa langue, et non pas son langage, étant le droit, soutient nécessairement les mots exacts que la justice tisse.

Inceste est l’anagramme d’insecte et de escient (discernement). Inceste a plus à voir avec ces mots-là qu’avec les comportements physiques auxquels on le réfère dans le conscient. Le mot insecte est l’anagramme d’inceste lequel veut dire impur, souillé, sale. L’endroit où grouillent les insectes est un espace sale. Saussure, qui pensait à la fin de sa vie que les anagrammes étaient le véritable sens des mots, n’était-il pas sur la voie de l’inconscient ? Inceste est aussi l’anagramme de escient qui désigne le discernement dont justement l’étymologie est « séparer ». Ne se trouve-t-il pas que dans la nature les corps des insectes sont, séparés, divisés en anneaux ? C’est ce que nous apprennent les spécialistes. On appelait les insectes « bêtes coupées » à cause des formes étranglées de leurs corps.

Aux XVIIe siècle on désignait par le mot insecte les animaux qui, pensait-on, vivent encore après qu’on les ait coupés comme les serpents par exemple ou ceux dont les corps étaient divisés en anneaux tels les vers et les arthropodes c’est-à-dire les articulés. À cette époque le mot insecte était employé pour désigner un être vil, méprisable. Inseco en latin signifie couper, il a donné insecte, et il est homonyme de inseco qui signifie dire, raconter. Voilà que nous sommes ramenés au langage. Dès que nous approfondissons un sujet nous sommes ramenés au langage comme principe ultime de tout. En faisant des jeux de mots, en pratiquant l’association libre ou le langage des oies, la règle fondamentale de la psychanalyse, on pratique et on jouit plus sûrement qu’on ne croit de l’inceste, qui est le principe fondateur du complexe d’Œdipe.

En général les non initiés au langage du ça, ont horreur de la psychanalyse. C’est qu’à bon escient, ils ne se trouvent pas incestueux dans le conscient. Et ils ont raison puisque l’Œdipe ne relève que du langage. L’ennui c’est qu’ils se croient autorisés à se moquer de l’histoire d’Œdipe comme d’un mythe fantaisiste, une histoire pour enfant, un conte à dormir debout. Le comble aujourd’hui, c’est que l’ont voit pleurer ces contempteurs de Freud et de Lacan, sur le viol de la nature par leur propre technique. Voilà qu’ils violent leur mère, la terre, avec les techniques mêmes par lesquelles ils se définissent. Après leur « Dieu est mort », voilà qu’ils violent leur mère la terre et la porte à sa ruine. Œdipe, lui, après tout, n’aura jamais fait que coucher avec une femme. Tant pis pour eux : fallait pas refouler cette histoire. Étourdiment leurs religions, leurs idéologies, leur ont fait confondre l’âme et l’esprit. Ils ont refoulé l’inconscient. Ils ont oublié que l’inconscient ça parle. Un des fondements de la pensée chinoise est que tout ce qui atteint son apogée se retourne et se transforme en son contraire. C’est ce qu’on appelle en psychanalyse retour du refoulé.

Le tai ki en chinois, le faîte suprême, le principe éternel du temps est le retournement. La pulsion se refoule, enseigne Freud, comme s’il commentait le tai ki, elle se retourne sur elle-même, elle s’inverse en son contraire, elle se sublimise. Ce sont les quatre destins de la pulsion de sa métapsychologie.

En tout cas, il n’y a pas de corps qui se maintienne éternellement dans le temps. Il n’y a pas d’idée qui ne se transforme. Il n’y a même pas de nombre, pas de quantité en soi. Le nombre n’est que le nom que l’on donne au chiffre, c’est-à-dire au zéro. Le zéro est une invention indienne. C’est ce par quoi les bouddhistes désignaient le nirvana. On peut aussi bien le nommer un, ou quatorze milliards. Anagramme de Eros en français, le zéro, le vide, en tant que temps, est le réel, la richesse, la puissance et la jouissance créatrice, c’est-à-dire la nature de l’inconscient. Nous ne sommes que du ça dynamique et toujours différent, donc, du non-moi, comme disent les Bouddhistes. Le théorème d’incomplétude de Kurt Gödel (1930), ne désigne pas un réceptacle géant dans lequel tout s’effondrerait, mais au contraire l’indétermination vide et créatrice à partir de la quelle seulement la diversité de toute construction, ou interprétation, est possible. Disons schématiquement qu’il démontre ici qu’une théorie suffisante pour faire de l’arithmétique sera toujours par nécessité incomplète, car elle se construit forcément sur des énoncés qui ne seront pas démontrables et dont la négation ne le sera pas non plus : c’est-à-dire qu’il existe des énoncés sur lesquels on sait qu’on ne pourra jamais rien dire hors du cadre de leur propre affirmation, de leur propre mention. Tout repose donc sur la dit-mension de l’ignorance, sur le zéro, qui soutient toute liberté de construire et de reconstruire et aussi de « de laisser aller » selon la notion de liberté (zi you) des taoïstes.

