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Alexandre Cullerre

La dégénérescence héréditaire

Les frontières de la folie (Ch. I, §. III)

Date de mise en ligne : samedi 29 mars 2008

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre I, §. III : « Stigmates physiques, intellectuels et moraux de la dégénérescence héréditaire », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 33- 52.

CHAPITRE PREMIER
LA FOLIE, L’HÉRÉDITÉ, LES DÉGÉNÉRESCENCES INTELLECTUELLES ET MORALES

—  — —
III
STIGMATES PHYSIQUES, INTELLECTUELS ET MORAUX DE LA DÉGÉNÉRESCENCE HÉRÉDITAIRE

Les signes auxquels on peut reconnaître la dégénérescence mentale héréditaire sont de trois ordres : intellectuels, moraux et physiques. Les combinaisons multiples de ces symptômes, leurs associations inégales et la prédominance de certains d’entre eux créent ces types excessivement variés de psychopathes dont nous allons décrire les caractères communs, et qui vont de l’idiotie au génie, de l’excentricité à la folie confirmée, de la simple exagération des sentiments jusqu’à l’absence de tout sens moral, de la vertu au crime.

L’intelligence, chez les héréditaires, présente des degrés infinis : depuis l’éclat des facultés les plus brillantes jusqu’à l’idiotie complète, en passant par ce qu’on pourrait appeler les intelligences partielles. Chez l’idiot, la lésion qui provient d’un vice héréditaire frappe le cerveau dans son ensemble ; l’intelligence n’existe pas. Chez l’imbécile elle respecte certaines régions, d’où un développement partiel des facultés et une intelligence plus ou moins étendue. À un degré de plus en plus élevé, elle n’atteint que des points de plus en plus limités de la substance nerveuse ; d’où une intelligence inégale, plus ou moins équilibrée, brillante peut-être dans son ensemble, mais défectueuse par quelque côté.

Tel héréditaire, d’ailleurs correct sous tous les autres rapports, de moeurs irréprochables, d’une conduite régulière, aux penchants et aux sentiments des mieux pondérés, offre, suivant une expression imagée, de véritables trous dans son territoire intellectuel. Il a une mémoire des plus ingrates ou est absolument réfractaire à l’étude des chiffres, au calcul, à la musique, au dessin.

Bien qu’il soit en possession d’une intelligence moyenne, il se montre cependant absolument nul pour certaines facultés, totalement dépourvu de certaines aptitudes. Chez lui, selon M. Magnan, les centres de perception sont inégalement impressionnables, inégalement aptes à recueillir toutes les empreintes que doivent y laisser les sensations. Il y a désharmonie, défaut d’équilibre, c’est-à-dire signe de dégénérescence [1].

Dans d’autres cas, au contraire, on verra, coïncidant avec l’insuffisance de l’ensemble des facultés, une mémoire brillante, une facilité étonnante pour la combinaison des nombres, des aptitudes remarquables pour les arts d’imagination, pour les lettres, la poésies. L’empereur Claude, dont l’imbécillité est connue, était orateur, et son éloquence étonnait tous ceux qui avaient une connaissance intime de son véritable état mental. On cite des imbéciles, incapables de discerner le bien du mal, dénués de toute volonté, subissant toutes les impulsions, et n’ayant jamais pu remplir les plus humbles fonctions sociales, qui savaient Corneille et Racine par coeur et traduisaient les odes d’Horace en très bon français. Les criminels qui pour la plupart rentrent dans la classe des dégénérés, ont de fréquentes velléités littéraires. Lacenaire était poète. Clément et Henri Muchembled, qui assassinèrent il y a quelques mois une fillette de quinze ans au milieu des circonstances les plus romanesques, se donnaient, dans leurs élucubrations poétiques, les noms d’Œil de Faucon et de Cerf agile. Ces dispositions intellectuelles ou artistiques se rencontrent à tous les degrés de la dégénérescence mentale et jusque chez les imbéciles. C’est dans cette catégorie que viennent se ranger ces individus que Félix Voisin a désignés sous le nom de génies partiels, êtres réfractaires à l’éducation, indisciplinables, instinctivement vicieux, dénués de toute espèce de sens moral, mais doués de quelques-unes des aptitudes précédentes, et dont nous aurons à nous occuper plus loin au point de vue moral.

