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Théodore Flournoy

Enfance et jeunesse de Mlle Smith

Des Indes à la planète Mars (Chapitre II)

Date de mise en ligne : mercredi 12 avril 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE DEUX
Enfance et jeunesse de Mlle Smith

L’histoire psychologique de Mlle Smith et de ses automatismes se divise naturellement en deux périodes séparées par le fait capital de son initiation au spiritisme au commencement de 1892. Avant ce moment, ne soupçonnant pas la possibilité de communications volontaires avec le monde des désincarnés, elle ne pouvait avoir et n’a eu, en effet, que des phénomènes spontanés, premiers mouvements de ses facultés médiumiques encore endormies, dont il eût été intéressant de connaître en détail la nature exacte et les progrès ; malheureusement, en l’absence de documents écrits sur cette période préspirite, nous en sommes réduits aux récits d’Hélène et de ses parents, et l’on sait combien la mémoire est défaillante lorsqu’il s’agit d’événements un peu anciens. La période spirite, en revanche, s’étendant sur ces sept dernières années, et infiniment plus fertile en manifestations tant provoquées (séances) que spontanées, nous est beaucoup mieux connue ; mais, pour la bien comprendre, il convient de passer d’abord en revue le peu que nous avons pu recueillir sur la période préspirite, c’est-à-dire l’enfance et la jeunesse de Mlle Smith. Ce sera l’objet de ce chapitre.

Mlle Smith a toujours habité Genève depuis sa tendre enfance. Après avoir suivi les écoles, elle entra comme apprentie, à l’âge de quinze ans, dans une grande maison de commerce, qu’elle n’a plus quittée et où elle s’est peu à peu acquis une fort jolie situation. Son père, négociant, était hongrois et avait une extrême facilité pour les langues, ce qui a son intérêt en présence des phénomènes de glossolalie dont il sera question plus loin. Sa mère est genevoise. Tous deux se sont en somme bien portés et ont atteint un âge respectable. Hélène a eu une soeur cadette morte jeune, et deux frères aînés, actuellement pères de famille et établis à l’étranger, où ils ont fait de bonnes carrières commerciales.

Je ne sache pas que M. Smith, qui était un homme positif, ait jamais présenté de faits d’automatisme. Mme Smith, en revanche, ainsi que sa grand-mère, a eu plusieurs phénomènes bien caractérisés de ce genre et, des frères d’Hélène, l’un au moins, paraît-il, serait facilement devenu un bon médium. Ainsi se vérifie une fois de plus la tendance nettement héréditaire des facultés médiumiques.

M. Smith, d’un caractère actif et entreprenant, est mort assez subitement, probablement d’une embolie, à l’âge de soixante-quinze ans. Il avait quitté la Hongrie déjà dans sa jeunesse, et finit par se fixer à Genève après avoir voyagé ou séjourné plusieurs années en Italie et en Algérie. Il parlait couramment le hongrois, l’allemand, le français, l’italien et l’espagnol, comprenait assez bien l’anglais, et savait aussi le latin et un peu le grec. Il semblerait que sa fille ait hérité de ses aptitudes linguistiques, mais seulement d’une manière latente et subliminale, car elle a toujours détesté l’étude des langues et s’est montrée rebelle à l’allemand dont elle a pourtant eu des leçons pendant trois ans.

Mme Smith, qui est une femme de beaucoup de coeur et d’un grand sens pratique, est actuellement âgée de soixante-sept ans. Ni elle ni son mari n’ont été des nerveux ou des psychopathes, mais tous deux ont présenté une tendance marquée aux affections broncho-pulmonaires, d’une forme suspecte qui inspira plusieurs fois au médecin des inquiétudes heureusement jamais réalisées. Mme Smith a, en outre, fréquemment souffert de rhumatismes. Hélène ne paraît pas avoir hérité de ces fâcheuses dispositions ; elle a toujours joui d’une magnifique santé, et n’a pas même eu les petites maladies accoutumées de l’enfance. Ce n’est pas le lieu d’examiner la question fort obscure des rapports possibles des facultés dites médianimiques avec les diathèses arthritique ou bacillaire.

Bien que M. et Mme Smith fussent protestants, par suite de diverses circonstances leur fille fut baptisée catholique peu après sa naissance, avant d’être inscrite quelques mois plus tard sur les registres de l’Église protestante de Genève. L’idée de ce baptême insolite n’a certainement pas été perdue pour l’imagination subliminale d’Hélène, et a dû y contribuer à l’hypothèse d’une mystérieuse origine. Des années d’enfance, je ne sais rien de spécial. À l’école secondaire, où elle ne passa qu’un an et où j’ai consulté les registres de sa classe, elle ne se distingua ni en bien ni en mal au point de vue de la discipline, mais elle n’y donna certainement pas la mesure de son intelligence, car elle finit par échouer aux examens de fin d’année, ce qui décida son entrée en apprentissage. D’autre part, le digne pasteur qui fit son instruction religieuse peu après, et ne la perdit pas de vue dans la suite, m’a fourni sur elle les témoignages les plus élogieux ; il en avait conservé le souvenir d’une jeune fille très sérieuse, intelligente, réfléchie, appliquée à ses devoirs et dévouée à sa famille.

