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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym

Quelques détails sur ce qui m’est arrivé pendant mon enfance

Les Farfadets (Chapitre LXXXI à LXXXVII)

Date de mise en ligne : mercredi 7 février 2007

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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, Les Farfadets ou Tous les démons ne sont pas de l’autre monde, À compte d’auteur, Paris, 1821.

CHAPITRE LXXXI
Il n’est pas étonnant qu’aidés par les planètes, les Farfadets soient aussi puissants qu’ils le sont

LA SECTE INFERNALE s’est toujours étayée du pouvoir planétaire ; la connaissance qu’elle a des planètes la fortifie dans la science du mal. Les planètes protègent les sorciers ; mais si Dieu a réglé leur cours pour nous pénétrer de son immense puissance, c’est aussi pour nous prouver que rien ne peut marcher sans harmonie, qu’il en laisse parfois la direction aux farfadets. C’est encore pour cela que nous devons admirer sa sagesse et respecter ses décrets. Ne cherchons jamais à les approfondir, contentons-nous du don précieux qu’il nous a fait en nous permettant de discerner le bien d’avec le mal, et ne nous laissons pas séduire par les promesses trompeuses de l’esprit malin ; décevons-le de ses espérances, en respectant toujours les ordres du Créateur ; suivons sans cesse le bon chemin, et ne nous en écartons pas, malgré tout ce qu’il faut souffrir pour y rester.

Il est donc avéré que les ennemis de Dieu ont besoin de s’étayer de Satan pour pouvoir faire le mal. Belzébuth est un autre de leurs chefs : parce qu’il favorise aussi leurs entreprises criminelles, et parce qu’il peut conjurer les planètes pour faire tomber de la pluie, de la neige ou de la grêle, souffler le vent, écarter la foudre, ils croient que cela égale leur pouvoir à celui de Dieu.

Ces tentatives des diables usurpateurs sont sans doute aussi criminelles que celles qu’ont voulu tenter les hommes d’un rang inférieur contre leur supérieur. Par exemple, un militaire, sous-officier, ne doit jamais prendre d’autre commandement que celui de son grade : s’il fait faire un mouvement contre son chef, qu’il ne respecte pas ou dont il brave la puissance, il oublie, dans son erreur, que son insubordination lui sera tôt ou tard préjudiciable ; mais il n’en poursuit pas moins sa folle entreprise ; il sacrifie, par son obstination, les hommes qu’il a séduits et qu’il a rendus rebelles à leurs devoirs, pour satisfaire son ambition ; et les crédules subordonnés qui secondent ses desseins, sont eux-mêmes victimes de son audacieuse entreprise. C’est donc ainsi que seront traités les farfadets subalternes qui secondent l’ambition de Satan et de Belzébuth contre la puissance divine.

CHAPITRE LXXXII
Faits historiques qui prouvent combien on est malheureux lorsqu’on est sous l’influence d’une planète

LES PERSONNES LES PLUS SAGES peuvent tomber en la puissance d’un farfadet dirigé par une planète quelconque. Pour prouver cette assertion, je vais citer un fait qui s’est passé dans le midi de la France, chez un médecin, dont le nom n’est pas présent à ma mémoire.

Ce médecin, que l’on vantait partout à cause de son talent, avait une jeune demoiselle très bien élevée qui faisait le bonheur et la consolation de sa famille. Le ciel n’avait pas accordé d’enfants mâles au docteur, il résolut de prendre un jeune homme bien né pour l’instruire dans son art et en faire son successeur. Un jeune étudiant de Paris lui fut adressé. Le père du jeune homme fut enchanté de ce que son fils avait trouvé une si belle occasion pour se faire un état honorable. Il le recommanda au médecin, en lui vantant sa douceur et sa modestie. Le disciple se trouvait bien dans la maison du maître, où l’on ne manquait pour lui ni de soins ni de prévenances. Mais hélas ! la satisfaction réciproque ne devait pas être d’une longue durée ; des méchants envoyés par une puissance infernale s’emparèrent de l’esprit et du coeur du jeune élève, et le mirent sous l’influence de la planète de Vénus.

