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Anatomie de l’enfer et maladie de la mort

À propos d’un film de Catherine Breillat et d’un roman de Marguerite Duras

Date de mise en ligne : samedi 29 avril 2006

Auteur : Stéphanie FRANCOZ

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Je vais vous parler ce soir [1] d’Anatomie de l’enfer, film de Catherine Breillat sorti en salles en 2004 et réalisé d’après son texte Pornocratie, lui-même inspiré de La maladie de la mort, de Marguerite Duras (Catherine Breillat n’ayant pas réussi à obtenir les droits sur le texte de Marguerite Duras qu’elle voulait adapter, elle a rédigé Pornocratie). Tout cela, je l’ai découvert très récemment en travaillant sur ce texte car ce qui m’intéressait, c’était d’écrire quelque chose sur ce film que j’ai vu lors de sa sortie, et qui m’a beaucoup marquée, je ne savais pas que le nom de Marguerite Duras apparaîtrait une fois de plus... Drôle de coïncidence !

Anatomie de l’enfer a beaucoup fait parler de lui, parce que c’est un film de Catherine Breillat, toujours très controversée ; parce qu’on y montre de façon assez crue des sexes ; parce que tout cela est stylisé à l’extrême ; aussi parce qu’on y voit Rocco Sifredi... en tout cas, le film a subit de violentes critiques à sa sortie.

Et il est facile de comprendre pourquoi ; car au-delà du sujet du film, il est vrai que le style de Catherine Breillat est dérangeant, oscillant en permanence entre le génial et le grotesque.

L’histoire, je vais vous la résumer ainsi :

Une belle jeune femme (le rôle est tenu par Amira Casar) déambule dans une boîte gay. Elle est visiblement très triste, peut-être même désespérée, elle regarde tous ces hommes : elle est la seule femme. Elle frôle un homme (Rocco Sifredi) en se rendant aux toilettes ; un homosexuel donc. Celui-ci la regarde et devine à travers ce regard et ce geste qu’il se passe quelque chose puisqu’il la suit et la sauve de la mort (elle a commencé à se tailler les veines lorsqu’il arrive). Il l’emmène à la pharmacie pour arrêter l’hémorragie et lui demande pourquoi elle a fait ça :
 « Parce que je suis une femme », dit-elle.

Elle a voulu mourir parce qu’« Elle a - elle est un sexe de femme. C’est pire que la fracture des océans quand les continents se sont séparés. Cette béance, c’est l’abîme.
Elle-même pense que ça prend tout l’espace de son jeune corps fluide et elle ne peut plus bouger, tétanisée d’être ce gouffre vivant. »

Et puis on apprend qu’elle est venue dans cette boîte gay avec son fiancé, qui lui-même est venu ici pour s’amuser ; qui ne la regarde plus. L’absence de ce regard, du regard de cet être désiré, ça l’annihile. Le petit a cause du désir de son homme, elle en est dépouillée, il ne lui reste plus rien.

Là voilà donc avec cet homme, Rocco Sifredi, qui l’a emmenée à la pharmacie. Elle lui propose un marché : il devra lui rendre visite plusieurs nuits de suite pour la regarder « par où elle n’est pas regardable ». Ça coûtera beaucoup d’argent, lui dit-il : « Ce sera chair ». Mais le marché est conclu, il accepte et durant plusieurs nuits, il la rejoint chez elle, dans une grande maison vide près de l’océan (près de la mer).

Pendant la première nuit, l’homme regarde effectivement le sexe de la femme, avec un dégoût assez prononcé. Puis il se passe quelque chose : il touche la femme, fait l’amour avec elle, et finit par la tuer à la fin du film. Voilà pour le résumé de l’histoire.

Dans le texte de Marguerite Duras, La Maladie de la mort, c’est un peu différent : un homme est à l’origine du marché ; il paie une femme pour avoir la possibilité de la regarder. Cet homme n’a pas connu les femmes, lui non plus. Il a connu d’autres hommes, « d’autres corps de morts », écrit Marguerite Duras.

Pourquoi tant de haine ?

La première chose qui frappe dans ce film et dans les textes, c’est pourquoi tant de haine ?