M. Smith ne présenta jamais la moindre trace de phénomènes médianimiques ; très indifférent ou même hostile au spiritisme lorsque sa fille commença à s’en occuper, il finit cependant par subir son influence et se rallia à cette doctrine sur la fin de sa vie. Mme Smith, au contraire, y a de tout temps été prédisposée et a eu plusieurs phénomènes de cet ordre au cours de sa vie. À l’époque de la grande épidémie de tables tournantes qui sévit sur notre pays au milieu de ce siècle, elle pratiqua momentanément le guéridon avec ses amies et connaissances, non sans succès. Plus tard, elle eut quelques visions sporadiques. Voici l’une des plus typiques. Comme sa fille cadette âgée de trois ans était malade, Mme Smith se réveillant au milieu de la nuit, aperçut un ange, éclatant de lumière, debout à côté du petit lit et les mains étendues au-dessus de l’enfant ; au bout de quelques moments, l’apparition se dissipa peu à peu comme un nuage qui se fond dans la nuit. Mme Smith avait eu le temps de réveiller son mari, qui d’ailleurs ne vit rien et se moqua d’elle, et de lui faire part de la fatale signification qu’elle donnait à cette vision. En effet, le lendemain matin, l’enfant était mort, au grand étonnement du docteur. C’est un joli exemple de pressentiment maternel exact, subconsciemment éprouvé et se traduisant dans la conscience ordinaire par une hallucination visuelle qui emprunte son contenu symbolique à une image populaire appropriée.

Mme Smith n’a pas connu sa mère morte peu après sa naissance ; mais de sa grand-mère, qui l’a élevée, elle se rappelle et m’a raconté des visions caractéristiques ; divers phénomènes chez l’un des frères d’Hélène (audition de pas pendant la nuit, etc.) lui ont aussi montré qu’un de ses fils au moins était médium.

Hélène Smith était certainement prédisposée, par son hérédité et son tempérament, à devenir médium dès que l’occasion extérieure, c’est-à-dire les suggestions du spiritisme, se présenterait. Il ressort, en effet, de ses récits, qu’elle fut plus ou moins visionnaire dès son enfance. Il ne semble d’ailleurs pas qu’elle ait jamais présenté de phénomènes capables de frapper par eux-mêmes l’attention de son entourage. Je n’ai pu recueillir aucun indice de crises ou attaques quelconques, ni même de noctambulisme. Ses automatismes sont toujours restés presque entièrement confinés dans la sphère sensorielle ou mentale, et ce n’est que par ses propres récits que les autres personnes en avaient connaissance. Ils ont revêtu la double forme de rêveries plus ou moins conscientes, et d’hallucinations proprement dites, sans qu’il soit toujours possible de dire exactement dans laquelle de ces deux classes rentre tel fait particulier.

1. Rêveries.

L’habitude de rêvasser, de construire des châteaux en Espagne, de se transporter dans de tout autres conditions d’existence, ou de se raconter des histoires où l’on joue volontiers le beau rôle, est encore plus répandue chez la femme que chez l’homme, et dans l’enfance et la jeunesse que plus tard [1]. Elle s’accommode de l’inactivité et des occupations devenues en quelque sorte mécaniques, qui, n’exigeant plus un effort soutenu d’attention, laissent un libre cours au vagabondage de la pensée. Chez Mlle Smith, cette propension semble avoir été extrêmement forte, car dès ses années d’école elle se montra d’un tempérament sédentaire et casanier, préférant aux jeux de ses camarades la compagnie tranquille de sa mère, et aux distractions extérieures les travaux à l’aiguille, qui stimulent plus souvent qu’ils ne réfrènent les grandes chevauchées de l’imagination. Du contenu de ces rêveries, nous ne connaissons malheureusement que les rares épaves qui ont survécu à l’oubli dans la mémoire consciente d’Hélène, c’est-à-dire pas grand-chose. Ce peu suffit toutefois à révéler la tonalité générale de ses fictions, et nous montre que les images défilant ou surgissant à l’improviste dans sa vision mentale avaient un caractère singulier, le plus souvent méridional et fantastique, qui permet d’y voir le prélude de ses grands romans somnambuliques ultérieurs. Il est à remarquer aussi que les dessins, broderies, ouvrages artistiques variés qui furent de tout temps l’occupation favorite de ses moments de loisir, et dans lesquels elle excelle, étaient presque toujours, dès son enfance, non des copies de modèles extérieurs, mais des produits de son invention, marqués du sceau original et bizarre de ses images internes. De plus, ces travaux s’accomplissaient sous ses doigts avec une aisance et une rapidité qui l’étonnaient elle-même ils se faisaient tout seuls, pour ainsi dire. Cette description fait songer à une exécution automatique.

