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Séminaire « RSI »

Con, méprisable et infâme : « Voile a ! »

Résumé de la troisième séance

Date de mise en ligne : samedi 3 janvier 2004

Auteur : Guy MASSAT

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Résumé de la séance du 18 décembre 2003.
 Troisième leçon.

La rotation tripartite du nœud RSI est le principe même de l’associativité - jusqu’au jugement dernier - le moment de conclure, comme nous l’a démontré si élégamment Agnès Sofiyana la dernière fois avec “le chiffre 13 et la logique de la suspicion”. L’association libre, il faut toujours le rappeler, est la méthode constitutive de la psychanalyse.

Que l’on conçoive la durée la plus longue, et même une durée infinie, ou au contraire l’instant le plus bref, ils sont soumis aux trois hypostases du temps : le passé, le présent et l’avenir. On peut les représenter par les trois croisements du nœud premier, le nœud de trèfle qui se métamorphose en borroméen.

Math, mathème et “mathémorphose”, pourrait-on dire. Qu’est-ce qu’un nœud ? C’est un signifiant. Le signifiant ne signifie rien par lui-même. Il se déploie dans le temps et a toutes les caractéristiques du temps, nous dit Saussure. “Le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant” c’est la formule de Lacan qui définit, entre autres, “l’association libre” et qu’il résume à RSI.

RSI nous pourrions l’écrire à la manière indienne, comme on l’a vu la dernière fois, c’est-à-dire en sanscrit, plus précisément en dévanagri, “la langue des dieux”...

Cette écriture évoque avec ces rétroflex de prononciation, °, les ronds borroméens. Ça se prononce rischi et ça signifie clairvoyance. Cette clairvoyance ne se rapporte pas seulement à la clarté du jour non plus qu’à celle de l’esprit, mais à celle de l’inconscient. Vous vous souvenez du plus célèbre des rischi, Mahakaçyapa ? C’est lui qui sourit quand pour révéler l’essence de son enseignement Bouddha montra une fleur, non pas une fleur ordinaire ou abstraite, mais la fleur de l’inconscient. Transmission, sourire, fleur. C’est un nœud. Sourire fleur, S.F., puisque tout se réduit à des lettres, des lettres volantes, ce sont les initiales de Sigmund Freud. Transmission Sourire Freud, ça fait T.S.F. La TSF désigne la transmission par procédés radioélectriques. C’est la Téléphonie Sans Fil, c’est-à-dire sans autre fil que le son.

Nous n’en sommes pas là. Mieux vaut-il pour l’instant nous placer sous l’égide d’une autre association : R c’est la souffrance, le ça qui souffre, l’I c’est la peur, le moi, et S, le Maître absolu, c’est-à-dire la mort. Pourtant nous arriverons à voir que le Réel est le vide parfait, la jouissance, que toute puissance est Imaginaire, relève des images, et que le Symbolique, la mort, ne relève que du langage, puis qu’elle n’est qu’une disparition et comme nous sommes dans le temps nous devrions être parfaitement habitués aux disparitions. Enfin nous verrons que le moi ne relève que du mot a, de l’objet a. Après tout nous n’en sommes qu’à la leçon deux.

Cette deuxième leçon sur le RSI (17 décembre 74) commence comme la première par “voilà”, vois l’a, vois l’objet petit a...

Quelques mots donc sur cet objet, cet ob-jet

Le jaillissement de l’instant du commencement c’est l’objet a. Nous pouvons l’imaginer tel un taureau surgissant dans l’arène du temps et qu’il nous faut toréer notre vie durant en manipulant les tores du RSI comme les passes du torero pour ne pas nous faire tuer par la violence de ce commencement et l’abattre enfin avec toute la dignité qu’on lui doit, otium cum dignitate, car le commencement c’est le “comme on se ment”. La manière dont on se ment dans l’imaginaire et le symbolique. Et sur quoi nous mentons-nous ? On se ment sur le réel. Vous croyez tout ce qu’on vous dit dans l’imaginaire et le symbolique ? “Bonsoir” comme diraient les Guignols à la TV. Qu’est-ce que “a” ? La grammaire peut nous aider. Elle nous dit que “a” est privatif, cette lettre peut marquer la direction, le but à atteindre, le passage, la métamorphose, d’un état à un autre ou la séparation. Toutes ces fonctions ne sont pas sans intérêt pour approcher notre ob-jet a, puisque l’objet a c’est d’abord une séparation.

Qu’est-ce que le sein, l’excrément, la voix, le regard et le rien, les cinq éclats de l’ob-jet petit a ? Un éclat, c’est ce qui se sépare. Cinq éclats comme l’éclatement optique d’une étoile. Tout commencement est une séparation. Eros est d’abord “celui qui rompt les membres“ nous dit Hésiode. Le sein, c’est ce qui nourrit. La nourriture entre dans la bouche. L’excrément, c’est ce qui en sort, c’est ce qui est produit. Donc, oral qui entre et anal qui sort. L’oral est sombre comme un trou noir et l’anal est d’or comme la lumière, la pisse et les excréments (si vous mangez correctement). La bouche détruit les aliments, mais c’est pour produire du corps. Ensuite le regard, le monde entre dans notre regard, et notre voix le nomme en en sortant. Elle le nomme, et elle le crée. Si nous confondons les ronds de la bouche et de l’anus nous obtenons un tore, celui des formes, celui du corps, celui de l’Imaginaire.