Anatomie de l’Enfer, Pornocratie et La maladie de la mort, sont emprunts d’un vrai dégoût du sexe féminin. Celui-ci est décrits avec maints qualificatifs : suppurant, nauséabond, putride... bref, c’est une vraie plaie ! La femme aussi en prend pour son grade : abjecte, corruptrice, etc. Elle inspire la pitié, le dégoût, la haine, comme l’exprime l’homme : « la fragilité des chairs impose le dégoût ou la brutalité », dit-il dans Pornocratie. Dans La Maladie de la mort, c’est du même ordre : « Le corps est sans défense aucune. Il appelle l’étranglement, le viol, les mauvais traitements, les insultes, les cris de haine, le déchaînement des passions entières, mortelles. »

C’est d’ailleurs assez curieux, cette justification de la haine et de la violence par les soi-disant faiblesse et fragilité. On ne dirait pas la même chose, me semble-t-il, d’un enfant, pour qui le qualificatif de « corps sans défense aucune » me semble plus approprié !

Bref, derrière toute cette haine, c’est en réalité la peur qui est perceptible. La peur de la femme, de son sexe ; ce n’est pas nouveau, ça date même de la première des femmes, qui est citée dans Pornocratie. Catherine Breillat écrit ainsi « ce noir triangle n’est-il pas le triangle méphitique de Lilith ? ».

Lilith

Lilith, c’était la première femme d’Adam, celle qui a précédé Ève. On la retrouve surtout dans le mysticisme juif. Son nom proviendrait de Layil, la nuit, ou de lilitu, qui signifie « démon femelle », ou « esprit du vent ». Si Ève est née de la côte d’Adam (ou à côté d’Adam), Lilith, elle, était née de la terre, tout comme Adam. Lilith et Adam étaient donc égaux, alors qu’Ève, nous est présentée comme un petit bout d’Adam.

La discorde entre Adam et Lilith proviendrait du fait que chacun voulait faire l’amour au dessus de l’autre. « Pourquoi devrais-je être sous toi », dit-elle, « j’ai été créée de la poussière et suis donc ton égale ». Adam essaya de la soumettre par la violence et elle s’échappa en prononçant le nom de Dieu. Alerté par Adam, Dieu envoya trois anges pour ramener Lilith, ce qu’elle refusa de faire. Pour la punir, elle eut selon certains textes les bras coupés et remplacés par des ailes et dut accepter le marché suivant : chaque jour, 100 de ses enfants périront. Depuis ce jour, Lilith a le pouvoir de causer la maladie et la mort aux enfants qui ne seraient pas sous la protection des trois anges. Elle a ce pouvoir sur les garçons pendant 8 jours et sur les filles pendant 20 jours. Lilith est devenue, en fuyant Adam, une femme qui fait peur. La mythologie parle d’une succube (démon qui prend la forme d’une femme pour s’accoupler aux hommes durant leur sommeil - il y a d’ailleurs une légende qui dit que la semence perdue pendant le sommeil irait féconder Lilith), elle est réputée séduire les hommes et porter malheur. Les femmes doivent à tout prix la tenir éloignée, surtout si elles sont enceintes ou ont des enfants.

Aujourd’hui, le nom de Lilith a été repris comme symbole par des mouvements féministes (entre autres) car elle incarne une femme libre, à la sexualité sans entrave.

On remarquera que d’une femme qui se voulait simplement l’égale de l’homme et qui voulait être libre, la mythologie en a fait un démon, une succube. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le mot succube vient du latin classique suc, « sous », et cubare, « coucher », donc « qui couche sous »... finalement, on aura donc réussi à faire en sorte que d’une certaine manière, elle se couche sous l’homme !

Par la suite, Adam se lamentant auprès de Dieu, celui-ci aurait accepté de lui donner Ève. Et avec une Ève un peu plus soumise, ça marche (un peu) mieux.

L’homme serait donc pris d’angoisse devant une femme qui serait son égale, et cette angoisse disparaîtrait si l’on considère que la femme n’est qu’un petit bout de l’homme, détaché de lui pour l’aider et le servir. Cette triste condition de la femme ne date donc pas d’hier !

En fin de compte, si la femme est l’égale de l’homme, alors à quoi lui sert-il d’avoir le phallus ? Ce ne serait donc qu’un polichinelle, un fantoche ? Que deviendrait ce phallus face à une femme qui revendiquerait le même pouvoir que celui qu’il confère à l’homme ?