D’après les récits de Mlle Smith et les siens propres, Hélène était timide, sérieuse, renfermée, et n’allait pas volontiers jouer avec les fillettes de son âge. Elle préférait ne sortir qu’avec sa mère, ou rester tranquille et silencieuse à la maison, s’amusant à dessiner, ce qu’elle faisait avec la plus grande facilité, ou à exécuter des ouvrages de sa composition, de style oriental, qui réussissaient comme par enchantement entre ses doigts de fée : « Je n’en avais point de mérite, dit-elle, car cela ne me donnait aucune peine ; j’étais poussée à faire ces ouvrages et ces dessins je ne sais comment, parfois avec des petits morceaux d’étoffe qui s’assemblaient en quelque sorte d’eux-mêmes sous ma main. »

Elle aimait à rêvasser seule, et se rappelle être restée des quarts d’heure et des demi-heures, le dimanche après-midi par exemple, immobile dans un fauteuil ; elle voyait alors toutes sortes de choses, mais peu expansive de sa nature, elle les gardait pour elle et n’en parlait guère à ses parents de crainte de n’être pas comprise. C’étaient des couleurs roses, des paysages excessivement dorés, un lion de pierre à tête mutilée, des ruines au milieu d’un terrain dénudé, des chimères sur un piédestal, etc. Elle ne se souvient plus exactement des détails, mais elle a le sentiment bien net que cela ressemblait absolument à ses visions hindoues et martiennes actuelles.

Ces fantasmagories lui apparaissaient aussi la nuit. Elle se rappelle entre autres avoir aperçu, vers l’âge de quatorze ou quinze ans, une grande lueur qui remplissait sa chambre, avec des caractères étranges, inconnus, contre la paroi ; elle avait l’impression d’être bien réveillée, mais se demanda après coup si elle n’avait point rêvé ; ce n’est que maintenant qu’elle comprend que ce devait être une « vision ». Souvent aussi elle voyait, en rêve ou en vision, arriver auprès de son lit un homme au costume étrange et tout chamarré. Il lui semblait d’ailleurs toujours voir du monde autour d’elle, et plus d’une fois elle raconta le matin que sa mère était venue vers son lit pendant la nuit, alors qu’il n’en était rien.

2. Hallucinations.

Dans les exemples précédents, il serait difficile de dire au juste à quelle catégorie de faits psychologiques on a affaire, surtout pour les phénomènes nocturnes, et l’on peut hésiter entre de simples rêves d’une grande vivacité, des visions hypnagogiques ou hypnopompiques [2], ou de véritables hallucinations. On est par contre en droit de donner cette dernière qualification aux apparitions assez nombreuses que Mlle Smith eut de jour et en pleine activité.

Un jour, par exemple, qu’elle jouait dehors avec une amie, elle se vit poursuive par quelqu’un et appela sa compagne, mais celle-ci ne vit personne ; l’individu imaginaire, après lui avoir couru après autour d’un arbre, pendant un moment, disparut soudain et elle ne put le retrouver.

Dans un tout autre genre, on peut regarder comme des hallucinations graphomotrices les caractères inconnus qu’elle se souvient d’avoir parfois substitués involontairement aux lettres françaises lorsqu’elle écrivait à ses amies ; il s’agit sans doute là des mêmes caractères qui lui apparaissaient en images visuelles à d’autres moments (voir plus haut). C’était le prélude du phénomène, qui s’est assez fréquemment produit chez elle ces dernières années et dont on verra plus loin des exemples, d’écritures automatiques venant se mêler en plein état de veille à son écriture habituelle.

À côté d’hallucinations qui n’offrent, comme celles-là, aucun caractère intentionnel ni profitable, et ne sont que l’irruption capricieuse et fortuite, dans la conscience normale, des rêves ou imaginations remplissant les couches subconscientes, il s’est aussi présenté chez Hélène des hallucinations d’une utilité manifeste, qui ont par conséquent le sens de messages adressés par la conscience subliminale du sujet à sa personnalité ordinaire, dans un but de protection et d’avertissement. Il est à remarquer que ces hallucinations, qu’on pourrait appeler théologiques, ont été plus tard revendiquées par Léopold, tandis qu’il n’a pas souvenir ou ne se donne pas pour l’auteur des précédentes.

