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Charles Lasègue

De la toux hystérique

Archives générales de médecine (1854)

Date de mise en ligne : samedi 13 janvier 2007

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Charles Lasègue, « De la toux hystérique », Études médicales du Professeur Charles Lasègue, Tome II, Éd. Asselin et Cie, Paris, 1884, pp. 1-24.

DE LA TOUX HYSTÉRIQUE.

II est d’usage, chaque fois qu’on parle de l’hystérie, de proclamer, en commençant, l’insaisissable multiplicité des phénomènes par lesquels se manifeste la maladie, l’imprévu des symptômes, la bizarrerie des accidents, qui déjouent toutes les prévisions. Il faut pourtant qu’il y ait dans l’hystérie un certain nombre de points fixes ; car peut-être n’est-il pas d’affection nerveuse dont les descriptions soient plus complètes, plus exactes, plus concordantes. L’ensemble des modifications que l’hystérie entraîne dans le caractère, les ébranlements qu’elle imprime à la santé, sont bien connus, et s’il est sage au médecin de se tenir sur ses gardes, les chances d’erreur ne sont pas de celles qui échappent absolument à sa prévision.

Cela est vrai de la constitution hystérique, en général assez uniforme ; cela l’est encore plus quand, laissant de côté l’ensemble, on étudie isolément chacune des expressions symptomatiques.

L’hystérie se manifeste ou par un ensemble de dispositions physiques et morales toutes particulières, que quelques auteurs eut appelé du nom d’hystéricisme ;
 Ou par des crises convulsives bien définies ;
 Ou par des symptômes encore plus définis et plus restreints, qu’on a désignés assez heureusement sous la dénomination d’hystérie locale.

Parmi ces derniers, Il faut ranger le clou hystérique, le hoquet, les coliques, les arthralgies si soigneusement observées par Brodie, les névralgies, en un mot, les divers accidents locaux qu’il est inutile d’énumérer, et enfin la toux hystérique. Celle-cl est, de tous les symptômes locaux, sinon le moins connu, du moins le plus rarement signalé ; c’est à peine s’il en est fait mention dans les traites modernes sur la maladie, tout au plus figure-t-elle parmi les phénomènes secondaires qui se succèdent dans l’évolution de l’attaque, et c’est beaucoup si l’on ajoute, après l’avoir confondue dans cette énumération, que la toux peut quelquefois survenir indépendamment des accès.

Ceux qui ont insisté davantage sur la toux hystérique seraient disposés à la confondre avec la toux convulsive ; ils la représentent comme accompagnée d’un spasme violent, d’angoisse, de suffocation, et reproduisent ainsi la description imaginaire d’une sorte de quinte de coqueluche applicable aux hystériques.

Sydenham, dans son admirable dissertation épistolaire adressée à Guillaume Cole, avait cependant assigné à cette toux son véritable caractère lorsqu’il dit : hysteria nonnunquain pulmones obsidet unde œger creberrinme tussit et fere sine intermissione, nihii prorsus expectorans et quantum libet hæc tussis species non ita valido nisu thoracem concutiat atque illa quæ convulsiva dicitur, explosiones tamen longe frequentiores sunt ; hæc autem tussis hysterica species oppidorara est ; fæminas pituitu scatenies præ cœteris exagitat.

Sauvages, qu’on a l’habitude de citer à cette occasion plus volontiers que Sydenham, n’est pourtant rien moins qu’explicite ; il ne donne pas même une définition, et renvoie, en trois lignes, au médecin anglais.

La courte description de la toux hystérique que je donne ici n’est, à proprement parler, que la paraphrase et le commentaire de la description si vraie, mais si brève, de Sydenham. Il m’a semblé intéressant de réunir les faits disséminés et fort rares déjà publiés dans la science, en y joignant le peu que m’a fourni ma propre expérience.. Les phénomènes hystériques, ainsi limités à un appareil ou à une fonction, méritent de fixer l’attention et parce qu’ils jettent un certain jour sur des symptômes plus complexes et parce que la fixité de leurs caractères est en contradiction avec l’idée très exagérée qu’on est enclin à se faire de la mobilité de l’hystérie.

La toux hystérique diffère essentiellement des formes convulsives de la toux, si fréquemment observées chez les jeunes enfants ; elle ne s’accompagne pas de spasmes violents, et n’entraîne pas par conséquent les congestions, les menaces d’asphyxie, et les divers accidents qui succèdent aux convulsions thoraciques.

Pendant l’accès, les secousses de toux se répètent avec une telle fréquence, qu’on pourrait, à la rigueur, considérer la toux comme continue. Si la toux se suspend, c’est sous des influences variées, mais sans action possible sur la toux qui reconnaîtrait pour cause une affection de poitrine.

Lorsque la toux procède par accès, les intervalles de repos reviennent avec une remarquable régularité, soit qu’ils aient lieu à la même heure, soit qu’ils dépendent de la position de la malade, ou d’une circonstance extérieure toujours la même et toujours agissant de la même manière.

Quel que soit son degré de continuité, la toux cesse absolument pendant le sommeil, et se rapproche par conséquent, à ce point de vue, des convulsions choréiques. La suppression durant le sommeil est assez constante pour avoir une grande signification diagnostique.

Les efforts de toux affectent un certain rythme monotone, ils répondent à l’expiration, et sont ou non précédés par un court chatouillement laryngé ; ou la malade tousse à chaque expiration qui succède au mouvement inspirateur, ou elle fait entendre deux, trois, quatre expirations toussantes, avant de pouvoir reprendre sa respiration. Le rythme, une fois donné, se continue presque invariablement. Il n’y a pas d’expectoration, tout au plus quelques crachats muqueux surviennent-ils accidentellement. Il n’y a pas de dyspnée dans l’intervalle ; la respiration est un peu moins profonde que d’habitude, les grandes inspirations sont évitées, parce qu’elles rendent la toux plus incommode. L’examen physique de la poitrine ne révèle aucun signe : peut-être, sous l’influence de la diminution de l’effort respiratoire, constate-t-on que le murmure vésiculaire, moins intense, devient par places à peine distinct, pour reparaître bientôt aussi net dans les mêmes points.