Comme il n’y a pas de point fixe dans le temps, nous pouvons construire ou interpréter (c’est la même chose selon Freud) ce qu’on voudra, sans qu’on puisse le justifier autrement que par le bon plaisir de notre désir. Ainsi, les psychanalystes sont-ils une espèce d’artiste. Ils vivent au-dessus des moyens idéologiques de leur époque, au-dessus des livres où se figent les choses. La psychanalyse fait donc partie, du point de vue conscient, des professions délirantes par sa méthode même, l’association libre ou « langage des oies ». C’est ce qui permet de régresser ou de nous élever, comme on voudra, jusqu’au vide du temps pour nous construire, nous reconstruire en tout cas nous délivrer de toute peur.

« La parole, dit Lacan, est un don du langage et le langage n’est pas immatériel. Il est un corps subtil, mais il est corps. » Qu’est-ce qu’un corps ? Eh bien, ici ce n’est pas ce que vous croyez. Un corps est ce qui fait consistance dans la topologie des nœuds où c’est toujours le trou qui précède ses bords. C’est la coupure qui engendre la limite des formes. Notre corps, de la bouche à l’anus, se réduit à un tube. Si on aplatit ce tube, l’oral sur l’anal, cela donne un tore, un donut. Un tore, ou un donut, est engendré par la rotation d’un cercle autour d’un autre cercle. Le nœud premier, qui est un point, est aussi un nœud torique. C’est un tore noué.

À partir de ce nœud trivial on peut produire d’autres nouages. Mais, ce qu’il nous faut considérer d’abord, c’est que la topologie de Lacan n’est pas, ne se réduit pas aux mathématiques. Pour Lacan le mot topologie se découpe ainsi : c’est le logos, “logie”, la parole, le temps, qui produisent les lieux : topos. La topologie de Lacan ne se noue pas dans l’espace elle se déroule dans le temps. Donc, nous ne soutiendrons pas Jeanne Granon-Lafont, par exemple, qui ouvre son livre intitulé La topologie ordinaire de Jacques Lacan par cette phrase : « Au commencement était l’espace ». Ce qui est un contresens lacanien rédhibitoire. Il s’agit chez Lacan de la topologie du temps. Il s’agit d’une topologie de la parole, « des nœuds de paroles », comme dit Heidegger. C’est la topologie du parlêtre, de l’achose, de l’asphère, de l’appenser, de l’inconscient. Le temps, la parole, l’inconscient sont au commencement, à l’origine et avant l’espace-matière et la conscience. Retenons la formule : Le conscient est géométrique et spatial, l’inconscient est la topologie du temps.

À partir d’un nœud trivial nous pouvons figurer le gonflement des paroles de l’hystérique marqués par de faux nouages, c’est-à-dire des nœuds qui ne sont pas consistants, des croisements dans l’ombre : Dans l’ombre on ne peut distinguer ce qui est dessus ou dessous et le discours peut passer déloyalement d’une formule à l’autre quand cela arrange l’hystérique. Le nœud trivial chiffonné peut encore rendre compte des labyrinthes de l’obsessionnel, des blasons des phobiques, des stigmates d’autopunition et des énigmes de l’inhibition. Il n’y a qu’à chiffonner un nœud trivial pour se les représenter.

Ne nous laissons pas prendre par la réponse à Mme Mouchonnat, dans la leçon du 20 février 79 sur la Topologie et le temps. Cette psychanalyste craint qu’avec la topologie la psychanalyse ne se réduise plus qu’aux mathématiques et Lacan lui répond cependant : « Ce qui me tracasse dans le nœud borroméen, c’est une question mathématique. C’est mathématiquement que j’entends la traiter ». De quoi en égarer plus d’un ! Mais, revenons aux mots, mathématique ici, chez Lacan, est pris dans son sens étymologique, il signifie rigoureux tel un dessus-dessous consistant et non pas comme un nouage apparent mais qui ne tient pas, comme dans l’exemple d’un faux nœud premier et d’un vrai nœuds premier (dessin au tableau).