En voici un exemple curieux. Vers l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, Hélène revint un soir de la campagne portant une belle gerbe de fleurs. Pendant les dernières minutes du trajet, elle entendit derrière elle un singulier cri d’oiseau qui lui semblait la mettre en garde contre quelque danger, en sorte qu’elle hâta le pas sans se retourner. Arrivée à la maison, le cri la poursuivit encore dans sa chambre, sans qu’elle réussît à voir l’animal qui le poussait. Elle se coucha fatiguée, et au milieu de la nuit se réveilla pleine d’angoisse, mais ne pouvant crier. À ce moment, elle se sentit délicatement soulevée par-derrière, avec le coussin sur lequel elle reposait, comme par deux mains amies, ce qui lui permit de retrouver son souffle et d’appeler sa mère ; celle-ci accourut la réconforter, puis emporta les fleurs, trop odorantes, hors de sa chambre. - Léopold, récemment interrogé, pendant un somnambulisme d’Hélène, sur cet incident remontant à tant d’années en arrière, en a le souvenir très net et m’en donne l’explication suivante : il n’y a pas eu de cri d’oiseau réel, mais c’est lui, Léopold, qui a fait entendre à Hélène une sorte de sifflement afin d’attirer son attention sur le danger que présentait la gerbe de fleurs, où se trouvaient beaucoup de citronnelles au violent parfum ; malheureusement, Hélène ne comprit pas et garda le bouquet dans sa chambre. Il ajoute que s’il ne lui a pas donné un avertissement plus clair et intelligible, c’est qu’à ce moment-là cela lui était impossible ; ce sifflement, qu’Hélène a pris pour un cri d’oiseau, était tout ce qu’il pouvait faire. C’est de nouveau lui qui est intervenu à l’instant de son malaise nocturne et l’a soulevée pour lui permettre d’appeler au secours

Je n’ai aucune raison de douter de l’exactitude générale tant du récit d’Hélène et de sa mère, que de l’explication (ignorée de ces dames) récemment fournie par Léopold. L’incident rentre dans la catégorie des cas bien connus où un danger quelconque non soupçonné de la personnalité ordinaire, mais subconsciemment aperçu ou pressenti, se trouve conjuré grâce à une hallucination préservatrice soit sensorielle (comme ici le cri de l’oiseau), soit motrice (comme le soulèvement du corps). La conscience subliminale n’arrive pas toujours à produire un message net ; dans le cas présent, l’automatisme auditif est resté à l’état d’hallucination élémentaire, de simple sifflement, sans pouvoir se préciser en hallucination verbale distincte. Son sens général d’avertissement a cependant été compris par Hélène, grâce au sentiment confus de danger qu’elle éprouva en même temps. Toutefois, ce sentiment confus, qui lui a fait presser le pas, ne me semble point devoir être considéré comme le résultat du sifflement entendu, mais bien plutôt comme un phénomène parallèle : la vue ou l’odeur des citronnelles qu’elle portait, sans attirer son attention réfléchie, ont néanmoins suscité obscurément en elle la notion du mal que ces fleurs pourraient lui faire, et cette notion a affecté sa claire conscience sous la double forme d’une vague émotion de danger, et d’une traduction verbo-auditive qui n’a pas réussi à se formuler explicitement.

Dans plusieurs circonstances de nature à occasionner une forte secousse émotionnelle, et surtout lorsque la sphère psychique des sentiments de pudeur se trouvait spécialement en jeu, Hélène a eu l’hallucination visuelle d’un homme, vêtu d’une longue robe brune avec une croix blanche sur la poitrine, à la manière d’un moine, qui s’est porté à son secours et l’a accompagnée, sans rien lui dire, pendant un temps plus ou moins long. Ce protecteur inconnu, toujours silencieux, chaque fois apparu et disparu d’une façon subite et mystérieuse, n’était autre que Léopold lui-même, d’après les affirmations ultérieures de ce dernier.

On pourrait s’attendre à ce qu’Hélène ait eu dans sa jeunesse beaucoup de faits frappants de double-vue, d’intuition merveilleuse, de divination, etc., qui sont une des formes les plus répandues d’automatisme téléologique. Il ne semble guère cependant que cela ait été le cas ; ni elle ni sa mère ne m’ont rien cité de saillant en ce genre, et tout se borne de leur part à l’affirmation générale de fréquents pressentiments qui se sont trouvés justifiés sur les personnes ou les événements, mais sans spécification d’histoires et d’anecdotes extraordinaires comme celles dont tant de gens ont leur sac plein.

