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Max Müller

Essai de mythologie comparée (Préface et introduction)

Éd. A. Durand, Paris, 1859 (Préface d’Ernest Renan)

Date de mise en ligne : dimanche 25 juin 2006

Max Müller, Essai de mythologie comparée, Éditions A. Durand, Paris, 1859

PRÉFACE.

Le savant éditeur du Rig-Véda, M. Max Müller, a publié l’année dernière dans les Oxford Essays un morceau intitulé Comparative Mythology, où l’auteur s’est proposé de faire connaître au public anglais quelques-uns des plus importants résultats obtenus par la méthode comparative appliquée aux mythologies. J’ai pensé que ce remarquable essai pourrait être lu avec non moins de profit par notre public, encore peu initié aux belles recherches qui ont fait, dans ces dernières années, envisager sous un jour nouveau l’histoire des religions de l’antiquité. J’ai donc engagé une personne zélée pour ces études à traduire le morceau entier. On a ensuite retranché les développements qui paraissaient les moins intéressants pour le lecteur français, et on a cherché à ramener l’exposition de certaines parties à une forme accommodée à notre goût ; mais les opinions de M. Müller n’ont été modifiées sur aucun point. J’aime à croire que l’essai de M. Müller inspirera à quelques personnes le désir de lire les grands ouvrages originaux où son démontrés les résultats exposés ici d’une manière sommaire, et en particulier les travaux de M. Kuhn. C’est là, suivant moi, la grande veine des travaux contemporains. On a souvent dit que la découverte du sanscrit et de la philologie comparée serait regardée dans un ou deux siècles comme un événement aussi considérable que le fut pour le monde latin la découverte de la littérature grecque au quinzième siècle. Je crois cela vrai, non dans l’ordre classique (les littératures grecque et latine ne seront jamais détrônées dans les écoles ni privées du droit exclusif qu’elles ont de présider à notre éducation grammaticale et littéraire), mais dans l’ordre de la science et de la critique. Or, je n’hésite pas à égaler presque à la découverte des Bopp et des Schiegel, celle des jeunes et ingénieux philologues qui ont les premiers aperçu, dans les Védas et la littérature qui s’y apporte, la clef des antiquités religieuses de notre race, et prouvé que la famille indo-européenne n’a d’abord eu qu’un seul système de traditions religieuses et poétiques, comme elle n’a d’abord eu qu’un seul idiome. Dans vingt ans, si la série de ces belles études n’est pas interrompue par l’indifférence du public et l’inintelligence de ceux qui devraient les encourager, nous parlerons de l’état religieux et moral de nos ancêtres ariens avec presque autant de certitude que l’on parle aujourd’hui des Grecs et des Romains.

Ernest RENAN.

MYTHOLOGIE COMPARÉE.

PHÈDRE.
Vois-tu ce haut platane ?
 
SOCRATE.
Certainement.
 
PHÈDRE.
Il y a de l’ombre en cet endroit ; le vent n’y est pas trop fort, et on y trouve du gazon pour s’asseoir ou se coucher.
 
SOCRATE.
Allons-y donc.
 
PHÈDRE
Dis-moi, Socrate, n’est-ce pas en quelque endroit près d’ici que Borée enleva Orithye de l’Ilissus ?
 
SOCRATE.
On le dit.
 
PHÈDRE.
Ne serait-ce pas en cet endroit-ci ? les eaux y sont pures et transparentes, et les rives semblent faites tout exprès pour les jeux des jeunes filles.
 
SOCRATE.
Non, c’est à deux ou trois stades plus bas, à l’endroit où l’on traverse le fleuve pour aller au temple d’Agra : il y a 1à quelque part, un autel de Borée.
 
PHÈDRE.
Je ne l’avais pas remarqué. Mais dis-moi, par Zeus, ô Socrate crois-tu que ce mythe soit vrai ?
 