Beaucoup d’héréditaires, tout en ayant une intelligence insuffisante ou mal équilibrée, sont cependant remarquables par une disposition innée pour l’étude. On les voit se livrer avec une ardeur quasi impulsive et irraisonnée à des travaux au-dessus de leur vigueur intellectuelle ; aussi n’atteignent-ils presque jamais le but. Ils font des ratés, des fous précoces, des déments avant l’âge.

Chez un certain nombre d’entre eux persiste un état enfantin des facultés intellectuelles qui les empêche de prendre jamais pied dans le monde des réalités et de l’expérience. Ils se créent d’éternelles illusions et vivent dans un monde imaginaire.

De très bonne heure, ils s’abstraient du milieu ambiant et vivent isolés dans la contemplation de leurs pensées et dans l’étude de leurs sensations. À force d’interroger et de contempler leur propre personnalité, ils finissent par en vicier les éléments et par sombrer dans l’égoïsme, l’excès d’orgueil ou l’hypocondrie.

Mais on peut être un dégénéré héréditaire et posséder une grande intelligence, faire un magistrat remarquable, un savant mathématicien, un grand artiste, un homme politique distingué, un administrateur de premier ordre : c’est alors sur le domaine de la sensibilité morale que portera le défaut d’équilibre, et c’est par ce côté que cet homme intelligent présentera des défectuosités profondes. Ainsi que l’a fait remarquer Esquirol et plusieurs autres aliénistes, l’homme d’une intelligence parfaitement équilibrée, peut, s’il s’observe avec soin, voir surgir à certains moments dans son esprit des images extravagantes, les idées les plus bizarres et les plus dangereuses, mais il lui suffit d’un léger effort de volonté pour les écarter du champ de sa conscience et les faire rentrer dans le néant. Que la volonté manque de ressort ou soit sujette à des défaillances, et toutes sortes de sentiments et de penchants maladifs, d’impulsions nuisibles, s’imposeront avec énergie et seront le point de départ d’actions excentriques, d’écarts de conduite étranges.

Morel, cite des hommes d’un haut mérite intellectuel, remplissant de grandes et importantes fonctions, haut placés dans la hiérarchie sociale, qui dans l’intimité de la vie privée offraient les plus singulières aberrations mentales.

Moreau (de Tours), dans la biographie de certains grands hommes, relève une foule d’excentricités et les symptômes les plus variés d’un trouble mental réel.

Ces héréditaires de rang supérieur sont affligés d’une véritable neurasthénie de la sensibilité morale. Cette dernière est soumise à des fluctuations incessantes entre l’exaltation et la dépression. Susceptibles, impressionnables à l’excès, véritables sensitives, ils réagissent vis-à-vis des influences les plus légères. Un changement dans l’état de l’atmosphère, une circonstance insignifiante en elle-même, mais imprévue, un incident dérangeant l’ordre de leurs habitudes les jettent dans un trouble pénible. Quelques-uns sont d’une violence, d’une irritabilité telles, que la moindre contrariété leur procure des colères épouvantables accompagnées de symptômes convulsifs. Ils passent de l’enthousiasme au découragement avec la plus déplorable facilité. Ce n’est pas seulement dans les circonstances douloureuses, comme les catastrophes domestiques, la mort d’amis ou de proches, que leur sensibilité est mise en émoi ; il suffit pour cela des causes les plus futiles, et même les plus ridicules, et tel qui restera presque indifférent au dernier soupir d’une personne chère, donnera les signes du plus violent désespoir en apprenant la mort d’un animal favori. L’amour exagéré des animaux a été signalé comme une des bizarreries de caractère de ces individus. Un grand financier, cité par Morel, donnait les signes d’une véritable douleur délirante à propos de la mort d’une des nombreuses grenouilles qu’il élevait dans une mare de son parc [2]. Cette sorte de monomanie pousse certaines gens à sacrifier leur fortune à l’installation d’hôpitaux luxueux pour les chiens et les chats malades ; et la fureur des antivivisectionnistes a atteint dans ces derniers temps des proportions véritablement maladives.

On observe aussi chez ces individus des sympathies et des antipathies qui atteignent des proportions incroyables. La vue, le contact, l’odeur de certains objets est pour eux une cause de souffrance morale qui a pour base une crainte aveugle et irrésistible.

