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Gheorghe MARINESCO (1863-1938)

Critique des théories de Freud

Introduction à la psychanalyse (Deuxième partie)

Date de mise en ligne : samedi 11 septembre 2004

Mots-clés :

Deuxième partie
Critique des théories de Freud
 [1].

Le monument grandiose élevé, avec tant de labeur, à la psychologie dynamique de l’inconscient par Freud, est sapé dans ses fondements, depuis plusieurs années, par des savants partisans de la psychologie traditionnelle, et menace de s’écrouler. Sur ses ruines, les adversaires, voire même les partisans du freudisme veulent construire une nouvelle psychologie.

Si Freud s’était borné à rassembler des faits, à les coordonner et à les interpréter d’une manière judicieuse, la Psychanalyse resterait certainement debout. Mais, il faut l’avouer, Freud et surtout certains de ses partisans ont essayé de créer une doctrine médico-philosophique dans laquelle les hypothèses les plus hardies, les explications les plus subjectives et hasardées se sont donné pour but d’interpréter les phénomènes si complexes de l’inconscient affectif qui paraissaient défier toute tentative d’exégèse. Ces disciples convaincus de Freud ont apporté, dans l’exégèse des phénomènes psychologiques, plus de fantaisie que d’esprit critique, de sorte qu’ils ont enveloppé d’une atmosphère mystique la doctrine freudienne. Puis l’application de la théorie du pansexualisme au traitement des psychoses a parfois froissé les scrupules de certains psychiatres. Il est naturel qu’une espèce de revirement se soit produite dans leur esprit.

Pour toutes ces raisons, des critiques d’ordre psychologique, moral et religieux ont surgi de tous les côtés et ont montré les exagérations et le dogmatisme de la théorie de Freud.

I. - Le mysticisme de la doctrine de Freud

Peu de doctrines scientifiques ont eu à subir des attaques aussi violentes que la Psychanalyse. Leur valeur est, il est vrai, très inégale. Si les partisans de Freud le considèrent comme un apôtre méprisé ou méconnu, certains de ses adversaires le représentent comme un illuminé, voire même comme un esprit faux et dangereux, qui entraîne ses disciples dans une sorte de contamination délirante collective. Il est vrai que les psychanalystes voient dans ces attaques les manifestations d’une résistance ou d’une répression sexuelle qui ne s’avoue pas à elle même. Mais ces attaques ne doivent pas nous retenir. Ce sont les critiques purement scientifiques, d’ailleurs très sérieuses, qui ont été faites par Dubois, Friedlaender, P. Janet, de Montet, Ladame et surtout par Régis et Hesnard, Hesnard, qui méritent d’être relevées. Nous avons pris pour guide, dans notre exposition, les objections et les critiques formulées par Régis et Hesnard et par Janet. Nous allons commencer par les critiques formulées contre le freudisme comme corps de doctrine, c’est-à-dire celles qui s’adressent à l’ensemble d’idées directrices qui servent de charpente à l’édifice de la Psychanalyse, puis nous envisagerons les critiques dirigées contre les conceptions principales, telles que le pansexualisme et le refoulement.

Ce qui nous frappe tout d’abord dans le freudisme, c’est que par certains aspects il ressemble, suivant l’expression de P. Janet, à un dogme. Cet auteur le rapproche de la “Christian Science”, dirigée par Mrs. Eddy, et des systèmes de médecine religieuse auxquels leurs adeptes adhèrent par 1a foi et non pas par la logique [2]. Nous verrons que, derrière cette boutade, il y a une vérité et que les conceptions générales de la Psychanalyse ne peuvent absolument pas encore être prises pour des idées scientifiques. Une telle doctrine est, en effet, construite avec des notions dépourvues de toute existence démontrée, avec des mots qui se suffisent à eux-mêmes, avec des conceptions purement mystiques comparables à celles des Anciens : " fluides, essences, entités ". Par cet aspect général de théorie extrascientifique, elle mérite le nom, que lui a donné Kraepelin, de métapsychiatrie.

Les conceptions de la psychanalyse peuvent compter parmi les plus hardies, mais aussi les plus entachées de mysticisme, de la pensée psychologique contemporaine. Considérer, ainsi qu’elle le fait, l’inconscient comme le réel interne, ne serait-ce pas, malgré les apparences, adopter une doctrine psychologique digne d’un métaphysicien ? Régis et Hesnard disent qu’enseigner une telle doctrine revient à être savant et médecin dans les mots, mais philosophe scolastique dans les idées.

Qu’est-ce que ce faux mécanisme, ou ce matérialisme résolu mais trompeur, en effet, si ce n’est un retour inavoué et dissimulé aux théories démodées et dangereuses des facultés de l’âme ? On ne bâtit pas impunément un système psychologique aussi gigantesque : la Psychanalyse a été, contrainte, pour ne pas renoncer à ses ambitions, de recourir à des concepts nouveaux et vides de sens, afin de cacher son ignorance trop légitime de la nature intime des faits psychologiques.

Concevoir une maladie comme une construction définie, comme une réalité extérieure, comme un phénomène de même nature que l’inconscient réel interne, lequel peut s’y substituer à d’autres réalités, s’y projeter, s’y refléter ; concevoir les imaginations, les “fantaisies” des névropathes comme des objets concrets qui se détachent les uns des autres, s’accrochent à tel ou tel autre système psychique, comme des fragments matériels s’organisent pour former un corps brut ; concevoir l’influence des traces mnésiques inconscientes, sortes de sources latentes ou potentielles d’énergie matérielle, comme une force matérialisable s’exprimant par des effets conscients et tangibles à travers la trame ondoyante et inconsistante de l’idée ; penser que les formes abstraites, idéatives et évoluées de la pensée adulte ne sont que des épanouissements de quelques conflits instinctifs infantiles... n’est-ce pas travestir, sous une terminologie séduisante empruntée aux sciences physico-chimiques, des notions purement philosophiques.

On peut aller plus loin et dire, avec Régis et Hesnard, que certaines autres conceptions de Freud, celles de la censure, de l’instinct sexuel, de l’instinct personnel, de la psycho-névrose, du rêve, etc... sont inspirées de l’antique doctrine des causes finales. Ce sont des conceptions téléologiques.

Elles supposent, dans la nature humaine, une manière de Providence, qui fournit à l’être psychique les instruments les plus variés et les plus ingénieusement choisis en vue de lui permettre d’obéir à sa destinée et d’accomplir ses fins dernières. La névrose n’est pas, pour la psychanalyse, l’effet d’une perturbation vitale, de même que la décomposition d’un corps est l’effet de réactions chimiques ; c’est un moyen d’échapper à une réalité trop pénible.

La maladie a pour but de compenser la réalité en créant un idéal d’imagination auquel le sujet cherche à s’adapter, ou de prémunir la personnalité exigeante et égotiste du malade contre la dépréciation qui résulterait d’entreprises non réussies. L’amnésie a pour but d’éviter l’évocation de souvenirs pénibles, parce qu’ils seraient des antagonistes de l’idéal. Ce n’est pas parce qu’il ne parvient pas à l’acte, c’est pour ne pas y parvenir que le malade se met à douter ou à s’émouvoir des choses.