Puis si nous confondons en un rond le rond du regard et celui de la voix, nous obtenons le tore du symbolique. Ces deux tores tiennent par quoi ? Par le tore du rien, le Réel, l’au-moins-un qui articule tout. Le rien est un rond parce qu’il est à lui-même sa propre négation. Ainsi pouvons nous rendre compte de l’objet petit a par le nœud borroméen.

Pour illustrer l’action de l’objet a Lacan disait - ce qui résume la condition humaine : “se faire bouffer, se faire chier, se faire voir et se faire entendre”, tout cela pour rien, par pure jouissance.

La topologie : rêve ailé

Pour introduire la topologie de “l’a quand” nous pouvons nous faire aider par les penseurs taoïstes, Lao-tseu, Lie-tseu, Tchouang-tseu.

Ainsi, par exemple, Tchouang-tseu rêve-t-il qu’il est un papillon. Il se voit en papillon, puisqu’il arrive communément dans les rêves qu’on se voit comme autre chose que soi. Il raconte qu’il butine de fleur en fleur, se réjouit de l’air et de la lumière, il est léger, il est heureux. Puis, quand il s’éveille, Tchouang-tseu se demande si ce qu’il voit de lui-même dans la réalité ne serait pas simplement un papillon qui rêverait qu’il se voit en Tchouang-tseu. Pour le monde symbolique de la conscience, dans la réalité, cette impression est idiote, elle relève de la pure hallucination. Mais dans le réel, dans l’inconscient, non seulement la question se pose autrement, mais la réponse est en faveur du papillon : Nous sommes des rêves, des rêves ailés de papillons. Le monde me regarde. Mon image me regarde. Ils me regardent, mais ils ne voient personne. Je résiste, c’est moi qui les regarde, et pourtant le regard que je crois exercer sur les choses c’est réellement moi qui le subit. C’est le mot a, le moi petit a qui les réfléchit. C’est comme pour les mots. Je crois parler mais c’est les mots qui me parlent. Je résiste, là encore, les mots me nomment, mais ils ne me saisissent pas, c’est moi (petit a) qui me saisit des mots. Entre son image et lui, Narcisse ne voit pas la torsion, principe de tout savoir. La torsion c’est la topologie de l’inconscient. C’est l’écriture des nœuds. Du coup vous comprenez pourquoi Lacan fumait des “culebras”, des cigares tordus.

Un passage du livre “Le visible et l’invisible” de Merleau-Ponty (p.183) traite de cette étrange torsion qu’est le réel qui nous constitue :

“... le voyant, dit Merleau-Ponty, étant pris dans cela qu’il voit, c’est encore lui-même qu’il voit : il y a un narcissisme fondamental de toute vision ; et que, pour la même raison, la vision qu’il exerce, il la subit aussi de la part des choses, que, comme l’ont dit beaucoup de peintres, “je me sens regardé par les choses”, que mon activité est identiquement passivité, ce qui est le sens second et plus profond du narcissisme ; non pas voir dans le dehors, comme les autres le voient, le contour d’un corps qu’on habite, mais surtout être vu par lui, exister en lui, émigrer en lui, être séduit, capté, aliéné par le fantôme, de sorte que voyant et visible se réciproquent et qu’on ne sait plus qui voit et qui est vu. C’est cette Visibilité, cette généralité du Sensible en soi, cet anonymat inné de moi-même que nous appelions chair tout à l’heure, et l’on sait qu’il n’y a pas de nom en philosophie traditionnelle pour désigner cela”. C’est cependant à quoi nous introduit la topologie des nœuds qui se ferment sur eux-mêmes. Les derniers vers du poème “Métamorphose de Narcisse” de Dali sont : “Quand cette tête se fendra, quand cette tête se craquellera, quand cette tête éclatera, ce sera la fleur, le Nouveau Narcisse, Gala, mon narcisse”.

Drisses et ronds de ficelle

Ceci est une drisse. C’est-à-dire un cordage qui sert à hisser une voile. Un cordage est une corde et une corde est un boyau.

Le boyau, c’est creux, ça peut faire tore. Boyau désigne l’intestin. Umbellicus en latin désigne le cordon ombilical. C’est la première ficelle de notre histoire. Qu’est-ce qu’une ficelle, un fil ? Filer signifie s’écouler. Cette fonction demeure lorsque nous parlons de quelque chose qui prend la forme d’un fil. Qu’est-ce qui s’écoule le plus ? Qu’est-ce qui s’écoule continuellement sinon le temps ? Le temps est en quelque sorte une pulsion continue. Il n’y a donc d’autre fil que celui des Moires, ou des Parques en latin, le fil du temps. Dans le Symbolique c’est le sens de la parole qui s’écoule, dans l’Imaginaire ce sont les choses elles-mêmes, dans le Réel c’est le devenir, le logos, comme dit Héraclite. Les Moires, nous dit la Mythologie, sont filles de la Nuit et du commencement à savoir le Chaos. Elles sont trois parce qu’il faut toujours trois fils pour faire une ficelle et qu’il y a trois hypostases du temps. Certains racontent encore que les Moires sont les filles de Zeus et de son épouse Thémis, la justice. C’est que la vraie justice relève de l’inconscient puisqu’il se refoule lui-même. C’est le refoulement originaire. Puisque tout ce qu’on refoule inconsciemment nous revient sous forme de destin. Clotho fabrique le fil de l’existence, Lachésis le déroule et Atropos, la troisième, le tranche. Sur les champs de batailles, elles se gorgent du sang des morts.