Tous les exemples que je viens de rapporter concourent à mettre en lumière le penchant de Mlle Smith à l’automatisme. Mais au point de vue de leur intelligence, il y a une notable différence entre les phénomènes téléologiques, pressentiments ou hallucinations d’une utilité manifeste, et ceux qui ne le sont pas, rêveries et autres perturbations à tout le moins superflues, sinon franchement nuisibles, de la personnalité normale d’Hélène. Les premiers se comprennent par leur utilité même, ni plus ni moins que tant d’autres faits curieux, organiques ou psychologiques, portant le cachet de finalité de la vie. Peu nous importe qu’on ne voie, dans ces hallucinations préservatrices et autres interventions avantageuses de couches étrangères à la conscience ordinaire, que des conséquences accidentellement heureuses, les petites fiches de consolation, pour ainsi dire, d’une disposition essentiellement pathologique et fâcheuse au fond à la désagrégation mentale ; ou qu’on les érige au contraire en réels et purs privilèges, parfaitement normaux en soi malgré leur rareté, attachés à la possession enviable d’un Moi subliminal exceptionnellement doué, plus alerte, plus rapproché du génie proprement dit, que les Moi subliminaux alourdis et obtus du commun des mortels. Ces vues théoriques sur l’origine et la vraie nature des automatismes téléologiques sont d’un haut intérêt, mais leur discussion serait un hors-d’oeuvre ici, et les phénomènes de Mlle Smith rentrant dans cette catégorie de faits déjà bien connus et souvent étudiés ne demandent pas que nous nous y arrêtions davantage en ce moment, d’autant plus que nous aurons l’occasion d’y revenir à propos de la personnalité de Léopold qui, comme on l’a vu, semble s’y trouver régulièrement mêlée.

Il n’en est pas de même des rêveries et autres automatismes absolument inutiles, qui venaient se faufiler sans rime ni raison dans la vie normale d’Hélène. On ne sait de quelle façon interpréter ces phénomènes en apparence capricieux et fortuits, et ils restent de menus faits, isolés, sans portée et sans intérêt, tant qu’on ne peut les rattacher à quelque principe central, à une idée mère ou à une émotion fondamentale qui les aurait tous engendrés et leur servirait de trait d’union. Il est malheureusement impossible d’assigner avec certitude la source inspiratrice et de démêler la trame de fantasmagories qui, déjà sur le moment même, ne jaillissaient sans doute dans la conscience d’Hélène que fort confuses, désordonnées, incohérentes comme nos rêves, et dont au surplus elle ne retrouve en sa mémoire actuelle que des lambeaux épars tout à fait insuffisants pour reconstituer leur enchaînement et remonter à leur origine.

On en est donc réduit à des conjectures. La plus vraisemblable est que ces divers fragments faisaient partie de quelque vaste création subsconsciente, où tout l’être de Mlle Smith, comprimé et froissé par les conditions imposées de la vie réelle comme c’est plus ou moins le cas pour chacun de nous, donnait un libre essor aux aspirations profondes de sa nature et s’épanouissait dans la fiction d’une existence plus brillante que la sienne. Outre que c’est le tour assez ordinaire de ces constructions imaginatives, qui sont comme une protestation de l’idéal contre les grises réalités, une retraite inaccessible où, sur les ailes du rêve, l’individu s’envole pour échapper aux mille écoeurements de la prose quotidienne, - tout ce que nous savons du caractère d’Hélène, enfant et jeune fille, nous montre que la note émotionnelle dominante en elle était bien celle d’une instinctive révolte intérieure contre le milieu modeste où le sort l’avait fait naître, un profond sentiment de crainte et d’opposition, de malaise inexplicable, de sourd antagonisme vis-à-vis de tout son environnement matériel et intellectuel.

Tout en se montrant très dévouée à ses parents et à ses frères, elle n’avait que de faibles affinités naturelles avec eux. Elle se sentait comme étrangère et dépaysée dans sa famille. De vagues et obscurs élans vers autre chose, une secrète incompatibilité de goûts et d’humeur - sans aller jusqu’à se traduire en pénibles frottements dans les rapports journaliers, ni porter atteinte à l’accomplissement de ses multiples devoirs de fille et de soeur - lui inspiraient pourtant un sentiment d’isolement, d’abandon, d’exil, et creusaient une sorte d’abîme entre elle et son entourage. Il lui arriva de demander sérieusement à ses parents s’ils étaient bien sûrs qu’elle fût leur fille, et que la bonne ne leur eût pas jadis ramené par erreur une autre enfant de la promenade. Ce manque d’adaptation à son milieu, cette espèce de mystérieuse nostalgie pour une patrie inconnue, se reflètent d’une façon caractéristique dans le fragment suivant, où Hélène, qui a toujours attribué une grande importance aux songes, m’en racontait un dans lequel figurait une maison à l’écart :

... Selon moi, cette maison retirée dans laquelle je me suis vue seule, isolée, représente mon existence, qui, depuis mon enfance, n’a été ni heureuse ni gaie. Très jeune déjà, je ne me souviens pas avoir partagé aucun des goûts, aucune des idées des membres de ma famille, c’est pourquoi tout enfant j’ai été laissée dans ce que j’appellerai un profond isolement du coeur.