La névrose est une providentielle sauvegarde contre les vicissitudes de la vie pratique. Le névropathe cherche à être malade ou, en tout cas, à guérir de son inaptitude à la vie, et c’est cet “essai de guérison” qui constitue alors sa maladie.

Le rêve est lui aussi une fonction providentielle. Il est le gardien du sommeil, veille sur notre repos nocturne, nous soulage de nos instincts réprimés, prépare nos activités futures, etc. La censure avec ses “instances” est une sorte de faculté, d’entité, fort intelligente, mais non dénuée d’une certaine malice avisée et qui arrête au passage les messagers de l’inconscient, les déguise fort habilement et ne les abandonne qu’après en avoir fait des créatures du pouvoir conscient. Les instincts, tous fils de l’instinct sexuel, sont, comme leurs rejetons, les complexes, des divinités parasites, des démons familiers, dont la fureur inassouvie secoue leur habitacle dans l’inconscient. Cette idée de la lutte éternelle de l’instinct du moi et de l’instinct de l’espèce est nettement mystique ; elle se retrouve à l’origine de la plupart des religions et c’est là une preuve de la tendance mystique de la Psychanalyse, qui doit être jugée elle-même comme ces œuvres d’art qu’elle a l’ambition d’expliquer ; elle est même un symbole et la pensée de ses auteurs reproduit les errements constitutionnels de l’esprit humain, qui ne peut pas s’empêcher, lorsqu’il abandonne la voie modeste mais sûre de l’enquête scientifique, d’obéir à l’éternelle illusion anthropocentrique et d’apercevoir le monde à son image.

II. - Critique du pansexualisme

On se rappelle que le noyau de la doctrine, c’est la notion du pansexualisme. Pour Freud tout est sexuel, non seulement l’attrait d’un individu vers un autre individu du sexe opposé, niais encore tout ce qui est instinct, émotion, affectivité, tout ce que les philosophes nomment élan vital, volonté de vivre, volonté de puissance. Libido, dit Freud, est le mot scientifique qui désigne la force avec laquelle se manifeste l’instinct sexuel et qui correspond au mot faim, pour la nutrition. Il n’y a pas de terme populaire allemand qui puisse le traduire, car le mot Lust (jouissance, plaisir) indique à la fois aussi bien la “sensation du besoin” que sa “satisfaction”.

“Toutes nos sympathies, toutes nos affections sont un fruit de la libido”, qui est devenue, dit Jung, “la force de la vie”, dont l’élément fondamental “est l’attraction sexuelle”. Bleuler dit aussi que la notion freudienne de la libido dépasse de beaucoup l’appétit génital. Elle s’applique, sous certains rapports, à toutes nos aspirations positives. À son tour, J. J. Putnam affirme aussi que, pour comprendre ces doctrines, il faut prendre ce mot “sexuel” dans le sens le plus large possible et y faire entrer tous les sentiments affectueux et nobles, car toute la civilisation consiste uniquement dans la transformation et la sublimation de cet instinct. A. Maeder nous conseille de prendre le mot “sexuel” dans le sens où le prennent les poètes quand ils disent que la “faim et l’amour mènent le monde”. Enfin E. Jones nous explique que le sens dans lequel Freud a pris le mot “instinct sexuel” est le même que celui du mot “volonté de puissance” dans les œuvres de Schopenhauer ou du mot “élan vital” dans la philosophie de Bergson. N’est-ce pas là le plus bel aveu que les psychanalystes puissent nous faire de leurs tendances métaphysiques foncières ?

Il n’est pas étonnant que les Freudistes retrouvent cette conception élargie de la sexualité, chez les enfants qui viennent de naître comme chez les adultes, dans la psychologie normale et pathologique, dans la sociologie, dans la pédagogie, dans la littérature, dans les arts, dans toutes les manifestations de la pensée humaine et dans toutes les expressions de la vie. Les névroses et les psychoses particulièrement seraient dues à des impressions sexuelles de l’enfance refoulées dans l’inconscient par une puissance inhibitrice agissant comme “censure” et actionnée par les notions acquises d’éducation et d’éthique. Ainsi comprimés, ces “complexes sexuels”, quoique ignorés du sujet, n’en influencent pas moins sa mentalité, son caractère, sa conduite, et imposent à sa personnalité ces réactions morbides que nous appelons névroses et psychoses.

On s’est demandé comment il se faisait que Freud, dont on doit reconnaître la parfaite sincérité et le génie d’observation psychologique, a pu arriver à découvrir chez tous ses malades l’origine de leurs névroses dans les troubles de la sexualité.

Loewenfeld pense que c’est un singulier hasard qui a conduit chez Freud des malades qui présentent uniquement cette étiologie spéciale.

Friedlaender ne partage pas l’opinion de Loewenfeld. Il croit, avec certains auteurs, qu’il y a, à Vienne, une atmosphère sexuelle spéciale, une sorte de génie (ou démon) local, qui règne épidémiquement sur la population ; c’est pourquoi celle-ci accorde une grande importance aux questions relatives à la sexualité. Ladame n’est pas loin de partager cette opinion depuis un séjour de quelques mois qu’il fit en 1866 dans cette joyeuse capitale. On sait que la prostitution est extrêmement répandue à Vienne. Weininger prétend que la moitié des femmes sont des prostituées et Freud nous apprend que, dans plus de la moitié des cas de névrose qu’il a traités par la psychanalyse, les pères de ces malades étaient syphilitiques, de sorte qu’il en est arrivé à considérer la constitution sexuelle anormale de ses névrosés comme le dernier reliquat d’une hérédité syphilitique. Aschaffenburg est d’avis que les malades qui vont consulter Freud savent d’avance quelle sorte de questions le professeur va leur poser. Ils lui parlent d’emblée de leur vie sexuelle. Au moindre mot qui peut s’y rapporter, Freud l’arrête au passage, le cloue, le fait entrer dans l’association sexuelle et la constellation est fabriquée. L’influence toute-puissante que Freud exerce sur les malades leur crée une véritable autosuggestion. Ils ont foi aveuglément en leur médecin et voilà pourquoi le professeur de Vienne trouve nécessairement toujours l’étiologie sexuelle, car il ne lâche plus ses clients jusqu’à ce qu’ils aient avoué. C’est un travail d’inquisiteur qui peut durer des mois et des années. Freud dit lui-même qu’il ne faut pas faire de psychanalyse chez des sujets âgés de plus de cinquante ans, car “les constellations” sont alors si nombreuses et si compliquées que le reste de la vie, jusqu’à une vieillesse avancée, ne suffirait pas à les débrouiller.