Ils sont tourmentés par des idées fixes, des obsessions bizarres. Le besoin d’accomplir certains actes extravagants, est tel, qu’ils ne peuvent, qu’à ce prix, et pour un temps, recouvrer le calme de leur esprit et la libre possession d’eux-mêmes. Mais les idées fixes et les obsessions sont parfois du caractère le plus dangereux : telles sont les impulsions à l’homicide, au suicide, au vol, à l’incendie, au excès alcooliques, aux actes immoraux, impulsions qui finissent, dans nombre de cas, par devenir irrésistibles et entraîner les plus terribles conséquences.

Une marque probante de la nature dégénérative de ces obsessions émotives, de ces impulsions, de ces étrangetés morales, c’est qu’elles se manifestent parfois dès l’âge le plus tendre, et qu’on les a constatées chez des enfants de quatre ou cinq ans [3]. Lorsqu’elles prennent certaines proportions, ces diverses particularités psychopathiques en arrivent à constituer de véritables délires qui se développent, se modifient, disparaissent, reviennent, s’enchevêtrent les uns les autres chez le même individu, véritables épisodes [4] se succédant sur le fonds continu et invariable de la dégénérescence mentale. Ce sont ces divers états délirants qui, envisagés autrefois comme autant d’entités morbides distinctes, étaient désignés sous le nom de monomanies.

Toute une catégorie d’héréditaires est remarquable par de nombreuses défectuosités du moral et du caractère. Ceux-ci sont orgueilleux, d’un orgueil sans bornes, et s’attribuent avec une complaisance satisfaite, perfections, mérites et vertus. Leur égoïsme naïf et irraisonné, parfois féroce, s’allie à la malveillance, à l’envie, à une humeur hargneuse et chagrine.

La plupart n’ont qu’un faible sentiment de la morale et ne s’inquiètent que médiocrement des lois sociales ; ils ont des maîtresses sous le toit conjugal, épousent leurs servantes ou des filles de joie, ne reculent pas toujours devant l’inceste, s’abandonnent en secret aux vices les plus ignobles et se livrent avec emportement à tous les excès. Les uns sont dominés par les passions viles, l’avarice, le jeu, la boisson ; les autres sont paresseux, imprévoyants, dissipateurs ; tous manquent d’esprit de conduite et se laissent aller aux écarts les plus dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.

Un rien les passionne, les exalte et modifie leurs idées et leurs sentiments. Esprits étroits et à courtes vues, leurs jugements presque toujours faux ou exagérés, sont exclusivement conditionnés par leurs passions et leurs idées préconçues. Leurs opinions sont bizarres, originales, hérétiques, paradoxales, toujours en contradiction avec les idées reçues. Impérieux, violents, menteurs, rancuniers, ils font preuve d’un entêtement et d’une obstination extraordinaire. Ils sont étrangers à tous les sentiments élevés, à l’esprit de tolérance, d’indulgence et de bonté.

Enthousiastes et primesautiers, ils sont de toutes les exagérations, de toutes les insanités, de tous les fanatismes.

Ces individus, en un mot, pêchent surtout par l’imperfection de leur personnalité morale. Ce sont des êtres demi-conscients, demi-automates ; ils sont incapables de revenir sur eux-mêmes, d’analyser leurs sentiments et de raisonner leurs opinions. Cette pleine conscience de soi, l’attribut le plus noble d’un esprit large et bien équilibré et qui est le résultat des perfectionnements de la personnalité humaine accumulés de siècle en siècle, s’en va chez eux morceau par morceau. Cependant, il n’est pas rare de les voir occuper dans la société de hautes situations, remplir des rôles en vue et exercer sur les affaires de ce monde une énorme influence. Et chose remarquable, bien digne de l’attention des historiens et des philosophes, cette influence n’est pas toujours nuisible. Elle peut se faire sentir dans un sens favorable au bien général, si elle est mise au service d’une idée juste. Avec l’énergie des convictions, la persévérance, le fanatisme, l’absence de scrupules et l’étroitesse d’esprit qui caractérise ces individus, il n’y a pas d’obstacle dont ils n’arrivent à triompher. En émettant ces vues, nous ne faisons guère que résumer l’histoire de plus d’un réformateur célèbre.

À un degré inférieur, dans l’échelle des dégénérescences, se trouve une nouvelle catégorie qui ne fait que continuer la précédente, et qui est caractérisée non plus seulement par la faiblesse, mais par l’absence complète de sens moral. Il s’agit alors d’une véritable imbécillité ou idiotie morale ; elle s’accompagne souvent, d’une diminution plus ou moins marquée de l’intelligence ; mais cette règle n’a rien d’absolu, et il arrive au contraire parfois qu’elle coïncide avec des facultés remarquablement développées.