Quand nous regardons un fil nous n’envoyons jamais qu’une portion à l’épreuve de la réalité, mais dans le réel c’est un rond. Un rond est fait de nœuds tellement serrés qu’ils sont invisibles. Et tout point, comme on l’a vu, est un nœud. Tout fil, toute ligne est donc continuellement en danger tout au long de son parcours, pareille au fil d’Ariane, pareille au fil de la parole. Que veut, que dit la ligne de la ficelle ? Elle dit : “Folle de rare, (de remarquable, d’exceptionnel), j’écris, (parce les nœuds, même le nœud trivial sont une écriture) j’écris... le vagin ouvert (parce que les nœuds sont faits de trous)” :

“Folle de rare j’écris le vagin ouvert”, voilà ce que disait Ariane filant son fil pour Thésée marchant dans le labyrinthe. Dans l’Antiquité grecque, une femme n’avait de valeur non pas par la qualité de sa cuisine mais pour son habileté à filer.

Le nœud de l’écriture

Qu’est-ce que le nœud borroméen ? C’est une écriture, dit Lacan (p.29). L’écriture du réel. L’écriture du vide qui coule. L’écriture du rien qui passe comme on dit “un ange passe”. L’écriture n’est que la trace d’une pensée, la trace de quelque chose qui est passé, de quelque chose ou de rien, puisque le rien passe comme le reste. “Qu’y avait-il avant qu’il y ait quelque chose ?” - " Le bruit que fait la grenouille en sautant dans l’étang (dans l’étant)”, répond dans un haïku célèbre le poète japonais Basho. L’univers passe, il n’en reste jamais qu’une certaine sonorité dont la trace est la palpitation du nœud temporel. “Il n’y a pas d’autre idée sensible du réel” soutient Lacan (p.29), que cette écriture. C’est même sans aucun doute l’écriture première :

“Si j’avais un petit royaume, dit Lao-tseu, (LXXX) je ferais en sorte que le peuple revienne à l’écriture des cordes nouées”. Les cordes nouées étaient employées dans la haute Antiquité chinoise au lieu des caractères écrits (Le livre des Mutations, Legge, p. 385). Les Incas et les Péruviens usaient aussi des cordes nouées comme écriture.

L’ADN, qui est le support de l’hérédité, est un fil, une ficelle, une corde en spirale, pourrions-nous dire, mais une spirale ouverte. Cependant il y a un ADN, l’ADN mitochondrial qui, lui, est un rond et qui ne se transmet que par les femmes. Mitochondrie ne s’écrit pas mytho-chondrie, parole des graines, mais mito, fil, des graines (chondrie). Les mitochondries jouent un rôle fondamental dans la respiration cellulaire. “Contrairement à l’ADN des chromosomes du noyau qui est hérité des deux parents, on ne reçoit les mitochondries que d’un seul parent : la mère”, explique Bryan Sykes, généticien spécialiste des mitochondries. À partir de ce rond ce savant est en mesure de nous dire, à quelle ancêtre femme préhistorique (il n’y en aurait que sept pour l’Europe) nous appartenons. Voir son livre “Les sept filles d’Eve” (Albin Michel).

Selon le mathématicien Alexei Sossinsky, dont je vous recommande le livre “Nœuds” au Seuil : “La théorie des nœuds est aussi importante que la relativité et la physique quantique”, ceci pour nous ouvrir l’appétit pour la question des nœuds.

Mais il y a les nœuds de l’imaginaire, comme les nœuds de cravates, les nœuds de marin, les nœuds de la vie quotidienne, puis il y a les nœuds symboliques, ceux des mathématiciens, et enfin les nœuds du réel, les nœuds de l’inconscient, la topologie de Lacan, de “l’a quand”. Là les choses se passent différemment. Ils présentent des résistances qui nous échappent. D’où la difficulté que nous avons dans l’inconscient avec le chiffre trois, c’est-à-dire le nouage et ses métamorphoses de sens.

“Le nœud, dit Lacan, n’étant fait que de ce que chacun de ses éléments n’est noué que par un troisième, on peut, l’un de ces trois le laisser ouvert.”

Cette ligne droite c’est l’eks-sistence, l’au-moins-un, l’O moins un, la Racine carrée de moins un.

La droite et la gauche comme chose commune

Le nœud n’a ni gauche ni droite (p.30). Si nous regardons le sens d’un nœud dans un miroir, il est inversé, et ici, dans le réel, nous ne pouvons décider si nous sommes dans ou hors du miroir. Vous vous souvenez de la formule de Lao-tseu : “Le haut et le bas se touchent”, il en va de même pour la gauche et la droite.

“Sur le circuit du cercle, comme l’enseigne Héraclite, commencement et fin sont chose commune”. Nous sommes dans la dimension - la dit mention - paradoxale du Réel.

Le réel c’est la vitesse

R c’est l’erre. L’erre c’est la vitesse, qui produit l’aire au sens d’espace. La topologie est ici cette parole (logos) qui laisse des lieux (topos) quand elle passe.

Le Réel, l’Imaginaire sont des formes de vitesse comme l’est le Symbolique. C’est “le temps logique et l’assertion de certitude anticipée” (Écrits, p.197). “L’instant de voir, le temps de comprendre, le moment de conclure” sont des vitesses absolues. Donc nos tores ne sont pas statiques, ils peuvent avoir des vitesses semblables ou totalement différentes. C’est le mouvement contraire de l’un d’entre eux qui peut coincer les deux autres. Aussi nous faudrait-il éprouver en regardant un rond la sensation dynamique en tant que telle, l’absolue vitesse omniprésente qu’est le réel. C’est par cette vitesse omniprésente que le réel s’exprime comme exclusion de tous sens. “Ce n’est que pour autant que le réel est vide de tous sens que nous pouvons un peu l’appréhender” (“L’insu”). Et c’est par la vitesse que le concept d’anneau devient commutatif, c’est-à-dire relatif à la bifurcation et à l’échange. La vitesse peut être si rapide qu’elle semble immobile.