La toux hystérique peut être simple ou compliquée : à l’état de simplicité, elle ressemble assez bien à la toux que provoque l’inspiration de certains gaz, le chlore, par exemple ; elle est sèche, sonore, se continue indéfiniment, sans être modifiée dans son timbre, à quelque époque de la maladie qu’on la constate ; à l’état complexe, elle s’accompagne essentiellement d’enrouement, d’aphonie, de vomissements. Dans quelques cas, la toux prend, dès le début, un timbre particulier ; elle ressemble au cri d’un oiseau, elle est stridente, rude, rauque, bizarre. Cette forme est très exceptionnelle ; en tous cas, il faut se garder de confondre ces toux d’une sonorité spéciale avec les troubles vocaux signalés chez les hystériques, qu’on a comparés à des aboiements, à des miaulements, etc., qui n’ont rien de commun avec de la toux.

La toux hystérique non seulement reste identique à elle-même pendant tout son cours, mais elle n’a pas de tendance à se transformer en d’autres formes d’hystérie ; il n’existe que peu d’exemples d’une semblable métamorphose, j’en rapporterai un plus loin.

C’est une affection chronique, remarquable par sa ténacité, se prolongeant pendant des mois, sinon pendant des années, sans rémission ni intermission, sans être influencée par la menstruation, par les phénomènes physiologiques ou pathologiques qui peuvent avoir lieu durant son cours. Un seul fait que je citerai donnerait à croire qu’elle est susceptible d’affecter une forme aiguë, encore le cas est-il au moins discutable.

Elle n’est modifiée par aucun médicament connu, à quelque ordre de médications qu’il appartienne. On verra, en parcourant les observations, que tout ce qui a été essayé l’a été sans le moindre profit. Les grandes perturbations sont aussi impuissantes que les petits modificateurs ; les antispasmodiques fatiguent sans soulager. L’affection est d’une si longue durée et d’une fixité si monotone, qu’il n’est pas de malade à laquelle le temps n’ait permis de subir toutes les ressources présumées de la thérapeutique la plus inventive. Une seule fois, les efforts ont paru suivis de succès ; je rapporterai en détail cette observation sans analogues. En dehors de ce fait unique, un seul moyen a réussi, c’est le changement de lieu ! Sous ce rapport, la toux hystérique se rapproche de la coqueluche, qui est si souvent modifiée par les voyages, comme elle se rapprochait de la chorée par la suspension durant le sommeil.

La toux hystérique guérit subitement, sans que rien ait fait prévoir cette heureuse et soudaine terminaison, ou elle diminue insensiblement et finit par disparaître à la longue. De quelque manière que se soit opérée la guérison, elle est sujette à des récidives et reparaît, le plus ordinairement sans cause appréciable, à de plus ou moins longs intervalles.

Elle affecte exclusivement les femmes ; on ne l’a jamais observée passé l’âge de 25 ans.

Elle ne semble pas, malgré la remarque de Sydenham, plus propre à une catégorie d’hystériques qu’à une autre. S’il arrive souvent qu’un simple rhume en soit l’origine, les individus qui en sont affectés n’y étaient pas prédestinés par une disposition exceptionnelle aux catarrhes bronchiques ou à d’autres affections pulmonaires.

Les jeunes malades ont eu antérieurement des attaques d’hystérie ou en sont restées exemptes ; en tout cas, l’ensemble de leur santé présente les caractères de la constitution hystérique.

De même que la toux hystérique ne se transforme pas habituellement en une autre forme d’hystérie, de même elle n’est pas le début insidieux de maladies organiques de la poitrine. On trouve dans la science une ou deux thèses dont les auteurs ont essayé d’établir une relation entre l’hystérie et la phthisie. Les prodromes de la tuberculisation sont, il est vrai, annoncés quelquefois par des troubles étranges de la santé, qu’à la rigueur on classerait parmi les désordres hystériques ; mais, en admettant l’exactitude de cette analogie, il est remarquable que la toux ne figure pas parmi ces antécédents hystériformes.

Malgré sa persistance, la toux hystérique n’a, en général, qu’un assez faible retentissement dans l’économie. L’appétit est presque toujours diminué, les fonctions digestives perdent de leur activité ; les malades maigrissent ou au moins pâlissent, elles sont incapables de supporter la fatigue et se plaignent de quelques douleurs plutôt gênantes que vives dans les parois de la poitrine. À quelque degré que soit porté le malaise général, il n’est jamais de nature à entraîner une terminaison fatale.

Les observations, dont les principaux traits sont résumés dans le tableau que je viens de tracer, n’ont pas encore, que je sache, été l’objet d’une comparaison scientifique ; il suffit de les rapprocher les unes des autres pour être frappé de leur uniformité. Je me contenterai donc de rapporter sommairement les faits d’ailleurs peu nombreux, en m’abstenant de longues épicrises et de commentaires inutiles.

OBSERVATION Ire. — Toux hystérique sans complication. — D., âgée de seize ans et demi ; très bonne santé habituelle, constitution en apparence robuste ; ses parents sont jeunes et jouissent aussi d’une santé parfaite. Les règles sont apparues pour la première fois, il y a deux ans environ, sans provoquer d’accidents, ni locaux ni généraux ; seulement depuis lors, le caractère s’est sensiblement modifié. Mlle D. est plus impatiente, plus capricieuse ; elle est, dit sa famille, devenue nerveuse ; la menstruation à peu près régulière. Une seule fois, sous l’influence d’une vive contrariété, elle a eu une légère attaque de nerfs, caractérisée par quelques spasmes, de la suffocation et des pleurs. Dans le courant de 1852, elle fut atteinte d’une affection de poitrine sur laquelle j’aurai à revenir.

Au mois d’octobre 1853, elle s’enrhume à la suite d’un refroidissement, le rhume dure quelques jours ; la toux, d’abord assez fréquente, mais sans aucun caractère spécial, diminue sous l’influence de soins hygiéniques et de tisanes émollientes et finit par disparaître complètement. La demoiselle retourne à la pension. À peine y est-elle depuis huit jours, qu’une toux se déclare. La maîtresse de pension s’inquiète de sa fréquence et de sa persistance ; elle communique ses craintes aux parents, qui rappellent l’enfant et réclament mes soins.