Je vais vous montrer un nœud avec un faux croisement difficile à distinguer et qui a trompé des mathématiciens de l’École Normale Supérieur en 1998. Cela se déroulait dans la même salle où Lacan, en 1970, avait été chassé par la gendarmerie et les CRS. C’était l’époque où l’on commençait à accuser Lacan d’anti-humanisme théorique, de même que Foucault et Althusser. Tout le monde était très hostile à Lacan, à cette époque. La tendance était pour le rétablissement de l’ordre. Comme le raconte Sollers : « Beaucoup de mouvements subversifs étaient partis comme par hasard de l’École Normale Supérieure, et Lacan était rendu en quelque sorte responsable, compte tenu de ses improvisations qui pouvaient passer pour des appels à l’insurrection. Donc on l’a chassé. » Mais le temps ne s’arrête jamais et s’inverse comme les saisons. Althuser fera revenir Lacan en ces lieux mêmes pour qu’il expose sa théorie des nœuds. Althusser expliquera que : « Lacan mène un combat implacable contre l’humanisme, le scientisme et le personnalisme ; en conséquences, ses thèses sont essentielles pour nous. » Donc, dans cette même salle, on est en 98, un mathématicien de New-York fait un exposé sur la topologie fondé essentiellement sur le nœud suivant (dessins au tableau). Ce nœud a apparemment six croisements mais en réalité topologique il n’en a que cinq. Conclusion tout l’exposé du mathématicien était faux, basé sur une apparence de six nouages alors qu’il n’y en avait que cinq. Le mathématicien de New-York, le Pr Groom, fut ridiculisé par Richard Haddad qui réduisit en un tour de main le nœud à ce qu’il était vraiment. Si ce professeur avait travaillé avec des ficelles comme le faisait Lacan il se serait aperçu qu’il s’agissait d’une présentation du nœud du fantasme, le même nœud dont parle Lacan dans son séminaire Encore (1972) page 123. L’imaginaire, ce que l’on voit d’un nœud n’est pas forcément le réel. La topologie du temps domine donc la langue, pourtant parfaite, des mathématiques. D’abord, il y a du temps, pendant, il y a du temps, après, il y a du temps. Comme nul ne vaincra le temps, tout est soumis à l’incomplétude, c’est-à-dire à l’inconscient. Et cela se relie à la formule de la sexuation qui dit : il n’y a pas d’exception à la castration. Autrement dit : « La femme n’existe pas » puisqu’elle n’est pas relative. Qu’est-ce que la femme, sinon l’origine ? Le mot sonne comme le latin fama, « bruit qui court » et ressemble à phémé, qui signifie parole en grec. Là, insistons bien sur l’article défini la femme n’existe pas. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de parole transcendant la parole, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de métalangage à partir duquel on pourrait englober la femme pour mieux la soumettre. Le signifiant femme ne signifie pas la femme comme dans le conscient ainsi que le croit encore nombre de psychanalystes, il désigne l’absence de métalangage dans le système inconscient. Ainsi, « ce qui y a à voir, nous dit Lacan, dans les Ménines de Vélasquez, c’est la fente de l’Infante ». Le regard regarde ce qui ne se voit pas. Il n’y a pas d’origine à l’origine. Et comment est-on hétéro sexuel ? demande Lacan. Réponse de Lacan : « On est hétérosexuel quand on aime les femmes, qu’on soit un homme ou une femme ».

La parole a toutes les caractéristiques du temps et le temps celle du langage.

Saussure nous dit : « Le signifiant étant de nature auditive, se déroule dans le temps seul et a les caractères qu’il emprunte au temps » (p. 103). Ce que bien évidemment s’inverse pour dire que le temps parle. L’inconscient c’est le temps et le temps ça parle. Le verbe latin Vocare, qui veut dire être vide, est homophone du verbe vocare, qui veut dire nommer. Les deux termes viennent de vox, la voix, qui se dit Tao en chinois.

