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Théodore Flournoy

Sur les origines du rêve hindou

Des Indes à la planète Mars (Chapitre VIII - §V)

Date de mise en ligne : mercredi 18 octobre 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE HUIT
Le cycle hindou

V. SUR LES ORIGINES DU RÊVE HINDOU

Ce paragraphe n’a aucun sens si l’on tient vraiment le cycle oriental pour la réapparition, dans les états somnambuliques de Mlle Smith, de souvenirs datant d’une existence antérieure où elle aurait été princesse asiatique, moi même naïk de Tchandraguiri, M. le professeur Seippel un esclave arabe, etc. Je me bornerais, dans ce cas, à déplorer que le hasard qui nous réunit de nouveau tous, après cinq siècles de séparation, ne nous ait pas laissés au milieu des splendeurs tropicales au lieu de nous transporter sur les bords du Rhône et là précisément où le brouillard est le plus épais en hiver. C’est une dure punition de nos méfaits passés.

Mais quand on pousse le scepticisme jusqu’à ne voir dans tout le rêve hindou qu’un produit fantaisiste élaboré sur quelques informations éparses, ainsi que je l’ai fait dans les paragraphes précédents, on en est également puni, par les problèmes obscurs qui se posent au sujet des origines de ce rêve. Je veux dire qu’on ne voit pas pourquoi l’imagination hypnoïde de Mlle Smith s’est livrée à de telles incartades et a distribué, comme elle l’a fait, les rôles de cette pièce à tiroir. Passe encore pour son propre personnage ; on comprend qu’une nature portée aux rêveries subconscientes et telle que je l’ai décrite dans les premiers chapitres de ce livre, ait trouvé du plaisir à la fiction des destinées tragiques de Simandini, de même qu’elle s’est sentie spécialement attirée vers la carrière de Marie-Antoinette. Mais M. Seippel, puisque je l’ai cité tout à l’heure, ne tient aucunement de l’arabe et encore bien moins de l’esclave, pas plus dans l’aspect extérieur que dans le caractère ; et quant à moi — disons ici M. F., si l’on veut bien me permettre cette substitution d’une initiale anodine au « moi » toujours haïssable —, quant à M. F., on se plaît généralement à lui reconnaître, sous quelque sauvagerie, une certaine aménité de moeurs qui ne semblait guère le prédestiner au rôle énergique et farouche d’un despote oriental violent, lunatique, capricieux et jaloux.

Sur les origines psychologiques du rêve hindou — considéré non plus dans son décor oriental, mais dans sa note essentielle qui est la relation émotive de Simandini à Sivrouka (antériorité prétendue de M. F.) —, on peut faire deux hypothèses entre lesquelles il est difficile de choisir.

1. Au point de vue de la psychopathologie, je serais tenté de faire rentrer tout ce roman somnambulique dans ce que Freud appelle les « Abwehrpsychosen [1] », résultant d’une sorte d’autotomie qui débarrasse le Moi normal d’une idée affective incompatible avec lui ; laquelle idée prend sa revanche en occasionnant des perturbations très diverses suivant les sujets, depuis les désordres d’innervation venant troubler la vie quotidienne (hystérie par conversion somatique du coefficient affectif de l’idée repoussée) jusqu’aux cas où le Moi n’échappe à l’intolérable contradiction entre la réalité donnée et l’idée qui l’obsède qu’en se plongeant tout entier dans cette dernière (confusion mentale hallucinatoire, délires, etc.). Entre ces dénouements variés se trouverait celui où l’idée exclue de la conscience devient le germe de développements hypnoïdes, le point de départ d’une seconde conscience ignorée de la personnalité ordinaire, le centre d’une vie somnambulique où se réfugient et peuvent se donner carrière les tendances que le Moi normal a refoulées loin de lui. Cette solution est peut être la plus heureuse au point de vue pratique et social, puisqu’elle laisse l’individu dans un état de parfait équilibre et indemne de troubles nerveux, en dehors des moments très limités où le processus sous-jacent éclate en accès somnambulique [2].

Tel serait le cas du rêve hindou et l’origine de l’attribution du rôle de Sivrouka à M. F. Rien, assurément, dans la manière d’être habituelle et la vie normale de Mlle Smith, ne laisse soupçonner qu’elle ait jamais consciemment éprouvé pour ce dernier des sentiments absurdes et que le bon sens eût d’avance condamnés ; mais divers indices de sa vie subliminale, indépendamment du cycle hindou lui même (certains songes [3], etc.), ont semblé parfois trahir un conflit latent, dont le Moi sain et raisonnable se serait précisément affranchi par la relégation, hors de la personnalité ordinaire, de l’idée affective inadmissible dans les conditions données de la réalité. De là, chez un tempérament accoutumé aux dédoublements médiumiques et imbu des doctrines spirites, la naissance et le développement, au dessous du niveau de la conscience normale, de ce roman d’une existence antérieure, où les tendances émotionnelles incompatibles avec la vie présente ont trouvé à la fois une sorte de justification théorique et un libre champ d’expansion.