D’où la question de Lacan (p.31) : “Quelle est l’erre (la vitesse) de la métaphore”. “... C’est bien que j’use de l’écart de sens qui est permis entre R.S.I. comme individualisant ces trois ronds... Quel est le maximum admis d’écart de sens ?”, autrement dit quelle est la vitesse que peut prendre une métaphore ? “Quel est le maximum permis de (la vitesse) de substitution d’un signifiant à un autre ?” (p.32) “... Peut-être ai-je là été un peu vite, dit-il, mais il est certain que nous ne pouvons pas traîner”. “Il s’agit ici de cet être qui n’apparaît que l’éclair d’un instant dans le vide du verbe être...” comme il le dit dans “L’instance de la lettre dans l’inconscient” (Écrits, p.520), article auquel il nous demande de se référer (p.32).

User bêtement du nœud borroméen

“Pour opérer avec ce nœud d’une façon qui convienne, poursuit Lacan (p.32), il faut que vous vous fondiez sur un peu de bêtise. Le mieux est encore d’en user bêtement, ce qui veut dire d’en être dupe. Il ne faut pas entrer à son sujet dans le doute obsessionnel, ni trop chipoter”. Comment faire ?

1) D’abord avec des ficelles. Les nœuds de ficelles sont de l’ordre de l’imaginaire, du corps. On les touche. 2) Puis, avec les dessins. Là nous sommes dans le Symbolique, avec les dessins, on peut faire des métamorphoses que nous ne pouvons pas réaliser avec les ficelles. 3) Enfin, il nous faut concevoir que tous ces ronds sont des vitesses, là nous sommes dans le Réel, ce n’est pas représentable nous sommes dans “l’impensable”.

Que pouvons-nous espérer de cette pratique des nœuds ? Beaucoup de choses. Mais tout d’abord il nous faut apprendre à régresser pour approfondir ces trois catégories du RSI, auxquelles correspondent exactement les trois catégories de la philosophie “le faire, l’être et l’avoir”. Le faire c’est le réel, l’être est imaginaire, l’avoir c’est le symbolique, le savoir, le s’avoir. Il nous faudra dès lors nous poser des questions tout à fait inhabituelles.

Le non-penser

“Je pense donc je suis” dit Descartes. Voilà un savoir ou un s’avoir, un S pris, un esprit. Sur le borroméen, nous voyons que le rond du Symbolique est pardessus le rond de l’Imaginaire. D’où je peux conclure, et Descartes ne manque pas de le faire dans une note de ses “Méditations”, qu’il me suffit de ne pas penser pour ne pas être. Il me suffit de lâcher l’esprit, l’S pris de tout s’avoir. Il me suffit de lâcher le Surmoi et ses inhibitions pour atteindre le non-moi et la non-peur borroméenne. Donc, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir nous sommes, en quelque sorte, taoïstes à notre insu, puisque penser ça nous arrive que très rarement, enfin au niveau où l’on se demande comme Heidegger “Qu’appelle-t-on penser ?” (PUF). Le non-penser, c’est une pensée dominée par un non, Wu-nien, en chinois. “Lâchez l’esprit pour voir, lâchez le regard de l’esprit”, proposent les taoïstes.

On raconte qu’un jour, un groupe de personnes vint trouver Lao-tseu : “Maître, nous venons pour que vous nous enseigniez la voie”, le Tao en chinois, qui signifie la voie ou la voix, comme on voudra. Leur demande, traduite en européen, donnerait en termes kantiens : “Que pouvons-nous savoir, que pouvons-nous faire, que pouvons-nous espérer ?”. - “Très bien, dit Lao-tseu, j’entends votre demande, et pour commencer, puisque vous êtes si bien disposés, je vais vous couper la tête !”. Castration !

On raconte, que n’ayant pu accéder à la vitesse de la métaphore taoïste, la plupart de ces visiteurs, ignorant le borroméen, sont allés se convertir au confucianisme... C’est que la pensée dans le Réel se meut par-delà les concepts constitués du Symbolique (le rond du Réel passe par dessus le rond du Symbolique). C’est pourtant par là qu’on accède à l’expérience en acte de la parole de l’inconscient, c’est-à-dire à passer dans les trous que nous présentent les actes manqués, les lapsus linguae, les lapsus calami, les rêves et autres symptômes ou “troumatismes” comme dit Lacan.

La différence des sexes chez Maupertuis

Puis, Lacan nous parle d’un texte de Maupertuis “La vénus physique” (p.32). Maupertuis est un mathématicien né à Saint Malo en 1698. Son père était corsaire. Maupertuis énonça le fameux principe de la moindre action (en chinois taoïste “wu wei”, le non-agir positif). Il s’énonce ainsi :

"Le chemin que tient la lumière est celui pour lequel la quantité d’action est la moindre”. C’est de l’Aïkido !

Maupertuis mourût en 1759 à Bâle chez Bernouilli à qui l’on doit, entre autres, l’invention du signe infini et qui fut aussi le maître d’Euler.