Le protégé du docteur, qui jusqu’alors avait été si tranquille et si studieux, perdit tout à coup le sommeil ; les farfadets de la planète de Vénus vinrent le tourmenter et flatter son imagination de projets fous, insensés, et tous contraires à l’honneur. Il les repoussa longtemps avec courage.

Le médecin s’aperçut que son disciple maigrissait et perdait les forces nécessaires au travail et à l’étude de son état, il employa toute sa science pour le sortir de cette cruelle position ; enfin il parvint à le rétablir pour quelque temps ; mais le coup était porté, les infâmes manoeuvres des farfadets, qui ne quittaient pas l’étudiant en l’absence du médecin, détruisirent tellement toutes ses facultés, qu’il lui fut impossible de résister à tant de malice.

Il voyait souvent la demoiselle de la maison ; mais fidèle aux principes d’honneur qui l’animaient, il ne la voyait que comme la fille de son bienfaiteur. Le malin esprit, irrité de la résistance que cette âme vertueuse opposait à son infâme puissance, se glissa entièrement dans le corps de l’étudiant, le transporta au lit de la demoiselle, et lui fit commettre un crime, qui jamais n’était entré dans sa pensée. La jeune personne avait reçu, par l’influence de la même planète, un somnifère qui l’avait plongée dans un anéantissement total de toutes ses volontés, de sorte que le crime fut commis sans qu’elle s’en doutât.

Elle reparut aux yeux de ses parents avec la même sérénité d’âme qu’elle avait eue jusqu’à ce jour. L’infortunée était en effet si innocente, que, lorsque les apparences vinrent déposer contre elle, ses parents ne purent obtenir l’aveu d’une faute qu’elle n’avait pas commise. Les chagrins les plus cuisants tourmentèrent cette famille, et pour comble de scélératesse de la part des farfadets, ils avaient entraîné le jeune homme avec eux, après lui avoir fait commettre cette action infâme.

La douleur du père et de la mère fut à son comble, lorsqu’ils virent leur protégé enlevé par un pouvoir surnaturel ; ils le regrettèrent d’autant plus qu’ils avaient fondé de grandes espérances sur lui, en raison de ses qualités personnelles.

Leur malheur ne devait pas se borner à cette perte. Le maléfice jeté sur leur estimable fille n’avait pas détruit en elle la vertu prolifique : plus le temps courait, et plus la honte et la douleur s’emparaient de son âme virginale. Elle éprouva tant de chagrin de paraître coupable d’une faute qu’elle n’avait pas à se reprocher, que, malgré la douceur avec laquelle ses parents la traitaient, elle ne put supporter son état, et finit sa carrière, en emportant avec elle le fruit infortuné qu’une union sainte et approuvée lui aurait fait légitimer.

Les parents furent inconsolables de cette perte irréparable ; ils avaient perdu la fille qui aurait pu adoucir leurs chagrins, et ils descendirent eux-mêmes au tombeau, après avoir proclamé l’innocence de leur malheureux enfant, victime d’une influence maligne, dirigée par une planète farfadéenne.

À cette anecdote je veux en joindre une autre. Un homme qui rêvait tout éveillé, et qui était au pouvoir d’un génie malfaisant, endoctrinait toutes les personnes qui voulaient l’écouter. Un jour il séduisit deux malheureuses femmes fort innocentes, à l’effet d’arrêter le curé de leur paroisse dans un lieu où il devait se rendre pour une bonne action, et pour lui faire commettre un acte impudique. Heureusement que la vertu dont brillait le saint homme fut le palladium de sa chasteté. Ces deux femmes reculèrent d’effroi devant le front modeste et noble du vertueux curé, qui leur apparut comme un prisme éblouissant, rayonnant de gloire et de splendeur divine, et nommèrent celui qui leur avait jeté le maléfice.

Le possédé avoua qu’il avait des fréquentations avec des puissances magiques ; que souvent Belzébuth et d’autres habitants des enfers venaient conférer avec lui, mais qu’il ne les avait jamais vus ; que, cependant, si l’on voulait se prêter à croire ce qu’il dirait, on pouvait l’entendre, chez lui, converser avec les émissaires des puissances infernales. Les tribunaux ne voulurent pas croire ce qu’il disait pour sa défense, et le condamnèrent à employer sa vie aux travaux les plus rudes.