Hesnard objecte avec juste raison que la psychanalyse pratiquée à l’aide de l’exégèse des associations spontanées, par un psychanalyste convaincu, aboutira à réveiller des idées sexuelles même si celles-ci ne jouent aucun rôle dans les symptômes présentés parle sujet. Le rôle de la suggestion dans la psychanalyse a été mis en évidence tout récemment par M. Baudoin. Il montre que le transfert est une condition propre à la suggestion. Dans quelle mesure, se demande cet auteur, la psychanalyse n’est-elle pas une suggestion ou une autosuggestion à deux ?

Avec Janet nous admettons qu’on n’observe pas de troubles sexuels chez tous les névropathes sans exception et que les souvenirs traumatiques sexuels n’existent que chez un nombre restreint de malades.

La proportion des névropathes chez qui on découvre des troubles de ce genre est assez difficile à préciser, d’abord parce que l’observation n’a pas toujours été dirigée précisément dans ce sens et ensuite parce que ce nombre doit être fort variable suivant le milieu dans lequel on observe. Oppenheim (1910) n’admettait qu’une faible proportion de malades accusant nettement des troubles sexuels ; il est vrai que cet auteur se préoccupait surtout du problème que nous aborderons tout à l’heure, le problème du rôle des troubles sexuels, et qu’il comptait seulement les malades chez qui les troubles sexuels avaient réellement déterminé la maladie. Lœwenfeld et Ladame semblent disposés à admettre plus souvent de tels troubles dans les trois quarts des cas. Déjerine, dans son livre sur les psycho-névroses, constate les préoccupations sexuelles 23 fois sur 100. Janet n’a pas fait de statistique précise, mais se rapproche plutôt du chiffre de Lœwenfeld et Ladame et affirme que l’on constate des souvenirs pénibles de contenu sexuel et des troubles sexuels chez les trois quarts de ces malades ; pour Janet le chiffre importe peu d’ailleurs, car il le croit fort variable.

Il y a des auteurs non seulement en Europe, mais aussi en Amérique qui trouvent, chez les hystériques et les névrosés en général, d’autres souvenirs pénibles dont il faut tenir autant de compte que des émotions sexuelles. Boris Sidis, par exemple, accorde une grande importance aux tendances relatives à la peur, et il rappelait que la peur a dû jouer, jadis, un grand rôle dans le monde et que le passage de la brute à l’homme, suivant une pensée de W. James, est caractérisé par la décroissance des occasions de peur. Aussi l’auteur américain propose de placer souvent les exagérations de l’instinct de la peur à la base des troubles psychopathiques. J.-E. Donley et J.-H. Coriat, à leur tour, avaient observé que leurs malades avaient d’autres préoccupations que celles d’ordre sexuel. J.-H. Coriat avait suivi son malade pendant un an et demi, il avait analysé toute sa conduite, il avait même étudié ses rêves et il n’avait trouvé ni phénomènes de conversion, ni idées fixes de contenu sexuel. “Il ne faut pas, disait J.-H. Coriat, pousser l’analyse jusqu’au point où la logique et la raison sont remplacées par l’imagination de celui qui analyse”. Freud a eu raison de s’élever contre une fausse pruderie, tissu d’hypocrisies qui défendait aux psychothérapeutes de pénétrer les secrets sexuels de leurs malades parce que les médecins ont le devoir de connaître les causes des maladies pour les guérir.

Étant données les exagérations de Freud et de ses élèves à propos de l’instinct sexuel chez l’enfant, certains auteurs ont essayé d’accorder le rôle essentiel non pas à l’instinct sexuel, mais à l’instinct de domination ou bien à celui de l’intérêt mis en avant par Claparède. Au lieu d’un évolutionnisme de l’instinct, Baudoin enseigne une évolution des instincts, et il préconise la voie suivie par Binet, Rivers, Mac Curdy, dans l’analyse des instincts, au lieu d’une synthèse prématurée autour d’un instinct primordial. Non seulement les adversaires du freudisme se sont élevés contre le rôle exagéré du sexualisme, mais aussi des élèves tels que Adler, Jung, etc. Adler, étudiant le caractère des névropathes, insiste sur l’importance primordiale chez eux du sentiment personnel, de l’instinct du moi instinct - instinct d’agression et de domination, - méconnu par Freud, lequel aurait tort de voir dans l’instinct érotique la seule et grande source d’énergie affective. Alors que Freud dénonce l’antagonisme de l’érotisme et de la censure, Adler conçoit la dynamique de l’inconscient comme actionnant avant tout l’antagonisme de la personnalité et de la réalité, surtout sociale. Chaque homme, lorsqu’il ne petit accomplir effectivement ses instincts, les satisfait imaginativement dans une sorte d’existence idéale, dont le désaccord avec le succès pratique relatif qu’il obtient dans la vie mesure l’exigence irréalisable. En conséquence, il refoule dans son inconscient tous les souvenirs que lui rappellent ses échecs. L’inconscient d’Adler est un dynamisme psychique, mais non primordialement sexuel, finaliste, et actionné par la personnalité.

Jung, partant de l’inconscient de Freud et de l’inconscient égotiste d’Adler, s’écarte de ces conceptions mécanistes pour donner à la doctrine une orientation vitaliste. Il pense aussi qu’il y a bien autre chose dans l’inconscient dynamique que l’individuel et le sexuel. Il insiste sur le rôle essentiel de l’inconscient collectif et ancestral.

D’ailleurs, on peut renverser le problème et dans bien des cas on peut établir que les troubles sexuels, au lieu d’être la cause de toutes les maladies nerveuses, en sont la conséquence et l’expression. M. Janet cite à cet égard l’opinion de Freud sur les préoccupations sexuelles chez les obsédés, mais il croit qu’il faut l’interpréter autrement. Freud considère le trouble sexuel, par exemple une satisfaction génitale insuffisante, comme le fait primitif, résultant des circonstances extérieures ou de la conduite volontaire du malade, et il admet que c’est cette insuffisance accidentelle des satisfactions génitales qui détermine de toutes pièces la névrose considérée comme postérieure. Pour Janet, ces insuffisances sont loin d’êtres primitives et de dépendre des circonstances.

... Même dans la masturbation, même dans le coït réservé, à plus forte raison dans le coït normal, ces personnes pourraient trouver une satisfaction suffisante si elles étaient normales. Mais elles ne le sont pas et ces insuffisances de la jouissance sexuelle ne sont qu’une manifestation, un cas particulier de leurs insuffisances psychologiques. C’est parce qu’elles deviennent de plus en plus incapables de pousser un phénomène psychologique jusqu’à son terme qu’elles s’arrêtent à moitié chemin dans cette action comme dans les autres.

M. Janet, qui, avait exprimé autrefois des réflexions sur le caractère secondaire des troubles sexuels dont parlait Freud, s’est attiré la critique sévère de E. Jones, qui lui fait ce reproche capital : “M. Janet, dit-il, n’a pas fait la psychanalyse de ses sujets... s’il avait fait cette psychanalyse, il aurait forcément constaté que les défauts des fonctions génitales sont des troubles spécifiques dus aux premiers développements de la vie sexuelle des malades”. M. Janet répond d’une façon spirituelle : “Hélas ! M. Jones a raison, je n’ai pas fait la psychanalyse, c’est-à-dire que je n’ai pas interprété les dires des malades dans le sens d’un dogme arrêté d’avance et je ne pouvais pas le faire, justement parce que je ne croyais pas au dogme et que je cherchais à constater sa vérité.”