La peur de ce qu’on ne connaît pas, de l’indicible

La peur de la femme, c’est aussi parce qu’elle possède un savoir supplémentaire, indicible, qu’elle ne peut pas partager avec l’homme. De la femme et de son sexe, on n’arrive jamais à voir ce qu’on voudrait, ça reste un grand mystère. Et on le sait, ce n’est pas ce qu’on voit, c’est ce qui se dérobe à nos yeux qui engendrent la peur :

« Vous voudriez tout voir d’une femme, cela autant que puisse se faire. Vous ne voyez pas que cela vous est impossible. Vous regardez la forme close. »

Et puis surtout, il y a le trou... qu’est-ce que c’est que ce trou et surtout, que peut-il bien y avoir dedans ?

J’ai cherché l’étymologie de trou, mais je ne l’ai pas trouvée. Par contre j’ai trouvé un tas de synonymes dans le Petit Larousse : cavité, creux, dépression, nid, fosse, tanière, terrier, bled, patelin, gnouf, orifice, chatière, regard, accroc, déchirure, lacune, manque, vide, oubli, déficit... Faites votre choix !

The descent et l’indécent

Cela m’a fait penser à un film d’horreur que j’ai vu il y a quelques mois et qui s’appelle The descent. Au début du film, on assiste à un accident de voiture. Dans la voiture, il y avait une famille : un couple et une petite fille. Le père et la petite fille meurent dans l’accident. La mère se retrouve seule, castrée de son enfant. Un an plus tard, elle accepte l’invitation de ses amies à faire de la spéléologie. Elle avait l’habitude avant l’accident de faire beaucoup de sports extrêmes avec ces mêmes amies et cette nouvelle expédition est une manière de reprendre une vie normale, de faire son deuil.

Ce contexte (la spéléologie) est déjà assez angoissant (noir, cavités étroites et humides, etc.). Qui plus est, elles se retrouvent coincée dans la grotte qu’elles comptaient explorer, à cause d’un éboulement... Obligées d’avancer, de s’enfoncer dans le trou sans possibilité de faire demi-tour pour en sortir.

Vous l’aurez compris, cette grotte est une vraie métaphore du sexe féminin, avec ses humeurs, ses liquides, ses recoins... et même son indicible. Il se trouve en effet dans cette grotte quelque chose d’inconnu, de très violent... de dévorant.

On apprend au cours du film que la grotte n’était pas répertoriée dans des cartes, c’était une grotte qui n’avait donc jamais été explorée auparavant. La jeune femme qui organisait l’expédition désirait justement avoir le privilège de découvrir quelque chose de jamais vu, jamais écrit, jamais dit. L’indicible, elles vont l’approcher, elles vont l’éprouver, mais elles ne pourront pas en témoigner.

Inutile de vous dire qu’elles n’en ressortiront pas de la grotte, elles retourneront à l’état de matière organique ou deviendront folles... de quoi faire des cauchemars !

Cette angoisse du trou renvoie immanquablement à la mère. C’est vrai qu’après tout, on en vient tous de ce trou. Donc la peur du trou, c’est d’abord la peur de la mère, de la matrice.

On pourrait penser que la peur vis-à-vis de la femme-mère ou du sexe-trou-matrice, c’est la peur de l’homme face à celle qui finalement, n’est pas son égale puisqu’elle a le privilège de pouvoir engendrer.

Mais on ne peut pas s’arrêter à cette explication car il faut bien constater que la femme aussi ressent cette peur. Ce serait donc peut-être la peur de se faire dévorer par la mère, de retourner dans la matrice.

D’ailleurs, cette peur, on la retrouve à la fois dans Pornocratie et dans La Maladie de la mort :

« Toutes les vies, volées possiblement, aspirées par cette goule matrice suceuse de l’Eternité quand le pénis mâle se croyait une dague s’enfonçant dans les flancs ennemis pour vaincre par la sentence de mort, mais voilà que la monstrueuse blessure se referme d’elle-même, preuve de sa sorcellerie existentielle. Et pire, elle se referme autour de lui comme un joug, miraculeusement cicatrisé, affreusement cicatricielle comme la haine infinie et constante qui unit l’homme et la femme dans le coït »... pour Anatomie de l’enfer.

