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André Raffalovich

Deux masochistes

Archives d’Anthropologie criminelle (1907)

Date de mise en ligne : mercredi 18 avril 2007

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André Raffalovich, « Deux masochistes », Archives d’Anthropologie criminelle, de Criminologie et de Psychologie normale et pathologique, t. XXII, Éd. Masson et Cie, Paris, 1907, pp. 119-123.

DEUX MASOCHISTES

On s’est beaucoup occupé du masochisme (ou algolagnie passive), de ce désir de souffrir des abjections, des humiliations, des douleurs physiques, savourées en imagination avant d’être extériorisées ; on sait que ces actes étranges, répugnants, pénibles même, d’un symbolisme qui parcourt toute la gamme de l’esclavage, chez certains hommes préparent, facilitent, exaltent ou remplacent le plaisir sexuel ; mais il reste encore beaucoup à observer, analyser, classifier, déblayer. Quelles sont par exemple les limites du pseudo-masochisme, comment ne pas le confondre avec le véritable ? Quelle est la genèse du vrai masochisme ? Comment un homme peut-il s’en défendre ? Y a-t-il des masochistes imaginaires qui n’aimeraient pas du tout être brutalisés ? Y en a-t-il qui aiment l’imprévu douloureux qui ne sont pas les metteurs en scène, les dramaturges et dont les complices ne sont pas des comparses, des acteurs stylés ? L’homme mûr, grave, qui aboie, sous la table, à quatre pattes, et se fait donner des coups de pied par une prostituée et qui se livre habituellement à cet exercice, n’est pas du tout nécessairement un homme qui a commencé par déchausser sa femme, sa maîtresse ou son favori : et il peut ne pas aller plus loin et plus bas, il peut ne pas franchir le Rubicon qui le sépare du pire masochisme, il peut se contenter du vice ou de l’extravagance à deux ; malheur pour lui s’il surmonte la honte instinctive qui accompagne les actes sexuels, les émotions sexuelles, s’il cherche ou accepte ce que cherchèrent Léopold von Sacher Masoch et le négociant de Hambourg que je vais présenter aux lecteurs des Archives.

Pourquoi Sacher Masoch le romancier, était-il, devînt-il, masochiste ? Les confessions épouvantables de Wanda Sacher Masoch [1], sa première femme, ne nous le disent pas, mais elles nous font entrevoir comment cette malheureuse l’aida pas à pas à descendre vers l’abîme glissant du masochisme.

Sacher Masoch avait la spécialité des correspondances avec des personnes qu’il ne connaissait pas, et il aimait ces correspondances compromettantes pour lui et pour les autres. Une dame mûre et d’esprit dévergondé (étant juive, n’avait-elle pas joué la comédie de faire à un prêtre une confession sensationnelle ?) avait avec lui une vilaine correspondance. Sacher Masoch montra les lettres à un jeune ami en lui disant qu’elles émanaient d’une princesse russe tout à fait intéressante. L’ami reconnut l’écriture de sa mère et la força de rompre. Elle voulut ravoir ses lettres et envoya Wanda les chercher. Wanda (dont la famille avait eu des malheurs) était une pauvre ouvrière, gantière, d’une pauvreté presque héroïque, si elle n’était pas, hélas ! presque banale. Elle était instruite, romanesque, libre penseuse, encore sage. Quelque chose dans son allure, sa sévérité, son énergie, plut à l’écrivain. Il s’imagina aussi qu’elle était une grande dame mariée, déguisée. Elle ne le détrompa pas. Le roman s’engagea entre eux. Je ne m’explique pas bien comment il aboutit à un mariage, et comment Léopold Sacher Masoch n’apprit qu’après la mort du premier enfant la position sociale de Wanda.

Cette découverte ne le refroidit pas, bien que, d’après Turgeniew, pour Sacher Masoch, la femme commençait avec la baronne.

Le lendemain du mariage, Wanda dut paraître au théâtre, dans une loge, affublée d’un long manteau de soie rouge clair, garni d’hermine, un voile de dentelle blanche sur les cheveux. Ce fut la première de nombreuses toilettes baroques inventées par le mari.