2. On peut aussi supposer, et je préfère admettre, que les sentiments de Simandini pour son rajah fictif, loin d’être le reflet et la transposition somnambulique d’une impression vraiment éprouvée par Mlle Smith à l’égard de quelqu’un de réel et de déterminé, ne sont qu’une création fantaisiste — comme la passion dont les imaginations juvéniles s’enflamment parfois pour un type idéal et abstrait en attendant d’en rencontrer une réalisation concrète plus ou moins approchée — et que l’assimilation de Sivrouka à M. F. n’est qu’une coïncidence, due au simple hasard que Mlle Smith a fait la connaissance personnelle de M. F. dans le temps où le rêve hindou venait de débuter. De même qu’Alexis Mirbel s’est trouvé revêtir une fonction importante dans le cycle martien uniquement par suite d’une rencontre fortuite (comme j’ai essayé de le montrer, p. 140-141), de même M. F. aurait pris la place d’honneur dans le roman oriental parce qu’il n’y avait que lui qui fût disponible à ce moment-là, tous les autres habitués des séances de cette époque ayant déjà leurs antériorités fixées depuis longtemps.

Deux points appuient cette supposition d’une confusion contingente et superficielle entre M. F. et Sivrouka. D’abord le rêve hindou a nettement commencé, par une vision caractéristique où apparaît Simandini, près de deux mois avant l’admission de M. F. aux séances (voir p. 35 et 235) ; à moins donc de supposer que la subconscience de Mlle Smith prévoyait déjà alors l’arrivée plus ou moins probable de ce nouveau spectateur, et lui réservait d’avance un rôle capital dans le roman d’antériorité qu’elle était en train d’élaborer (ce qui n’est pas tout à fait impossible, il est vrai), il ne semble guère que M. F. ait pu être pour quelque chose dans la création du personnage onirique de Sivrouka. En second lieu, c’est seulement dans ses somnambulismes légers et ses états mixtes ou crépusculaires qu’il arrive à Mlle Smith de prendre M. F. pour le prince hindou et de s’asseoir à ses pieds dans des attitudes de tendresse et d’abandon (sans d’ailleurs jamais sortir des bornes de la plus parfaite convenance) ; cela n’a plus lieu dès que le somnambulisme devient profond et la trance hindoue complète ; M. F. cesse alors d’exister pour elle aussi bien que les autres assistants, et elle n’a plus affaire qu’à un Sivrouka absolument hallucinatoire. — C’est l’occasion de dire qu’Hélène n’a jamais présenté aucun phénomène rappelant, même de loin, certains cas [4] où l’on a vu l’hypnose réveiller des tendances grossières et plus ou moins bestiales dont les sujets eussent rougi à l’état de veille. Rien de pareil chez Mlle Smith. Le somnambulisme ne porte aucune atteinte à l’élévation de son sens moral ; même dans ses trances les plus profondes, ou lorsqu’elle « incarne » des personnages très différents de son caractère ordinaire, elle ne se départ jamais de la réelle dignité qui est un trait de sa personnalité normale.

En résumé, l’hypothèse d’une identification purement accidentelle, d’une sorte d’association par simple contiguïté entre le prince hindou et M. F., me paraît au total plus naturelle. Elle dégage en outre ce dernier de toute responsabilité (bien involontaire, d’ailleurs) dans les sentiments si profonds, si désintéressés et si dignes d’une moins tragique destinée que le personnage imaginaire de Sivrouka-Nayaka inspire à la pauvre princesse.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Table des matières

  • 3 — Mlle Smith depuis son initiation au spiritisme
    • 1. Débuts médiumiques de Mlle Smith
    • 2. Mlle Smith dans son état normal
    • 3. Phénomènes automatiques spontanés
      • 1. Permanence de suggestions extérieures
      • 2. Irruptions des rêveries subliminales
      • 3. Automatismes téléologiques
    • 4. Des séances

Notes

[1S. Freud, « Ueber Abwehr-neuro-Psychosen », Neurologisches Centralblatt, 1894, p. 362 et 402. Breuer et Freud, Studien über Hysterie, op. cit., passim., etc.

[2Cette issue favorable de conflits émotionnels dangereux pour le Moi du sujet me paraît plus particulièrement ouverte aux médiums, grâce aux habitudes de dédoublement mental, de clivage psychique pour ainsi dire, que les séances et autres exercices spirites ont développées en eux. La pratique du spiritisme constituerait ainsi, dans certaines occasions, une soupape de sûreté, un canal de dérivation, ou une sorte d’assurance contre le risque d’autres troubles possibles ; un avantage du même ordre que le privilège de certains gauchers d’échapper à l’aphasie en cas d’hémiplégie droite !

[3Mlle Smith a eu, relativement à M. F., divers songes qu’elle a très candidement racontés soit à M. Lemaître, soit à moi, et qui, sous des images symboliques variées, trahissaient une préoccupation subliminale analogue à celle d’où jaillissaient les pensées traversant comme un éclair le cerveau de Frl. Elisabeth v. R. (Breuer et Freud, loc. cit., p. 136). C’est certainement un énorme avantage pour Mlle Smith, attribuable à ses facultés et habitudes médiumiques, que l’Abwehr ait pris chez elle la forme d’un roman somnambulique, qui a évité à sa personnalité normale et à sa vie de tous les jours les inconvénients de la Conversion psychischer Erregung in’s Körperliche, pour employer les termes de Freud.

[4Voir par exemple W. Brugelmann, « Suggestive Erfahrungen », Zeitschrift für Hypnotismus, t. V, p. 256.

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