Mlle D. était alors, 17 octobre, dans l’état suivant : la toux commence dès qu’elle se réveille et continue sans notables interruptions jusqu’au moment où elle s’endort ; le rythme est surtout ternaire. Elle fait trois expirations accompagnées de toux, pour une inspiration, puis deux ou trois respirations sans toux se succèdent,constituant un repos après lequel la toux reprend avec le même rythme. La toux d’ailleurs est sèche ; pas de fièvre, pas de palpitations de coeur ; un peu d’accélération de la respiration, pas d’anxiété ; appétit médiocre, digestion régulière impatiences fréquentes.

Elle insiste pour retourner à la pension, continuer des études interrompues â regret ; mais, après deux jours d’essai, il est reconnu qu’elle ne saurait assister davantage aux exercices, qu’elle trouble par sa toux incessante.

Ramenée à la maison paternelle, elle est soumise, je dois l’avouer, aux médications les plus propres en apparence à calmer son état. Elle supporte la belladone à dose croissante, sans en ressentir d’autre effet qu’une sécheresse intolérable de la gorge ; les antispasmodiques, les purgatifs, les ferrugineux, n’ont pas plus d’avantages : sous leur influence, l’appétit diminue sensiblement, mais la toux ne diminue pas.

L’époque menstruelle est venue ; mais les règles se font attendre. Il en résulte quelques douleurs de ventre, un peu de ballonnement, des maux de reins, le tout à un degré très supportable. Une médication emménagogue est employée avec succès. Pendant tout ce temps, la toux reste invariable, à la grande inquiétude de la famille, qui redoute l’incubation d’une phtisie pulmonaire.

Cependant la toux semble s’éloigner vers le milieu de novembre, il se passe quelquefois un quart d’heure de repos complet ; on croit observer que certaines influences morales, et en particulier la contention d’esprit, rapprochent les petits accès. L’amélioration pendant deux jours est croissante, lorsqu’un événement intime détermine une attaque d’hystérie franche, durant près d’une heure, avec mouvements convulsifs, sanglots, suffocation, cris étouffés, agitation, larmes.

À partir de ce moment, la toux redevient incessante. Les choses ont duré ainsi, sans qu’aucune complication sérieuse ou significative vint s’y ajouter pendant la dernière moitié de novembre et les trois premières semaines de décembre. La malade était fatiguée, mais sans fièvre et capable de vaquer à presque toutes ses occupations habituelles ; le sommeil de la nuit non interrompu réparait la fatigue de la journée. Si par hasard une circonstance la réveillait dans la nuit, la toux reprenait aussitôt et continuait pendant l’espace de temps qu’elle restait éveillée.

Malgré les instances de la famille que mes affirmations les plus rassurantes ne pouvaient tranquilliser, convaincu de l’inefficacité des traitements par les tentatives inutiles que j’avais faites, je conseillai de s’abstenir de tout médicament, de recourir, malgré le peu d’appétit, à une alimentation fortifiante, de faire faire à la malade de longues promenades, de lui procurer le plus de distractions possible, de ne manifester devant elle aucune émotion à l’endroit de sa santé, et d’abandonner sa guérison au temps. J’avais déjà insisté sur l’opportunité d’un voyage, mais le déplacement était impossible à cette époque de l’année par des nécessités de position invincibles.

Cependant, à partir des derniers jours de décembre, la toux laissa quelque repos, les petits accès s’éloignèrent lentement, mais graduellement. Aujourd’hui, 20 janvier, bien que Mlle D… soit restée à Paris, elle est à peine sujette à quelques petites quintes toujours régulièrement rythmées ; il est plus que probable que le voyage qu’elle va entreprendre complétera la guérison.

Pendant le long espace de temps que Mlle D… fut soumise à mon observation, l’auscultation fut pratiquée soigneusement presque tous les jours. La respiration était peu profonde, sans mélange d’aucun râle ; seulement il arrivait que tantôt dans un point, tantôt dans un autre, le murmure respiratoire était à peine distinct, malgré la sonorité intacte, et sans le moindre retentissement de la toux ou de la voix.

En reprenant les antécédents dans une enquête attentive, j’appris de la famille que, l’année précédente, elle avait été, au dire du médecin qui la soignait alors, atteinte de pleurésie, qu’elle n’avait jamais eu ni fièvre ni dyspnée ; qu’une médication révulsive assez énergique avait été continuée pendant près de deux mois sans résultats apparents ; que la toux était alors beaucoup moins fréquente, mais également sèche, saccadée ; qu’enfin la famille inquiète avait demandé une consultation ; que le médecin appelé, un des praticiens les plus célèbres et les plus compétents, avait déclaré la pleurésie radicalement guérie, avait suspendu tout traitement, ordonné un régime immédiatement réconfortant substitué à la diète sévère ; qu’au bout d’un mois environ, tout avait cédé. Je n’oserais me prononcer sur cette affection dont je n’ai pas été témoin, mais j’ai peine à me défendre d’un doute quant à l’authenticité de cette pleurésie si bénigne et accompagnée d’une toux si rebelle.

Cette observation est intéressante par sa simplicité : on y voit la toux survenant peu de temps après une bronchite, conservant sa fixité, se suspendant absolument pendant le sommeil, résistant à toute autre influence, guérissant spontanément alors que j’avais renoncé à tout traitement, mais alors que la maladie avait duré près de trois mois ; les symptômes hystériques concomitants ont été assez marqués. Je dois ajouter que Mlle D… présente à un haut degré tous les attributs du caractère hystérique.

OBS. Il. — Elliotson raconte, dans ses leçons sur les maladies de poitrine (1833), avoir donné des soins à une jeune fille de 18 ans qui toussait à chaque respiration. Elle inspirait très lentement, retenait un certain temps l’air contenu dans sa poitrine, et toussait à chaque expiration, le jour comme la nuit. Pendant le sommeil la toux était complètement suspendue. L’auscultation et la percussion ne révélaient pas la moindre anomalie. Cette affection dura quatre mois et entraîna, au bout d’un certain temps, de fréquentes insomnies. La santé générale n’était pas autrement troublée. C’était, dit Elliotson, la chose la plus extraordinaire que j’eusse jamais vue. Il a soin d’ajouter que cette toux petite et sèche différait absolument des quintes convulsives, et, sans entrer dans plus de détails, il la distingue sous le titre de toux nerveuse.

