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L. Marchand et H.-A. Fuller

Fétichisme du pied chaussé

Communication à la Société médico-psychologique (1931)

Date de mise en ligne : samedi 12 mai 2007

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L. Marchand et H.-A. Fuller, « Fétichisme du pied chaussé », Communication à la Société médico-psychologique (Séance du lundi 23 novembre 1931), Annales médico-psychologiques, XIIIe série, 89e année, t. II, Éd. Masson et Cie, Paris, 1931, pp. 447-452.

Société médico-psychologique.
Séance du lundi 23 novembre 1931.
Présidence : M. H. Claude, président.
Communications.

Fétichisme du pied chaussé. Hérédo-Syphilis.
par MM. L. MARCHAND et H.-A. FULLER.

Outre son intérêt clinique, ce cas entraîne quelques réflexions à propos du terrain hérédo-syphilitique sur lequel il s’est développé. C’est à ce double titre que nous le présentons à la Société.

A. M., homme intelligent et cultivé, exerçant une profession libérale, âgé de 31 ans, entre à l’Asile Ste-Anne le 3 septembre 1931 pour un léger épisode confusionnel dont le début a coïncidé avec un surmenage intellectuel intense et dont la guérison survint rapidement.

Ce sujet est atteint de fétichisme du pied chaussé ; les premières manifestations sont apparues à l’âge de 7 ans. C’est à cet âge qu’il commença à éprouver du plaisir à se faire piétiner par ses camarades, garçonnets ou fillettes, de même âge, de préférence par ceux ou celles qui avaient de jolies chaussures ou des chaussures qui pour une raison quelconque lui plaisaient. À la rigueur il se contentait de chaussons. Le simple contact du pied chaussé lui faisait plaisir et pour y arriver il inventait ou préconisait des jeux au cours desquels il y avait contact du pied ou même coups de pied.

Vers l’âge de 14 ans, au moment où il était ainsi piétiné par une jeune fille, il éprouva pour la première fois l’orgasme voluptueux avec éjaculation. Il put ensuite ressentir parfois les mêmes effets par simple imagination sans contact réel. Il recherchait les foules où il se trouvait dans de bonnes conditions pour satisfaire sa déviation sexuelle. Il lui suffisait de mettre son pied, sa main ou son bras sous le pied d’une voisine sans qu’elle s’en aperçoive pour obtenir l’orgasme vénérien au bout d’un contact plus ou moins long. Il éprouvait consécutivement un sentiment de grand bien-être, d’euphorie.

L’âge de la femme n’avait pas une très grande importance, mais le genre de chaussure jouait toujours un grand rôle ; cependant ses préférences allaient nettement vers les filles ou jeunes femmes jolies et élégantes. Dans certains cas il se contentait de garçonnets, à condition que leurs chaussures ressemblassent celles des fillettes. Il lui est arrivé d’obtenir satisfaction avec un pied chaussé d’homme qu’il avait pris par erreur pour celui d’une femme et de ne s’apercevoir qu’après de sa méprise. À noter que ses frères, à partir de l’âge de sa puberté, furent éliminés du nombre des personnes propres à satisfaire ses désirs. Sa famille a toujours ignoré sa perversion sexuelle.

Comme le héros de l’histoire de Restif de la Bretonne « Le joli pied » [1], il a parfois eu le désir de collectionner des chaussures de femme, mais il a été retenu par la crainte d’être découvert. II se contentait de regarder, de manipuler furtivement et quelquefois de lécher les chaussures qui lui plaisaient ; mais il avait soin de les remettre à leur place.

A. M. éprouve du plaisir à regarder les catalogues ou réclames sur lesquels figurent des dessins de chaussures de femmes. Il en a souvent dessiné. Ce genre d’exercice, comme celui de manipuler et de lécher les chaussures, lui sert plutôt d’excitant.

À noter que le malade n’a aucun souvenir d’un événement quelconque qui aurait déclenché son fétichisme comme dans la classique observation de Krafft-Ebing. Ses rêves érotiques ont toujours pris la forme de ses préférences de veille et il y est toujours question de pied de femme chaussé ; il en a assez souvent, qui vont jusqu’à l’orgasme. Les femmes ou leur corps ne l’intéressent nullement.