L’imaginaire qui fonde la différence des sexes comme animacules ou spermatozoïdes, d’une part, et œufs d’autre part, “est un mensonge”, un songe de l’esprit, plus précisément de l’S pris. L’imaginaire est la place où toute vérité s’énonce par l’S pris. “Ce que Maupertuis ne manque pas d’imaginer, nous dit Lacan (p.33) c’est que dans ces éléments cellulaires, il y aurait des mâles et d’autres de femelles. Ce qui n’est certainement pas vrai”. Maupertuis n’erre pas. Il n’arrive pas à ce niveau du Réel où “il n’y a pas de rapport sexuel”. Impossible entre un X et un Y que s’inscrive un R qui fasse rapport. Le Réel c’est le non rapport, le non rapport sexuel qui seul permet justement le sexuel physique ou mental.

Ne pas faire d’hypothèses

La thèse s’oppose à l’hypothèse. L’hypothèse c’est poser l’existence d’une chose. Elle suppute un arrière monde. La thèse, elle, pose le sens d’un mot, mais ne dit rien sur l’existence ou l’inexistence de la chose nommée. Cette distinction nous sera très utile pour comprendre qu’il n’y a jamais que de la parole.

“La répudiation des hypothèses, dit Lacan ( p.33) me paraît être ce qui convient et ce que je désigne proprement de ce conseil d’être assez bête pour ne pas se poser de questions concernant l’usage de mon nœud... C’est de l’expérience analytique qu’il rend compte, et c’est en cela qu’est son prix”.

Enfin, en paraphrasant Paul Valéry nous pourrions dire : “Nous autres, hypothèses, savons depuis Lacan désormais, que nous sommes mortelles”.

En quoi le nœud borroméen est - mais surtout n’est pas - un modèle.

Le borroméen n’est pas un modèle. Il n’est pas un modèle au sens où il servirait à déchiffrer un savoir qui serait déjà là, une sorte de grille qu’on poserait sur la substance du monde pour mieux la maîtriser. C’est l’inverse, puisque le Réel n’a pas de sens et que c’est à partir du Réel que se constituent les modèles physiques ou mentaux. Le borroméen comme non-modèle se réfère à la jouissance réelle. “C’est au Réel comme faisant trou que la jouissance ek-siste” dit Lacan (p.35). “Je prétends pour ce nœud répudier la qualification de modèle”. C’est un point sur lequel Lacan va insister tout au long de ce séminaire. Pourquoi ? Parce qu’en faveur de l’analyse il nous engage à rompre avec toute idée de modèle réel. Il nous faut renoncer à concevoir une image du réel ou une hypothèse du Réel. Il s’agit pour nous psychanalystes de nous séparer des images et des hypothèses. Le nouage borroméen du réel en tant que tel échappe à la pensée, c’est-à-dire à toute représentation physique ou mentale.

Cependant, avec des ficelles, je peux faire des nœuds et montrer leur changement de présentation. Ici, avec les ficelles, je suis dans l’Imaginaire. Je peux dire : “tout se passe comme si”, ce qui est la procédure du modèle. Mais il y a des présentations et des transformations que je ne peux pas représenter avec des ficelles. Il me faut passer aux dessins, à l’abstraction. Avec les dessins, je suis dans le Symbolique. Par exemple avec les ficelles je peux passer de la figure un à la figure deux, mais pour la figure trois je dois la dessiner. Pour passer du nœud à quatre ronds au nœud borroméen je ne peux vous le montrer que par des dessins, pas avec des ficelles.

Enfin, si j’introduis la vitesse du Réel nous échappons à toute représentation physique et mentale. Euler, a introduit l’écriture : Racine carrée de moins un = i. Ce nombre nommé imaginaire par Descartes est “impossible”. Impossible, puisqu’un nombre mis au carré est toujours positif. Il est donc impossible d’extraire la racine carrée d’un nombre négatif. Pourtant ce nombre qui n’existe pas permet pratiquement toutes sortes d’opérations mathématiques. C’est en quoi le borroméen n’est pas un modèle mais producteur des modèles.
En conclusion, nous pouvons considérer le bororméen comme un modèle dans l’imaginaire et dans le symbolique mais pas dans le réel. Or Lacan ne traite évidemment que du trou du Réel, c’est-à-dire de l’incoscient.

Dans le Réel on ne cherche pas on trouve. C’est un trou.

“Il n’y a de trou qui vaille que la trouvaille”, dit Lacan. Ici nous sommes dans la dimension de la surprise. Un directeur du CNRS disait : “Des chercheurs qui cherchent, on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche”. Cette formule peut illustrer l’impasse des sciences quand elles se contentent de ne formuler que des hypothèses, comme Lacan l’a illustré avec Maupertuis. Hypotheses non fingere, je ne forge pas d’hypothèse protestait fièrement Newton.

Le nœud borroméen est donc un trou, plus exactement un trou triple. Ce qui nous amène à nous interroger sur ce qu’est un trou.

“S’il n’y a pas de trou, je ne vois pas très bien ce que nous avons à faire comme analystes, et si ce trou n’est pas au moins triple, je ne vois pas comment nous pourrions supporter notre technique qui se repère essentiellement à quelque chose qui est triple, et qui suggère un triple trou” (Lettre de l’Ecole Freudienne, n°18, p.265).

Qu’est-ce qu’un trou ?

Dans le sens ordinaire, un trou est ouverture traversant un corps, un volume, une surface. Par une évidence trompeuse nous hypothésons qu’il y a d’abord du corps, de la substance et secondairement du trou. - Remarquons au passage qu’on ne meurt jamais que parce dans notre corps un de ses trous se bouche ou parce qu’un trou se forme là où il ne devrait pas. - Toute mort n’est jamais qu’une question de trou.