Et, malgré tout, malgré ce manque complet de sympathie, je n’ai pas encore pu me décider à me marier, quoique les occasions se soient souvent présentées. Une voix me criait toujours : Ne te presse pas, le moment n’est pas venu, ce n’est pas celui que le destin te réserve ! Et j’ai écouté cette voix, qui n’a absolument rien à faire avec la conscience, et je ne regrette pas, surtout depuis que j’ai eu l’occasion de m’occuper de spiritisme, car, dès cet instant, j’ai trouvé autour de moi tellement de sympathies et d’amitiés que j’ai un peu oublié mon triste sort, et que je n’en ai plus voulu à la destinée de m’avoir placée dans un milieu dont ni les goûts ni les sentiments n’avaient de rapport avec les miens.

Je me souviens qu’étant enfant - douze ans environ - on sonna un jour à notre porte, et que, toujours craintive quand on sonnait, au lieu de me cacher comme j’avais l’habitude de le faire, je m’étais précipitée vers la porte ayant eu l’idée fixe que quelqu’un venait pour moi, afin de m’emporter et de m’emmener bien loin. Et ce quelqu’un, je me l’étais représenté comme étant un beau monsieur, devant avoir de riches habits galonnés d’or et d’argent. Aussi, ma déception fut grande, quand à sa place je vis un petit marchand d’allumettes. Je me suis toujours souvenue de cet instant de joie, puis ensuite de ma déception et du chagrin que me causa cette dernière.

Cette citation en dit plus que beaucoup de commentaires sur la tournure d’esprit et la disposition émotionnelle qui régnaient généralement chez Hélène petite fille. C’est assurément, si l’on veut, l’histoire banale et le lot commun de tout le monde ; autant d’enfants et de jeunes gens, autant de génies incompris qui se sentent étouffer dans leur milieu trop étroit lorsque commencent à fermenter en eux les énergies latentes de la vie. Soit, mais il y a des différences de degré et de qualité. Chez Mlle Hélène Smith, le sentiment de n’être pas faite pour ses alentours, et d’appartenir par nature à une sphère supérieure, était intense et continu, et avait pour effet (ou pour cause) un malaise général, pour ne pas dire un état de véritable souffrance, très réel et persistant. Sa mère a toujours eu l’impression qu’Hélène n’était pas heureuse, et s’étonnait qu’elle fût si sérieuse, si absorbée, si dépourvue de l’exubérance et de l’entrain naturels à son âge. Son père et ses frères, se méprenant sur les vraies raisons de cette absence de joie, la taxaient fort injustement d’orgueil ou de hauteur, et l’accusaient parfois de mépriser son humble entourage. Il y a des nuances de sentiment que l’on ne comprend que lorsqu’on les a éprouvées ; Hélène savait bien qu’il n’y avait vraiment chez elle ni mépris ni orgueil vis-à-vis d’un milieu matériel et social qui lui inspirait un plein respect par son honorabilité, mais qui simplement ne cadrait pas avec sa nature à elle. Des goûts et des couleurs on ne peut disputer, et ce n’est point mésestimer les gens que de se rendre compte malgré soi qu’on a d’autres aspirations qu’eux, des façons meilleures ou tout au moins différentes de sentir, une délicatesse esthétique plus raffinée, une plus haute conception de ce que devrait et pourrait être la vie, un idéal supérieur en un mot.

À ce sentiment fondamental d’emprisonnement dans une sphère trop mesquine, se joignait chez Hélène une disposition craintive permanente. La nuit, le moindre bruit, un craquement de meuble, la faisait tressaillir ; le jour, un passant marchant derrière elle, un mouvement inattendu, un coup de sonnette, comme on vient de le voir, lui donnaient l’impression que c’était à elle qu’on en voulait, et qu’on allait la prendre et l’emporter au loin. Il eût été difficile de faire en chaque cas particulier, dans cette émotion complexe, le départ entre la peur angoissante de l’inconnu et la souriante perspective de quelque heureux changement ; l’espérance domine dans l’incident ci-dessus, où le coup de sonnette suscite l’attente enivrante d’un sauveur galonné, mais il ressort du récit lui-même que c’était une exception. Au total, la prédisposition d’Hélène à sursauter pour tout et pour rien constituait chez elle une sorte de douloureuse panophobie, un état de frayeur et d’insécurité qui venait renforcer encore son impression de désunion, de mésalliance, avec un milieu auquel elle se sentait décidément supérieure.

