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L’image du corps dans la schizophrénie

Observation clinique de Marc

Mémoire de psychopathologie (section I)

Date de mise en ligne : samedi 5 août 2006

Auteur : Johannes BIEHLER

Mots-clés : , ,

Johannes Biehler, L’image du corps dans la schizophrénie, Mémoire de maîtrise de psychopathologie, Université de Paris-X Nanterre, Année universitaire 1983-1984, 65 pages (sous la dir. du Dr Françoise Rougeul).

L’homme est dès avant sa naissance et au-delà de sa mort, pris dans la chaîne symbolique, laquelle a fondé le lignage avant que s’y brode l’histoire » (Jacques Lacan, Écrits).

CLINIQUE DE MARC
Observation

Marc B. né le 8/5/1956.

Marc est un jeune homme de 27 ans, petit, un peu rond, toujours un peu négligé dans sa façon de s’habiller. Ses mouvements sont normalement un peu ralentis.

Il reste facilement debout en plein milieu d’une salle et ne réagit que fort peu à son entourage comme si celui-ci n’existait pas. Son regard est vague, sa tète ne bouge que fort peu. Il est là et on a l’impression qu’il ne bougera pas de là d’ici peu.

Mais cette apparence ralentie trompe complètement sur le « volcan qui bouillonne » à l’intérieur de Marc. Il impressionne dès la première rencontre par son incapacité à rester en place, sa façon d’envahir tout le monde de « sa problématique », qu’il rapporte d’une voix monocorde et pleurnicharde.

Les plaintes se suivent rapidement, dès qu’il a, ou croit avoir trouvé une personne à qui se confier. Tout est rapporté sur le même ton, tous les motifs semblent bons pour exprimer sa souffrance. Certains de ses motifs sont compréhensibles, d’autres en relation étroite avec son passé, puis parfois aussi des plaintes complètement irrationnelles, et il sera intéressant de les regarder en détail plus tard.

Son discours est toujours caractérisé par une angoisse flottante, qui ne se relâche apparemment jamais, qui accompagne tous les propos, même les rares salutations ou des propos bénins, et que l’entourage ne parvient jamais à apaiser. Les multiples interventions de l’entourage n’ont pour effet que de changer le motif de plaintes, rarement de le calmer.

Aussi le traitement neuroleptique à haute dose, souvent par injection, permet-il difficilement de calmer Marc, si son seul effet ne consiste pas seulement dans une dépression des manifestations de l’angoisse.

En début de cette hospitalisation (23/9/1983) Marc était en placement volontaire. Mais il convient de noter comme particularité que ce mode de placement était quasiment une exigence de la part de l’équipe de soignants. Les placements libres antérieurs se soldaient tous par des sorties rapides et de beaucoup prématurées. De ce fait nous arrivions à une multiplications des hospitalisations et un aller-retour permanent entre le domicile de Marc chez ses parents et les différents « points de chute » du 13ème arrondissement et de l’association pour « la santé mentale et la lutte contre l’alcoolisme » responsable de ce secteur.

Il est alors important d’intégrer le tableau clinique actuel dans le cadre de vie de Marc, sa famille, son histoire. Marc est l’aîné de cinq enfants, suivent trois soeurs et un frère cadet. Sur son enfance on ne sait que très peu de choses avec certitude.

Il a été suivi dans un service psychiatrique pendant peu de temps apparemment, mais il fut impossible d’en retrouver des traces.

Apparemment il a été élevé par ses grands-parents les premières années et il a dû passer de longs séjours chez eux ultérieurement. Après ces premières années, les parents ont dû retirer leur fils aux grands-parents. Ceci apparemment sans donner une explication à leur fils et l’intégration dans sa famille a dû être toujours très médiocre.

Nous avons eu l’impression que Marc n’a jamais trouvé une place ni dans la fratrie, ni par rapport à ses parents. Les derniers se révélaient ambivalents et ambigus dans leurs positions face à leur fils. Ainsi, suite à un déménagement Marc se retrouvait le seul sans chambre et a dû coucher soit au salon, soit chez les parents ou une soeur.

