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Sigmund Freud

La Négation

Revue Française de Psychanalyse (1934)

Date de mise en ligne : dimanche 30 janvier 2011

Langue de cet article : Deutsch > Die Verneinung

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Sigmund Freud, « La Négation », traduit de l’allemand par Henri Hoesli, in Revue Française de Psychanalyse, Septième année, T. VII, n° 2, Éd. Denoël et Steele, 1934, pp. 174-177.

La Négation
Par S. FREUD
(Traduit de l’allemand par H. Hoesli)
Paru d’abord dans Imago, XI, 1925.

La manière dont nos malades présentent leurs associations au cours du traitement psychanalytique nous fournit l’occasion de quelques observations intéressantes. Il arrive qu’un malade nous dise : « Vous allez penser maintenant que je vais vous dire quelque chose d’offensant, mais je n’en ai réellement pas l’intention. » Nous saisissons qu’il s’agit du refus, par projection, d’une association qui vient de surgir. Ou bien il nous dit : « Vous vous demandez qui peut être cette personne du rêve. Ce n’est pas ma mère. » Nous corrigeons : c’est donc sa mère. Nous prenons la liberté, dans notre interprétation, de faire abstraction de la négation et de n’envisager que le contenu pur de l’association. C’est comme si le patient avait dit : « Cette personne du rêve m’a rappelé ma mère, mais il ne me plaît point d’accepter cette association. »

Il est quelquefois facile d’obtenir l’éclaircissement qu’on souhaite sur le refoulé inconscient. On interroge : « Quelle est la chose qui vous paraît la plus invraisemblable dans cette situation ? Qu’est‑ce qui, selon vous, était alors le plus éloigné de votre pensée ? » Si le malade tombe dans le piège et désigne ce à quoi il peut croire le moins, il avoue presque toujours le fait important. Il y a souvent un joli pendant de cette expérience chez le névrosé obsessionnel auquel on a déjà fait comprendre la signification des symptômes. « J’ai une nouvelle idée obsessionnelle. J’ai tout de suite pensé qu’elle pourrait signifier telle chose. Mais non, cela ne peut pas être vrai, autrement je n’en aurais pas eu l’idée. » Ce qu’il rejette, à l’aide de ce raisonnement que la cure lui a suggéré, est naturellement la signification véritable de l’idée obsessionnelle.

Un contenu de représentation ou d’idée refoulé peut donc devenir conscient à la condition qu’on puisse le nier. La négation est une manière de connaître le refoulé, ce qui revient à dire qu’elle est déjà, au fond une sorte de suppression du refoulement, mais qu’elle ne signifie certes pas encore une acceptation du refoulé. On voit comment la fonction intellectuelle se sépare ici du processus affectif. À l’aide de la négation il n’y a qu’un des effets du processus de refoulement qu’on puisse faire rétrograder, celui qui veut que le contenu de la représentation n’atteigne pas la conscience. Il en résulte une sorte d’acceptation intellectuelle du refoulé, tandis que l’effet essentiel du refoulement persiste [1]. Nous obtenons au cours de l’analyse une autre modification très importante, et assez déconcertante, de la même situation. Nous réussissons même à vaincre la négation et à imposer la pleine acceptation intellectuelle du refoulé… le processus du refoulement lui‑même n’en est pourtant pas encore supprimé.

Le jugement intellectuel ayant comme tâche d’affirmer ou de nier des contenus d’idées, les remarques précédentes nous ont amenés à l’origine psychologique de cette fonction. Nier quelque chose par le jugement signifie au fond : Voilà quelque chose que j’aimerais refouler. La condamnation d’un fait est le substitut intellectuel du refoulement, le « non » qu’implique cette condamnation est un de ses signes, un certificat d’origine comme le « Made in Germany » par exemple. Au moyen du symbole de la négation la pensée se libère des restrictions du refoulement et s’enrichit de contenus indispensables à son activité.

Deux tâches principales incombent au jugement. Son rôle est d’accorder ou de nier à une chose telle propriété, d’admettre ou de contester l’existence d’une représentation dans la réalité. La propriété sur laquelle il faut se prononcer pourrait, primitivement, avoir été bonne ou mauvaise, utile ou nuisible. Ce qui revient à dire dans le langage des premières tendances pulsionnelles orales : je veux manger ceci ou je veux le cracher, et dans une transposition plus large : je veux introduire ceci en moi ou l’exclure hors de moi. Donc : Qu’il soit en moi ou hors de moi. Le moi‑plaisir primitif, comme il a été montré ailleurs, désire introjecter tout ce qui est bon, et rejeter tout ce qui est mauvais. Ce qui est mauvais, ce qui est étranger au Moi, ce qui est hors de lui, lui est d’abord identique [2].