D’autres auteurs ont déjà protesté contre l’extension indéfinie du mot “tendance sexuelle”. Otto Hinrichsen fait observer que Freud devient véritablement un mystique quand il parle de la libido et que, grâce à la sublimation, il étend tellement la signification de ce mot qu’il en arrive à pouvoir l’appliquer partout. Ladame proteste également contre ces abus de langage en rappelant le mot spirituel d’André Beauquier : “Il faut respecter les mots, les toucher avec soin, il faut avoir peur de les contrarier, de les pervertir en les coupant de leurs racines... les mots ne dépendent pas de nous.”

La psychanalyse appliquée à l’étude des réminiscences sexuelles peut entraîner parfois des conséquences fâcheuses, aussi bien pour le malade que pour le médecin. Aussi des médecins et des psychanalystes éminents se sont élevés contre une pareille investigation, indiscrète et souvent dangereuse : “Je prétends, dit Forel, que Freud, en exagérant énormément cette cause de maux nerveux (la réminiscence traumatique) et surtout en la généralisant aux cas où le malade ne se souvient de rien, suggère lui-même le plus souvent à ses malades toutes sortes de choses plus nuisibles qu’utiles surtout dans le domaine sexuel.”

Régis et Hesnard, dans leur travail sur le Freudisme, déclarent qu’il est fort dangereux d’interroger ainsi le malade et de le faire appesantir sur des idées fixes. C’est l’opinion, sur bien des points injuste, qui s’est répandue dans le public médical français à propos de la Psychanalyse.

Les adeptes de Freud insinuent que les objections de leurs adversaires n’étaient que l’expression de certaines résistances affectives contre la constatation - qu’ils pourraient faire en eux-mêmes - de tendances inconscientes pénibles.

Or la recherche de “vérités scientifiques” étant presque toujours - même chez les psychanalystes - entachée de parti pris affectif, on pourrait répondre à la dite insinuation en exigeant qu’ils nous expliquent aussi sur quelles tendances psychosexuelles repose, chez eux, l’enthousiasme à dévoiler ce que leurs adversaires préfèrent, soi-disant, cacher. Il faudrait de part et d’autre éviter le parti pris (de Montet).

L’étude d’enfants très jeunes révèle, selon de Montet, que des particularités individuelles très prononcées - tant en ce qui concerne les formes que le degré de développement de la crainte - sont nettement différenciées avant les manifestations même les plus précoces de l’instinct sexuel. Si, néanmoins, l’instinct sexuel paraît, dans la vie, si souvent le plus important, c’est en bonne partie parce qu’il fait l’office d’un hédonique, qui permet d’oublier les tristesses réelles, la peur de vivre, le sentiment de la solitude et les problèmes angoissants de l’existence. L’importance exagérée que prend, chez Freud, l’instinct sexuel fait que la notion de la constitution sexuelle devient beaucoup trop exclusive. Il serait temps de la rapprocher d’autres conceptions plus générales sur la constitution névropathique [3].

Dupré et Trepsat pensent que Freud et ses partisans se sont montrés beaucoup trop exclusifs et outranciers en affirmant, notamment, que tout affect refoulé qu’on peut découvrir dans l’étiologie des psychonévroses est d’origine infantile et de nature sexuelle. Si puissant que puisse être l’instinct de reproduction, il est, cependant, précédé et dominé par l’instinct de conservation. Il en résulte que, loin de limiter à la sexualité le rôle psychopathique que lui réserve Freud, il faut élargir cette conception trop étroite et proclamer que tous les ébranlements affectifs peuvent, surtout par le mécanisme du refoulement, figurer dans l’étiologie des psychonévroses et qu’on doit les rechercher, non seulement dans la période infantile de l’individu, mais dans tout son passé, notamment à la puberté, durant tout l’âge adulte, à la ménopause et dans toutes les occasions où les tendances expansives de l’affectivité, entendue au sens large du terme, ont pu être entravées dans leur élan.

Forel, à son tour, s’élève contre l’extension que Freud accorde à l’élément sexuel dans la pathogénie des névroses. D’accord avec d’autres auteurs, Forel trouve qu’on doit mieux préciser la valeur du terme sexuel, qui serait en relation avec la génération et avec des sentiments affectifs d’ordre érotique qui ont leur siège dans le cerveau. Tous les autres sentiments et sensations n’ont pas de relation directe avec le côté sexuel. Aussi il n’est pas d’accord avec Freud et Bleuler qui considèrent l’acte de l’enfant de sucer son pouce comme un signe d’érotisme. Le nouveau-né commence à sucer presque immédiatement, alors que les fibres nerveuses du cerveau sont inactives. On ne saurait pas admettre des irradiations d’ordre sexuel arrivant au cerveau ou bien ayant comme point de départ cet organe. C’est là la raison pour laquelle Forel ne peut pas admettre que les réminiscences sexuelles aient leur origine de bonheur dans leur vie infantile. Ensuite, les organes sexuels étant embryonnaires chez les petits enfants, ne fonctionnent pas et ne peuvent pas réveiller des sensations sexuelles ; par conséquent l’acte de sucer est un acte d’automatisme spinal ou, tout au plus, il a son siège dans les ganglions de la base du cerveau. Le fait que le petit enfant touche ses organes génitaux s’expliquerait par des démangeaisons produites par la saleté. Sans doute l’instinct sexuel précède la puberté, alors que les organes sexuels ne sont pas encore en état de fonctionner, mais il est absurde d’admettre une véritable sexualité chez le nourrisson qui suce le sein maternel. En d’autres mots, l’écorce cérébrale possède une tendance, héréditaire, mais variable, à l’érotisme, qui se manifeste chez les uns plus tôt, chez les autres plus tard, d’habitude avant la maturité des glandes sexuelles ; mais le développement complet de la sexualité réclame un certain degré de développement des glandes sexuelles et de l’écorce cérébrale qui, précisément, n’existe pas chez le nourrisson. Donc on ne peut pas parler de sexualité et d’érotisme chez l’enfant en bas âge.

Enfin, tout récemment, Arthur Trebitsch tâche d’expliquer le pansexualisme de Freud chez les névrosés, par les particularités de la race sémite qui arrive plus tôt à la maturité sexuelle que les autres races. C’est précisément cette précocité qui conduit à l’érotisme et que l’auteurconsidère comme un contrepoidsdes misères de la vie.