À mesure que son masochisme devenait plus envahissant, il exhibait Wanda, sa Vénus en fourrures, son Amazone, dans des costumes de plus en plus impossibles. Bientôt elle dut le cravacher pour empêcher la bonne de le faire, puis, pour que ses romans ne deviennent pas la proie de son imagination monotone.

Comme il était fétichiste de la fourrure, elle devait, même en été, revêtir une pelisse avant de le maltraiter.

Si elle refusait de jouer à la despote tyrannique et voluptueuse, cruelle et libertine, il se vengeait en cessant d’écrire pendant des mois et alors, pour les enfants qu’elle adorait, c’était la misère, la faim, pour elle des soucis insupportables. Seulement, tout ce dévergondage domestique, ces interminables conversations, tous ces projets de masochisme ne suffisaient pas. Il voulut à toute force qu’elle cut un amant, beau, énergique, riche, à qui Wanda devait faire cadeau du mari. Femme et amant devaient le maltraiter ensemble. Il voulait se sentir esclave et jouir de qu’il prétendait être l’aiguillon de la jalousie. Il répondait au nom de Wanda à toutes les annonces de journaux qui lui paraissaient alléchantes, il en insérait lui-même, cherchant l’amant énergique pour compléter son bonheur avec sa femme chérie. Il envoyait Wanda à des rendez-vous, se cachait derrière des arbres, et il avait à se contenter d’admirer la belle ironie avec laquelle elle évinçait les galants. Car (par amour pour ses enfants), elle consentait à tout, excepté au dénouement. Un médecin, je crois, lui avait donné le bon conseil de ne pas prendre un amant.

Voulez-vous voir jusqu’où le masochisme écouté et subi peut asservir un ménage ? C’est incroyable : dix jours après la naissance d’un enfant, par un hiver rigoureux, Sacher Masoch oblige sa femme de voyager à la recherche d’un monsieur inconnu, beau, riche, qui désire se divertir avec une femme mariée. Wanda est forcée de mettre de grosses bottes d’écuyère, une pelisse très lourde tombant jusqu’à terre, le gros bonnet d’astrakan du mari. Il l’accompagne à la gare, lui fait toute sorte de recommandations : « Comme nous serons heureux, comme je t’aimerai après ! » Il lui donne une lourde cravache pour la rendre encore plus désirable. Wanda, malade, éplorée, ridicule, jette la cravache par la fenêtre du wagon, arrive à son rendez-vous, fait appel à la générosité du monsieur (qui d’ailleurs l’a reconnue), et revient le lendemain sans avoir obéi à son terrible mari.

Il pardonne encore une fois. À la longue, elle cède et s’abandonne à un jeune homme insignifiant, mais se reprend. et l’enfer masochiste continue.

Léopold offre sa femme à des amis riches. L’un rompt tout rapport ; l’autre enlève la femme et les enfants. Les épisodes qui suivent tiennent du roman et du plaidoyer. Paris, vers la fin du second Empire, a abrité cet invraisemblable ménage à trois, Wanda, Jacques Saint-Cère du Figaro, et Léopold Sacher Masoch. Je ne poursuivrai pas la romancière aussi loin [2].

Si l’on objecte justement que Wanda Sacher Masoch est une romancière et si l’on se refuse à ajouter foi à ce masochisme, on n’a qu’a ouvrir le dernier numéro des Archives de Hans Gross [3]. M. Ertel (de Hambourg), pour répondre à des doutes de ce genre, pour accréditer aussi les récits accueillis par Westphal, Krafft Ebing, Moll, Eulenburg, Raffalovich et beaucoup d’autres, publie le cas d’un monsieur Z… [4], de Hambourg, cas documenté dont il a vu le dossier. M. Z… n’a rien du féminisme de Sacher Masoch, c’est un homme d’affaires, à l’air énergique, sympathique, intelligent, viril, barbu, entreprenant, mais c’est un masochiste aussi épris de l’esclavage, de l’abjection que le romancier. Il donne 15.000 francs par an à une soi-disant masseuse dont les clients désirent s’exposer à une apparence de cruauté sexuelle. Dans l’appartement que M. Z… lui paie, il y a la chambre noire, la chambre des tortures ; il y a là une sorte d’échafaud ; la femme doit condamner M. Z… à mort ; avec des poulies on le suspend au plafond, on le soumet à une quasi pendaison. II veut être moins qu’un homme ; il est parfois le chien, Néron, un collier au cou, il mange dans un coin les morceaux qu’elle lui jette, elle le cravache et il mord les importuns. Il est son esclave : il fait le service ; il s’ennuie et demande qu’elle se procure un second esclave. Il se met au lit, se fait envelopper la tête comme un blessé. Le nouvel esclave arrive, voit M. Z…, s’imagine que la maîtresse cruelle l’a sérieusement endommagé, et, détail intéressant, prend la fuite.