Vers l’âge de 20 ans, se trouvant en contact avec plusieurs jeunes filles, il éprouva un penchant particulier pour l’une d’elles. Il pensa à se marier et fit en vain des efforts pour refouler ses désirs de piétinement. Il s’ensuivit une crise d’asthénie qui dura plusieurs mois. N’éprouvant aucun désir sexuel en dehors du piétinement, il pensait pouvoir contracter un mariage « blanc », répondant à un idéal qu’il s’était formé.

À 22 ans, il est fiancé. Pendant toute la durée des fiançailles, il ne peut s’empêcher de regarder furtivement les chaussures de la jeune fille. Marié, il fait un voyage de noces dont il a conservé des souvenirs assez pénibles. Il ne chercha point à consommer le mariage, mais il éprouvait un certain plaisir à toucher le corps de sa femme, à la soulever dans ses bras, à l’asseoir sur ses genoux, s’arrangeant dans ce dernier cas pour que leurs pieds viennent en contact sans qu’elle s’en aperçoive. Sa femme de son côté déployait toute l’instinctive coquetterie de son sexe et cherchait constamment un rapprochement normal. Quand elle y mettait trop d’insistance, il lui manifestait son mécontentement. Aux yeux du monde ils avaient cependant l’apparence d’un couple uni.

Au bout d’un certain temps, le désir de piétinement que le malade avait refoulé, réapparut avec une force irrésistible et il finit par demander à sa femme de le piétiner. Après une faible résistance, elle y consentit ; mais de peur de lui faire du mal elle exigea qu’il se recouvrît d’épaisses couvertures. Il ressentit la même satisfaction que celle qu’il éprouvait avant son mariage et l’acte fut suivi d’orgasme vénérien avec éjaculation. Une fois commencées, ces séances de piétinent continuèrent en moyenne une fois par semaine, d’abord à pieds nus, puis chaussés. À noter que le piétinement à pieds nus suffisait pour obtenir la satisfaction de son désir, mais il préférait les pieds chaussés. II en est arrivé à faire piétiner son corps tout nu et il exigeait que sa femme fût chaussée. Ii n’éprouvait aucune douleur du fait du piétinement, mais seulement une sensation voluptueuse jusqu’au moment de l’orgasme ; alors seulement il ressentait la douleur causée par les chaussures et il faisait cesser le piétinement. Il parait que sa femme finit par prendre elle-même un certain plaisir à pratiquer ce piétinement. De son côté elle ne tarda pas à lui demander des caresses plus normales : attouchement des seins, baisers sur la bouche, que le mari lui accordait par réciprocité sans y prendre plaisir lui-même. Cependant, se rendant parfaitement compte de l’anomalie de leur situation, il essaya à plusieurs reprises de pratiquer un coït normal. Il aimait sa femme sincèrement, intellectuellement, et il avait remarqué qu’elle était prise de temps à autre de crises de tremblement que sans doute il rattachait vaguement à son manque de satisfaction sexuelle. Ses tentatives de coït restèrent infructueuses pendant longtemps.

Sa femme présenta alors des troubles nerveux caractérisés par des fugues, des accès de mutisme, des crises de tremblement, par un état sur lequel on peut mettre le terme de pithiatisme ou d’hystérie. Alarmé, A. M. se décida à aller consulter un médecin, qui après examen des époux déclara que la difficulté provenait d’une disproportion dans leurs organes génitaux respectifs et conseilla au mari de persister dans ses essais en employant un lubréfiant. Le mari continua ses essais et après de nombreuses tentatives il parvînt une fois par hasard à un rapport normal. Cela transforma la vie des époux. La femme devint normale ; la déviation sexuelle du mari disparut pendant un certain temps. Une grossesse survint et entraîna, sur la demande même de la femme, la cessation des rapports conjugaux. La déviation sexuelle du mari reparut, mais il eut la volonté de la refouler. Sa femme accoucha d’un enfant mort-né et elle succomba de septicémie le lendemain de l’accouchement. Le mari eut beaucoup de chagrin et fut atteint lui-même d’angine diphtérique.