SOCRATE.
Si, comme les sages, je ne le croyais pas, je ne serais pas fort embarrassé. Je pourrais inventer une théorie ingénieuse, et dire qu’un souffle de Borée, le vent du nord, précipita Orithye du haut des rochers du voisinage pendant qu’elle jouait avec son amie Pharmacée, et qu’étant morte de cette manière, elle passa pour avoir été enlevée par Borée, à cet endroit ou à l’Aréopage, car les deux versions ont également cours. Quant à moi, Phèdre, je pense que ces explications sont fort ingénieuses, mais elles exigent un grand effort d’esprit, et elles mettent un homme dans une position assez difficile ; car, après s’être débarrassé de cette fable, il est obligé d’en faire autant pour le mythe des Hippocentaures et pour celui des Chimères. Puis, une foule de monstres non moins effrayants se présentent, les Gorgones, les Pégases, et d’autres erres impossibles et absurdes. Il faudrait de grands loisirs à un homme qui ne croirait pas à l’existence de ces créatures, pour donner une explication plausible de chacune d’elles. Pour moi, je n’ai pas de temps a donner à ces questions, car je ne suis pas encore arrivé, selon le principe de l’oracle de Delphes, à me connaître moi-même, et il me semble ridicule qu’un homme qui s’ignore s’occupe de ce qui ne le concerne pas. En conséquence, je laisse ces questions, et tout en croyant ce que croient les autres, je médite, comme je viens de le dire, non sur elles, mais sur moi-même, pour savoir si je suis un monstre plus compliqué et plus sauvage que Typhon, ou bien une créature plus douce et plus simple, jouissant naturellement d’un sort heureux et modeste... Mais pendant que nous causons, mon ami, ne sommes-nous pas arrivés à cet arbre où tu devais nous conduire ?
 
PHÈDRE.
Voici l’arbre même.

Ce passage de l’Introduction du Phèdre de Platon a été fréquemment cité pour montrer ce que le plus sage des Grecs pensait des rationalistes de son temps. Il y avait alors à Athènes, comme dans tous les pays et à toutes les époques, des hommes qui, n’ayant ni la foi au miraculeux et au surnaturel, ni le courage moral de nier complètement ce qu’ils ne pouvaient croire, essayaient de trouver des explications possibles pour mettre d’accord les légendes sacrées transmises par la tradition, consacrées par des observances religieuses et sanctionnées par l’autorité de la loi, avec les principes de la raison et les règles de la nature. Il ressort, au moins, clairement du passage précité et de plusieurs autres de Platon et de Xénophon, que Socrate, quoiqu’il ait été accusé d’hérésie, n’avait pas une très-haute idée de ce genre de spéculation, qu’il trouvait ces explications plus incroyables et plus absurdes que les plus incroyables absurdités de la mythologie grecque, et que même, à une certaine époque de sa vie, il traitait ces tentatives d’impies.