Il est difficile de ne pas faire dès maintenant un rapprochement entre cette nuance d’émotivité dépressive, qui fut le partage d’Hélène dès son enfance, et la note quelque peu mégalomaniaque de ses romans subliminaux ultérieurs. L’idée s’impose qu’en dépit - ou en raison - de leur contraste apparent, ces deux traits ne sont point indépendants l’un de l’autre, mais liés par un rapport de cause à effet. Seulement, ce rapport causal risque fort d’apparaître en sens précisément inverse aux yeux du psychologue empirique et de l’occultiste métaphysicien. Ce dernier expliquera par les illustres antériorités de Mlle Smith sa curieuse impression d’étrangeté et de supériorité aux basses conditions de son existence actuelle ; le psychologue, au contraire, verra dans cette même impression l’origine toute naturelle de ses grandioses personnifications somnambuliques. À défaut d’une entente complète, toujours douteuse, entre ces points de vue si divergents dont nous reparlerons plus tard, il serait avisé d’adopter du moins un modus vivendi provisoire, basé sur le mur mitoyen de la constitution native ou du caractère individuel de Mlle Smith. Au-delà de ce mur, je veux dire dans l’éternité a parte ante qui précéda l’arrivée d’Hélène en cette vie, l’occultiste aura toute latitude d’imaginer telle succession d’existences qu’il lui plaira pour expliquer le caractère qu’elle eut dès son enfance. Mais en deçà du mur, c’est-à-dire dans les limites de la vie présente, le psychologue aura le droit d’ignorer toutes ces métempsychoses prénatales et, prenant pour son point de départ la constitution innée d’Hélène, sans s’inquiéter qu’elle l’ait reçue des hasards de l’hérédité ou conservée de ses royales préexistences, il essayera d’expliquer par cette constitution même, telle qu’elle se révèle dans le commerce journalier, la genèse de ses créations subliminales sous l’action des influences occasionnelles extérieures. L’occultiste peut donc s’accorder le plaisir de regarder le trait caractéristique de Mlle Smith enfant, cette impression de solitude et de fourvoiement dans un monde qui n’était point fait pour elle, comme l’effet de ses réelles grandeurs passées ; pourvu qu’on laisse au psychologue la permission d’y voir la cause de ses futurs rêves de grandeur, c’est tout ce qu’il lui faut.

La disposition émotionnelle que j’ai dépeinte, et qui est une des formes sous lesquelles se traduit quelquefois la maladaptation de l’organisme, physique et mental, aux dures conditions du milieu, me paraît donc avoir été la source et le point d’attache de toutes les rêvasseries d’Hélène dans son enfance. De là, ces visions toujours chaudes, lumineuses, colorées, exotiques, bizarres, et ces apparitions éclatantes, chamarrées et superbes, dans lesquelles se traduisait son antipathie pour l’entourage terne et maussade, sa lassitude des gens ordinaires et communs, son dégoût des occupations prosaïques, des choses disgracieuses et vulgaires, du logis étroit, des rues sales, des hivers froids et du ciel gris. Quant à savoir au juste si, comme je l’ai supposé plus haut, ces images, très diverses mais de même tonalité brillante, étaient déjà organisées en un tout continu et logique dans la pensée subconsciente d’Hélène encore enfant ou jeune fille, c’est ce qui est naturellement impossible aujourd’hui. Il est toutefois probable que leur systématisation était loin d’atteindre alors au degré de perfection qu’elle a présenté ces dernières années sous l’influence du spiritisme.

Tous les faits d’automatisme auxquels Hélène peut assigner une date vaguement approximative se groupent autour de sa quinzième année, et restent en somme compris entre les limites d’âge de neuf et de vingt ans. Cette connexion évidente avec une phase de développement d’une importance majeure m’a été à diverses reprises confirmée par Léopold, qui dit s’être montré à Hélène pour la première fois dans sa dixième année à l’occasion exceptionnelle d’une grande frayeur, puis plus du tout pendant environ quatre ans, parce que les « conditions physiologiques » nécessaires à ses apparitions n’étaient point encore réalisées. Du moment qu’elles le furent, il put de nouveau se manifester, et c’est à la même époque, suivant lui, qu’Hélène commença à retrouver les souvenirs de son existence hindoue sous forme de visions étranges dont elle ne comprenait point la nature ni l’origine. Inutile d’insister sur ces indices chronologiques significatifs.