J’ai dit que la toux hystérique n’existait pas toujours aussi complètement dégagée de tous phénomènes accessoires ; les complications les plus fréquentes sont l’aphonie, le hoquet ou le vomissement. Lors même qu’elle est ainsi compliquée, la toux n’en garde pas moins ses autres caractères et n’en conserve pas moins sa ténacité.

OBS. III. — Davies rapporte, dans ses observations sur les maladies thoraciques [1], l’histoire d’une jeune fille, âgée de 20 ans, d’un tempérament lymphatico-sanguin, qui, ayant ou déjà plusieurs attaques d’hystérie, fut prise subitement d’une toux sèche, précédée d’un chatouillement laryngé, et provoquée par l’acte d’expiration. Au bout de quelques semaines, il survint de l’aphonie. La toux ne se suspendait que pendant le sommeil, mais elle cessait toujours dès que la malade était endormie. Du reste, la malade ne se plaignait pas du moindre malaise, elle n’éprouvait pas de dyspnée ; son état excitait, dit l’auteur, le rire autant que la compassion. Après deux mois de traitement, qui n’avaient déterminé aucun amendement, Davies conseilla un voyage. L’amélioration fut rapide pendant le trajet ; arrivée dans le lieu où elle se fixait pour quelque temps, la jeune fille éprouva une rechute incomplète ; elle revint à sa ville natale. Pendant le trajet, la toux disparut pour recommencer toujours la même, aussi rebelle, aussi obstinée ; peu de jours après qu’elle fut rentrée dans la maison paternelle, un matin elle s’éveilla en s’écriant : Maman, je suis guérie ! Depuis lors elle parla et ne toussa plus.

Le savant professeur raconte avoir été témoin de 13 ou 14 faits analogues, à cela près de l’aphonie. Dans quelques circonstances, la voix était simplement enrouée ou modifiée diversement ; il a eu très rarement à noter une oppression même peu profonde, l’expectoration était également rare et insignifiante ; s’il survenait un léger catarrhe avec l’expulsion d’un mucus clair, transparent, ce n’était qu’une coïncidence accidentelle. Dans tous les cas, et sous ce rapport son expérience ne lui fournit pas le souvenir d’une exception, les traitements, quels qu’ils fussent, n’ont pas produit le plus léger soulagement : ou la guérison a été spontanée, ou le changement d’air a seul fourni un remède efficace.

Je dois à M. le professeur Trousseau, mon maître, la communication d’un fait également caractéristique, où à la toux se joignirent des vomissements incoercibles.

OBS. IV — Mlle C…, âgée de 17 ans, d’une bonne santé habituelle, quoique d’une apparence délicate, est fille d’une mère sujette à des tics convulsifs de la face ; elle est bien réglée, n’a jamais eu d’attaque d’hystérie proprement dite, mais présente tous les attributs de la prédisposition hystérique. Au mois de mai 1852, elle commence à tousser ; la toux, jugée insignifiante pendant les premiers jours, devient d’une telle fréquence qu’elle inquiète la famille ; la malade tousse, à peu près sans interruption, tout le jour ; la nuit ou le jour, le sommeil procure un calme absolu ; la toux est sèche, vive, stridente, aiguë, elle s’entend à d’assez grandes distances et se répète avec un rythme presque invariable. Les médications les plus variées, les bains, les affusions froides, les antispasmodiques, sont conseillés, employés avec persistance, sans modifier ni la nature ni la fréquence de la toux. D’ailleurs la respiration s’exécute de manière à ne laisser aucun doute sur l’intégrité des fonctions pulmonaires ; la gorge n’est pas rouge ou douloureuse, la voix n’est pas changée. Les choses durent ainsi tout le mois de mai, tout le mois de juin ; dans les premiers jours de juillet, il survient de la fièvre ; la digestion était déjà laborieuse, l’appétit presque nul ; des vomissements se déclarent, et les aliments sont rejetés une demi-heure environ après le dîner ; il n’en est pas de même après le premier repas. La santé générale parait compromise assez gravement pour que M. Trousseau exige le départ immédiat de la malade pour le Midi ; son conseil est suivi. Arrivée à Orléans après trois heures de voyage, la malade, fatiguée, y passe la nuit dans un hôtel. Le jour même, les vomissements cessent ; la nuit est bonne sans fièvre ; le lendemain, la toux a disparu. La guérison était complète, et depuis lors s’est maintenue. L’absence a d’ailleurs été prolongée plusieurs mois.

Ces exemples sont si concordants qu’il serait superflu de relever en détail leurs points de ressemblance. Je ne veux fixer l’attention que sur un caractère, la suspension de la toux pendant le sommeil. L’influence suspensive du sommeil, si invariablement constatée dans la chorée, dans diverses formes de tremblements convulsifs, est mentionnée par tous les observateurs comme un signe constant ; elle n’est pas d’ailleurs propre à la toux hystérique. D’autres formes d’hystérie localisée sont soumises à la même loi ; c’est ainsi que, dans le fait brièvement indiqué par Baillie, le hoquet, incessant pendant la veille, cédait immédiatement à l’action du sommeil ; c’est ainsi que, dans l’observation de Todd (1846), l’affection se suspendait sous la même influence. Qu’il me soit permis, bien qu’elle ne rentre qu’accessoirement dans les limites très étroites où je tiens à me renfermer, de rappeler en abrégé cette observation curieuse, et qui a d’ailleurs quelques points de contact avec le sujet dont il est ici question.

OBS. V. — Jeune fille âgée de 20 ans, d’apparence cachectique, réglée irrégulièrement depuis l’âge de 17 ans, sujette, dans l’intervalle des règles, à des vomissements et à des spasmes de la vessie ; n’ayant jamais eu de syncopes ni d’attaques d’hystérie proprement dites.