Chez Marguerite Duras, ça donne : « (...) Sa propre violence, qui est en fait l’inextinguible attachement du petit garçon devenu homme devant le corps matriciel de sa mère ».

Dans La Maladie de la mort, la mère est omniprésente. Elle est symbolisée par la mer qu’on ne peut pas oublier car elle est toujours là, avec ses bruits. C’est une mer noire, qui menace d’engloutir les personnages. L’homme parle à un moment de jeter de corps de la femme dans la mer, pour se débarrasser de l’odeur de cédrat et d’héliotrope qu’elle dégage.

La peur du retour à la matrice, c’est difficile à expliquer de premier abord, parce que c’est justement là, dans le corps de la mère, qu’on est censés avoir été bien. Bien au chaud, protégés, nourris... Nous étions un petit bout de la mère. C’est la séparation qui est censée avoir été douloureuse, donc en toute logique, nous devrions au contraire considérer le ventre de la mère comme un refuge, le summum du confort en quelque sorte !

Est-ce que c’est justement parce que cette pulsion est pulsion de mort, parce que retourner au ventre de la mère, c’est l’anéantissement ?

Quelle est cette obscure menace qui entoure la mère ? Est-ce parce que la mère est comblée par l’avoir phallique qu’elle génère une telle angoisse ?

La peur qui engendre la violence

En tout cas, quelle que soit la cause, ou les causes de la peur, celle-ci engendre la violence : « La chair est corrompue, il faut l’ouvrir, la rompre, la faire saigner », peut-on lire dans Anatomie de l’enfer... ça ne vous rappelle rien ? Le texte de Freud sur le Tabou de la Virginité décrit pourtant bien cette violence mêlée de peur à l’égard de la fille, de la vierge :

« Et donc la femme ainsi s’offre non pas à l’ouverture de son sexe par celui de l’homme, mais à l’éventration comme suite normale de la béance géante de ce sexe là tout entier qu’elle est bel et bien, bacchanale infernale, devenue. Ainsi lascivement arboré comme un signe de piste, son destin marécageux et diabolique appelle l’éviscération comme la mise à nu du problème féminin »... Comme cette violence était le seul moyen d’en savoir un peu plus sur la femme ; ou justement, de ne rien vouloir en savoir.

Pourquoi une fille demande-t-elle à un homme de la regarder « par à où elle n’est pas regardable » / pourquoi un homme demande-t-il à une femme de la regarder ?

Revenons-en au film et aux textes : au delà de ce constat sur la peur du sexe féminin et la violence qu’elle engendre, je me suis demandée quelle était la signification des textes de Catherine Breillat et de Marguerite Duras. Pourquoi ces marchés conclus dans l’un et l’autre des romans ? Que signifient-ils ? Que nous apprennent-ils ?

Dans Anatomie de l’enfer, la fille souhaite comprendre quelque chose, elle dit qu’elle espère « savoir ». Elle a besoin d’un miroir pour comprendre qui elle est et elle veut que quelqu’un lui dise la Vérité. Elle voudrait donc que quelqu’un lui révèle le secret de la féminité.

En bonne hystérique, elle attend la production d’un savoir, elle cherche à être. D’ailleurs, elle parle d’elle à la troisième personne. Elle dit : « pourtant, elle est jolie celle qui est moi ». En parlant de cette manière, elle signifie qu’elle n’est donc pas. Elle voudrait que l’Autre, cet homme, la désire, mais surtout qu’il dise l’objet de son désir. Elle attend un savoir de l’objet, que l’Autre puisse dire l’objet précieux, l’agalma de la femme.

Mais en plus de cette demande sur le savoir, on a l’impression que la fille veut montrer quelque chose à l’homme. J’ai repensé à l’intervention de Line sur la femme et son pouvoir visionnaire, la femme qui montre à l’homme le chemin.

À la fin du film, il se passe quelque chose entre les deux protagonistes. Je vais vous lire quelques extraits. C’est la fille qui s’exprime :

« N’as-tu pas compris que cela n’était rien, qu’il fallait se libérer de l’arrogance du membre érigé, même si l’on en aime la première et éblouissante nécessité ; et que l’acte qui te donne si grande importance et considération de toi-même n’est rien que le fracas des chairs incorruptibles. Et que la signification de l’acte échappe justement à cela, à cette virilité finalement pusillanime qui ne sert qu’à l’émoussement du désir.