Aujourd’hui encore l’ambivalence et l’agressivité des parents ont dû mener à échec tous soins réguliers de Marc, et ils posent le plus grand problème aux équipes soignants. Ainsi se sont-ils opposée à toute hospitalisation prolongée. Mais une fois leur fils retiré de l’hôpital contre avis médical, ils se sont vite trouvés déborder par leur fils et ils se voyaient de nouveau obligé de s’adresser au « monde psychiatrique ». Se rajoutent une incohérence et une contradiction entre les deux parents et apparemment une grande « problématique » au sein du couple même.

Les parents de Marc sont mentionnés à plusieurs reprises ; dans chacun des compte-rendus d’hospitalisations de situations conflictuelles avec les soignants, conduisant systématiquement à une sortie contre avis médical et une rupture de la prise en charge. Par ailleurs, les différents thérapeutes qui ont rencontré la famille ont été frappés par le caractère déroutant des attitudes et des relations que les parents nouent avec les médecins.

En effet, il a été noté qu’au cours d’un même entretien, les deux parents manifestent successivement, l’hostilité aiguë fondée sur la certitude quasi délirante qu’on rend leur fils malade, exigeant même la confrontation avec un expert, jusqu’à une attitude coopérante voire totalement approbative aux décisions des psychiatres ; ces fluctuations extrêmes se reproduisent durant tout l’entretien, de façon assez similaire. Le père et la mère s’expriment dans une succession de formule très générales qui s’enchaînent, constituant une sorte de discours abstrait, plein de contradictions, d’imprécisions, de digressions et de formule à l’emporte pièce, ils utilisent préférentiellement la forme impersonnelle, ainsi il n’est jamais possible de deviner sans équivoque qui est l’auteur du discours, à qui il s’adresse et ce qu’il traduit de vécu psychique.

Dans les multiples entretiens avec les parents, les propos de la mère restent vagues, incomplets et on ne sait que rarement de quoi il s’agit quand elle parle. Elle refuse les hospitalisations de son fils, sa maladie et on rapporte dans les dossiers une relation captatrice avec son fils. Son agressivité impulsive et irrationnelle est crainte par toutes les équipes soignantes.

Le père semble prendre un rôle plus actif mais non moins ambigu. On a l’impression désagréable que le père essaie de manipuler les institutions et qu’il entretient « une dialectique folle avec son fils ».

Parfois il est quasiment impossible de savoir ce que pense et veut le père, tant son discours est décousu. Il amorce une phrase, puis l’interrompt, il utilise de nombreuses formules générales avec des « on » et des « ça » plus que « je ».

Une de ses phrases caractérise mieux cette confusion qu’un discours théorique : « Je pose la question aux médecins, après trois ou quatre ans de consécutivité de soins qui ont été interrompus, on souhaiterait que le cas psychiatrique qui l’amène jusqu’à présent, on ne sait pas pourquoi il est venu là, enfin ça me déroute, c’est cette question qu’il me pose tout le temps, la responsabilité c’est une chose, j’aimerais bien y voir clair. »

Sa propre confusion se dissout en agressivité qui est directement projeté sur les psychiatres. Il leur reproche de ne pas lui expliquer ce qu’il se passe et de ne pas s’être aperçus plus tôt des problèmes de son fils. Cette agressivité peut même prendre des traits de sadisme. Quand Monsieur B. est confronté à son fils, il peut critiquer avec jouissance les rares essais de son fils de trouver un peu d’indépendance. (Par exemple une fois lorsqu’il est parti tout seul pour camper). Parfois le père passe d’une attitude de doute, à l’agressivité puis à une attitude approbatrice sans transition. Néanmoins, il fut possible d’obtenir de la part du père, certaines explications cohérentes quant à sa façon d’expliquer le début de la maladie de Marc.

En février 1977, après quatre mois d’incorporation dans l’armée, survient une première hospitalisation. D’après lui il s’agissait d’un état anxieux hypocondriaque intense. Il avait des peurs nocturnes, il venait dans le lit des parents.

Les grands-parents paternels doivent aussi jouer un rôle très important pour Marc. Ils ont dû l’élever au moins pendant les premières années, mais n’ayant pratiquement pas d’éléments sur l’enfance de Marc, prenons juste note de quelques éléments et phrases rapporté par Marc à ce sujet. Ces phrases laisserons supposer l’importance du grand-père (phrases que Marc nous a dit en plein milieu d’un jeu de dames) :

« Maintenant je sais pourquoi ça m’arrive ça. Je croyais que j’étais mort, mais c’était mon grand-père qui était mort en ? 1975 [1] et je croyais que c’était moi ».