Dès son rétablissement, son fétichisme reparut. Depuis, il a recours aux prostituées. Il les prend de préférence dans la rue parce que cela lui permet de choisir des chaussures à son goût. Il trouve ainsi une satisfaction facile et n’a plus besoin de rechercher dans les foules le contact des chaussures. Le genre de souliers, le fait que lui-même soit habillé ou non, le poids de la personne, sont des éléments variables d’un jour ou d’une semaine à l’autre. La perversion sexuelle s’estompe quand il se livre à un travail qui l’intéresse particulièrement.

Antécédents personnels : pas de maladies graves durant la première enfance. Pas de convulsions infantiles. À 7 ans, rougeole suivie d’otite, puis de mastoïdite qui nécessita une intervention. Développement intellectuel normal. Études brillantes terminées par l’obtention du diplôme d’ingénieur des Arts et Métiers.

C’est à la suite d’un surmenage intellectuel intense que ce sujet vient d’être atteint d’une bouffée délirante qui a nécessité son internement avec un certificat d’entrée ainsi conçu : « État d’excitation psycho-motrice. Fuite des idées. Incohérence des propos. Affirmations ambitieuses. Il a fait une grande découverte, demande l’application de sa théorie qui permet d’obtenir chaque jour tout l’argent dont on a besoin. Avec son système ce sera le triomphe de l’individualisme puisque l’homme est né bon. Maniérisme. Parle les yeux. fermés, prend une petite voix de femme. Turbulence. Violences possibles. Crache tout autour de son lit. Début récent et subit des troubles. Hérédité vésanique. Possibilité d’hérédo-spécificité. »

L’examen du sang a donné des réactions de Wassermann, de Kahn et de Meinicke négatives.

Ponction lombaire : tension 55 ; albumine 0,28 ; Pandy et Weichbrodt O ; leucocytes 0,6 ; benjoin 00000 02222 00000 ; B.-W. et Meinicke négatifs.

Cette bouffée confusionnelle disparut en quelques jours et le malade a quitté Ste-Anne le 4 octobre dernier.

Antécédents héréditaires : père syphilitique, mort d’une aortite spécifique à 52 ans. Mère âgée de 57 ans, bien portante. Elle a fait trois fausses couches.

Notre malade a deux frères plus jeunes que lui. L’un est âgé de 26 ans. Il a été atteint de convulsions infantiles et a eu une enfance maladive. À partir de l’âge de 16 ans, il a manifesté des ambitions intellectuelles et artistiques non en rapport avec ses capacités intellectuelles. Otite suppurée à 19 ans. À 20 ans, il a présenté des troubles mentaux qui ont nécessité son internement à la 3° section des aliénés difficiles de Villejuif. II avait volé une somme de mille francs à sa mère ; pour la restituer il eut recours à une tentative de meurtre : étant en chemin de fer, il a tiré un coup de revolver sur un voyageur inconnu dans le but de le dévaliser pour rendre la somme soustraite à sa mère. Les divers certificats notent : « Déséquilibre mental avec hyperactivité imaginative. Phase de dépression à base d’hypocondrie sexuelle avec dégoût de la vie, tendance au suicide. » Le malade est resté interné du 9 octobre 1925 au 2 mars 1928. Le certificat de sortie est ainsi conçu : « A été interné pour une phase de dépression hypocondriaque au cours de laquelle il avait commis une tentative de meurtre sur un inconnu. Disparition totale de l’état pathologique de dépression et de surmenage sexuel au cours duquel la réaction antisociale s’est produite. » Signé : Guiraud. Depuis sa mise en liberté, aucune récidive des troubles mentaux. Actuellement ce jeune homme gagne normalement sa vie.

Le deuxième frère est âgé de 23 ans. Rien à noter dans ses antécédents. Il est sorti cette année de l’École Polytechnique.

Du point de vue clinique, il s’agit d’un cas de fétichisme pure sans masochisme, sans sentiment d’humiliation. D’après les travaux récents de Krafft-Ebing [2], qui a particulièrement étudié cette forme de perversion sexuelle, il y aurait presque toujours chez ces malades une association de fétichisme et de masochisme avec instinct d’humiliation de soi-même plus ou moins conscient. Ii est vrai que, comme le fait remarquer cet auteur, le masochisme peut se développer après le fétichisme et il est possible que cette association se produise plus tard chez notre sujet : mais pour le moment notre cas est une forme pure de fétichisme du pied chaussé auquel s’est adjoint dune façon transitoire le fétichisme de la chaussure seule, sans collectionnisme.