Le condamné brava sa condamnation, en disant à ses juges qu’il espérait bien que Satan ou Belzébuth le retirerait de ce supplice par leur puissante protection. En effet, le jugement fut exécuté ; mais soit par sortilège ou par magie, le farfadet trouva moyen de s’évader et de se soustraire à la rigueur de la loi qui l’avait condamné.

Ainsi se perpétue une guerre engagée entre des pouvoirs opposés les uns aux autres. Ces pouvoirs alimentent la lutte, qui serait bientôt terminée, si Dieu ne voulait pas que nous fussions nous-mêmes en garde contre les maléfices de l’esprit séducteur et diabolique je lui ai résisté, pourquoi les mortels comme moi ne lui résistent-ils pas aussi ?

CHAPITRE LXXXIII
Conséquence des précédents chapitres. Nouvelles réflexions sur les Farfadets

MAIS S’IL ARRIVAIT, par exemple, que Belzébuth, chef suprême de l’ordre lui règle et dirige le gouvernement des enfers, et Satan, prince détrôné et chef du parti de l’opposition, voulussent bouleverser le monde, en suscitant de nouveaux crimes funestes à l’humanité, il s’ensuivrait que telles ou telles personnes, en qui nous aurions placé notre confiance, deviendraient, sans le savoir, nos ennemis, et se tourneraient contre nous ; il en résulterait que nos enfants et nos plus proches parents seraient nos plus cruels ennemis, en suivant l’impulsion qui leur serait donnée par la maligne influence de la planète que l’on aurait dirigée contre eux.

Je pourrais me citer en exemple, à cet égard, en raison des persécutions abominables que j’ai éprouvées et que j’éprouve encore de la part des ennemis de la foi. Si le nombre des farfadets ne semblait pas s’accroître, je ne me plaindrais pas si amèrement ; mais c’est précisément ce qui m’afflige, car je vois chaque jour qu’il se multiplie à l’infini. On ne voit, on n’entend citer que des gens qui se contrarient, se disputent et ne cherchent qu’à se nuire les uns et les autres. Celui qui fait tous ses efforts pour demeurer dans le bon chemin qui lui est tracé par la voix de Dieu, est bien sûr d’être en proie aux angoisses et aux tourments les plus affreux.

Quant à moi, je l’ai dit et je le répète, quelque chose qui puisse m’arriver, serai ferme dans ma résolution. J’aime mieux souffrir toute ma vie, que d’obtenir le plus léger adoucissement à mes maux, par une condescendance coupable, qui donnerait aux méchants le droit de me faire penser et agir comme eux. Je permets aux hommes de me juger. J’attends tout de la bonté de Dieu, et j’espère que ses arrêts me seront favorables.

En vain, les mortels qui ont acquis, aux dépens de leur honneur, l’invisibilité des farfadets, croient, à l’aide de leur magie, se soustraire à l’appel qui leur sera fait le jour du jugement dernier : ils n’échapperont pas à la loi divine. Leur chef réunit tous ses moyens pour leur faire partager le mépris qu’il a conçu pour Dieu. Il renie son créateur, afin que les vils esclaves du vice, qui sont ses subordonnés, puissent imiter son exemple. Ô Satan ! Ô Belzébuth ! que de mal vous faites aux hommes !

CHAPITRE LXXXIV
De la puissance du bien et du mal

EN ÉTABLISSANT DEUX PUISSANCES, que j’ai distinguées en puissance divine et puissance diabolique, je n’ai pas offensé le Maître du ciel et de la terre. Le Seigneur n’a-t-il pas dit à ses apôtres, et à tous les hommes qui formaient le peuple de Dieu, que ceux qui voudraient être à lui seraient toujours vertueux, humbles, charitables et sincères. Donc, il les a laissés maîtres de choisir ou le bien ou le mal. Il a ajouté : « Que bienheureux seraient les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux leur appartiendrait à la fin de leurs jours, pour jouir en paix de la gloire céleste. » Ces paroles consolantes ont encore été révélées pour engager tout être raisonnable à suivre le chemin de la vertu.

La puissance de Satan et de Belzébuth n’existe donc que pour encourager par des promesses et des récompenses illusoires les esprits assez faibles pour ajouter foi à des paroles empoisonnées.