Et plus tard : « J’ai été chez mes grands-parents. Ils me tenaient comme un enfant et ne voulaient pas que je grandisse ». Et ensuite : « C’est l’effort que j’ai fait, qui fait que je suis ressuscité. »

Objectivement, le problème du début de la maladie de Marc est bien plus difficile à comprendre et c’est là-dessus qu’il nous manquent le plus d’éléments. Déjà il n’y a plus de trace du premier suivi psychiatrique de Marc dans son enfance - ce que nous avions signalé plus haut.

Dans le dossier actuel on apprend que déjà à l’école, des professeurs ont dû demander au grand-père de consulter un psychologue, mais celui-ci n’avait réagit à cette suggestion qu’en changeant Marc d’école.

Donc on ne trouve des éléments qu’à un moment où la pathologie de Marc a évolué à un point tel qu’il n’y a plus de doute qu’on se trouve devant un tableau psychotique de schizophrénie, qui ne changera plus que dans le sens de l’aggravation, depuis la première hospitalisation. Quand même il a dû y avoir quelques moments de relatif calme par rapport aux moments de crises aiguës de plus en plus fréquentes ces derniers temps.

Si on suit le dossier de secteur de Marc, on s’aperçoit que les efforts de s’occuper de son intégration et de son adaptation sociale étaient au premier plan, et qu’une démarche vraiment thérapeutique n’était guère possible. Ceci est essentiellement dû à la réticence du patient et de ses parents.

Ainsi depuis sa première hospitalisation à l’hôpital « L’eau vive » (du 20/02/1980 au 08/03/1980, sortie contre avis médical) on trouve une quantité invraisemblables d’interventions de l’assistante sociale, de notes sur des recherches de travail, de stage de formation, d’activité professionnelle jamais supérieure à trois mois, de courrier entre l’A.N.P.E., l’Assedic, la sécurité sociale, des employeurs et des médecins pour justifier des absences et demandes des maintiens de remboursement. Le tout aboutit maintenant et finalement à une demande d’aide aux adultes handicapés, bref une rente qui lui permettra, au moins passagèrement, de se passer de cette forme d’adaptation sociale recherchée auparavant. Mais ceci peut aussi permettre à Marc de trouver un minimum d’indépendance vis-à-vis de des parents.

Restent d’innombrables rendez-vous avec le médecin psychiatre de secteur, dont une bonne partie annulée par l’absence du patient. Le tout est finalement entrecoupé par huit hospitalisations dans les derrières quatre années, dont six dans les derniers dix-huit mois et dont la sortie se faisait généralement contre ou sans avis médical.

Jusqu’à présent Marc se présente ou se fait accompagner par son père au dispensaire ou à la polyclinique, lieu préféré à l’hôpital, dans les moments de crises aiguës. Il se fait hospitaliser à l’hôpital « L’eau vive » qui est le seul lieu adéquate pour son état et qui appartient au secteur de son domicile. Marc et les parents rejettent alors rapidement ce projet d’hospitalisation, ils improvisent une sortie, et ils gardent Marc chez eux jusqu’au prochain moment fécond.

Marc est depuis le temps bien connu dans le pavillon de secteur « Anna 0. » de l’hôpital « L’eau vive ». Il connaît un peu tout le monde, et il est difficile de limiter les interventions aux deux soignants de référence. Tout le monde est obligé de s’occuper de lui, car il est là quasiment tout le temps, dès le réveil très tôt jusqu’au coucher, à nous matraquer avec des lamentations incessantes, à nous surprendre avec des irruptions soudaines d’agitation, d’énervement, voir de passage à l’acte (en arrachant par exemple le téléphone parce qu’on ne le laisse pas téléphoner au moment même où il le demande, demande prononcée facilement 20 à 30 fois par jour).