Dès leur jeune âge les individus atteints d’imbécillité morale présentent des instincts pervers, des sentiments dépravés, des penchants mauvais et incoercibles. Ils sont fantasques, excentriques, paresseux, querelleurs, emportés et violents. Ils se font renvoyer de toutes les institutions où on les place. Ils encourent parfois prématurément les rigueurs de la justice et doivent passer par les maisons de détention et de correction. Selon Helvétius l’inégalité des esprits serait due à la différence d’éducation, et sur cent hommes, assure Locke, il y en a plus de quatre-vingt-dix qui sont ce qu’ils sont, bons ou mauvais, utiles ou nuisibles à la société par l’éducation qu’ils ont reçue. L’opinion de ces philosophes est cependant contraire à l’observation la plus vulgaire ; une bonne éducation, quelque soignée et rationnelle qu’on la suppose, n’a jamais réformé des tendances vicieuses et pathologiques, et n’a jamais changé un dégénéré immoral en un homme vertueux. Les sujets qui nous occupent sont, en effet, réfractaires à toute éducation. La culture intellectuelle la plus complète est elle-même impuissante à modifier leurs instincts pervers, et selon la remarque de Bourdin, les dégénérés instruits et lettrés sont les plus redoutables de tous.

À l’époque de la puberté, ils éprouvent des troubles intellectuels sous l’influence de la moindre cause. Chez les filles, la menstruation s’établit difficilement et donne naissance aux accidents les plus variés : Chlorose, hystéricisme, exagération de la sensibilité avec tendance aux larmes, catalepsie, somnambulisme, chorée, émotivité excessive, scrupules exagérés, inquiétudes d’esprit motivant des interrogations sans fin, doute, craintes des contacts, mysticisme, privation volontaire d’aliments, excentricités, et accès de délire agité ou mélancolique. Les jeunes garçons sont masturbateurs, vicieux, incendiaires, suicides, nostalgiques. Ils s’abandonnent au vol, au vagabondage, et s’affilient aux malfaiteurs. Eux aussi sont parfois choréiques, somnambules, érotomanes, persécutés, scrupuleux ou religieux à l’excès, tourmentés par le doute universel et l’hypocondrie morale.

En un mot, nous retrouvons chez ces dégénérés inférieurs, mais avec un développement plus précoce, toutes les particularités monomaniaques que nous avons déjà constatées chez les simples déséquilibrés de rang supérieur.

Quelquefois, ainsi que nous l’avons déjà noté précédemment, ils présentent des facultés intellectuelles très développées. « Doués dans ce cas d’une manière tout à fait extraordinaire, ils apprennent et retiennent tout avec la plus surprenante facilité. Ils sont les premiers de leur classe et on les regarde volontiers comme de petits prodiges. Ils possèdent parfois pour la musique, le calcul, le dessin, la poésie, l’improvisation, la déclamation ou l’art théâtral, une aptitude native qui étonne. Puis quand ils arrivent à cette époque de la puberté dont nous parlons, leurs brillantes facultés pâlissent ou s’éteignent. Le développement psychique s’arrête, la croissance intellectuelle a dit son dernier mot, la faillite est déclarée et le petit prodige devient une non-valeur. Après beaucoup d’humiliations et de tâtonnements, ils s’engagent dans la marine ou dans l’armée. Quelquefois ils sont domptés par la sévère discipline de ce milieu nouveau, mais le plus souvent, ils s’insurgent contre cette discipline, se font accabler de punitions et finissent assez fréquemment par être déférés à des conseils de guerre [5] ».

Tout est irrégulier, désordonné, étrange dans l’existence de ces dégénérés. Incapables de se fixer à rien, ils prennent et abandonnent successivement tous les métiers, s’essayent sans résultat dans les directions les plus diverses. Après avoir scandalisé le monde par l’excès de leurs fautes, ils l’étonnent par l’éclat de leur conversion et entrent dans les couvents les plus austères pour en sortir bientôt et reprendre le cours de leurs débordements [6]. Ils n’aiment absolument queux-mêmes : « mauvais fils, amants volages, époux distraits, pères oublieux, ils ont le coeur sec et froid… Êtres changeants, versatiles, inconséquents, paradoxaux, ils réagissent toujours d’une manière capricieuse et exagérée. Systématiquement hostiles à toute action moralisatrice, insensibles aux joies de la famille, inaccessibles aux douceurs de l’affection, instinctivement portés à la rébellion, aux extravagances, et au scandale, ils sont méchants, et font le mal pour le mal ».