Je conclus de cela, que Dieu a voulu mettre le mal à côté du bien, parce que, comme dit le philosophe, tout étant relatif, il n’y aurait pas d’honnêtes gens, s’il n’existait pas de coquins ; il n’y aurait pas de femmes jolies, si on n’en rencontrait pas de laides. Or, pour être honnête homme, évitez d’être un coquin… Dieu vous a laissé les maîtres de manger un fruit savoureux ou d’avaler un poison… Choisissez… J’aime mieux me désaltérer à une source d’eau limpide et pure que de boire les eaux croupissantes d’un marais fangeux… Si jamais je me décide à me marier, je n’irai pas choisir ma femme dans un lieu de débauche, j’irai la chercher dans un couvent catholique, apostolique et romain, où on l’aura instruite de ses devoirs et élevée dans les préceptes de la religion sainte…

Voilà, je crois, des préceptes que les farfadets et leurs partisans ne pourront jamais détruire.

CHAPITRE LXXXV
Quelques détails sur ce qui m’est arrivé pendant mon enfance

SI J’AI COMMENCÉ cet ouvrage par les événements qui me sont survenus depuis que je suis majeur, je ne dois pas laisser ignorer à mes lecteurs ce qui m’est arrivé pendant les premiers instants de ma vie. Le tempérament de ma mère ne lui permit pas de me nourrir de son lait ; elle me confia aux soins d’une nourrice qui, pour sa commodité, me laissait dans le lit, ou bien me plaçait dans une petite chaise, comme font presque toutes les nourrices pour se débarrasser des enfants, auxquels elles ne tiennent que par l’argent qu’on leur paie pour fournir leur sein mercenaire.

L’absence des soins maternels doit nécessairement influer sur le physique des enfants. C’est ce qui m’arriva. Lorsque ma nourrice m’eut sevré, elle me rendit à ma mère, qui fut bien surprise de me voir estropié ; mes autres parents ne le furent pas moins : il fallut, pour me tirer de ce déplorable état, employer tous les secours de l’art ; mais ils furent infructueux, car jusqu’à l’âge de neuf ans je restai dans cette douloureuse situation, au grand chagrin de toute ma famille.

Deux ans après ma naissance, ma mère eut un autre fils, qui ne fut pas aussi malheureux que moi. Mon frère était si aimable, que ses gentillesses dédommagèrent mes parents des chagrins qu’ils ressentaient en me voyant presque infirme dès mon bas-âge. Le médecin était persuadé que mon existence n’était rien moins qu’assurée ; il avait recommandé à mes parents de ne me rien refuser de ce que je demanderais. Mon frère, dont la santé et l’intelligence faisait l’espoir de ma famille, tomba malade avant d’avoir atteint sa septième année ; il mourut en très peu de temps, malgré tous les soins qu’on eut de lui dans le cours de sa maladie. Les Esculapes qui le soignaient, disaient, en parlant de moi : Quant à celui-ci, vous pouvez lui donner tout ce qu’il voudra ; mais ne comptez pas sur lui, car vous pouvez lui préparer son suaire. Soit dit en passant, je crois que presque tous les médecins sont des farfadets.

Un matin, je fus très surpris de ne plus voir passer les personnes qui traversaient ordinairement ma chambre pour donner à mon frère les secours que son état demandait. Je résolus d’interroger la première personne qui se présenterait près de mon lit. La garde de mon frère parut, mais elle ne voulut rien répondre à mes demandes ; enfin la bonne arriva, et après plusieurs questions elle me fit l’aveu, les larmes aux yeux, que mon frère était mort dans la nuit. Cette nouvelle me toucha vivement ; ma première pensée fut de lever les bras et les yeux vers le ciel ; puis m’adressant au Seigneur, je m’écriai : Vous avez fait ce que vous jugiez à propos. Ô mon Dieu ! que votre volonté soit faite, tout mortel doit se résigner à obéir à vos arrêts suprêmes. Je dis ensuite à la bonne de prier ma mère de vouloir bien me donner mes habits ; j’avais le plus vif désir de m’habiller. Elle revint pour me dire qu’elle n’avait pu les obtenir de ma mère : je l’engageai alors à les prendre adroitement et à me les apporter. Ce qu’elle fit au même instant.