Le nœud borroméen fut introduit en psychanalyse le 9 février 1972. « Il me va comme une bague au doigt », dira Lacan. Pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’en 1924 le bijoutier Cartier avait crée une bague faite de trois anneaux entrelacés de cette curieuse manière, qu’on appelle borroméenne, en platine or rouge et or jaune, ni parce que Jean Cocteau avait jeté son dévolu sur ce bijou pour en faire le mythe de l’élégance française, ni parce que cette bague deviendra un des bijoux les plus célèbres du monde. C’est simplement parce que ce nouage est la clé de tout l’enseignement de Lacan. À partir de cette date du 9 février 72, Lacan ne parlera plus que de la topologie des nœuds, c’est-à-dire du temps, c’est-à-dire de l’inconscient. « Je ferai en sorte, disait Lao tseu, de revenir au temps des cordes nouées » (LXXX). C’est ce que fit Lacan. Ce système si particulier de nouage ne se trouve pas seulement dans l’armoirie des Comtes de Borromée. On le trouve en France. On le trouve chez les Celtes, les Japonais et les Africains. On le trouve encore dans ce monument de la pensée chinoise qu’est le I king. Mais pour comprendre la valeur véritable du nœud borroméen il est indispensable de le référer à la topologie de l’inconscient, à la topologie du temps, à la topologie de la nature autonome du parlêtre et de l’achose. Les nœuds de parole. La topologie de Saussure (avec un cheveu sur la langue), c’est la topologie des nœuds de censure dans le système inconscient.

Le nœud trivial est un rond. Ce rond représente la parole. Comment un rond peut-il représenter la parole ? En fracassant le mot bien sûr, comme d’habitude. Ainsi le mot parole se casse-t-il en « pas » et en « rôle ». « Pas » c’est le mouvement, et « rôle » signifie la roue. La roue est un tore, un donut, fait de points qui ne sont autres que des nœuds premiers. Lesquels sont faits d’autres points etc., etc., à l’infini. Ainsi toute parole est un palimpseste. Toute parole contient inépuisablement d’autres paroles qui en contiennent d’autres etc., à l’infini. Et c’est ainsi que le temps cause au double sens de cause.

Une question (de Robert Berthelot) : Doit-on lire Hélène L’Heuillet ? Ma réponse : Non. Mieux vaut lire Lacan même (Navarin éditeur) de Philippe Sollers. Même si, ni Sollers, ni Miller qui a fait la postface, n’y parlent de la topologie borroméenne, la question du temps y est posée par une référence à Heidegger. « De quoi s’agit-il, interroge Sollers ? Il s’agit, en effet, du Temps ». Le titre, « Lacan même » peut s’entendre comme Lacan m’aime, donc se décliner : Lacan t’aime, Lacan l’aime etc. Mais on peut le tordre aussi en « Quand l’a (l’objet) m’aime », « Quand l’a t’aime », « Quand l’a l’aime », « Quand l’a (l’objet) nous aime », etc. Encore un effort et ils arriveraient à la pensée chinoise du Tchan qui se définit ainsi : « aucune dépendance à l’égard des mots et des lettres. »

On peut lire en tout cas, sous la plume de Sollers, p. 23 : « Lacan était tout sauf un progressiste ou un humaniste. C’est quelqu’un qui pensait que l’être humain a vraiment de très très mauvaises intentions… un pessimisme transformé malgré tout en gay savoir. » Cela ne suffit-il pas à condamner l’affirmation d’Hélène L’Heuillet avec son livre La psychanalyse est un humanisme ? Cette psychanalyste (et il y en a d’autres), se place erronément du côté conscient, c’est-à-dire du côté statique, arrêté, figé, bref du côté de la mort méthodique. La conscience se suicide, tel est son destin. Tandis que l’inconscient se génère lui-même pareil à un suicide qui serait inversé, un suicide à rebours. Houellebecq, l’auteur des Particules élémentaires a donné une définition assez rude de cette psychanalyse à la Hélène L’Heuillet : « La psychanalyse est ce qui transforme une connasse en pétasse. » « Ce qui donne, poursuit Sollers, appliqué aux hommes : “la psychanalyse est ce qui transforme un crétin en canaille”. » Mais ne vous y trompez pas, il s’agit ici du crétin savant, le crétin des livres, le crétin universitaire. La plupart des lacaniens d’aujourd’hui sont des gens intoxiqués par la parole de Lacan. De même que Marx disait qu’il n’était pas marxiste comme Freud qui ne se disait pas freudien, Lacan n’a jamais dit qu’il était lacanien. Un fou qui se prend pour un roi est un fou. Mais un roi qui se prend pour un roi est aussi un fou. Il paraît que Napoléon ne se prenait pas pour Napoléon, bien qu’il le laissât croire… Ne nous trompons pas de narcissisme. De nos jours il y a des sociétés psychanalytiques qui veulent établir une orthodoxie lacanienne. Certains d’entre eux, par exemple, n’utilisent pas de répondeur car ce serait « répondre à la demande de l’analysant » : S barré, poinçon grand D. On ne saurait mieux confondre le conscient et l’inconscient.