Jamais ! deux minutes entières de silence, et c’est bien pour garder la possibilité de fonctionner dans le travail avec d’autres malades, ou pour faire une réunion que nous sommes parfois contraint de l’enferrer, dans des moments de trop grande excitation. Mais ce n’est pas l’enfermement en soi qui permet à Marc de se rassembler, de se calmer. Ce n’est bien souvent que l’effet abrutissant d’une injection qui met fin à une crise et qui lui permet de retrouver une certaine « Limite ».

Ses limites, son corps, son état, ce sont bien les préoccupations les plus importantes, que nous traduit Marc par son discours, difficile à transcrire, tant il est éparpillé, contradictoire. Ceci dit, la syntaxe de ses phrases reste à peu près correcte. Ses phrases sont correctes, simples, souvent même parfois stéréotypées, automatiques, en répétition comme une litanie, mais avec une discordance nette entre le contenu et l’affect exprimé par son agitation.

Au début de son hospitalisation Marc se préoccupait essentiellement de son bras qui avait été cassé il y a un an. Apparemment il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, mais Marc s’excitait à un point tel, qu’on préférait reprendre un rendez-vous avec le médecin qui avait traité son bras, pour voir s’il y avait moyen de rassurer Marc et, trois-quatre jours après il ne parlait effectivement plus de son bras. Mais une fois qu’on avait pris cette idée fixe à Marc, les thèmes de son angoisse s’élargissaient, se généralisaient : « Qu’est-ce qui fait que je suis comme ça ? » « Pourquoi je suis malade ? Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour m’en tirer », « Je vais mourir », »Je suis mort ». « Je sens le sang dans mes veines ». Il se plaint « de perdre sa voix », sa puissance, d’être faible, de se transformer. Notons tout de suite qu’aucune réponse ou préoccupation permettait de le rassurer voir seulement de le calmer.

Marc refuse de se laver. Après une semaine d’hospitalisation on s’apercevait qu’il avait des poux et des morpions. Le traitement indispensable fut un drame, les shampooings, les douches peuvent réveiller les angoisses et énervements les plus aigus, de peur qu’on lui fasse mal, qu’on lui « abîme » ou « enlève » la peau.

Les préoccupations corporelles somatiques, cénesthésiques étaient apparemment toujours au premier plan chez Marc. Ainsi on a noté ultérieurement des multiples plaintes : mal à la gorge, le nez bouché, froid dans la tête, des difficultés d’uriner, de se sentir sans force, fatigué, compressé dans son corps. On rapporte une étrangeté corporelle : « son cerveau se rétrécie dans son crâne ». Il dit s’être réveillé complètement transformé avec des visions lumineuses, et il décrit un état correspondant à un syndrome de dépersonnalisation avec automatisme mental où les hallucinations cénesthésiques sont au premier plan.

Marc parait par moment complètement morcelé, éclaté, séparé de son corps, un esprit qui court derrière son corps, qui cherche éternellement à le rattraper, à se sentir, au point qu’il finit, enfermé dans sa chambre, à se cogner la tête contre les murs.

Mais toutes ces idées de transformation et altération corporelle, accompagnée d’une angoisse écrasante, réellement vécue, avec laquelle il envahit tout son entourage, ne persiste jamais, sont à tout instant abandonnées pour une autre idée. On finit par se demander si elle ne sont que support pour communiquer une angoisse flottante indéfinissable. Et quand même trop de préoccupations tournent autour de son corps. Nous avons vu Marc se regarder dans la glace avec un regard, comme s’il avait là, devant lui, le corps d’un personnage jamais vu. La préoccupation corporelle nous semble alors authentique.

Le point de vue de Paul Schilder peut éclaircir le rapport entre les idées délirants sur les transformations corporelles et le vécu cénesthésique vrai (I, p 209) :

« Il est naturellement très difficile d’obtenir de ces patients des descriptions qui permettraient de distinguer entre ce qui est un changement réel dans les sensations concernant le modèle postural du corps et ce qui est délire concernant l’image du corps. Nous savons qu’images et perceptions sont basées sur les mêmes processus fondamentaux. Mais nous ne devons pas négliger l’existence des processus intellectuels, des processus de pensée, des éléments hallucinatoires, mieux aussi concernant le corps.