Le plaisir que j’éprouvai à m’habiller me fit refuser les offres de la bonne, qui voulait m’aider ; je craignais d’ailleurs qu’on n’eût besoin d’elle dans une circonstance aussi affligeante. Après beaucoup de peine je me trouvai en état de descendre de mon lit, d’où je ne sortais jamais qu’à l’aide de quelqu’un.

Je priai le Seigneur de seconder mes efforts pour m’aider à marcher et me soutenir sur mes jambes ; et, par un effet de sa faveur divine, je me trouvai debout, à mon grand étonnement. Je lui rendis grâce, et j’achevai de me vêtir ; quand je fus tout à fait habillé, je me présentai à la porte de l’appartement de mon père, où tous nos parents et amis étaient réunis ; je les saluai tous, mais je n’osais entrer. La surprise fut générale, on se regardait sans pouvoir prononcer une parole. Je profitai de l’étonnement où était ma famille, pour m’éloigner promptement et satisfaire à l’impatient désir que j’avais de me promener dans la ville, et surtout dans la campagne. Mais quelle fut ma surprise, lorsqu’en quittant mes parents je voulus descendre les escaliers, et que je me trouvai tout à coup vers la porte, sans avoir jamais pu comprendre comment cela s’était fait, si ce n’était par la toute puissance de Dieu.

Quand on me vit seul dans la rue, personne ne pouvait s’imaginer comment, ayant toujours vécu dans un état de souffrances, je pouvais avoir la force de me tenir sur mes jambes, d’autant qu’on n’avait pas entendu parler de ma convalescence : chacun me félicitait, on m’embrassait de tous côtés ; on fut prévenir mon grand-oncle maternel, prêtre d’environ quatre-vingts ans, que j’étais rétabli au point de marcher seul. Le vieillard eut toutes les peines du monde à se persuader qu’on ne le trompait pas.

Il croyait que c’était un autre enfant qu’on avait pris pour moi. Mais on lui soutint que c’était bien moi-même, et qu’on l’en convaincrait s’il désirait me voir. En effet, il me fit venir ; ma vue fit sur lui le même effet que sur ceux qui m’avaient annoncé. Il remercia alors l’Être Suprême de mon rétablissement subit, qu’il regardait aussi avantageux pour moi que pour mes parents ; il me fit déjeuner avec lui et me fit beaucoup de questions, auxquelles je répondis à sa satisfaction. Il voulait que je passasse la journée chez lui. Je le lui promis, sans trop avoir l’intention de lui tenir parole, car j’étais dévoré, comme je l’ai déjà dit, du désir de courir la ville et la campagne, sans trop m’occuper si mes forces me le permettraient.

Mes parents, chagrinés par l’événement qui affligeait la famille, et croyant d’ailleurs que je ne pourrais faire une longue absence, ne s’occupèrent pas de moi. Je restai quelques instants chez mon oncle ; j’épiai le moment où il passerait dans une chambre voisine pour m’échapper et exécuter mon projet. J’y réussis.

Je rencontrai d’autres personnes, qui me firent parler, comme cela arrive quand on voit dans les rues quelqu’un qu’on n’y trouve pas ordinairement. On prévint un autre de mes parents de ce qui se passait. Celui-ci, qui connaissait mon état, ne voulut pas croire à mon rétablissement, et demanda à me voir pour s’en convaincre. Je fus chez lui, et sa surprise fut égale à celle de mon oncle le prêtre : il fut si satisfait de me voir en cet état, qu’il me fit toutes les caresses imaginables. Quand il sut que j’avais déjà déjeuné, il me fit cadeau de confitures sèches, de bonbons, de dragées, et me fit promettre de ne pas sortir de chez lui de toute la journée. Mais je ne renonçai pas à mon projet, je pris la résolution de m’échapper aussitôt que l’occasion s’en présenterait, et je la saisis au moment que les affaires de mon oncle l’obligèrent à me quitter.