On dirait que le psychanalyste d’aujourd’hui est devenu, selon le mot de Nietzsche « le comédien de son propre idéal ». Les psychanalystes sont fatigués comme tous ceux qui s’épuisent à être quelqu’un d’autre. Certains d’entre eux en arrivent à soutenir qu’il y aurait un inconscient chinois, donc différent du nôtre ! Comme dit l’autre, pourquoi pas un inconscient auvergnat ou breton, ou encore martien ? Ont-ils oublié que là où l’on parle il y a du parlêtre, c’est-à-dire de l’inconscient, quelle que soit notre langue ? Le langage inconscient se moquera toujours des langues du conscient, fussent-elles extra-terrestres.

Pour montrer que Joyce justement savait jouer du langage avec le langues, Sollers (p. 54) nous rappelle que « Joyce se permet, de transformer Lord, Seigneur, en Word, mot ». C’est bien, mais on peut faire mieux comme déchaînement verbal. Voilà, pour illustrer le langage des oies, ce que se permet Lacan dans son séminaire sur Joyce en 1979. Je cite : « Joyce le Symptôme (le Saint homme) à entendre comme Jésus la Caille : c’est son nom. Pouvait-on s’attendre à autre chose d’emmoi : je nomme. Que ça fasse jeune homme est une retombée d’où je ne veux retirer qu’une seule chose. C’est que nous sommes z’hommes. LOM : en français ça dit bien ce que ça veut dire. Il suffit de l’écrire phonétiquement : ça fait faunétique (faun…) à sa mesure : l’eaubcène. Ecrivez ça eaub… pour rappeler que le beau n’est pas autre chose. Hissecroibeau à écrire comme l’hessecabeau sans lequel hihanappat qui soit ding ! d’nom dhom. LOM se lomellise à qui mieux mieux. Mouille lui dit-on, faut le faire : car sans mouiller pas d’hescabeau. LOM, LOM de base, LOM cahun corps et nan-na Kun. Faut le dire comme ça : il ahun… et non il estun… (cor/niché). L’avoir et pas l’être le caractérise… » (Autres écrits, p. 565).

Cette écriture ne brûle-t-elle pas tous les livres ? Ne faut-il pas une troisième oreille pour entendre ça ? Ne faut-il pas pour lire ça un regard qui couvre au moins dix milliards d’années ? Le soleil ayant vécu déjà cinq milliards d’années il ne lui reste plus que cinq milliards devant lui. Que sera le livre alors, que sera l’écriture ? Rien. Le temps, la parole de l’inconscient, aura tout absorbé. On voit par là que la parole est une mise en liberté, une pratique du Zi you, la liberté en chinois, mot qui désigne « les conduites qui ne sont spécifiées ni par la loi, ni par la règle, ni par la coutume ».

Il y a actuellement un film sur la dépression que je trouve réussi. D’autant plus qu’on vient d’annoncer l’inefficacité du prozac et autres antidépresseurs. Il s’agit de Ça se soigne avec Thierry Lhermitte qui joue un chef d’orchestre riche et célèbre, marié à une jolie femme qu’il aime et qui l’aime et qui, malgré ses amis, malgré sa réussite sociale, tombe dans une dépression aussi profonde que comique. L’intéressant c’est que sa dépression surgit à la vue d’un feu rouge qui passe à l’orange puis au vert pour revenir à l’orange et au rouge et revenir encore à l’orange pour passer au vert etc. encore et encore. C’est le choc de « l’éternel retour du même » de Nietzsche, « le poids le plus lourd » sur le cercle vicieux du moi et du surmoi du système inconscient. Vous vous souvenez ce que dit Nietzsche pour illustrer cette répétition abominable :