Il y a deux mois et demi, après un de ses vomissements habituels, elle éprouve immédiatement l’accélération de la respiration, pour laquelle elle est admise à l’hôpital du Collège royal. À l’époque de son admission, la respiration variait de 90 à 120 par minute, le pouls ne dépassant pas de 100 à 120 pulsations. Après chaque vingtième respiration, elle jouissait d’un court intervalle de repos ; par suite de la rapidité extrême et de la brièveté de la respiration, le murmure vésiculaire ne pouvait pas s’entendre bien distinctement, mais on ne put rien découvrir d’anormal ni par l’auscultation ni par la percussion.

Durant le sommeil, qui était très court, la respiration tombait à18, et le pouls à 60. Immédiatement après le réveil, on comptait 80 respirations et 80 pulsations. Un fait important à noter, c’est qu’il n’y avait pas de dyspnée ; sa contenance n’indiquait pas de souffrance, la circulation veineuse n’était pas retardée, on ne constatait pas d’action forcée des muscles respirateurs.

Six jours après son entrée, la respiration était de 120 et s’élevait à 140 sous l’influence des excitations morales, pour redevenir normale pendant le sommeil.

À la suite d’un traitement par les purgatifs résineux, les lotions froides, les toniques, et un régime fortifiant, continué pendant trois mois, la malade, d’abord améliorée au bout d’un mois, fut complètement guérie.

Il serait curieux de rechercher jusqu’à quel point les autres accidents locaux de l’hystérie accessibles à l’observation obéissent à la même loi.

J’ai eu l’occasion d’observer récemment, à l’Hôtel-Dieu, un cas d’accélération hystérique de la respiration qui présentait de frappantes analogies avec celui que je viens de rapporter, qui guérit également assez rapidement, mais qui, pendant toute sa durée, me laissa soupçonner un certain degré de simulation.

Indépendamment du sommeil, d’autres influences peuvent encore arrêter la toux, Whytt s’est livré, sous ce rapport, à une série de recherches plus remarquables par leur variété qu’importantes par les conclusions qu’il en tire. Voici, très en abrégé, le fait qu’il rapporte dans son Recueil d’observations relatives à l’art de guérir (1763).

OBS. VI. — Une fille Agée de 8 ans fut attaquée, au mois de janvier 1760, d’une toux sèche qui dura deux ou trois mois, malgré l’usage de nombreux remèdes. Au mois d’octobre suivant, la toux se renouvela avec plus de violence ; elle était beaucoup plus vive lorsque la malade était levée que quand elle était couchée. Quoique la peau fût fraîche et le pouls à peine fréquent, on lui tira du sang et on la fit vomir sans aucun bon effet. Les médicaments vermifuges ne firent pas rendre de vers ; la toux cessa huit ou dix jours après leur administration.

Après six ou sept semaines de bonne santé, nouvelle attaque en décembre 1760. Le 3 février 1761, elle était dans l’état suivant : tant que la malade se tenait couchée, elle n’avait ni toux ni dyspnée, le pouls battait 90 ; lorsqu’elle se mettait sur son séant dans son lit, le pouls devenait plus fréquent de 10 ou 12 pulsations, elle n’avait encore ni toux ni malaise ; quand elle se tenait droite sur son lit ou sur un plancher, lorsqu’elle était assise sur le bord du lit ou sur un siège ordinaire, elle était aussitôt attaquée d’une toux qui continuait sans intermission jusqu’à ce qu’elle se fût recouchée. La toux était sèche et convulsive, accompagnée d’une douleur sternale, et la malade ne pouvait s’empêcher un seul instant de tousser.

Du 20 janvier au 25 mars, on prescrivit, sans le moindre succès, des vomitifs, des vésicatoires, un cautère entre les épaules, du quinquina, l’étain en poudre, la rhubarbe avec le calomel, des pilules composées d’opium et d’asa foetida, des bols où il entrait de la thériaque, du camphre et de la valériane.

Le 2 mai, tous ces maux la quittèrent à la fois ; elle eut encore depuis deux rechutes beaucoup plus courtes.

L’observation que j’emprunte au Dr Lubert mérite d’être reproduite en entier et mise en regard de celle de Whytt.

OBS. VII. — Mlle X…, âgée de 2O ans, d’une forte constitution, d’un tempérament sanguin, fraîche, grasse, jouissant de la plus belle santé, fut prise, au mois de février 1837, d’un coryza, accompagné d’un léger catarrhe des bronches. On ne fit pas grande attention à cette indisposition, qui, après quelques jours, perdit ses symptômes aigus ; mais il restait à Mlle X… une petite toux sèche, brève, gutturale, qui la tourmentait beaucoup, qui revenait de demi-minute en demi-minute, plus fréquemment même encore. Du reste, expectoration rare ou nulle, point de douleurs à la poitrine ou à la gorge ; nulle altération dans le pouls, dans la respiration. L’auscultation ne faisait reconnaître aucune particularité, toutes les fonctions s’exécutaient bien, et la santé aurait été parfaite sans cette toux continuelle et fort incommode.

Mais voici ce que cette affection présentait de tout à fait insolite : si Mademoiselle X… se couchait soit dans son lit, soit sur un canapé, la toux cessait à l’instant. Mademoiselle X… pince de la guitare ; aussitôt qu’elle prenait cet instrument et commençait à en tirer quelques sons, la toux se suspendait également pour recommencer à l’instant où elle se levait ou déposait sa guitare. Durant le cours de cette singulière maladie, plusieurs fois le decubitus a perdu sa faculté suspensive de la toux, toujours la guitare l’a conservée. Une bonne musique, qui éveillait vivement l’attention de la malade, jouissait aussi de la vertu momentanément médicatrice ; de sorte qu’ayant été à une représentation d’opéra, elle ne toussait nullement pendant les morceaux de chant, et attirait les regards de tous les spectateurs à cause de sa toux continuelle pendant le dialogue des acteurs. La marche, le grand air, exaspéraient les accès ; l’exercice en voiture les diminuait sans les suspendre.

Cet état de choses durait depuis plusieurs mois et inquiétait beaucoup la famille. On avait, dès le début, employé tous les moyens ; antiphlogistiques et révulsifs, la saignée des bras, les sangsues, les boissons émollientes, les sirops de toute espèce, les vésicatoires, la pommade stibiée, rien n’y avait fait. On eut recours ensuite aux antispasmodiques et aux calmants sous toutes les formes : éther, digitale, opium, jusquiame, belladone, datura, castoréum, asa faetida, camphre en poudre et en cigarettes ; le tout en pilules, en potions, en lavement, en fumée, par la méthode endermique, de toutes les manières, et toujours sans résultat.