À concevoir le trou comme une cavité, on en fait quelque chose, un sac. Vous connaissez l’histoire de ce type qui, au pays du “trou normand”, en Normandie, avait un trou dans son jardin dont il voulait se débarrasser. Son voisin qui avait une camionnette lui proposa de le transporter jusqu’aux falaises normandes pour le jeter dans la mer. Ils chargèrent le trou dans la camionnette et roulèrent vers la côte tout en discutant. Soudain, l’un d’eux se retourna et s’aperçut que le trou était tombé de la camionnette. Ils firent marche arrière aussitôt pour le retrouver. Mais, c’était déjà le soir, et la visibilité étant mauvaise, la camionnette tomba dans le trou où l’homme et son voisin disparurent à jamais.

Cette histoire idiote n’a pour fonction que de nous rappeler qu’un trou n’est pas un objet, sinon dans les cauchemars.

Le trou dans notre topologie est ce qui précède ses bords, il précède donc toute surface et tout volume.

Non seulement il les précède, mais c’est lui qui les produit. Il est le réel. Souvenons nous de la remarque d’Einstein faisant le chemin inverse : “En supprimant la matière nous avons cru qu’il resterait l’espace, dit-il, mais en supprimant la matière nous nous sommes aperçus que nous avions aussi supprimé l’espace”. “Fin de la physique et début du temps” annonce alors Stephan Hawking.

“Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas plutôt rien ?” Cette question, c’est-à-dire ce trou dans le Symbolique, a été dévoilée par Leibniz au XVIIème siècle. Mais aujourd’hui le trou de la question s’est inversé en “pourquoi n’y a-t-il rien et non pas quelque chose ?”. De plus, avec cette inversion, nous trouvons quoi ? Nous trouvons la réponse, nous avons la trouvaille : parce que tout est en devenir, parce qu’il n’y a que du temps. Nous voilà projetés dans le logos d’Héraclite, le monde du devenir.

On raconte que le bateau de Thésée avait un trou. D’étranges charpentiers remplacèrent toutes les planches qui le constituaient, mais, respectueux du trou, on ne sait pourquoi, ils le laissèrent. Donc, le travail fini c’était exactement le même bateau bien que tous ses éléments soient totalement nouveaux. En ce sens ce bateau ressemblait au train de 8h 45 dont nous parle Saussure pour illustrer le signifiant : On l’appelle toujours, depuis des années, le train de 8h 45 mais ce n’est jamais les mêmes wagons ni la même locomotive, donc jamais le même train. Bien qu’on dise et qu’on comprenne toujours que c’est le même train, celui de 8h 45 et pas un autre. Le trou du bateau de Thésée, lui, n’a pas changé, c’est seulement la nature de ses bords qui n’est plus la même. Le trou c’est le Réel. En ce sens “le Réel est toujours à sa place” (Écrits, p.25), comme le soutient Lacan. Le trou revient toujours à sa place de trou. “Qu’advient-il du trou quand le fromage a disparu ?”, demande à son tour Bertold Brecht. Si c’est lui qui a mangé le fromage, le trou n’a fait que changer de bords. Brecht, nonobstant le respect qu’on lui doit, est devenu les bords du trou du fromage. Mais c’est cequinousarriveà tous en mangeant dugruyère. Le trou du Réel est tout à fait différent d’un trou dans l’Imaginaire ou dans le Symbolique. Si vous sautez dans le trou du Réel - ce que la psychanalyse vous engage à faire, en vous tirant et en vous poussant par toutes sortes de silence et de contre pétries - vous ne tomberez pas comme dans une chute dans l’espace physique ou mental, mais bien au contraire, vous serez projeté vers des hauteurs à partir desquelles les nouages du monde vous apparaîtrons dans leurs particularités les plus rares.

Par ailleurs, le signifiant trou en tant que mot ne manque pas d’intérêt. Ce mot est un des plus anciens, peut-être même le plus ancien de la langue française. Selon les linguistes, le mot vient d’une langue appartenant à des peuples pratiquement inconnus et qui occupaient la Gaule bien avant les Celtes. C’est eux qui nous ont laissé les témoignages énigmatiques des pierres dressées, les menhirs et les dolmens, dont le concile de Nicée, au IVème siècle, avait exigé la destruction, ce que Charlemagne en bon chrétien avait essayé de réaliser, mais il y en avait beaucoup trop, heureusement pour l’histoire.

Il y a peu de mots dérivés de trou : troubler, trouille, troupeau, trousser, trouver, et troubadour qui vient de trobar, trouver, inventer, spécialement des vers, des vers qui bordent les trous et parlent sur les contours du vide.

Trou est l’anagramme de tour. Mais tour n’est pas une tour, tour c’est ce qui tourne. Tordre c’est tourner. La torsion est le principe du savoir et du s’avoir. Le vide tourne dans le temps et c’est ce qui fait bord. Voilà le Réel. “C’est au Réel comme faisant trou que la jouissance ek-siste”, dit Lacan ( p.35). Le trou c’est la jouissance (p.36). D’où “il n’y a de trou qui vaille que la trouvaille” qui nous fait jouir.

Le phallus est un trois, c’est-à-dire la consistance du nœud

Le phallus est un trois c’est-à-dire un nœud comme l’invente le langage populaire. Le phallus est le coinçage qui résulte de la nodalité, explique Lacan (p.35). Il dit : “Il y a dans Freud prosternation devant la jouissance phallique comme telle. C’est ce que découvre l’expérience analytique”. “La jouissance phallique, intéresse le nœud qui se fait avec le rond du symbolique (p.36)”. Ce n’est du sens, c’est-à-dire de la distinction de sens, que par la triplicité (p.36). C’est de là que nous devons partir pour que le nœud consiste comme tel ; il y a trois éléments, et c’est comme trois que ces éléments se supportent ; nous les réduisons à être trois, là seulement est ce qui fait sens” (p.36).