M. Grote, dans son ouvrage classique sur l’histoire de la Grèce, s’appuie sur ce passage et sur d’autres semblables, pour donner à Socrate une place parmi les historiens et les critiques dans le sens que notre temps a donné à ces mots. En cela, il fait dire au philosophe ancien plus qu’il ne dit réellement. Le but que se propose la critique moderne, en étudiant les mythes de la Grèce ou de toute autre nation de l’antiquité, est si différent de celui de Socrate, que les objections qu’il émettait contre ses contemporains rationalistes ne peuvent guère s’appliquer à nous. On peut même montrer, je crois, qu’à notre point de vue, l’étude de ces mythes fait partie du problème que Socrate considérait comme le seul digne de la philosophie. Quel est le motif qui nous fait aujourd’hui rechercher l’origine des mythes grecs, étudier l’histoire ancienne, acquérir la connaissance des langues mortes, et déchiffrer d’illisibles inscriptions ? Pourquoi trouvons-nous de l’intérêt non-seulement à la littérature de la Grèce et de Rome, mais encore à celles de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte et de la Babylonie anciennes ? Pourquoi les légendes puériles et souvent repoussantes de tribus sauvages attirent-elles notre attention ? Qu’est-ce qui donne de la vie à l’étude de l’antiquité ? Qu’est-ce qui pousse de nos jours les hommes à consacrer leurs loisirs à des études en apparence si peu utiles, sinon la conviction que, pour obéir au commandement de l’oracle de Delphes, pour savoir ce qu’est l’homme, nous devons savoir ce qu’il a été ? C’est là une considération qui devait rester aussi étrangère à Socrate que les principes mêmes de philosophie inductive, par lesquels Colomb, Léonard de Vinci, Copernic, Képler, Bacon et Galilée ont renouvelé la vie intellectuelle de l’Europe moderne. Nous accordons à Socrate que le principal objet de la philosophie est de se connaître soi-même ; mais nous trouvons insuffisante la méthode par laquelle le philosophe prétendait arriver à cette fin. Pour lui l’homme était surtout l’individu. II cherchait à découvrir le mystère de la nature humaine, en méditant sur son propre esprit, en étudiant le travail secret de l’âme, en analysant les organes de la connaissance, et en essayant d’en déterminer les limites exactes. Pour nous, l’homme n’est plus cet être solitaire, complet en lui-même et se suffisant à lui-même ; l’homme pour nous est un frère parmi des frères, un membre d’une classe, d’un genre ou d’une espèce, et, par conséquent, on ne peut le comprendre qu’en le comparant à ses égaux. La terre était inintelligible pour les anciens, parce qu’ils la considéraient comme isolée et sans pareille dans l’univers ; mais elle prit une véritable et nouvelle signification, dès qu’elle apparut aux yeux de l’homme comme une planète entre plusieurs autres planètes, toutes gouvernées par les mêmes lois et tournant autour du même centre. Il en est ainsi de l’âme humaine ; sa nature se présente à nous sous un aspect différent, depuis que l’homme a appris à se connaître, depuis qu’il sait qu’il est un membre d’une grande famille une étoile parmi des myriades d’étoiles errantes, toutes gouvernées par les mêmes lois, tournant autour du même centre et tirant leur lumière d’une source commune. L’histoire du monde, ou, comme l’on dit, « l’histoire universelle, » a ouvert de nouvelles voies à la pensée, et a enrichi notre langue d’un mot que ne prononcèrent jamais ni Socrate, ni Platon, ni Aristote, l’humanité. Où les Grecs voyaient des barbares, nous voyons des frères ; où les Grecs voyaient des héros et des demi-dieux, nous voyons nos ancêtres ; où les Grecs enfin voyaient des nations (...) nous voyons des hommes qui travaillent et qui souffrent, qui sont séparés par des océans, divisés de langage et désunis par des haines nationales, mais qui tendent cependant de plus en plus, sous une impulsion divine, à l’accomplissement d’un impénétrable dessein.

L’histoire, avec ses pages antiques, est de la sorte pour nous un livre aussi sacré que celui de la nature. Nous cherchons à retrouver dans tous les deux le reflet d’une sagesse divine. De même que nous ne reconnaissons plus dans la nature d’oeuvres de démons ni de manifestations d’un mauvais principe, ainsi nous nions que l’histoire soit une agglomération atomistique de hasards ou l’application despotique d’un destin aveugle. Nous croyons qu’il n’y a rien d’irrationnel dans l’histoire ni dans la nature, et que l’esprit humain doit y lire et y révérer les manifestations d’un pouvoir divin. Aussi, les pages les plus anciennes et les plus altérées de la tradition nous sont plus chères peut-être que les documents les plus explicites de l’histoire moderne. L’histoire de ces temps reculés, en apparence si étrangère à nos intérêts modernes, prend un charme infini dès que nous y voyons l’histoire de notre propre famille. Bien des choses sont encore inintelligibles pour nous, et le langage hiéroglyphique de l’antiquité ne retrace qu’à demi les procédés que suivit l’esprit humain, à une époque où ii n’avait pas conscience de lui-même. Cependant l’image de l’homme, en quelque climat que nous la rencontrions, se présente à nous pure et noble dès l’origine : nous apprenons à comprendre ses erreurs, nous commençons à interpréter ses rêves. Quelque anciennes que soient les empreintes de l’homme dans les plus profondes stratifications de l’histoire, nous voyons que le don divin d’une intelligence sûre et solide lui appartint dès le commencement. On ne peut plus soutenir l’opinion que l’humanité soit sortie lentement des abîmes de la brutalité animale. Le langage, premier ouvrage d’art exécuté par l’esprit humain, plus ancien qu’aucun document littéraire, et antérieur même aux premiers murmures de la tradition, forme une chaîne non interrompue depuis les premiers âges de l’histoire jusqu’à nos jours. Nous parlons encore le langage des premiers ancêtres de notre race ; et ce langage, avec sa merveilleuse construction, témoigne contre le système qui voudrait assigner à l’espèce humaine les mêmes origines qu’à l’animal.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Max Müller, Essai de mythologie comparée, Éditions A. Durand, Paris, 1859, 103 pages.

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