« Cette existence, telle que tu la mènes, et l’as menée jusqu’ici, il te faudra la recommencer et la recommencer sans cesse ; sans rien de nouveau ; tout au contraire !… si un démon (un surmoi) te disait cela, ne te jetterais-tu pas à terre, grinçant des dents et maudissant ce démon ? (Autrement dit, ne chuterais-tu pas dans la plus profonde des dépressions ?). À moins, poursuit Nietzsche, que tu n’aies déjà vécu (dans le temps du ça qui se génère lui-même) un instant prodigieux qui te permettrait de lui répondre : « tu es un dieu, je n’ai jamais ouï parole aussi divine ? » C’est-à-dire que le ça, où tout est toujours nouveau, resurgirait à cet instant avec narcissisme de vie, son narcissisme anobjectal, ce narcissisme des grands félins, comme dit Freud, des enfants, des humoristes comme des grands criminels. Dans ce film aucun médicament n’arrive à guérir la dépression du héros. Même pas la psychanalyse d’aujourd’hui qui n’est plus qu’une psychologie moralisante basée sur d’hypothétiques souvenirs d’enfance plus ou moins traumatisants. Notre héros perd tout, sa célébrité, son métier, son agent, sa femme.

Abandonné de tous, prostré sur un banc, voilà qu’il contemple un feu rouge qui devient orange, puis vert et ainsi de suite, mais cette fois le choc ne se passe plus dans cet espace maudit où rien ne se passe et tout se tend, mais dans le jaillissement, l’ob-jet du temps où rien n’est jamais le même. La musique qui éclate à ce moment là du film est celle d’« Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss. Et le héros retrouve subitement son narcissisme de vie et regagne tout ce qu’il avait perdu. L’auteur de ce film s’y connaît en dépression mieux que la plupart des psychiatres.

Cliniquement, le moi et le surmoi sont des narcissismes de dépression ou de mort. Le moi se définie par les pulsions de conservation qui nient forcément le changement. On se tue afin de se conserver. Le surmoi représente l’idéal impossible à atteindre, désespérant, décourageant, névrotique, suicidaire. Tandis que pour le ça le même est toujours le même de ne jamais être le même. Telle est la topologie du « gay savoir ».

Nous avions pris la dernière fois pour illustrer le langage des oies ou plus formellement la méthode fondamentale de la psychanalyse, l’association libre les exemples : de 1) l’Unbewusst : l’une bévue, l’inconscient ; 2) du Wort, le mot, en allemand et la mort en français et de 3) « l’insu que c’est de l’une bévue s’aile à mourre » (séminaire 24) : le savoir de l’ignorance (l’insu que sait) de l’inconscient (s’aile) s’élance, du hasard (la mourre). Mais aussi « l’insuccès (l’insu que sait) de l’Unbewusst (l’une bévue) c’est la mort (s’aile la mourre) ». Donc retenons le message : L’insuccès de l’inconscient c’est la mort… Puisque en effet la nature de l’inconscient c’est la vie. Le hasard, la mort et l’amour, c’est la mourre. Tout cela ne se réduit-il pas à de la poésie ?

Curieusement Sollers soutient que Lacan n’était pas poète. « Il n’avait pas l’oreille pour la poésie, dit-il. Une sorte d’inaptitude » (p. 31). Miller appuie ce jugement dans sa postface : « Lacan n’était pas poète c’est certain » (p. 68). Qu’est-ce à dire ? Nous tenons là la confession involontaire de ces deux remarquables hommes du livre : Tout ce qui n’est pas labellisé « poésie » sur la quatrième page de couverture d’un ouvrage n’est pas de la poésie. C’est un fait que les universitaires et les auteurs conventionnels sont semblables à ces grands navires capables de traverser les mers mais qui ne naviguent jamais sans perdre la côte de vue. Ce sont des yachts de milliardaires comme ceux qu’on voit dans les ports à la mode et qui n’ont jamais pris la mer. Le discours universitaire est un discours du moi, un discours conservateur, trop conservateur jusqu’à en être dépressif.