Freud a étudié le rôle des complexes parentaux et s’est convaincu de leur importance en constatant qu’ils constituent les principales préoccupations des névropathes. Un type fréquent en est le complexe dit d’Œdipe : amour passionné du fils pour la mère avec haine inconsciente du père. Ce terme, emprunté à la mythologie grecque, est évidemment erroné si l’on veut bien se reporter à la légende d’Œdipe. En effet, Laïus, roi de Thèbes, averti par un oracle qu’il serait tué par tout fils qu’il pourrait avoir, fit exposer Œdipe dès sa naissance sur le mont Cithéron. Recueilli par des bergers, Œdipe fut porté au roi de Corinthe, qui l’éleva princièrement. Devenu grand et raillé sur sa naissance, il consulta l’oracle qui lui dit de ne jamais retourner dans son pays, sa destinée étant de tuer son père et d’épouser sa mère, s’il y retournait. Ne se connaissant pas d’autre patrie que Corinthe, il s’exila, mais il rencontra sur son chemin Laïus et le tua à la suite d’une querelle. À cette époque, un sphinx désolait les environs de Thèbes, dévorant tout passant qui ne devinait pas ses énigmes. Créon, successeur de Laïus, avait promis le trône et la main de Jocaste à celui qui délivrerait le pays du sphinx : Œdipe ayant deviné l’énigme devint roi et épousa sa mère sans la connaître.

En comparant la légende grecque et l’interprétation de Freud, on se convaincra facilement que Freud s’est trompé. En effet, d’abord, comme le remarque Charles K. Mills, il est fort probable qu’Œdipe n’a pas été allaité par sa mère ; puis, adopté par le roi d’un autre pays, il a eu toujours l’idée que ses parents adoptifs étaient ses vrais parents. En troisième lieu, ce n’est que par hasard qu’il rencontre son père, qu’il tue sans avoir le moindre soupçon d’être le meurtrier de son propre père. On peut donc conclure qu’aussi bien l’inceste que l’assassinat ne sont pas l’expression de l’expérience infantile d’Œdipe. Le complexe parental fait défaut précisément dans le complexus dit d’Œdipe. .

À propos de la question de l’inceste, les essais d’histoire et de psychologie ont apporté quelques données dans la solution de ce problème, qui n’est pas encore tranché. Il est plus que probable que, dans les sociétés primitives, les relations sexuelles étaient souvent de nature incestueuse et ce n’est que plus tard, avec le perfectionnement de la culture morale des individus et de la société, que l’inceste a disparu. Actuellement les tendances incestueuses sont considérées comme des réminiscences d’un passé très éloigné ou bien comme des perversions sexuelles.

III. - Critique du psychodynamisme

Le principe du dogme du psychodynamisme peut trouver son expression dans l’idée du refoulement et dans celle, dérivée du symbolisme, que Régis et Hesnard énoncent de la façon suivante : les symptômes des psychonévroses sont des manifestations symboliques des tendances instinctives refoulées.

Les phénomènes de beaucoup les plus importants de la psychologie se passent, selon Freud, dans l’inconscient, mais sa notion d’inconscient ne comprend que l’ensemble des tendances instinctives refoulées. Cette simplification apparente crée cependant de grandes difficultés. Quelle place prennent, dans cette définition, les fonctions subcorticales, les réactions vasomotrices, le réflexe, élément de l’instinct, phénomènes qui n’ont probablement aucun caractère de conscience au sens réfléchi du terme ?

L’hypothèse du refoulement, à la base de l’idéogénèse des psycho-névroses, est séduisante et explique beaucoup de choses. Mais elle ne donne pas les causes de la maladie. On pourrait multiplier à l’infini les exemples qui infirment l’idée que le refoulement des tendances est une cause des maladies. La psychanalyse a tenté à plusieurs reprises de combler le fossé qu’elle avait dû creuser entre les psychonévroses et les maladies organiques pour expliquer le délire jaloux, par exemple, ne dit-elle pas que, “l’alcool annule les sublimations” ? Pourquoi donc ne pas admettre que d’autres poisons plus subtils et plus mal connus, poisons humoraux, familiaux, individuels, etc., peuvent créer l’angoisse, le “désintéressement à la réalité”, le délire, les complexes mêmes et tous les symptômes des neuro-psychopathies.

Jusqu’à présent, tout au moins, l’hypothèse du refoulement n’explique nullement la forme classique des maladies : qualités évolutives, caractères nosologiques, etc., c’est-à-dire les éléments primordiaux de la causalité des psychonévroses. Où est, en effet, dans le délire onirique, le rôle des complexes et du refoulement ? Pas dans la cause fondamentale première du délire, assurément, puisque nous la touchons du doigt. Ce rôle se borne à faire surgir telles ou telles scènes, de préférence à d’autres. En un mot, le complexe refoulé et qui déborde ne produit pas le délire : il le colore, lui donne son aspect subjectif son contenu.

Mais si la cause réelle de la psychonévrose n’est pas dans l’explosion symbolique d’un complexe refoulé, en revanche, cela peut expliquer l’aspect subjectif, la couleur du délire, des obsessions, etc. Quant aux caractéristiques spécifiques de chaque psychonévrose, la Psychanalyse ne les explique guère davantage que les grands caractères cliniques généraux de la maladie. Comment différencier les névropathes d’après cette théorie ? Pourquoi, par exemple, de deux sujets qui refoulent les mêmes complexes, l’un restera-t-il normal et l’autre deviendra-t-il névropathe ?

M. Hesnard remarque ensuite que l’acte psychique banal du refoulement est loin de se présenter constamment sous la forme restreinte que lui assigne la psychanalyse. Chez les névropathes, il est loin d’être toujours inconscient. Non seulement il n’est pas oublié, comme chez certains hystériques, mais le lien, dont Freud suppose l’absence peu compréhensible chez l’obsédé, entre les souvenirs témoins de l’action pathogène et les objets actuels de la préoccupation morbide, existe souvent d’une manière évidente. De plus, les névropathes souffrent, non pas du fait que les tendances morbides insatisfaites restent emprisonnées dans leur inconscient, mais du fait même que la réalisation de leurs tendances normales est plus ou moins impossible, parce qu’ils sont victimes d’une émotion endogène ou d’une imagination en soi plus ou moins irréalisable. C’est parce qu’ils sont malades qu’ils refoulent. On rencontre des refoulements bien ailleurs que dans les psychoses plus ou moins psychogènes, par exemple dans les psychoses d’origine manifestement ou grossièrement organique, délire infectieux, paralysie générale même. Hesnard conclut que le refoulement sexuel de Freud n’est qu’un cas particulier de l’entrave des tendances, de l’inassouvissement affectif. Il ne saurait expliquer que l’aspect intérieur, le contenu de la névrose ou de la psychose, c’est-à-dire, en somme, la simple traduction dans la conscience justificative et déformatrice de certains mécanismes biologiques objectifs.

Le refoulement psychique, qui apparaît comme une condition essentielle et continue du fonctionnement de l’esprit, peut jouer, comme le démontre l’observation des malades, un rôle important dans la genèse de certains troubles psychopathiques. Il ne joue un rôle que comme un agent pathogénique particulier, principalement dans le domaine des maladies de l’affectivité. Mais la maladie est l’œuvre de multiples facteurs auxquels s’associent le refoulement et le transfert de l’énergie affective dans l’inconscient. Parmi ces facteurs étiologiques, un des plus importants paraît être, disent Dupré et Trepsat, l’émotivité constitutionnelle.