Donc, trois c’est la parole de l’inconscient. Trois c’est ce qui tranche. Trancher a pour étymologie trois et trois c’est ce qui peut produire du sens. La castration, c’est ce qui fait tranchage et c’est ce qui fait sens. Nous nous devons d’apprendre à compter inconsciemment jusqu’à trois. Faute de quoi nous ne saisirons pas, par exemple, tous les sens que peut prendre la fable “Le loup et l’agneau” ou le mythe d’Actéon.

Le nouage du nœud de trèfle se transforme en borroméen.

Le borroméen est la rupture du principe de causalité. Avec lui nous apprenons à penser dans une conception du temps qui va bien au-delà de la durée d’une vie et de la périodisation historique.

Mais il y a plus parce qu’il y a la jouissance. “Car, demande Lacan, à quoi ek-siste l’ek-sistence ?” (p.36) “Certainement pas à ce qui consiste. L’existence comme telle se définit, se supporte, de ce qui, dans chacun de ces termes R.S.I., fait trou. Il y a dans chacun quelque chose par quoi c’est du cercle, c’est d’une circularité fondamentale qu’il se définit, et ce quelque chose est ce qui est à nommer” (p.36). La jouissance ou les jouissances ce sont en quelque sorte les cataractes verticales du dégel de l’imaginaire s’anéantissant bruyamment parmi les cris excrémentiels des signifiants qui éclatent comme des minéraux ou qui s’anéantissent dans les silences des mousses et des écumes. L’imaginaire est un trou. “Le moi n’est qu’un trou” par lequel entre le monde (p.36). Le Symbolique est un trou, souvent un trou puant, un trou le plus souvent fermé. Le Réel est un trou, ou pire c’est un triple trou. “C’est à savoir, ce trou du Réel, de le désigner de la vie” (p.37).

“C’est du côté de la mort que se trouve la fonction du Symbolique” (p.37). “C’est en tant que quelque chose est refoulé dans le Symbolique qu’il y quelque chose à quoi nous ne donnons jamais de sens, bien que nous soyons capables logiquement de dire que “tous les hommes sont mortels”. Ce qui n’a pas de sens puisque nous nous plaçons par cette formule à l’extérieur du tout de tous les hommes” (p.37).C’est ainsi que “la peste se propage à Thèbes, pour que ce “tous” devienne quelque chose d’imaginable et non pas de pur Symbolique, qu’il faut que chacun se sente concerné en particulier par la menace de la peste...” de la peste symbolique.

Peste vient de pestis, en latin qui signifie la destruction et la mort. Thèbes est envahit par un air de peste. Ça flotte dans l’air. “Si Œdipe a forcé quelque chose, c’est tout à fait sans le savoir, c’est, si je puis dire, poursuit Lacan, qu’il n’a tué son père que faute d’avoir, si vous me permettez de le dire, faute d’avoir pris le temps de laïusser” (p.37).

Laïus, dont l’oracle l’avait averti qu’il serait tué par son fils, a donné le verbe laïusser pour désigner un discours, d’abord utilisé par les polytechniciens pour désigner leur premier sujet littéraire au concours d’entrée à Polytechnique, il s’est étendu à tout discours plus ou moins verbeux. “S’il l’avait fait, continue Lacan, le temps qu’il fallait, mais il aurait fallu certainement un temps qui aurait été à peu près le temps d’une analyse, puisque lui-même, c’était justement pour ça qu’il était sur les routes, à savoir qu’il croyait par un rêve justement, qu’il allait tuer celui qui sous le nom de Polybe était bel et bien son véritable père." (p.37). Œdipe croyait que son père était Polybe, roi de Corinthe. C’est son épouse, la reine Périboae, qui trouva cet enfant aux pieds enflés comme s’il portait des baskets, abandonné par ses géniteurs dans la forêt, et qui l’adopta.

L’inconscient, le “Tout Autre”, il est impossible de le dire complètement. Il se refoule lui-même. C’est ça le refoulement originaire. C’est donc “ce qui introduit comme telle la catégorie de l’impossible”.

À en croire les religions Dieu est la personne supposée au refoulement, c’est le nom du nom du père. Mais d’où vient le langage, même celui de Dieu ? “Le langage n’est pas un bouchon, il est ce dans quoi s’inscrit le non-rapport sexuel” (p.38). Le langage vient de l’inconscient. C’est l’inconscient qui parle puisqu’il se refoule lui-même. L’acte inconscient du langage précède donc le sujet. Le non-rapport sexuel se situe dans le Réel, pas dans l’Imaginaire ou dans le Symbolique. C’est ce qui articule toute chose.

La névrose idéale

La religion, selon Freud, est la névrose idéale. C’est-à-dire la névrose obsessionnelle. Sur le borroméen, elle se situe à la place du Symbolique, l’esprit, tandis que l’hystérique se situe dans l’imaginaire, le corps. Pourquoi Freud n’a-t-il pas rendu compte qu’il n’y avait pas de rapport sexuel ? s’interroge Lacan. “Pourquoi Freud a qualifié de l’Un l’Eros, en se livrant au mythe du corps ?” (p.38). C’est une position hystérique. Or le corps, “nous avons beau l’étreindre, ce n’est rien de plus que le signe du plus extrême embarras... Mis à part de le mettre en morceaux, on ne voit pas vraiment ce qu’on peut faire d’un autre corps, j’entends d’un autre corps dit humain !” poursuit-il (p.39). C’est-à-dire que sous l’apparence sensible du corps, sous l’imaginaire, il y a le réel insaisissable, le relatif, l’inconscient, le sub-atomique de la physique quantique, le pire, l’impossible qui parle. C’est du langage inconscient que nous sommes affectés. “Si nous cherchons de quoi peut être bordée cette jouissance de l’autre corps (cette jouissance du vide) en tant que celle-là sûrement fait trou, ce que nous trouvons c’est l’angoisse” (p.39).