Je fus libre enfin. Je pris le chemin qui conduit à la porte de la ville, où je fus rencontré par deux pères jacobins, qui me témoignèrent autant de surprise que les personnes qui m’avaient vu jusqu’alors. Ces bons pères, en me voyant ainsi, rendirent grâce au ciel de m’avoir donné, en si peu de temps, le libre usage de mes membres. Ils me placèrent entre eux, et me conduisirent par la main jusqu’à leur couvent. Je croyais que leur intention était de me quitter à leur porte ; mais ils me firent entrer avec eux, et me demandèrent si je voulais prendre du café. J’acceptai ; et pendant que je le prenais, on me fit des questions qui m’obligèrent à faire des réponses dont ces Messieurs furent très contents. Ils me conduisirent au jardin, me firent choisir ceux des fruits qui me faisaient le plus de plaisir.

D’autres religieux ayant su que j’étais au jardin, vinrent pour m’y voir, et me félicitèrent sur mon prompt rétablissement. Après qu’ils m’eurent bien amuse, bien fêté, ils ne voulurent pas me laisser aller dîner et je fus obligé de céder à leurs insistances.

Après le dîner on retourna au jardin, où l’on me fit encore de nouvelles fêtes. Je craignis alors que tant d’égards et de politesses ne me fissent manquer mon projet de promenade : ce ne fut que lorsque je vis les révérends pères disposés à faire la méridienne, que je leur proposai de me laisser promener tout seul, tandis qu’ils reposeraient : ils acceptèrent, en me recommandant d’attendre leur réveil au couvent. Je leur promis tout ce qu’ils voulurent, et je profitai du premier moment de liberté, pour m’évader.

Quand je fus hors la porte de la ville, une douce joie se fit sentir dans tous mes sens. Je remerciai Dieu du bonheur que j’éprouvais en contemplant la beauté du ciel, l’éclat du soleil et la magnificence de la nature. Les personnes que je rencontrais, paraissaient aussi surprises que satisfaites de me voir guéri. Je restai dehors jusqu’après le coucher du soleil. J’aurais voulu être témoin du lever de la lune. Je désirais aussi de pouvoir contempler le brillant des étoiles : rien ne devait s’opposer à mes désirs. Je découvris d’abord un bon nombre d’étoiles, parmi lesquelles je crus distinguer les fixes et les errantes. Je tirai des conjectures qu’on pardonnera à mon âge. Je me figurai que les plus grosses, en apparence, étaient celles qui étaient le plus près de nous, et par conséquent, que les plus petites devaient être les plus éloignées ; cependant je craignais que mes idées scientifiques ne m’engageassent dans un labyrinthe de réflexions au-dessus de ma portée. Je me contentai du plaisir d’admirer des choses si belles et si étonnantes. Je ne voulus pas m’égarer comme tant de prétendus savants le font tous les jours.

Les personnes qui avaient eu la bonté de m’accompagner poussèrent la complaisance jusqu’à vouloir me ramener chez mon père, qui, quoique bien chagrin de la mort de mon frère, s’empressa de leur témoigner toute sa reconnaissance. Ces personnes avaient poussé l’intérêt que je leur inspirais, jusqu’à vouloir me remettre eux-mêmes entre les mains de ma famille. Mon père les invita à rester un instant. Je fus très sensible à cette marque de déférence de sa part pour ces honnêtes compatriotes. Cela me toucha tellement, que je sentis dès ce moment s’augmenter pour lui mon attachement inviolable.

La conversation s’engagea, et malgré la tristesse qui régnait dans la maison, elle fut aussi gaie que notre situation pouvait le permettre. Chacun de la société s’aperçut que l’heure du souper approchait, on se retira, et de notre côté nous nous mîmes à table.

La journée se termina par les visites des voisins, qui vinrent nous offrir les consolations que l’on croit nécessaires aux personnes qui font des pertes comme celle que nous venions d’éprouver. Pour modérer notre douleur, tous les voisins disaient à mon père qu’il semblait que Dieu, en appelant mon frère à lui, avait voulu lui donner une grande consolation, celle de mon rétablissement, auquel auparavant il n’aurait jamais dû s’attendre.

