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Andrew Lang

Un côté négligé de la religion grecque

Études traditionnistes, Éd. J. Maisonneuve, Paris, 1890

Date de mise en ligne : samedi 23 septembre 2006

Mots-clés :

Andrew Lang, « Un côté négligé de la religion grecque », Études traditionnistes, Vol. VI, traduit par Henry Carnoy, Édition J. Maisonneuve, Paris, 1890, p. 46-56.

III
UN COTÉ NÉGLIGÉ DE LA RELIGION GRECQUE

Nombre de poètes classiques et de jeunes païens enthousiastes, qui ne jurent que par Apollon et Athéné, paraissent ignorer que suivant la remarque de Racine, — il nètait pas un des dieux qui n’eût mérité le bûcher s’il avait été jugé suivant ses mérites. Ceci a toujours été notre propre opinion. Nous en trouvons la confirmation dans un récent voyage autour des temples de la Grèce accompli sous la conduite du vieux Periègêtès, comme Ouida appelle Pausanias avec la familiarité d’un ami d’enfance. Le vieux Periègêtès entreprit un pélerinage à travers la Grèce dans le second siècle de notre ère, alors que les dieux, et leurs adorateurs avaient sans doute perdu déjà quelques-uns de leurs traits primitifs les plus scandaleux. Cependant ce que vit et entendit Pausanias est très curieux, et n’est connu que de peu de gens qui acceptent les dieux de la Grèce sur l’autorité de Schiller ou de Mrs Browning.

Aux époques chrétiennes, ou tout au moins dans les temps modernes, une église ressemble beaucoup à une autre. Les fonctions de l’une sont les fonctions de toutes, bien que, en Italie et en Espagne, quelques endroits conservent encore des reliques et des coutumes de la période où les saints locaux avaient leurs rites particuliers. Mais il n’en était pas du tout de même en Grèce. Le pèlerin qui arrivait devant un temple, ne pouvait savoir quelles singularités ou quelles horreurs en fait de statues, de sacrifices ou d’histoires, on avait préparées pour son édification.

Dans la ville de Salamis, en Chypre, vers l’époque d’Hadrien, le dévot aurait pu trouver le prêtre massacrant une victime humaine offerte à Zeus, — coutume instituée, selon Lactance, par Teucer, et continuée jusqu’à l’époque d’Hadrien.

À Alos, dans l’Achaïe Phthiotide, l’étranger aurait pu voir un spectacle extraordinaire. En approchant de la maison de ville, l’étranger remarque un citoyen âgé et vénérable qui va dans la même direction. Le citoyen parait tellement perdu dans ses pensées, qu’il n’a pas l’air de savoir où il va. Derrière lui vient une foule excitée, mais silencieuse, qui le surveille avec un grand intérêt. Le citoyen atteint les marches de la maison de ville, tandis que l’excitation des amis qui le suivent augmente visiblement. Sans pensée, le vieillard entre dans la maison. Avec un sauvage et non-aryen hurlement, les gens d’Alos se jettent sur lui, le garrottent, le couronnent de guirlandes fleuries et le conduisent au temple de Zeus Laphystios où il est sacrifié solennellement sur l’autel. Telle était la coutume des bons Grecs d’Alos, toutes les fois qu’un descendant de la maison d’Athamas entrait dans le prytaneion. À cause de cela, la famille prenait soin, en règle générale, de se tenir à une distance salutaire de l’endroit défendu. Quel sacrifice pour les Grecs ! comme dit l’auteur de Minos dans ce dialogue attribué à tort à Platon. Il ne peut sortir si ce n’est pour être sacrifié, dit Hérodote en parlant du malheureux descendant d’Athamas. La coutume parait s’être maintenue jusqu’au temps du scholiaste d’Apollonius de Rhodes (VII. 197).

Même au IIe siècle, lorsque Pausanias visita l’Arcadie, il y trouva encore ce qui semble bien des sacrifices humains à Zeus. Le passage est si étrange et si curieux que nous en citerons une partie.