Il existe un lien entre perception, imagination et pensée. Les processus de pensée concernant le corps sont eux aussi basés sur l’attitude globale, les tendances libidinales et les perceptions, si bien qu’une étude attentive des pensées concernant le corps ou de la partie purement intellectuelle de l’image du corps pourra nous aider à mieux comprendre sa structure. »

Les éléments délirant sur le corps et ce que Marc ressent sur le plan somatique comme altéré dans son corps se réfèrent à l’image du corps.

Un autre fait explique le manque de stabilité dans les idées de Marc. Il ne peut rester en place rarement plus que quelques minutes. Si on commence une activité avec lui, il ne pourra jamais la poursuivre seule. Pour finir les jeux les plus rudimentaires, il faut l’encourager à chaque déplacement de pion, pour éviter qu’il ne s’échappe dans son délire, ou en réalité. Marc ne peut pas se concentrer et s’il dit qu’il s’ennuie ce n’est qu’un prétexte pour revendiquer sa sortie, le deuxième leitmotiv de ses lamentations.

Sortir, voir les parents, leur téléphoner, c’est le versant des attitudes envers les parents. La présence, le contact avec ses partent, il les demande à longueur de journée. Même plus, il les revendique, il peut même se mettre à crier en disant : « je veux voir mes parents, tout de suite, maintenant ». Il peut se bagarrer avec un soignant au point d’arracher l’écouteur seulement pour téléphoner à ses parents. Le faire attende dans ce cas-là, fera qu’il viendra demander toutes les cinq minutes.

Le versant négatif s’exprime dans la phrase : « Pourquoi m’ont-ils fait cela ? » « Pourquoi ils ne m’ont pas laisser partir ? »... Les critiques aux parents se tiennent la balance avec le désir de les voir.

La conclusion d’un rapport d’hospitalisation récent peut-être rajouté pour expliquer :

« La question se pose chez Marc B. d’une quête permanente et insatisfaisante d’un couple et d’un lieu, idéalement accueillant, construction d’une relation imaginaire, qu’il nous signifie par des idées d’interchangeabilité des personnes : changer de parents.

Cette relation imaginaire allant de pair avec un déni des troubles et des mouvements affectifs d’autrui et notamment des parents ».

Le contact avec Marc est toujours caractérisé par l’envahissement, la fusion avec son interlocuteur. Il nous suit toute la journée au pas. S’il ne trouve pas une personne qui s’occupe de lui, il est parfois impossible de pendre un repas tranquillement. Il n’a aucune réticence d’interrompre nos activités les plus importantes, pour exiger une bagatelle et il demande que satisfaction soit donné le moment même.

Pour écrire une lettre à ses parents un soignant doit rester à côté de lui, discuter avec lui chaque mot, chaque phrase. (Pourtant Marc sait écrire, avec une écriture très mal assurée mais avec une orthographe banale pour ses phrases très simples.)

Mais cette dépendance est niée. Marc demande tous les jours de sortir, de pouvoir vivre comme tout le monde, sans pour autant être capable de nous dire comment il pourrait faire pour se débrouiller tout seul.

Survient en plus que les parents, depuis le placement volontaire contre leur volonté, se sont retirés de plus en plus, ne viennent plus le voir. Ils ont mis plus d’un mois pour lui faire parvenir les affaires quotidienne nécessaire pour une hospitalisation. Ce fait est parfois raconté par Marc avec un sentiment d’abandon : « Ils ne veulent plus de moi. » Mais cette compréhension peut-être niée au moment même par la demande de leur téléphoner, voir en disant : « Je veux que mes parents viennent me voir tout de suite ! »

De plus Marc se sent persécuté par la psychiatrie et ses médecins : « Ils m’ont frappé avec leurs médicaments », « c’est la psychiatrie qui m’a rendu malade ». Là aussi existe la plus grande ambivalence. Il demande de voir le docteur souffrir, et il lui est arrivé de se présenter par lui-même pour se faire hospitaliser.

Nous voyons donc que tant que l’ambivalence des parents par rapport à la psychiatrie persiste, tant qu’ils ne soutiennent pas les soins à l’hôpital, une démarche thérapeutique n’est pratiquement pas envisageable. Vu l’opposition des parents au placement volontaire, celui-ci n’a pu être maintenu, et nous risquons que Marc repartira rapidement.

Alarmé par l’état de marc, les soignants avait prévu d’entreprendre un premier effort thérapeutique : « Le pack », une thérapie développée à l’hôpital et qui est spécialement indiquée pour s’attaquer aux problèmes d’identité corporelle.