La constitution émotive crée en effet, chez le sujet, une prédisposition toute particulière à l’impressionnabilité, à l’anxiété, à la lutte des tendances et au drame intérieur. L’émotif constitutionnel est seul capable d’avoir des images mentales douées d’affects extrêmement puissants, et de se créer une censure de la conscience, à tel point sévère que le moindre défaut dans les processus qui sont présentés fait rejeter ceux-ci aussitôt dans l’inconscient.

Pour produire certaines psychonévroses, le refoulement est donc nécessaire, mais non suffisant. Et celles-ci : les obsessions, les scrupules, les phobies, le doute, l’anxiété associée ou non à l’hystérie, apparaissent le plus souvent comme le résultat du refoulement, chez un émotif constitutionnel, d’une image, d’une représentation mentale, douées d’une puissante charge affective.

Freud a mis le principe de la valeur du symbolisme des rêves au service de sa théorie du refoulement. Le rêve serait une réalisation, symbolique et détournée, de tendances refoulées. Le travail du rêve consisterait, pour lui, à associer des souvenirs récents, dans ce qu’ils ont de commun principalement, avec beaucoup d’autres souvenirs - infantiles en particulier - et les excitations agissant sur la cœnesthésie du dormeur. Il y a certainement, dans pas mal de rêves, réalisation imaginative de désirs. Les désirs sexuels ne sont au premier plan que chez les hommes jeunes et continents. Les émotions dépressives et les craintes paraissent beaucoup plus fréquentes que les émotions expansives et les désirs.

Certains rêves paraissent, en effet, assez caractéristiques de la mentalité habituelle : tels sont les rêves de consolation du timide par exemple. Des rêves de ce genre ont fait parler de “fonction de compensation” du rêve. De là à faire du rêve une activité supérieure de sauvegarde et d’orientation du sujet, sorte de “fonction téléologique” de l’inconscient, il n’y a qu’un pas, vite franchi par certains observateurs enthousiastes (Maeder).

Or il peut y avoir dans certains rêves, comme dans la névrose et la psychose, un obscur instinct de conservation, de défense, qui continue à faire sentir son action plus ou moins lointaine (Flournoy) dans l’ordonnance des sentiments et images. Mais il serait excessif d’y voir une fonction psychologique systématique, sorte de Providence inconsciente.

D’ailleurs, tout indique que le rêve est avant tout quelque chose d’inachevé, soit par désordre, soit essai informe de production psychique élémentaire. Il est une activité psychique amputée du réel, fonctionnant à vide en dehors des cadres primordiaux de l’espace et du temps. Aussi cette activité est-elle déformée par les apports sensitifs insolites, inélaborés et impérieux, d’une cœnesthésie exclusive parce que privée de tout contrôle sensoriel.

La plupart des rêves étudiés par Régis et Hesnard, et même ceux donnés par Freud et ses élèves, sont la réalisation non de désirs, niais de craintes. Or la crainte n’est pas du tout, quoi qu’en dise Freud, un désir retourné. C’est une tendance qui se manifeste en face d’événements d’un ordre bien spécial : événements malheureux, pénibles, effrayants, difficiles, etc. Cette tendance s’adresse, non pas aux fonctions affectives expansives, mais aux fonctions répulsives. Elles n’expriment pas un désir de vie plus agréable, mais une répulsion vis-à-vis des accidents impressionnants de la réalité. Elle n’est pas du tout une compensation contre l’insuffisance de l’activité pratique, mais un effet direct de cette insuffisance. En d’autres termes, le rêve obéit aux mêmes lois affectives élémentaires que la vie éveillée, dont il est non une compensation, mais une reproduction plus ou moins incoordonnée et dégradée. Il manifeste les mêmes incapacités d’agir, les mêmes difficultés de penser et de s’extérioriser, chez les névropathes.

Il existe donc un symbolisme onirique, mais on ne saurait être trop prudent dans son interprétation.

Sans doute il doit exister dans le rêve une quantité de faits encore très mal connus, sur lesquels a porté l’attention des psychanalystes. Il y a dans l’essai de symbolique des rêves et de la névrose une idée qui paraît féconde à Régis et Hesnard. Mais ces auteurs ne voient, là où les psychanalystes affirment l’existence d’une activité systématique et finaliste, que des reviviscences, des reproductions de lambeaux de vie éveillée ou normale, lesquels, s’exprimant à l’aide de simples éléments sensoriels plus ou moins dissociés les uns des autres, constituent une pensée primitive, une reproduction malhabile et incomplète des modes de penser de l’homme lucide.

Il est permis de se demander si ce symbolisme n’existe pas plus souvent dans l’esprit de l’observateur que dans celui du sujet observé ; si certains prétendus complexes ne sont pas l’effet de forces psychiques encore totalement inconnues ou de causes directement organiques, ainsi que Freud l’admet pour les délires toxiques. Il vaut mieux s’en tenir à de telles hypothèses que d’imaginer un inconscient symboliste, à activité étrangement fantaisiste, tel que nous le concevons d’après certaines psychanalyses. Faisant mourir les gens qu’il n’aime pas, substituant tel sujet à tel autre, se livrant à des vengeances bizarres, coutumier de l’obscénité ou du jeu de mots, cet inconscient nous apparaît non comme une activité diffuse et généralement dépourvue de personnalité - telle que les classiques représentent l’automatisme subconscient - mais comme un personnage de vie seconde, sorte de démon familier, bien précis dans sa silhouette et bien défini dans son caractère. Censure et inconscient ne provoquent-ils pas dans l’esprit du lecteur des comparaisons avec des personnages mythologiques, et avec des entités scolastiques des facultés de l’âme ? On a dit, avec raison, que la théorie de Freud tenait plus du roman que de la théorie scientifique : ses conceptions symboliques de l’esprit ne sont-elles pas en effet d’un artiste plutôt que d’un médecin (Régis et Hesnard) ?

Disons pour terminer - fait essentiel - que le fait pour le malade de savoir qu’il va être psychanalysé le met irrésistiblement dans une attitude favorable à toutes les associations d’idées recherchées électivement par les psychanalystes.

Janet se demande, à son tour, si le refoulement joue, dans le rêve, un rôle aussi grand que lui attribuent Freud et ses élèves ; il pense que le rêve est la conduite de l’homme endormi, et cette conduite est constituée par des activations très inférieures de tendances éveillées à propos de diverses stimulations internes et externes qui agissent sur le dormeur ; cet éveil des tendances est très peu précis parce qu’il n’y a aucun état de préparation, d’érection des tendances ; il se fait au hasard suivant la disposition à s’activer, c’est-à-dire suivant la charge que conservent fort inégalement les diverses tendances. Cette charge des diverses tendances dépend de bien des choses, mais on peut admettre qu’elle dépend quelquefois de leur exercice pendant la veille. Il y a donc quelque chose de vrai dans l’ancienne remarque de Charma et de Maury. Quant à la déformation du rêve, elle est due à tant d’influences diverses qu’il est difficile de montrer ce qui dépend particulièrement d’une sorte de refoulement.