“Ces trois termes, inhibition, symptôme, angoisse, sont entre eux aussi hétérogènes que mes termes de Réel, de Symbolique et d’Imaginaire”. D’où R, c’est le symptôme, I, l’angoisse, et S l’inhibition.

Lacan donne pour exemple clinique le petit Hans. “Si le Petit Hans se rue dans la phobie c’est évidemment pour donner corps à l’embarras qu’il a de ce phallus et pour lequel il s’invente toute une série d’équivalents diversement piaffants sous la forme de phobie dite de chevaux ; le Petit Hans, dans son angoisse, principe de la phobie, c’est qu’à lui rendre cette angoisse si l’on peut dire, pure, on arrive à le faire s’accommoder de ce phallus dont, il faut qu’il s’en accommode à savoir qu’il soit marié avec le phallus. Ça c’est ce à quoi l’homme ne peut rien. La femme, qui n’ek-siste pas, peut rêver en avoir un, mais l’homme, il en est affligé. Il n’a pas d’autre femme que ça”.

“C’est ce que Freud a dit ...la pulsion phallique, c’est pas la pulsion génitale, chez l’homme, elle n’est pas naturelle du tout, mais, s’il n’y avait pas ce diable de symbolique à le pousser au derrière pour qu’en fin de compte il éjacule et que ça serve à quelque chose... il y aurait longtemps qu’il n’y aurait plus de ces parlêtres, de ces êtres qui ne parlent pas seulement à être, mais qui sont parlêtres. Ce qui est vraiment le comble de la futilité”.( p.40). Parlêtre devait, selon Lacan, devoir remplacer le terme d’inconscient.

Con, méprisable et infâme

En conclusion de je voudrais vous parler du “con méprisable”. Il paraîtrait que dans l’entourage de l’amendement Accoyer on dit que les psychanalystes sont “cons et méprisables”. Rajoutons, pour aller dans leur sens, qu’ils oublient un troisième terme, celui d’infâme. Car, en plus, les psychanalystes n’honorent pas le savoir comme il faudrait, ils en parlent comme d’un “supposé savoir”. Donc, si cela vous arrivait d’être ainsi qualifiés de “con, de méprisable et d’infâme” ne protestez pas, gardez le borroméen dans l’esprit. Con, comme nous l’avons vu, signifie ouvert, et non fermé, bien que l’injure le laisse entendre par antiphrase, en quoi elle se trompe comme toutes les injures. Le discours de l’autre revient toujours sous une forme inversée. Con c’est le Réel. Méprisable a un autre sens qu’indigne ou honteux c’est celui de ne pas avoir de prise. Notre Imaginaire n’a pas de prise. Ni l’hystérique ni l’obsessionnel ne peuvent se saisir de l’image du psychanalyste. On le croit ici, mais il est là, on le croit là mais il est déjà par-delà, par-delà le là où l’on veut le fixer. Son dasein, son être là, il y a longtemps qu’il l’a absorbé comme un serpent qui se serait avalé lui-même pour un autre devenir. L’analyste pour autant ne méprise personne, il comprend, même quand il désapprouve. Il ressemble à ce personnage du film japonais “Zatoichi”, le masseur aveugle, qu’aucun maître de sabre ne peut abattre. Le lyrisme des images poétiques et des métamorphoses de sens ne sont psychanalytiquement importantes que lorsqu’elles atteignent dans leur action à la même exactitude que les mathématiques dans leur domaine ou encore à la même exactitude que les coups de sabre de Zaitochi, le masseur aveugle.

C’est Saint Paul dont la croyance ne supportait pas “l’origine du monde” qui a voilé la femme. Dans l’épître aux Corinthiens il soutient ceci : “L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu, mais la femme n’est que la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et l’homme n’a pas été créé par la femme, mais la femme par l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance”. Les Eglises, le Symbolique, ont considéré la femme comme une créature inférieure par nature et par droit divin.

Certainement le mot “con” comme injure passe par cette voie. Il en va aujourd’hui avec Accoyer du même clivage. Accoyer va-t-il voiler les psychanalystes du voile de l’infamie ? Reste que sous le dernier voile il n’y a jamais qu’un trou et que nul ne peut se saisir d’un trou. Ça c’est le tour que savent faire les psychanalystes. Il n’y a pas d’oignons sous le voile. Parce que l’analyste idéal n’a pas “d’oignon dans la tête”. “Oignon dans la tête, en catalan, nous explique Dali, correspond exactement à la notion psychanalytique de “complexe”. Si l’on a un oignon dans la tête, celle-ci peut fleurir d’un moment à l’autre : Narcisse”. Si l’oignon de narcisse est un poison dangereux, la fleur de Narcisse, elle est un médicament. Les derniers mots de Lacan sur son lit de mort furent : “je suis obstiné, je disparais”. Voilà. Il fleurissait déjà ailleurs.

Voir en ligne : J. LACAN : Séminaire RSI. Séance du 17 décembre 1974 (gaogoa.free.fr)

P.-S.

 Logo : Femme voilée par Odilon Redon (1840-1916).

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