Lacan, nous explique Sollers, était « un très grand professionnels de l’improvisation ». Il faisait du théâtre. « C’était un théâtre des plus intéressants, le meilleur que j’aie vu de ma vie et de très loin. La respiration, le dérapage, la digression, la reprise, les soupirs, le fait de revenir sans cesse à ce qui l’intéressait : c’est le plus grand théâtre que j’aie vu, et ce n’est pas péjoratif pour moi. Il y avait un côté à la fois comique, pathétique, enragé, plaintif. Tout ça c’était vécu. Le Télévision, filmé par Benoît Jacquot, plan fixe… c’est la plus mauvaise façon d’aborder Lacan. Il fallait le prendre dans ses hésitations, ses repentirs, ses silences, ses coups de gueule… » (p. 19).

Ce à quoi Jacques-Alain Miller rétorque : « Sollers me tannait gentiment pour que je fasse filmer le Séminaire. Je haussais les épaules. Je savais bien que Lacan ne voudrait pas en entendre parler. L’homme du symbolique (de la parole) maudissait l’imaginaire » (p. 61). Ici M. Miller confond le conscient et l’inconscient. La balle universitaire repasse donc dans le camp de Sollers l’écrivain. Mais, pour mieux faire comprendre que c’est Sollers qui a raison voici une anecdote personnelle : Une collègue me disait un jour qu’à la conférence de Louvain qui a été filmée, Lacan soutenait que : « La mort est un acte de foi. Et vous avez bien raison d’y croire, disait-il, car comment pourriez-vous supporter tout ça ? Mais le comble du comble c’est que vous n’en êtes pas sûr ». Je rétorquai à cette collègue que Lacan n’avait jamais dit ça. Devant sa surprise je lui dis qu’on ne pouvait pas se passer du ton si l’on voulait saisir la phrase. Car avec le ton et les gestes qu’on voit dans le film, ce n’est plus la même chose. En effet si je dis en criant « la mort », ce n’est pas la même chose qu’en lisant les mots « la mort ». « La mort, crie Lacan, est un acte de foi. Suivi d’un silence et mezzo voce : Et vous avez bien raison d’y croire (plaintif) car comment pourriez-vous supporter tout ça (ce monde répétitif, misérable, cruel) ? (crié) Mais le comble du comble, c’est que vous n’en n’êtes pas sûr ! »

Voilà comment l’écrivain Sollers marque ici un point sur l’universitaire Miller. D’autant que Miller ajoute (p. 68) : « À défaut de convaincre Lacan de se laisser filmer, j’aurai pu au moins être son témoin, son Boswell (c’est-à-dire son compagnon et son observateur). Tout de même (il s’en vante) je lui aurai permis d’être l’auteur de plus de livres qu’il n’a écrit, même si cet auteur n’est pas Jacques Lacan, mais Jacques Lacan et Jacques Alain Miller » ( p. 68).

Quel est sera l’avenir de la psychanalyse ?

« Sollers a remarqué, nous dit Miller, que je ne disais rien de “L’avenir de la psychanalyse”, qui pourtant s’adresse à moi… »

Alors, Jacques-Alain Miller incarnera-t-il l’avenir conscient de la psychanalyse ? Telle est la question que l’on se pose à Paris. Cependant, qu’est-ce que l’avenir dans le conscient sinon le cimetière ? L’avenir, l’avenir de la psychanalyse, en tant que parole du ça, en tant que langage phonétique de l’inconscient, en tant que « laisser aller » du souffle vital si l’on s’en tient aux mots : analusis-psyché, ne semble pas se dessiner en Europe ou en Amérique du nord ou du sud. D’où viendra l’avenir de la psychanalyse ? Probablement de la Chine. Et pourquoi ? Parce que la langue chinoise est essentiellement phonétique et parce que c’est toujours le langage qui décide de l’avenir. Comme le remarque justement Eric Porge : « La Chine n’est pas un espace géographique mais topologique. » Si la pensée chinoise ancienne a été refoulée par l’idéologie marxiste, il semble qu’aujourd’hui on assiste à un retour du refoulé qui donnera, j’en suis sûr, un souffle nouveau et créatif à l’enseignement de Lacan…

Il se pourrait même que ce soit la pensée chinoise qui nous explique plus profondément ce qu’est, et ce que doit être la psychanalyse pour qu’elle redéploie l’efficacité qu’elle a perdue en s’asservissant aux petits bénéfices de la pensée universitaire. Rappelons-nous que Lacan affirmait que c’était le chinois qui lui avait permis de généraliser la fonction du signifiant. Avouons quand même que ce détail est d’importance…

Je vous remercie.

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