Cependant le cas devenait inquiétant par sa persistance ; l’arrière-gorge se fatiguait, s’irritait ; les mucosités étaient quelquefois sanguinolentes. Nous écrivîmes au professeur Chomel ; ce savant praticien conseilla les feuilles de stramoine fumées comme du tabac : ce moyen avait été déjà employé sans succès. La poudre de belladone administrée endermiquement, des bains progressivement froids, et enfin, par une induction très ingénieuse, considérant qu’on pouvait à volonté par le décubitus et la guitare faire naître et cesser les accès, il conseillait d’établir une intermittence artificielle et de la traiter par le sulfate de quinine. Tout cela fut fait sans le moindre succès.

Au bout de dix-sept mois de tentatives de toutes sortes, qu’il serait fastidieux de rappeler, et deux mois environ après qu’on eut cessé toute médication, Mademoiselle X…, un beau matin, sans cause connue, se trouva parfaitement guérie ; elle ne toussait plus.

Dans le courant de 1839, après plusieurs mois d’une santé florissante, la maladie a reparu avec les symptômes ci-dessus décrits. Averti par l’inutilité de tous les remèdes mis en usage la première fois, nous laissâmes Mademoiselle X… absolument abandonnée à elle-même ; au bout de six mois environ, la toux avait disparu ; depuis lors Mademoiselle X… se porte bien.

M. le professeur Chomel a inséré, dans le Nouveau journal de médecine, dont il était un des rédacteurs (1820), un cas de toux hystérique qui présente de remarquables particularités ; c’est le seul fait que je connaisse dans la science de toux hystérique transformée.

OBS. VIII. — Une demoiselle âgée de 24 ans, d’une constitution peu forte, d’un embonpoint médiocre, d’un tempérament nerveux et lymphatique, d’un caractère irritable, vint à paris, au mois d’août dernier, dans l’espoir d’y trouver quelque soulagement à une maladie contre laquelle avaient échoué tous les moyens mis en usage par les médecins de la ville qu’elle habite. Cette maladie consistait en une toux périodique, qui commençait chaque jour vers deux heures de l’après-midi et se prolongeait pendant sept à huit heures avec une violence extraordinaire ; les viscères et les parois de la poitrine devenaient alors le siège de déchirements très douloureux, les secousses imprimées à l’abdomen étaient extrêmement pénibles, et il semblait à la malade que sa tête allait s’ouvrir. Cette toux se reproduisait par quintes entre lesquelles il n’y avait, pour ainsi dire, pas d’intervalles ; elle avait un son rauque et tellement fort qu’il n’était pas rare de voir les passants s’arrêter devant l’hôtel qu’elle habitait ; quand la toux avait duré quelque temps, elle déterminait des sueurs excessives qui se prolongeaient jusqu’à la fin de cette espèce d’accès ; après qu’elle avait cessé, il restait dans tout le corps, mais surtout dans la poitrine, un sentiment douloureux de brisement et de fatigue qui persistait plusieurs heures. Pendant ces quintes, la malade ne rejetait qu’une très petite quantité d’un liquide clair et écumeux. Elle ne pouvait expliquer nettement ce qui l’entraînait à tousser de cette manière, ni désigner un endroit particulier des voies aériennes où elle aurait éprouvé une irritation quelconque.

Du reste elle avait beaucoup maigri, elle était sans appétit et touchait à peine aux aliments qu’on lui présentait ; elle ne mangeait que par caprice et choisissait préférablement les substances les plus indigestes et les moins nutritives ; elle était triste, découragée, souvent de mauvaise humeur ; elle ne dormait presque pas, sa menstruation était laborieuse et irrégulière. Telle était la position de la malade lorsque je fus appelé auprès d’elle, le 8 août 1819, avec M. le Dr Boudard. Nous apprîmes que ces accès de toux, qui dataient d’une année et qui se prolongeaient chaque jour pendant sept à huit heures, n’avaient duré, dans le principe, qu’une heure ou deux, et qu’ils étaient devenus progressivement plus longs et plus intenses ; que depuis l’époque à laquelle ils avaient commencé, il y avait eu une seule fois un intervalle d’un mois environ, pendant lequel ils avaient été suspendus. La malade ne se rappelait aucune circonstance qui pût expliquer cette interruption des accidents, non plus que leur réapparition. Les accès avaient toujours été accompagnés de chaleur et de sueur, effet inévitable des quintes répétées, mais jamais leur invasion n’avait présenté de refroidissement général ou même partiel. La malade rapporte encore que depuis l’époque où la toux avait commencé, elle avait été atteinte d’une fièvre intermittente dont les accès étaient distincts de ceux de la toux, et reparaissaient à des intervalles différents. L’emploi du quinquina, qui fit cesser les accès de fièvre, ne produisit aucun effet sur les accès de toux, qui continuèrent à se montrer sous le même type et avec le même degré d’intensité.

J’appris en outre de la malade qu’elle avait éprouvé plusieurs fois, dans son adolescence, de légères attaques d’hystérie, caractérisées soit par des mouvements convulsifs, soit par un resserrement spasmodique du cou.

D’après cet ensemble de circonstances, nous crûmes pouvoir rassurer les parents, qui avaient craint que la jeune malade ne fût affectée de phthisie pulmonaire ; nous pensâmes que la toux n’était liée à aucune lésion organique, mais l’ancienneté de la maladie nous faisait craindre qu’elle ne fût longtemps rebelle aux moyens qui seraient mis en usage.

La plupart des remèdes conseillés ordinairement contre la toux et contre les affections périodiques avaient été essayés en vain ; le quinquina, dont la malade avait fait usage avec succès contre la fièvre intermittente qui compliquait les accès de toux, avait été sans effet sur ces derniers, et il n’était guère permis d’espérer de meilleurs résultats de ce remède à une époque où la maladie était plus enracinée encore. Jamais on n’avait prescrit de narcotiques ; nous crûmes devoir les administrer et choisir, de préférence aux autres médicaments de cette classe, la belladone qui, d’après les bons effets qu’elle produit dans la coqueluche, dans la toux nerveuse, dans le catarrhe pulmonaire avec quintes, semble avoir une sorte d’action élective sur les organes de la respiration. Un vomitif fut administré préalablement.