La bonne vint me prévenir qu’il était temps de me coucher. Je souhaitai le bonsoir à tout le monde ; j’embrassai très tendrement mon père et ma mère, et je suivis la domestique. Elle me conduisit dans une autre chambre que celle où j’avais l’habitude de passer la nuit. Je ne dormis pas un seul instant, dans la crainte de n’être pas éveillé assez tôt pour aller jouir du lever du soleil, comme j’avais la veille joui de son coucher ; enfin, j’étais tellement impatient, qu’à une heure et demie je sortis de mon lit pour aller frapper à la porte de la chambre des domestiques. Je fis peu de bruit, dans la crainte d’éveiller mes parents. L’un des commensaux m’ayant entendu, je lui recommandai le plus grand silence sur ma sortie, dont je ne voulus pas lui apprendre le motif. Je l’invitai seulement à dire à ceux qui l’interrogeraient, qu’il n’avait pas remarqué l’heure à laquelle j’étais sorti.

Je m’en fus hors de la ville où je contemplai de nouveau les merveilles que j’avais admirées la veille au coucher du soleil. J’attendis patiemment l’aurore ; j’admirai l’étoile matinale qui devance la clarté. Enfin je vis le premier effet du point du jour, qui augmenta sensiblement jusqu’au moment où je vis paraître l’astre bienfaisant dans toute sa majesté ; rien ne me parut plus beau que ce globe de feu d’où partaient des rayons de mille couleurs, semblables à des flammes pétillantes qui se croisent les unes et les autres ; j’étais tellement extasié de ce spectacle ravissant, que je ne pus me défendre de me prosterner devant le Créateur pour lui rendre grâce du bonheur que j’éprouvais. Seigneur, m’écriai-je, je veux examiner cet astre brillant que vous avez crue, faites-le moi connaître pour que je puisse en parler scientifiquement : alors le soleil se montra à ma vue, il était fond bleu, et des flammes étincelantes brillaient au milieu d’une couleur purpurine.

L’enthousiasme que je ressentis à l’aspect des merveilles de la nature, avait rempli mon âme de douces sensations, mais n’avait pas satisfait aux besoins de mon estomac. Je pris donc la résolution de retourner à la ville pour déjeuner. À mon arrivée, je saluai mon père et ma mère ; ils me grondèrent de ne les avoir pas prévenus de ma sortie. Je m’excusai sur la crainte que j’avais de les réveiller trop matin. Nous nous mîmes à table, et nous déjeunâmes très bien, surtout moi, qui venait d’aiguiser mon appétit par une promenade de cinq à six heures.

Voilà ce que j’avais à dire sur ce qui m’est arrivé pendant les premières années de ma vie. Tout ce que j’ai ensuite appris, et qui n’a pas de rapport avec les farfadets, qui se sont attachés à mes pas, ne serait pas d’un grand intérêt. C’est donc des farfadets dont je vais m’occuper encore. Je ne puis pas trop les signaler à l’animadversion du genre humain.

CHAPITRE LXXXVI
Quelques nouveaux détails sur les Farfadets déguisés en chats. Les infâmes Prieur et Papon Lomini occupent le premier rang de ces misérables

VOILÀ CE QU’ON AURA PEUT-ÊTRE DE LA PEINE À CROIRE. Dans le courant de l’année 1817, j’étais logé à l’hôtel Mazarin, où demeuraient MM. Étienne et Baptiste Prieur, et M. Papon Lomini, leur cousin. Un jour que nous nous entretenions des magiciens et des farfadets, M. Étienne disait qu’il avait donné pouvoir à M. Lomini pour exercer la magie. En effet, ce Monsieur, flatté d’avoir un pouvoir si beau, dit qu’il s’en acquittait parfaitement bien, que très souvent, il se déguisait en gros chat blanc, montait et descendait les escaliers de la maison, en poussant des miaulements affreux, pour appeler ses camarades mâles et femelles : ce qui faisait très souvent l’entretien des personnes de la maison.