On peut faire des objections du même ordre à l’intervention du refoulement dans la genèse des lapsus, des actes manqués.

A. Delmas, passant en revue divers exemples d’actes manqués, tels qu’ils sont fournis par Freud à l’appui de sa théorie, montre par une critique sévère que ces cas n’ont qu’une valeur purement arbitraire et ne sauraient être considérés comme des arguments scientifiques. La dialectique elle-même de Freud ne possède aucune rigueur : affirmant pour nier ensuite, se contredisant dans ses discussions, cet auteur écarte systématiquement les explications qui ne concordent pas avec sa doctrine.

Rappelons enfin qu’il parait y avoir de multiples explications d’un lapsus, d’un mot-réaction, d’un acte manqué. Si quelques-uns peuvent trahir les tendances simples, comme celles du “premier mouvement”, beaucoup d’entre eux ne paraissent pas avoir grand’chose à faire avec l’expression d’un désir inconscient : ce sont, par exemple, des résidus d’actes ou d’opérations psychiques antérieures ou inachevées, de l’automatisme de pure mémoire, etc.

IV. - Critique de la Psychanalyse au point de vue thérapeutique : Conclusions

Théoriquement, l’état normal du sujet dépend du fait que les complexes sexuels sont maintenus dans l’inconscient psychique par les forces morales, par la censure. Or, en première ligne, il est douteux que la mise à la conscience des tendances refoulées génératrices de la psychonévrose la suffise à guérir celle-ci. Il ne suffit pas de découvrir la cause morale d’une névrose ou d’un délire pour voir disparaître cette cause. Nous voyons cela tous les jours en pathologie mentale ou nerveuse. La “condamnation” et la “sublimation” de Freud sont des choses très jolies en théorie ; en pratique, beaucoup moins : Connaître, ce n’est pas toujours guérir.

En second lieu, cette mise à la conscience des complexes est-elle bien utile ? Est-ce bien elle qui, dans le traitement psychanalytique, amène la guérison ou, tout simplement et pour la plus large part, la docilité affective du malade vis-à-vis de son médecin ?

Toujours est-il que la seule influence du médecin suffit, dans ces cas, pour agir favorablement sur le malade, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la psychanalyse et à la recherche des complexes pathogènes ensevelis dans l’inconscient. Les neurologistes obtiennent tous les jours des guérisons de ce genre.

En dernier lien, le procédé thérapeutique de Freud n’est pas toujours efficace et utile ; il peut même être nuisible, chez certains malades, et aller à l’encontre du but poursuivi. En effet, dans certaines maladies tout au moins, sinon dans toutes, il faut parler le moins possible au sujet de ses idées fixes, de son délire. Il en est ainsi surtout dans les obsessions. Une fois le malade interrogé et connu, il importe de ne pas revenir constamment sur ses idées obsédantes. Il ne demande, lui, qu’à en parler, à les détailler, à les discuter. Seuls, les médecins ayant des vues théoriques sur les obsédés peuvent se laisser aller à les suivre sur ce terrain. Causer avec eux de leurs idées obsédantes, y revenir sans cesse pour les discuter, les raisonner, c’est enfoncer plus profondément ces idées dans l’esprit. Régis l’a dit depuis longtemps. Or, la psychanalyse ne fait pas autre chose ou à peu près. En décomposant pièce par pièce la mécanique psychique du sujet, en l’interrogeant et le soumettant à de nombreuses et très longues séances d’observation psychique, elle le remue, elle l’agite et le trouble. - Si encore elle procédait, dans ces recherches, à l’insu du malade : mais celui-ci sait ce dont il s’agit ; il sait qu’on cherche, à travers le fouillis de ses associations d’idées, les complexes pathogènes ; la plupart du temps, il partage les émotions du chercheur, son ennui s’il ne trouve pas, sa joie lorsqu’il a trouvé, ou bien il laisse voir l’impression pénible que lui cause cette impitoyable exploration. - Bref, alors que notre principe médical vis-à-vis des obsédés, comme vis-à-vis des neurasthéniques, est celui-ci : “Pas d’auto-analyse ! Ne vous intériorisez pas, extériorisez-vous !”, la méthode de Freud dit à ses malades : “Analysez-vous, fouillez-vous, intériorisez-vous” ou plutôt : “Nous allons ensemble vous analyser, vous fouiller, étudier à fond, et jusque dans les replis les plus cachés, votre intérieur psychique.” (Régis et Hesnard.)

Néanmoins la psychanalyse a guéri un certain nombre de malades, mais son action est certainement complexe. Le traitement psychanalytique est comparable aux psychothérapies empiriques, comme celles qu’inspirent la foi religieuse, la croyance au merveilleux, la confiance en le guérisseur quel qu’il soit. Au cours de la psychanalyse, plus que dans toute autre cure morale, le malade se trouve dans une collaboration très intime avec le médecin, se croit compris, entrevoit la guérison, dans laquelle la suggestion pourrait jouer un rôle essentiel.

Baudoin s’efforce de réhabiliter la suggestion et de lui faire place à côté de la psychanalyse. Il montre que le transfert sur l’analyste est une condition propre à la suggestion. Cela témoigne peut-être que la psychanalyse s’affranchit difficilement de la suggestion et que le psychanalyste, lorsqu’il croit avoir débrouillé les complexes de son sujet, en est peut-être lui aussi la victime. Dans quelle mesure la psychanalyse n’est-elle pas une suggestion et autosuggestion à deux ?

Il nous semble que le transfert décrit par Freud est dû en grande partie à la suggestion.

Ce phénomène consiste dans le fait que le malade reporte sur son médecin un groupe de sentiments psycho-sexuels représentant une réédition fidèle des anciennes formules de son affectivité infantile. Freud reconnaît ainsi, en une certaine mesure, la justesse de l’ancienne expérience proclamant la guérison par la confiance, par la suggestion médicale. La suggestion se ramène, selon Ferenczi, au pouvoir d’influencer le sujet au moyen des possibilités de transfert que lui permet son affectivité. Selon Freud, le médecin utilise sans doute la force de la suggestion, mais uniquement parce qu’elle le met à même de faire accomplir au malade un travail de reconstitution affective important. L’analyse de ce transfert, derrière lequel se cachent les résistances affectives du malade, lui permet de mieux comprendre les dissimulations de la libido et d’éviter les suites fâcheuses que pourrait avoir pour le malade une dépendance affective trop étroite à l’égard du médecin, si elle n’était pas reconnue à temps.

Comme le remarquent à juste raison Régis et Hesnard, il n’y a presque pas une seule notion fondamentale de la Psychanalyse de Freud qui ne puisse être retrouvée à l’état rudimentaire et dépourvue de toute interprétation dans la psychologie classique. De toute cette formidable accumulation d’idées et de faits dont est sorti le freudisme, une seule idée est caractéristique de la doctrine de Freud et de ses élèves : l’idée de la sexualité universelle, le dogme du pansexualisme.