Les premières pilules d’extrait de belladone ne produisirent aucune espèce d’effet : cela me porta à soupçonner quelque vice dans la préparation de ce médicament. J’en fis prendre d’autres dans la pharmacie de M. Pelletier ; elles contenaient, comme les premières, un quart de grain d’extrait de belladone ; la malade en prit de même successivement trois à demi-heure d’intervalle. C’était le 14 août, voici ce qui survint :

À l’heure où l’accès de toux devait avoir lieu, la malade perdit subitement connaissance ; elle fut prise de mouvements convulsifs qui effrayèrent tellement les assistants qu’ils m’envoyèrent chercher en toute hâte. Arrivé auprès d’elle, je reconnus une attaque violente d’hystérie ; la malade s’agitait en tous sens, faisait entendre des gémissements ; l’invasion avait été subite, et rien de ce qui caractérise le narcotisme n’avait été observé. Loin de partager l’inquiétude des parents de la malade, je considérai ce changement comme très favorable ; je pensai que ces convulsions ne devaient pas être considérées comme l’effet immédiat du remède, que celui-ci n’en était que la cause éloignée, que par une de ces métamorphoses si communes dans les affections nerveuses, le mal, enchaîné en quelque manière dans sa forme accoutumée, s’était montré sous une forme nouvelle. J’ajoutai que, loin de renoncer à l’emploi de ce remède, j’étais plus que jamais d’avis d’y insister. J’espérais que si, par l’usage de la belladone, je parvenais â suspendre pendant sept ou huit jours consécutifs les accès de toux, il me serait possible de combattre avantageusement par le quinquina, qui avait échoué contre des accès de toux très anciens, une hystérie périodique qui ne daterait que d’un petit nombre de jours. En conséquence, je recommandai qu’un en continuât l’usage.

Ce premier accès d’hystérie dura le même temps que durait ordinairement l’accès de toux ; la malade ne toussa pas une seule fois ; quand elle fut revenue à elle, et qu’elle eut appris ce qui lui était arrivé, elle déclara qu’elle préférait le premier mal au second, et qu’en conséquence, elle ne continuerait pas l’usage du remède. Toutefois, dans la matinée du lendemain, on obtint d’elle, mais une heure seulement avant l’accès, qu’elle prit les pilules de belladone, encore s’obstina-t-elle à n’en prendre que deux. À l’heure ordinaire, l’accès de toux reparut, mais après avoir duré quarante ou cinquante minutes, il fui remplacé par l’attaque d’hystérie, qui survint vers le temps sans doute où la belladone commençait à agir. La durée de cette seconde attaque fut pareille à celle des précédentes.

Le 16 août, la malade, tourmentée par l’idée de ce qu’on pourrait dire ou penser de ces attaques, refusa entièrement de prendre la belladone ; l’accès reparut avec son ancienne forme, c’est-à-dire avec les quintes de toux ; il n’y eut ni perte de connaissance ni convulsions.

Le 17, la malade recommença l’usage des pilules, l’accès se présenta avec les symptômes hystériques ; il n’y eut pas de toux.

Le 18 et le 19, la belladone fut continuée ; l’attaque hystérique eut lieu, la toux ne reparut pas. Je ne pus obtenir de la malade qu’elle insistât encore quelques jours sur l’emploi de la belladone ; elle déclara si formellement qu’elle n’en prendrait plus, que je fus réduit à recourir, sans tarder davantage, à l’emploi du quinquina rouge en poudre ; j’en prescrivis une demi-once, à doses décroissantes, dans la matinée du 20. L’accès fut moitié moins long que les précédents, il conserva la forme hystérique et fut marqué seulement par un état d’assoupissement ; il n’y eut que peu de mouvements convulsifs. J’insistai sur l’emploi du quinquina ; les accès devinrent progressivement plus courts : après quatre à cinq jours de l’emploi de ce médicament, ils ne duraient plus qu’une demi-heure.

L’appétit était revenu, la digestion se faisait régulièrement, le sommeil était bon ; la malade avait repris une certaine activité et se livrait volontiers à l’exercice, pour lequel elle avait eu longtemps de l’aversion. Mais elle éprouvait un si vif désir de retourner dans sa famille, que je ne pus obtenir d’elle de différer son départ jusqu’à ce que les accès, qui étaient à peine marqués, eussent cessé complètement. Je lui recommandai d’insister, pendant quinze jours au moins, sur l’emploi du quinquina, et j’ai eu la satisfaction d’apprendre, par une lettre du médecin qui la suit, que toute espèce d’accès a disparu, et que cette jeune personne éprouve seulement, à l’époque de ses règles, quelques accidents qui n’ont point rapport à l’affection périodique qu’elle a gardée si longtemps.

Dans les réflexions judicieuses qui suivent cette observation, M. Chomel s’attache à montrer que cette maladie doit être rangée parmi les affections nerveuses, et non pas rapportée aux fièvres intermittentes larvées. Quant à l’efficacité de la belladone, à laquelle il attribue la guérison, il ne nous est pas permis de partager sa manière de voir. La malade nous semble avoir subi bien plutôt l’influence du changement de lieu que celle du médicament ; sous ce rapport, elle rentre dans la loi commune. C’est quelques jours après son arrivée à Paris que la maladie se transforme. Il me parait difficile, en présence des insuccès que j’ai déjà signalés, après que tant de moyens longtemps employés avaient échoué, de faire honneur à la belladone d’un si prompt rétablissement.

J’ai été témoin à l’Hôtel-Dieu d’un autre exemple de transformation de la toux hystérique, qu’il n’est pas sans intérêt de rappeler brièvement. Il s’agit d’une femme affectée depuis trois ans d’une toux presque incessante pendant plusieurs mois de l’année, se répétant avec une moindre fréquence dans les intervalles, et présentant tous les caractères déjà signalés. La maladie fut jugée par une attaque d’hystérie déterminée par une vive émotion morale et à laquelle succéda une perte momentanée de la parole, et deux jours plus tard, une hémiplégie gauche, franchement et évidemment de nature hystérique, qui guérit elle-même sans médication.