Car la jouissance (en tout cas celle des filles) est immanente.

Elle est le sujet du sujet.

Homme, quelle que soit ta virile pugnacité, tu ne peux parvenir à être que l’objet du sujet.

Oublie et abandonne toi. Effectue le passage de la dissolution du corps, oublie ton membre, laisse le à sa minimale charge agir tout seul comme un ver dans une chrysalide, acceptes-en la perte et de te perdre avec.

[...]

Ainsi l’emmena-t-elle entre ses jambes la chevauchant et le chevauchant dans un indescriptible mélange et une jouissance où il n’était jamais parvenu.

Une jouissance pure et simple.
 ?Où il ne s’agissait plus de mourir, mais de vivre, d’un moment respirer le souffle court de l’immatérialité infinie.
 ?C’était donc une jouissance de femme, et la semence sans doute avait jailli mais le membre n’avait pas faibli pour autant car là n’était plus l’accomplissement.

La pornographie leur apparut alors comme le Verbe (l’écriture) de la femme révélée. »

L’homme aurait ainsi connu la jouissance féminine, il aurait découvert le S(A), la jouissance Autre, détachée de la jouissance phallique. Cet homme qui n’avait pas de désir pour la femme va changer de position.

Avec ses mots, Catherine Breillat dit quelque chose de la jouissance Autre, de cette jouissance immanente qui reste donc du côté de la femme, elle va même jusqu’à la nommer, elle l’appelle pornocratie. Pornocratie, qui vient du mot « porné », signifiant « femme » en grec (ou plus précisément courtisane, c’est-à-dire femme qui acquiert son pouvoir par la séduction), et sur le sens que les Grecs donnèrent à la « pornocratie » : le pouvoir des femmes en politique.

C’est la jouissance de la lettre, qui s’approche ici du mysticisme. En se décollant du phallus, c’est vers Dieu que l’on tend. Catherine Breillat parle du sexe de la femme qui est vu comme un hiéroglyphe qui signifie Éternité.

Le drame, c’est que la jouissance ne dure qu’un instant et qu’en se comportant de la sorte, en faisant découvrir à l’homme la jouissance féminine, la fille ne fait en réalité que provoquer sa propre perte.

Car elle n’a pas décidé de conclure son marché avec n’importe qui, elle a choisi un homme homosexuel, qui est présenté comme un homosexuel actif, n’ayant jamais eu de rapport avec une femme. On peut supposer que cette homosexualité est de structure perverse.

Le pervers a une volonté de jouissance sans en passer par le désir (car le désir suppose que la jouissance soit refusée). Le désir suppose de passer par les signifiants du désir de l’Autre. Mais ce n’est pas la jouissance du pervers qui est en jeu, c’est la jouissance de l’Autre.

La castration est le sacrifice consenti par le sujet d’un manque dans l’Autre, ce que dément le pervers. Celui-ci prétend croire à un Autre complet, non castré, pouvant jouir d’une jouissance sans limite, hors symbolique. La visée du pervers serait d’assurer la jouissance de l’Autre en s’affranchissant de la jouissance phallique, constituée par le manque.

Or, ce qui se passe dans Anatomie de l’Enfer, c’est que l’homme, pour atteindre la jouissance Autre, la jouissance féminine, doit en passer par la castration. Il est ainsi forcé de voir un instant ce qu’il a toujours dénié. Il se rend soudain compte qu’il n’est pas objet de la jouissance de l’Autre à la manière dont il l’a toujours soutenu.

Cette rencontre avec le réel, ce réel accepté un instant, est source d’une angoisse telle que l’issue est celle du passage à l’acte, du meurtre de la fille. Le crime est passage à l’acte pour fuir l’angoisse de castration imaginaire qui n’est plus endiguée par le symptôme.

C’est lorsque l’homme prend l’argent que lui donne la fille que le destin de celle-ci est scellé. Il va la précipiter dans la mer.