« Le mont Lycée a d’autres merveilles à montrer, et principalement ceci : en haut est un bocage de Zeus Lycœus où les hommes ne peuvent aucunement entrer ; mais si quelqu’un transgresse la loi et pénètre dans le bocage, il doit mourir dans l’espace d’une année. On dit en outre que quiconque, homme ou animal, entre dans le bois, ne jette pas d’ombre ; le chasseur ne poursuit pas le cerf dans ce bocage, mais, attendant que la bête ressorte, il voit qu’elle a laissé son ombre en arrière. Et sur la plus haute cime de la montagne, il y a un rempart de terre amassée, autel de Zeus Lycœus, et la plus grande partie du Péloponèse peut être vue de cet endroit. Et devant i"autel sont debout deux piliers regardant le soleil levant, et là-dessus des aigles dorés d’un travail humain encore plus antique. Et sur cet autel on sacrifie à Zeus d’une manière dont on ne peut parler, d’autant que j’avais peu de goût à faire des recherches sur la matière. Mais laissons cela comme c’est et comme il en a toujours été dès le commencement. »

Les mots as it hath been front the beginning sont de mauvais augure et significatifs, car les mythes traditionnels de l’Arcadie parlent des sacrifices humains de Lycaon, et des hommes qui, ayant goûté aux viandes mélangées des sacrifices, prirent sans le savoir de la chair humaine entre leurs lèvres. Cet aspect de la religion grecque est ainsi presque au niveau des mystérieuses horreurs du cannibalisme des Vaudoux pratiquées par les sociétés secrètes des nègres de Haïti. Mais, comme l’eût dit Pausanias, il y a peu de plaisir à approfondir ces choses.

Le touriste voyageant parmi les temples eût trouvé que, même lôrsque les sacrifices humains n’étaient plus en usage, ils avaient été jadis de coutume, et que les cérémonies existaient par une sorte de commutation. C’est ce que nous trouvons précisément dans la religion védique où la formule du sacrifice humain avait disparu tandis que l’origine du monde était attribuée aux débris d’un dieu sacrifié par les dieux.

À Sparte il y avait un autel d’Artémis Orthia et une image de bois antique et très grossière, si grossière, en vérité, que Pausanias, habitué aux pierres-fétiches des Grecs, pensait qu’elle devait être d’origine barbare. L’histoire qui s’y rattachait était que certaines gens de différentes villes, en sacrifiant sur l’autel, avaient été saisis de frénésie et s’étaient massacrés les uns les autres. L’oracle voulait que l’autel fût arrosé de sang humain. Dans ce but, des hommes furent choisis par le sort pour être sacrifiés, jusqu’au moment où Lycurgue transforma l’offrande et arrosa l’autel avec le sang des enfants fouettés devant la déesse. La prêtresse portait la statue d’Artémis durant la fustigation, et si quelques-uns des enfants étaient fouettés légèrement, l’image devenait si lourde, qu’on ne pouvait la porter. Ces rites s’accordent avec les cérémonies initiatoires des Hottentots, des Maudanes et des naturels australiens. Ils durèrent jusqu’au temps de Pausanias.

À Patras, il y avait un temple d’Artémis l’Implacable, et c’était la coutume de lui sacrifier chaque année un jeune homme et une jeune fille de la plus grande beauté. Au temps de Pausanias, le sacrifice humain avait été transformé. Pausanias assista au spectacle étrange de bêtes vivantes et d’oiseaux jetés dans le feu en sacrifice à Artémis, et il vit des ours refuser d’affronter le feu et se précipiter en arrière au milieu des célébrants. Mais il n’est point rapporté qu’aucun de ces derniers ait été jamais blecé par les bêtes sauvages dans ces occasions solennelles. L’ours était un animal étroitement lié a Artémis ; on peut même supposer que la déesse avait été primitivement une ourse.

Il y a nombre de spéculations mystiques sur l’idée de la maternité symbolisée dans l’ourse, dans l’ouvrage de Bachofen : Der Baer in den Religionen des Alterthums. Mais comme, dans toutes les religions sauvages, les animaux furent les premiers dieux dont nous trouvions la trace, et comme ils se développent lentement en des êtres anthropomorphes, il semble plus simple de regarder les ours d’Artémis comme, des survivances d’une époque barbare.

Chez les Thespiens, Zeus, à une certaine époque, exigea que des sacrifices humains fussent offerts à un dragon. Cette légende, de même que le sacrifice d’Andromède, se rapporte probablement à quelque coutume analogue à celle qui fait offrir des sacrifices humains aux requins sacrés de la côte d’Afrique.