Je dus conclure de cet aveu, que plusieurs de ces Messieurs, accoutumés à se déguiser en chats, devaient, en parcourant les toits toutes les nuits, faire souvent des chutes ou des faux pas. En effet, un farfadet qui, pour faire son sabbat pendant une nuit, s’était métamorphosé en chat blanc, se laissa tomber du haut d’un toit dans la cour. Sa chute ne fit pas plus de bruit que celle d’une balle de coton lancée du haut d’une maison (cet accident doit souvent arriver aux farfadets, parce qu’ils n’ont pas, ainsi que les véritables chats, l’habitude de courir sur de l’ardoise). La chute du farfadet fit mettre tout le mode aux fenêtres : c’était vraiment plaisant. Chaque personne venait, un flambeau à la main, ce qui faisait un spectacle original ; il le devint bien plus, lorsque chacun s’écria en se réjouissant, ou, pour mieux dire, en insultant au sort du chat criminel : Quel bonheur, voilà donc un farfadet qui a reçu la juste punition de se forfaits ! Il est mort, l’infâme ! Le portier descendit pour aller chercher le cadavre du chat farfadet ; mais le diable l’avait déjà emporté pour le soustraire à la vengeance des mortels qu’il avait persécutés. Il brûle maintenant dans les enfers ; ses miaulements horribles ne sont pas dans le cas de le préserver de la chaudière d’huile brûlante et des griffes de ses anciens maîtres : ainsi finiront tous les farfadets. Je ne suis pas méchant, mais je jouis en me pénétrant de cette vérité.

CHAPITRE LXXXVII
Malgré les farfadets mon premier volume est achevé

MES ENNEMIS NE VOULAIENT PAS CROIRE que je me déciderais à faire imprimer mes Mémoires ; ils pensaient que je serais rebuté par la dépense, comme si l’argent qui m’appartient n’était pas destiné à les signaler à l’univers entier.

Ils sont maintenant convaincus que mon premier volume est terminé, et que dans ce moment le dernier chapitre de ce volume va être mis sous presse.

Aussi, comme ils ont, depuis ce moment, multiplié leurs agents pour me détourner de ma résolution !

Hier c’était un parent qui me contrariait, aujourd’hui c’est un farfadet qui, sous les dehors de l’amitié, vient me dire qu’on me trompe ; qui sait quels émissaires ils pourront m’envoyer demain !

Les Pinel, les Moreau, les Prieur, les Chaix s’agitent de toutes les manières ; les farfadets, puisqu’ils n’ont pas redouté de pactiser avec le diable, il faut qu’ils se résignent maintenant à être dévoilés ; ils se méfient de moi depuis qu’ils savent que mes épingles piquent nuit et jour leurs satellites, et que j’en retiens des milliers dans des bouteilles.

Mais n’anticipons pas sur ce que j’aie à apprendre encore à mes lecteurs, mon second volume sera encore plus curieux que mon premier. Dans celui-ci j’ai indiqué les maux auxquels les honnêtes gens sont exposés ; dans celui qui va suivre je ferai connaître les remèdes qu’il faut employer contre ces maux.

Mais, auparavant, je continuerai à raconter mes malheurs personnels ; mes lecteurs n’en connaissent encore qu’une partie. Je citerai toujours, à l’appui de mes opinions, des faits authentiques qui doivent la rendre irréfragable.

Je sais que dans mon premier volume j’ai été un peu long, en parlant du farfadet Prieur : c’est parce que je n’ai voulu rien retrancher des particularités qui doivent contribuer à faire rougir celui de mes ennemis qui m’a fait le plus de mal, et que d’ailleurs, ce misérable et sa famille m’ont parfois troublé la cervelle, lorsque je composais les chapitres qui les concernent.

Lecteurs, vous êtes déjà convaincus de l’existence des farfadets ; cela ne suffit pas, il faut que je vous fasse partager la haine et l’horreur qu’ils m’ont inspirées. Mon but sera rempli lorsque vous aurez lu tout mon ouvrage. Réfléchissez sur tout ce que je vous ai appris. Préparez-vous à éprouver les plus vivres sensations en lisant les cruautés dont je veux encore vous rendre compte. Vous avez pleuré, vous avez ri, vous pleurerez et vous rirez encore ; vous pleurerez de mes souffrances, vous rirez du sort que je réserve aux ennemis du Créateur du monde.

Ô mon cher Coco ! Je parlerai bientôt de tout ce qu’on t’a fait souffrir. Tu reposes maintenant en paix sous le globe de verre qui te sert de tombeau ; les misérables t’ont tué pour que tu ne fusses pas témoin de mon triomphe !

Je calcule que mon premier volume doit finir ici, la dernière feuille doit être remplie… Ennemis de mon repos, ne vous réjouissez pas, demain je serai encore à l’imprimerie !…

FIN DU PREMIER VOLUME

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