Plus la toux s’éloigne dans sa forme du type que j’ai décrit, moins elle suit régulièrement la marche que lui assigne l’expérience, et par conséquent plus il y a espérance d’obtenir des résultats prompts et utiles d’une médication convenablement instituée. Mon intention était de réunir ici un certain nombre de faits qui donnassent la mesure des divergences et servissent à éclairer le pronostic, mais l’exposé de ces cas complexes m’entraînerait trop loin ; je me bornerai, en terminant, à citer une observation à laquelle j’ai fait allusion en commençant, et que l’auteur, le Dr Synclair [2], donne comme un exemple de toux hystérique à marche aiguë.

OBS. IX. — Il s’agit d’une fille de 18 ans, bien réglée, ayant eu des attaques d’hystérie et se plaignant de douleurs rhumatismales, de céphalalgie, de courbature sans fièvre. On prescrit 50 gouttes de laudanum mêlées à un peu d’eau. Le 2 octobre, immédiatement après l’administration du médicament, la malade est prise d’une toux continue se répétant sans interruption, sans dyspnée, sans mal de gorge, sans mouvement fébrile, sans autre trouble de la santé, si ce n’est un léger point de côté. La toux se suspend la nuit pendant le sommeil ; elle revient le matin, toujours aussi tenace, et continue ainsi pendant quatre jours. Une saignée, un vomitif, un purgatif, la valériane et l’assa foetida, sont successivement administrés ; la toux disparaît dans le courant de la quatrième journée pour ne plus revenir.

Cette observation, telle qu’elle est publiée par l’auteur, dépourvue de détails, ne saurait suffire pour autoriser à admettre, même à titre d’exception, une toux hystérique et aiguë.

En résumé, la toux hystérique bien caractérisée, conforme à la description que j’ai donnée en commençant, est une affection de longue durée, inattaquable jusqu’à présent, presque sans exception, par les remèdes que nous empruntons à la matière médicale ; curable le plus souvent par le changement de lieu ; susceptible de guérir spontanément ; sans gravité réelle et qui n’entraîne à sa suite aucun des accidents qu’à défaut d’expérience directe le raisonnement donnerait à craindre.

Tels sont les points tout pratiques que j’ai voulu signaler à l’attention. Je termine en rapportant l’exemple de guérison due à l’emploi de la belladone à haute dose, dont je dois la communication à l’obligeance de mon excellent ami et collègue la Dr Tardieu, à qui revient l’honneur de cette cure. Sans oser espérer que la même médication réussisse toujours aussi bien, il est heureux d’avoir une expérience décisive qui autorise le médecin à ne pas renoncer à toute intervention thérapeutique. Voici le fait.

OBS. X. — L. H…, 20 ans, entrée le 9 novembre 1840 à l’hôpital de la Charité. Elle est réglée depuis l’âge de 14 ans. Santé habituellement bonne ; caractère mobile, capricieux ; jamais d’attaques hystériques proprement dites ; douleurs rhumatiques du ventre, de diverses articulations. Vers le commencement d’octobre, à la suite de veilles prolongées, rhume de cerveau qui dure deux jours, puis extinction de la voix pendant trois jours, sans toux ; le troisième jour, les règles apparaissent le soir, puis s’arrêtent. Le lendemain matin, commence une toux très vive qui inspire la crainte d’une pneumonie. Pendant le mois qui précède son admission à l’hôpital, on épuise les médications les plus variées, saignées, sangsues, bains, allusions froides, antispasmodiques, révulsifs, sans obtenir d’amélioration. La malade est toujours sujette a une toux caractéristique, sèche, brusque, saccadée, consistant en une seule expiration sonore, se répétant sans relâche et périodiquement toutes les vingt secondes. Cette toux cesse pendant le sommeil, qu’on obtient par l’usage de l’opium. Pas d’expectoration, pas de raucité de la voix, pas de dyspnée, un peu de constriction douloureuse de la gorge ; appétit d’abord extrême, puis diminuant de jour en jour ; sensation de fatigue, quelques douleurs vagues. En auscultant la poitrine, on ne constate la présence d’aucun râle, les battements du coeur sont réguliers, les bruits normaux ; ni constipation ni diarrhée.

Cet état persiste sans modification ; les toux est aussi fréquente, aussi rebelle, malgré diverses tentatives thérapeutiques, pendant trois mois. Le 6 février, on applique deux moxas le long de la colonne vertébrale ; une heure après, attaque hystérique violente.

À partir du 9, on entame le traitement par la belladone, qui est portée en une semaine à 0,45 cent. d’extrait par jour, sans accidents généraux, et avec un peu de soulagement. Le 20, on suspend le médicament. Ses effets se prononcent brusquement et d’une manière caractéristique. La malade ressent un engourdissement général, des nausées, de la céphalalgie ; la cécité est presque complète. En même temps que se développent des symptômes d’intoxication, la toux cesse entièrement.

Les jours suivants, la guérison se soutient.

Le 8 mars, la malade, qui a passé la journée hors de l’hôpital, éprouve le soir une rechute complète ; la toux a repris sa fréquence et tous ses caractères.

Le 17 mars, on prescrit l’extrait de belladone à la dose de 0,30 centigr. Le 19, on suspend le médicament ; le soir du même jour, la malade tombe dans un coma presque complet ; sa respiration est laborieuse, entrecoupée ; vomissements, délire. Ces symptômes persistent pendant vingt-quatre heures. Au bout de ce temps, le délire se transforme en un état intellectuel qu’elle se refuse à définir et où dominent les idées érotiques. La toux a cessé complètement, et depuis lors, la guérison s’est maintenue.

(Archives générales de médecine, 1854.)

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Charles Lasègue, « De la toux hystérique », Études médicales du Professeur Charles Lasègue, Tome II, Éd. Asselin et Cie, Paris, 1884, pp. 1-24.

Notes

[1Lond. med. gaz., 1834.

[2Edinb. med. and. sury. journ., 1825.

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