Quand sa curiosité à propos des sacrifices humains était satisfaite, le pèlerin en Grèce pouvait tourner son attention vers les statues et les autres représentations des dieux. Aussi trouvait-il que les modernes statues des artistes fameux étaient de belles oeuvres anthropomorphes de marbre, ou d’or et d’ivoire. Il est vrai que les figures des Dionysi étaient parées de cinabre, comme les pierres-fétiches de l’Inde et de l’Afrique. Règle générale, cependant, les statues des temps historiques étaient de belles représentations d’êtres gracieux et aimables. Les oeuvres les plus anciennes étaient des images inflexibles et raides, aux lèvres vissées dans un sourire sans signification. Plus anciens encore, étaient les dieux de bronze fabriqués avant l’invention de l’art de la soudure, et formés de lames battues, assemblées par des petits clous. Plus anciennes, encore, les images de bois qui, probablement, n’avaient qu’une légère ressemblante avec la forme humaine. Peut-être y eut-il un temps où se montrèrent les vrais dieux primitifs : Demeter à tète de cheval ; Artémis à queue de poisson ; le coucou Heva, dont l’image était de bois de poirier ; le Zeus aux trois yeux ; Hermès, fait à la façon dès peintures des grottes sacrées chez les Boschimans. Mais les dieux les plus antiques de tous, répète souvent Pausanias, étaient les pierres grossières du temple ou des limites du temple. Dans la Pharœ achéenne, il trouva environ trente pierres carrées, appelées chacune du nom d’un dieu. Chez tous les Grecs des anciens temps, les pierres brutes étaient adorées à la place des statues. L’homme superstitieux des Caractères de Théophraste, avait coutume d’oindre d’huile les pierres sacrées. La pierre que Kronos avala par erreur à la place de Zeus, était honorée à Delphes, et on la tenait chaude avec des couvertures de laine. Il y avait une autre pierre sacrée chez les Trézéniens, et les Megariens adoraient sous le nom d’Apollon une pierre taillée grossièrement en forme de pyramide. Les Argiens avaient une grosse pierre appelée Zeus Kappotas. Les Thespiens vénéraient une pierre qu’ils nommaient Eros ; leur plus antique idole est une pierre brute. Il est bien connu que la pierre-fétiche originale a été trouvée in situ sous les pieds de la statue d’Apollon à Délos.

Sous cette apparence, la religion des premiers Grecs en Hellade n’était pas différente de celle des nègres modernes. L’évolution des images des dieux, très rapide, pourrait être retracée dans chaque temple. Elle commence par la pierre brute, s’élève à l’idole de bois, atteint l’image de bronze martelé, passe par les marbres archaïques, et atteint son point culminant avec les statues chryséléphantines de Zeus et d’Athéné. Mais aucun des vieux objets sacrés ne perdait sa sainteté, et, dans les jours les plus pieux, les héros d’olivier d’Egine, l’Hera de bois de poirier, l’Artémis à queue de poisson, étaient adorés, et l’huile était versée sur la pierre-fétiche originale ; et peut-être le myrte, l’asperge ou un oiseau recevaient-ils leur part d’adoration.

Dans ces rares et solennelles circonstances aussi, sans doute, les prêtrises locales divulgaient les histoires sacrées — comment les hommes, les femmes et les dieux furent changes en bêtes, en pierres et en étoiles ; comment Poseidon et Kronos prirent des formes de chevaux, Déméter de jument, Hera de coucou, Zeus d’une fourmi, d’un serpent ou d’un cygne, Nemesis d’un oiseau, Lycaon d’un loup ; — ou bien l’on montrait l’argile véritable a l’étrange odeur humaine, d’où Prométhée tira les premiers hommes. C’était le moment pour rapporter des anecdotes sur ce que Hermès fit au Bélier, ou sur Attes et l’amandier. Ces matières n’étaient pas très édifiantes, mais nous ne pouvons les négliger pour notre jugement de la religion grecque.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Andrew Lang, « Un côté négligé de la religion grecque », Études traditionnistes, Vol. VI, traduit par Henry Carnoy, Édition J. Maisonneuve, Paris, 1890, p. 46-56.

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