Nous n’insisterons pas sur le début précoce de la perversion, sur l’état psychique du sujet qui a pleinement conscience du caractère pathologique de sa déviation sexuelle, sur ses tentatives de refoulement suivies d’asthénie, particularités qui sont signalées dans la plupart des observations. Par contre, il est un point qui, à notre connaissance, n’a pas encore été signalé par les auteurs : c’est l’absence de douleur pendant le piétinement quelque violent soit-il, et l’apparition de celle-ci immédiatement après que l’orgasme vénérien s’est produit. Il s’agit là d’une analgésie psychique signalée souvent au cours de certains états affectifs accusés.

Enfin, il est particulièrement intéressant de noter que notre sujet est un hérédo-syphilitique et on peut penser que cette hérédité n’a pas été sans jouer un rôle important dans le développement de la perversion sexuelle. Cette supposition est d’autant plus admissible que son frère, qui supporte la même tare, a été atteint aussi de déséquilibre mental avec hyperactivité imaginative. À côté des accidents nerveux hérédo-spécifiques de nature nettement organiques, ii y a lieu de tenir compte de ceux moins bien connus qui se présentent sous la forme d’une simple constitution morbide comme le fait s’est produit chez ces deux frères,

M. Achille DELMAS. — De tels pervers dans leur passé sont timides, doux, émotifs. Ils sont à tort comparés à des filles, parce qu’ils fuient les jeux violents. Ce sont des pervers acquis, car ce n’est que vers 8 ou 10 ans qu’apparaît l’anomalie à l’occasion d’un événement émotionnant comme la bagarre du cas rapporté ici. Mais cette acquisition ne peut être faite que par un prédisposé c’est-à-dire par un sujet émotif et dépressif constitutionnellement. Chez ce malade, la volupté du piétinement est en faveur d’une alliance du masochisme au fétichisme.

M. DUPOUY. — Pour les psychanalystes, le soulier symbolise le vagin et le pied dans le soulier symbolise la copulation. Le fétichisme du soulier vide est plus fréquent que celui du soulier chaussé. Ce malade semble avoir les deux. Habituellement, les fétichistes pour déterminer la volupté recourent à la masturbation devant ou contre le fétiche. J’ajoute qu’à moi aussi le piétinement me parait une preuve de masochisme.

M. LAIGNEL-LAVAST1NE. — Le cas de M. Marchand concernant un hérédo-syphilitique, me permet de rappeler que j’ai rapporté à l’Académie de Médecine, un cas également d’hérédo-syphilis [3] :

Il s’agissait d’un grand adolescent de seize ans, très joli garçon et racé. Élevé dans les jupes de sa mère, veuve, par un précepteur abbé, il ne connut pas le coude-à-coude des collèges et son âme est liliale. Mais de caractère un peu inquiet, il confie l’émoi étrange qu’il ressent depuis qu’il est homme, à la vue des femmes, dont les pieds paraissent trop serrés dans leurs bottines. C’est presque la podophilie de Restif de la Bretonne, mais ici sans la moindre trace de perversité. La facilité de l’émoi génital s’explique par une vagotonie très marquée.

Inquiétude, doute et vagotonie trouvent leur explication dans l’hérédo-syphilis.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après la communication de L. Marchand et H.-A. Fuller, « Fétichisme du pied chaussé », Communication à la Société médico-psychologique (Séance du lundi 23 novembre 1931), Annales médico-psychologiques, XIIIe série, 89e année, t. II, Éd. Masson et Cie, Paris, 1931, pp. 447-452.

Notes

[1RESTIF DE LA BRETONNE. — Le Joli Pied, Paris, 1785.

[2KHAFFT-EBING. — Psycopathia Sexualis, Payot, édit., 1931, p. 260.

[3Les dysthymies sexuelles ingénues. (Ac. de médecine, Bull. de l’Académie et Informateur médical, 12 mai, p. 2).

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