La maladie de la mort

Marguerite Duras écrit que l’homme a passé cet accord pour essayer d’aimer :

« Vous dites que vous voulez essayer, tenter la chose, tenter de connaître ça, vous habituer à ça, à ce corps, à ces seins, à ce parfum, à la beauté, à ce danger de mise au monde d’enfants que représente ce corps, à cette forme imberbe sans accidents musculaires ni de force, à ce visage, à cette peau nue, à cette coïncidence entre cette peau et la vie qu’elle recouvre.

Vous lui dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être.
 ?Peut-être plusieurs semaines.

Peut-être même pendant votre vie.
 ?Elle demande : Essayer quoi ?

Vous dites : D’aimer. »

L’homme est porteur de la mort, mais seule la femme le sait. :

« Vous lui demandez comment elle sait. Elle dit qu’elle sait. Elle dit qu’on le sait sans savoir comment on le sait.
 ?Vous lui demandez : En quoi la maladie de la mort est-elle mortelle ? Elle répond : En ceci que celui qui en est atteint est porteur d’elle, de la mort. Et en ceci aussi qu’il serait mort sans vie au préalable à laquelle mourir, sans connaissance aucune de mourir à aucune vie. »

Là encore, c’est la femme qui sait, qui a le pouvoir voyant. Alors, cet homme, il est malade de quoi ? Du manque de désir ? De l’incapacité à aimer ? « Elle demande : Vous pleurez pourquoi ? Vous dites que c’est à elle de dire pourquoi vous pleurez, que c’est elle qui devrait le savoir. Elle répond tout bas, dans la douceur : Parce que vous n’aimez pas. Vous répondez que c’est ça. »... et plus loin : « Vous croyez pleurer de ne pas aimer, vous pleurez de ne pas imposer la mort. »... et encore plus loin : « Elle dit : Je ne voudrais rien savoir de la façon dont vous, vous savez, avec cette certitude issue de la mort, cette monotonie irrémédiable, égale à elle-même chaque jour de votre vie, chaque nuit, avec cette fonction mortelle du manque d’aimer. »

Absence de castration, incapacité à accepter le manque, le trou... donc pas de désir. C’est là la signification de la maladie de la mort, de l’impossible à aimer. Au jeu de la mourre tu te perds, a dit Lacan dans son hommage à Marguerite Duras (« Lol V. Stein : ailes de papier, V ciseaux, Stein, la pierre, au jeu de la mourre tu te perds »).

Ici, même si l’issue est moins dramatique que dans Anatomie, la tentative de l’homme se solde par un échec et c’est beaucoup plus pessimiste. Le sexe de la femme, c’est un trou. La femme, il ne la voit pas (« Jusqu’à cette nuit là vous n’aviez pas compris comment on pouvait ignorer ce que voient les yeux, ce que touchent les mains, ce que touche le corps. Vous découvrez cette ignorance. Vous dites : Je ne vois rien. »)

Le désir de la femme, il ne le sait pas. Il dit qu’il ne sait jamais si elle est consentante ou pas. De rapport sexuel entre lui et la femme, il n’y a pas. Même s’il y a des relations, celles-ci sont toujours discordantes. On peut lire : « il le fait... il l’a fait »... parce qu’il fallait le faire, mais sans désir. Il la fait jouir « par distraction ».

Il faut dire que la femme, à la différence de celle d’Anatomie de l’enfer, n’a pas le désir de montrer quoi que ce soit. Elle se contente de signifier à l’homme son manque. C’est elle la fautive de cet échec, mais de cette manière, elle se protège.

Le texte se termine ainsi :

« Quand vous avez pleuré, c’était sur vous seul et non sur l’admirable impossibilité de la rejoindre à travers la différence qui vous sépare. De toute l’histoire, vous ne retenez que certains mots qu’elle a dits dans son sommeil, ces mots qui disaient ce dont vous êtes atteint : Maladie de la mort. Très vite, vous abandonnez, vous ne la recherchez plus, ni dans la ville, ni dans la nuit, ni dans le jour. Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il ne soit advenu ».

P.-S.

Références bibliographiques :
 Catherine Breillat, Pornocratie, Denoël, Paris, 2004.
 Marguerite Duras, La Maladie de la mort, Editions de Minuit, Paris, 1983.
 Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité » [1918], La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, pp. 66-80.

Notes

[1Texte de l’intervention au Cartel sur la « Jouissance féminine et mystique » (mars 2006).

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