La thérapie se déroule à trois : le patient, un thérapeute, une thérapeute. On étale un drap froid, trempé d’eau sur le lit du malade. Le patient s’allonge et on l’enroule dans ce drap. Puis on l’enroule dans un autre drap sec et on le couvre de plusieurs couverture.

Pour expliquer : le froid ressentie par le malade au début, change progressivement et au fur et à mesure que l’eau et les couvertures sont chauffées par la chaleur corporelle, le patient aussi sent la sensation de chaleur monter dans son corps. Les thérapeutes restent et parlent avec le malade, ils l’encouragent à exprimer ses sensations et ils notent ses associations. Le travail thérapeutique consiste alors à la fois dans l’expérience physique, corporelle et dans le travail des associations.

Finalement ceci n’a jamais eu lieu et ceci fait sûrement parti de nos propres incohérences dans la prise en charge.

Marc était hospitalisé dans la grande unité du service (26 lits), mais dès le départ toute l’équipe était persuadée que son état indiquait plutôt des soins dans la petite unité (7 lits) du même pavillon, qui est plus protégé et permet des soins plus intenses ; le passage ne s’était jamais fait, mais en même temps l’investissement des soignants de Marc devenait de plus en plus précaire. Ceci jusqu’au moment où un de nous commençait tout un programme de prise en charge régulier de Marc avec une soignante. Entre temps l’agitation de Marc cédait par moment à une position de repli et nous allions le voir régulièrement dans sa chambre où nous le trouvions recroquevillé en position foetale au fond de son lit. Parfois il était impossible de lui parler, à d’autres moments, surtout lorsque nous étions seul avec lui, il s’ouvrait un peu et nous avons pu évoquer même quelques questions sur sa vie. Néanmoins ces quelques moments de calme cédaient fréquemment à des nouvelles plaintes. Allongé, il nous montrait des parties de son corps et en tenait des propos qui allait dans le sens d’une déformation de celui-ci et d’un vécu corporel angoissant et bizarre.

Dans les quelques moments de calme nous lui avons proposé des bains qu’il a accepté parfois mais dont le succès reste plutôt médiocre. Ce qui était néanmoins important c’est que nous commencions à avoir l’impression de conquérir un terrain commun avec lui. Si tout ce oui venait de nous était vécu comme mauvais et rejeté c’est que quand même nous commencions à exister quelque part.

Dans ce contexte le passage de Marc à la petite unité, finalement réalisé, a été très mal vécu par les participants de l’expérience et il était cause de multiples discussions. Ainsi le médecin explique sur une note d’évolution sur Marc :

« Il semblait-là se répéter une situation antérieure que Marc a eu à vivre et qui semble au centre de son angoisse, à savoir qu’il a dû quitter le domicile des grands-parents à l’âge de 9 ans pour venir vivre chez les parents, dans un climat de désaccord entre les protagonistes réalisant le fantasme d’un rapt. »

C’est en rapport à cette répétition que nous allions tenter de situer le début de la pathologie de Marc dans son enfance. Le comportement et le discours des parents, qui d’ailleurs n’a que peu d’un discours signifiant, ont dû marquer profondément Marc et nous nous demandons comment il est possible de se retrouver dans cette incohérence ? Comment est-il possible de trouver une individualité bien assurée lorsqu’on est manié comme un objet inexistant ?

L’angoisse et une grande partie de ses plaintes reflètent ce « manque à être ». Par la suite nous nous efforcerons donc de regarder dans ce travail : l’image du corps, l’unité corporelle.

Comment comprendre le manque de cette unité, son éclatement dans la schizophrénie ? D’où vient-il ? Pourquoi l’individu schizophrène ne parvient pas à cette intégration du corporel ? Comment se situe-t-il alors par rapport à son corps ? Comment faire pour aider le malade à retrouver les parties de son corps qu’il a « projeté dans son environnement » qu’il ne parvient plus à ressentir ?

Mais avant regardons comment nous pouvons comprendre l’état actuel de Marc à travers les écrits de Freud.

Notes

[1Il disait la date exacte (jour et mois), alors que Marc se souvient difficilement de sa date de naissance !

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