M. Z… avait été captivé par cette femme, grâce aux sales lettres qu’elle lui écrivait et qu’il recopiait dans un cahier.

M. Ertel a eu scrupule de les reproduire dans les Archives de Gross, tant elles sont infâmes. Z… était aussi en rapport avec les plus viles prostituées de Hambourg. Elles le faisaient venir le samedi, parce que ce jour-là, les ouvriers ont de l’argent. Il voulait sans doute, comme Sacher Masoch, ressentir l’aiguillon de la jalousie. Il avoue avoir été sous le lit d’une fille qui recevait un client onaniste. Il reconnaît aussi avoir eu une liaison avec un acteur comique qui jouait des rôles féminins (Damenko Miker), liaison qui lui causa beaucoup d’ennuis.

M. Ertel a eu raison de publier le cas de M. Z… On voudrait en comprendre les origines.

Un volume de Carl Félix von Schlichtegroll — « Wanda sans masque et sans fourrure » — vient de paraître (Leipzig 1906). L’auteur possède le journal de Sacher Masoch, et des lettres, des documents. C’est un violent réquisitoire contre Wanda ; c’est dépourvu de charme littéraire ; mais c’est accablant. Le mari ne s’en relève pas plus que la femme. À en croire le journal et Schlichtegroll, ce fut en spéculant sur le masochisme du romancier, en le flattant, en l’exaspérant, que Wanda s’empara de Sacher Masoch, l’épousa et le retint. Elle joua même (ce qu’elle nie) le grand jeu ; elle fut la Vénus en fourrure ; Sacher Masoch assista à ses ébats avec Sandos, fut cravaché par eux, dut leur embrasser les pieds nus, etc., etc. Il eut tout ce qu’il avait rêvé ; mais Wanda devint de plus en plus insupportable, méchante, libertine, enragée. Sacher Masoch s’aperçut qu’il aimait la fourrure et pas la femme ; il se mit à désirer une chaste jeune fille ; il eut des maîtresses. Lui et Wanda se détestèrent comme un mari faible et une femme égoïste, emportée et comédienne savent se détester.

Si les masochistes, à leurs débuts, pouvaient apprendre de l’histoire de Léopold et de Wanda de ne jamais céder au masochisme, de ne jamais éveiller la méchanceté de la bête humaine !

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de André Raffalovich, « Deux masochistes », Archives d’Anthropologie criminelle, de Criminologie et de Psychologie normale et pathologique, t. XXII, Éd. Masson et Cie, Paris, 1907, pp. 119-123.

Notes

[1Meine Lebensbeichte, Berlin et Leipzig, 1906.

[2J’aurais voulu avoir eu le temps de raconter l’épisode vraiment curieux d’Anatole, de sa passion pour Sacher Masoch, et du bossu mystérieux que Wanda à tort, croit avoir été le roi de Bavière et le prince Citron, mais ce pas tout â fait assez solide pour être expose au long dans les Archives.

[3Archiv für kriminal Anthropologie und kriminalistik, Band 25, 1 und 2 Heft, 3 octobre 1906.

[4Né en 1846, dans l’Allemagne du Nord, d’une famille considérée, il a eu une très bonne éducation. La femme est née en 1862. Elle et Z… se sont. d’abord connus en 1897.

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