L’autre décision que doit prendre la fonction du jugement, celle de l’existence réelle d’une chose représentée, traduit l’intérêt du moi réel définitif qui provient du moi‑plaisir primitif (examen de la réalité). Il ne s’agit maintenant plus de savoir si le moi doit ou ne doit pas accueillir telle perception (un objet), mais si telle de ses représentations peut également se retrouver par la perception, c’est‑à‑dire dans la réalité. Il s’agit ici encore, comme on peut le constater, d’une question de dehors et de dedans. Le non‑réel, l’uniquement représenté, le subjectif, n’est qu’en dedans, l’autre, le réel, existe aussi dans le dehors. L’expérience nous a appris qu’il n’est pas seulement important de savoir si une chose (objet de satisfaction) possède la « bonne » propriété, qu’elle mérite par conséquent d’être acceptée, mais qu’il importe aussi de savoir si cette chose existe dans le monde extérieur, de façon qu’on puisse s’en emparer s’il en est besoin. Pour comprendre cette évolution, il faut se rappeler que toutes les représentations proviennent des perceptions, qu’elles en sont les reproductions. Originellement donc, l’existence de la représentation est déjà un gage de la réalité de ce qui est représenté. L’opposition entre le subjectif et l’objectif n’existe par conséquent pas dès le début. Ce qui lui permet de s’établir, c’est le fait que la pensée possède la faculté d’actualiser telle perception en la reproduisant par la représentation, sans que la réalité implique encore nécessairement l’objet. Le premier but et le plus immédiat de l’examen de la réalité n’est pas de trouver dans la perception réelle un objet correspondant à ce qui est représenté, mais de le retrouver, de s’assurer qu’il existe encore. Une autre chose qui contribue à opposer le subjectif et l’objectif est due à une autre vertu de la faculté de penser. La reproduction de la perception dans la représentation n’est pas toujours sa reproduction fidèle ; elle peut être modifiée par des omissions ou changée par la fusion d’éléments divers. Il appartient à l’examen de la réalité de contrôler jusqu’où vont ces déformations. Mais on s’aperçoit qu’on ne se livre à cet examen de la réalité que parce que des objets qui, autrefois, avaient été cause de réelles satisfactions, ont été perdus.

Le jugement est l’action intellectuelle qui décide du choix de l’action motrice, qui met fin à la stase de la pensée et qui conduit de la pensée à l’action. Je me suis déjà expliqué ailleurs, également, sur la stase de la pensée. Il faut y voir me action d’essai, un tâtonnement de la faculté motrice nécessitant peu d’efforts de déversement. Réfléchissons : Où le moi avait‑il déjà exercé un pareil tâtonnement, où avait‑il appris la technique qu’il emploie maintenant dans les processus de la pensée ? Cela s’est passé à la limite sensorielle de l’appareil psychique, dans les perceptions des sens. À notre avis, la perception n’est pas un processus purement passif, car le moi envoie périodiquement au système de perception de petites quantités d’investissement, au moyen desquelles il goûte les excitations extérieures, pour se retirer après chaque tâtonnement.

L’étude du jugement nous montre peut‑être pour la première fois comment une fonction intellectuelle peut naître du jeu des tendances pulsionnelles primaires. Le jugement est l’évolution appropriée de cette absorption dans le moi et de ce rejet hors du moi dont nous avons parlé, et qui est réglée par le principe du plaisir. Sa polarité semble correspondre à l’opposition des deux groupes pulsionnels que nous avons admis. L’affirmation — comme substitut de l’absorption — appartient à l’Eros, la négation — substitut du rejet — appartient à l’instinct de destruction. Le plaisir général de nier, le « négativisme » de maints malades atteints de psychose, doit probablement être considéré comme un indice de la désintrication pulsionnelle par suppression des composantes libidinales. Mais le fonctionnement du jugement n’est rendu possible que par le fait que la création du symbole de la négation a permis à la pensée un premier degré d’indépendance vis‑à‑vis des résultats du refoulement, et, par conséquent, l’a rendue également indépendante du principe du plaisir.

Cette conception de la négation est entièrement confirmée par le fait que, dans l’analyse, il n’existe aucun « non » provenant de l’inconscient, et que l’acceptation du contenu de l’inconscient de la part du moi s’exprime par une formule négative. Il n’est aucune preuve plus péremptoire du succès de la mise en lumière de l’inconscient que lorsque l’analysé réagit par la phrase : Je n’ai pas pensé à cela ; ou bien : Je n’y ai jamais pensé.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article original de Sigmund Freud, « La Négation », traduit de l’allemand par Henri Hoesli, in Revue Française de Psychanalyse, Septième année, T. VII, n° 2, Éd. Denoël et Steele, 1934, pp. 174-177.

Notes

[1Le même processus se retrouve à la base du processus connu de la « conjuration du malheur ». « Quel bonheur, il y a longtemps que je n’ai pas eu ma migraine ! » Mais c’est le premier indice de l’accès qu’on sent venir, auquel, cependant, on ne veut pas encore croire.

[2Cf. Pulsions et destinées de pulsions, Œuvres complètes, V.

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