À partir de l’âge de vingt ans environ, sans affirmer ni croire que ses visions et apparitions aient jamais cessé, Mlle Smith n’en a plus de souvenirs saillants, et elle ne m’a cité aucun phénomène psychique tombant sur la série d’années qui précéda sa connaissance du spiritisme. On peut en inférer avec quelque vraisemblance que les bouillonnements de la vie imaginative subconsciente se calmèrent peu à peu après la grande explosion de l’époque susdite. Il se fit un apaisement. Les conflits de la nature intime d’Hélène et du milieu où elle était appelée à vivre s’adoucirent. Un certain équilibre s’établit entre les nécessités de la vie pratique et les aspirations intérieures. D’une part, elle se résigna aux exigences de la réalité ; et, si sa fierté native ne put jamais abdiquer au point de condescendre à quelque union fort honorable sans doute, mais pour laquelle elle ne se sentait pas faite, comme on l’a vu par sa lettre citée plus haut, il faut du moins rendre hommage à la persévérance, à la fidélité, au dévouement qu’elle apporta toujours dans l’accomplissement de ses devoirs professionnels et familiaux. D’autre part, elle ne laissa point s’éteindre en elle la flamme de l’idéal, et réagit sur son environnement dans la mesure du possible en y mettant l’empreinte bien marquée de sa personnalité. Elle introduisit un certain cachet d’élégance dans la modeste demeure de ses parents. Elle s’y arrangea un petit salon coquet et confortable en sa simplicité. Elle prit des leçons de musique et réussit à s’acheter un piano. Elle a quelques gravures anciennes pendues aux murs, des potiches, une jardinière garnie de plantes, des fleurs coupées dans de jolis vases, sur la lampe à suspension un opulent abat-jour de sa confection, des tapis qu’elle a composés et brodés elle-même, des photographies curieusement encadrées suivant son invention propre ; et de cet ensemble, toujours en ordre et soigneusement entretenu, se dégage un quelque chose d’original, bizarre et gracieux à la fois, bien conforme au caractère général de sa fantaisie subconsciente.

En même temps que Mlle Smith s’accommodait tant bien que mal de ses conditions d’existence tout en les modifiant à son image, l’état de crainte latente où elle avait vécu jusque-là diminua graduellement. Il lui arrive encore maintenant d’éprouver des frayeurs, mais beaucoup plus rarement que jadis, et jamais sans cause extérieure légitime. Vraiment, à la juger sur ces dernières années, je ne reconnais point en elle l’adolescente ou l’enfant de jadis, toujours peureuse, effarouchée et tremblante, taciturne et morose, qui m’a été dépeinte par elle-même et par sa mère.

Il me paraît donc qu’il y a eu, après le déchaînement de rêveries et d’automatismes, symptôme d’une tendance à la désagrégation mentale, qui a marqué les années de la puberté, une diminution progressive de ces troubles et comme un assagissement graduel des couches subliminales. On peut présumer que cette harmonisation, cette adaptation réciproque de l’interne et de l’externe, n’aurait fait que se perfectionner avec le temps, et que la personnalité tout entière de Mlle Smith eût continué à se consolider et s’unifier, si le spiritisme n’était venu tout à coup ranimer le feu qui couvait encore sous la cendre et donner un nouveau branle au mécanisme subliminal en train de se rouiller. Les fictions assoupies se réveillèrent, les rêveries d’antan reprirent leur cours, et les images de la fantaisie subliminale recommencèrent à proliférer de plus belle lorsqu’elles eurent rencontré, dans les fécondes suggestions de la philosophie occulte, des points de ralliement ou des centres de cristallisation - tels que l’idée des existences antérieures et des réincarnations - autour desquels elles n’avaient plus qu’à se grouper et s’organiser pour donner naissance aux vastes constructions somnambuliques dont nous aurons à suivre le développement.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Table des matières

  • 3 — Mlle Smith depuis son initiation au spiritisme
    • 1. Débuts médiumiques de Mlle Smith
    • 2. Mlle Smith dans son état normal
    • 3. Phénomènes automatiques spontanés
      • 1. Permanence de suggestions extérieures
      • 2. Irruptions des rêveries subliminales
      • 3. Automatismes téléologiques
    • 4. Des séances

Notes

[1Voir l’enquête de Learoyd. Citée plus haut, p. 32. Voir aussi, sur les rêveries subconscientes, le chapitre de P. Janet, dans Névroses et Idées fixes, Paris, 1898, t. I, p. 390.

[2Ce terme, emprunté à M. Myers. désigne les visions qui se produisent au sortir du sommeil, avant le réveil complet, et qui font ainsi pendant aux hallucinations hypnagogiques bien connues, beaucoup plus fréquentes, surgissant dans l’état intermédiaire entre la veille et le sommeil.

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