Nous n’allons pas énumérer toutes les réminiscences de la psychologie classique qu’on peut découvrir dans les acquisitions de la Psychanalyse. Nous nous bornerons à citer : l’idée du trauma affectif dans l’hystérie (Charcot), celle de la base émotive des obsessions (Pitres et Régis), le rôle des incidents du développement dans l’orientation des goûts affectifs et sexuels de l’adulte (Binet, Féré, Garnier, etc.), le rôle des tendances dans le plaisir et la douleur (Ribot), la nature quantitative du sentiment, positif ou négatif, suivant qu’il trouve ou non à se dépenser (Grote), la notion de déplacement ou de transfert du sentiment (Lehmann, J. Sully), la conception intuitionniste et identificationniste de l’art, considéré comme une insertion, une projection de l’esprit dans les choses, une symbolisation des objets (Jouffroy), la notion de l’inconscient, considéré comme la plus grande partie de notre être psychique et agissant sans cesse sur notre activité consciente (Bazaillas, Ribot, Janet, Binet, Bergson, Hesnard, etc.).

Même la notion du refoulement, introduite explicitement en psychiatrie par Freud, n’avait pas été ignorée par les auteurs précédents. Nombre d’entre eux, et notamment Guislain, ont longuement insisté sur le fait que certaines affections mentales sont dues à des préoccupations émotionnantes que le sujet a gardées secrètes. Et c’est parce que le malade n’a pu se confier, s’épancher, parce qu’il a “refoulé” des émotions qu’il est devenu malade. La tâche du psychiatre n’a-t-elle pas toujours été de rechercher les émotions cachées par le malade et de lui faire avouer son secret pour provoquer une détente et lui assurer un certain soulagement ?

Les conceptions de Freud et de ses élèves sur les rêves sont les systématisations de lois élémentaires conçues par Maury, Delage, d’Hervey, Delbœuf, Tissié, Maine de Biran, etc. Le principe du “Traumdeutung” (interprétation des rêves) est exprimé par cette conclusion de Maury : “Ce sont nos penchants qui parlent et qui nous font agir, sans que la conscience nous retienne, bien que parfois elle nous avertisse...” - “Évidemment les visions qui se déroulent devant ma pensée et qui constituent le rêve, me sont suggérées par les excitations que je ressens et que ma volonté absente ne cherche pas à refouler... Dès qu’il suspend l’exercice de sa volonté, l’homme devient le jouet de toutes les passions contre lesquelles, à l’état de veille, la conscience, le sentiment de l’honneur, la crainte nous défendent. Dans le rêve c’est surtout l’homme instinctif qui se révèle... - L’homme revient pour ainsi dire à l’état de nature quand il rêve ; mais moins les idées acquises ont pénétré dans son esprit, plus les penchants en désaccord avec elles conservent encore sur lui l’influence dans le rêve [4]”.

Les Freudistes ont exigé que ceux qui prétendent discuter de la psychanalyse se soient, au préalable, donné la peine d’appliquer leurs principes et leurs méthodes. Cette exigence est-elle justifiée, ou leurs adversaires ont-ils raison de leur reprocher que cette exigence est celle des doctrines ésotériques, dont la vérification équivaut à une pétition de principe ? Bleuler et Isserlin ont eu, à ce sujet, une controverse très serrée.

Le premier dit : tant pis pour la théorie, du moment que les faits existent. Le second se refuse à utiliser un procédé d’investigation qui, d’après lui, pèche par la base, dont l’acceptation équivaut déjà à un manque d’esprit critique, et qui doit, par conséquent, nécessairement, fournir des donnés conformes à l’expectation de celui qui l’utilise.

Sans doute, ce que nous savons de la psychologie du témoignage doit nous rendre très sceptiques à l’égard des renseignements qu’un sujet examiné nous fournit ; la mythoplasticité (Dupré) du cerveau de ce sujet peut s’adapter insensiblement à certaines expectations, dont nos recherches ne sont jamais exemptes. Le danger du “délire à deux” existe, c’est vrai, mais l’excès de prudence a ses inconvénients ; la méfiance qui en résulte nous prive des moyens principaux pour pénétrer l’expérience émotive des sujets. Au reste, l’expérience émotive même du mythomane peut intéresser l’analyste, qui cherchera à préciser les causes affectives, poussant cet individu à fabriquer des mythes.

De l’exposé des théories de Freud il est facile de déduire combien la méthode psychanalytique est loin d’obéir aux règles les plus élémentaires de la logique et de l’observation scientifique, combien les procédés d’investigation psychologique employés ont été exagérés et combien excessives ont été les déductions qu’on en a tiré. Mais on ne saurait nier ni l’existence des mécanismes décrits par Freud ni leur intérêt théorique et pratique, ni la légitimité de leur recherche (Régis et Hesnard).

Cependant, de là, il y a un grand pas à admettre toutes les interprétations osées, toutes les conclusions hâtives, toutes les théories précoces rassemblées dans les travaux de l’école. Au-dessus des exagérations et des illusions qui déparent la Psychanalyse, se trouvent un grand nombre d’études précieuses sur les névroses, sur l’évolution de la pensée dans l’enfance, sur les diverses formes des sentiments sexuels. Ces études ont attiré l’attention sur des faits peu connus et que, par une réserve traditionnelle, on était trop disposé à négliger. Plus tard, on oubliera les généralisations outrées et les symbolismes aventureux qui aujourd’hui semblent caractériser ces études et les séparer des autres travaux scientifiques, et on ne se souviendra que d’une seule chose : c’est que la psychanalyse a rendu de grands services à l’analyse psychologique (P. Janet).

Dr G. Marinesco,
Professeur à l’Université de Bucarest.

Voir en ligne : Dr. G. Marinesco : Introduction à la psychanalyse (Première partie)

Notes

[1Voir la première partie : « Exposé des théories de Freud » dans la Rev. gén. des Sc. des 15-30 août 1923, t. XXXIV, p. 456.

[2“Je vois bien, dit P. Janet, qu’il faut avoir la foi pour bien comprendre les interprétations symboliques de la psychanalyse.”

[3Depuis la Publication de son rapport sur l’état actuel de la Psychanalyse, présenté à la Société suisse de neurologie (4-5 mai 1912), M. de Montet a évolué dans une direction absolument différente et n’attribue plus aucune valeur scientifique à la Psychanalyse. Il a exposé ses conceptions sur les névroses et sur la psychologie en général dans deux travaux, parmi lesquels je signale : Les problèmes fondamentaux de la Psychologie médicale (Berne, B. Bircher, éditeur, 19’22), qui tend à établir l’insuffisance du mécanisme en médecine mentale. Le lecteur y trouvera des données très suggestives sur la notion d’interdépendance des phénomènes de la conscience.

[4MAURY : Le Sommeil et les Rêves. Paris, 1878, pp. 113, 115, 462.

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