La vie avec de pareils êtres n’est que luttes cachées, querelles intestines, souffrances morales horribles : un véritable enfer. Finissent-ils enfin par échouer dans un établissement d’aliénés, ils en deviennent le fléau, et y suscitent les désordres les plus multipliés. Habiles à cacher leurs défectuosités morales pourtant si profondes, ils en imposent par leur apparente lucidité à leurs parents, aux magistrats, aux employés eux-mêmes des asiles. À force d’instances, de démarches écrites, de réclamations comminatoires, ils réussissent à recouvrer la liberté, et ne tardent pas à reprendre le cours de leur vie irrégulière et désordonnée.

Les défectuosités de l’intelligence et de la sensibilité morale ne sont pas les seules qu’on constate chez les dégénérés héréditaires. Ils offrent encore, suivant les individus et leur degré de déchéance, de nombreuses imperfections physiques, vrais stigmates de la dégénérescence somatique faisant cortège aux stigmates de la dégénérescence intellectuelle et morale.

Tantôt les proportions des diverses parties du corps sont diminuées ou augmentées, la taille trop petite ou trop grande, les membres inégalement développés, parfois frappés de paralysies partielles ; le système pileux anormal. Tantôt le crâne présente des malformations diverses, une petitesse ou un volume exagérés, des saillies difformes, des crêtes, des proéminences, des dépressions inusitées. Campagne a signalé, comme signe fréquent, presque constant chez les dégénérés raisonnants, un aplatissement de la région postérieure de la tête [7].

Le visage offre des anomalies nombreuses, un front trop exigu ou trop haut par rapport aux autres parties, une absence d’harmonie dans les traits, des asymétries très développées, des tics, des contractions choréiformes de certains muscles de la face ; ou encore de la langue, d’où résulte le bégaiement. Du côté des yeux, on observe du strabisme, du nystagmus, des pigmentations irrégulières et une insertion vicieuse de la choroïde, des vices de conformation de l’iris. La bouche peut être d’une grandeur exagérée, les mâchoires proéminentes, les lèvres épaisses, la dentition irrégulière, atteinte d’anomalies et frappée de décadence précoce ; la voûte palatine asymétrique ou resserrée.

Les oreilles sont asymétriques, vicieusement implantées, les pavillons écartés, amincis ou complètement déplissés, les lobules absents.

Les sens sont souvent imparfaits, le goût surtout, qui peut manquer totalement.

Des anomalies importantes et curieuses sont celles qui frappent les organes génitaux des deux sexes et qui ont pour conséquence finale de s’opposer à la génération. Ces imperfections qui sont si fréquentes chez les idiots et les imbéciles, ne sont pas rares chez les dégénérés appartenant à une catégorie supérieure et consistent non seulement en des arrêts mais encore en des anomalies de développement variés, dont il me semble inutile de faire une énumération détaillée.

Dans le cas où les organes de la génération sont normalement conformés extérieurement, il n’est pas rare de voir leurs fonctions perverties. C’est ainsi que l’éveil précoce du sens génital, l’onanisme des enfants et des adolescents, est un signe certain du tempérament névropathique ; il en est de même de l’excitation anormale des fonctions sexuelles, de la frigidité, de l’impuissance, des obsessions mentales et des dépravations génésiques chez les adultes.

La santé des héréditaires peut être troublée à chaque instant par des maladies imprévues qui abattent leurs forces et bouleversent leur système nerveux. Un des accidents les plus communs auxquels ils soient sujets est l’accès congestif avec ou sans attaque épileptiforme, avec ou sans phénomènes de paralysie ; accès qui peut se produire à toutes les périodes de l’existence. Il en résulte à diverses reprises dans la vie des individus toutes sortes de phénomènes inquiétants du côté de l’intelligence, de la mémoire, de la volonté, de la sensibilité, de la parole et du mouvement. Tout rentre dans ’ordre jusqu’à ce qu’un dernier accès, plus grave que les autres, amène la terminaison fatale.

L’enfance des héréditaires est fréquemment marquée par des troubles du système nerveux qui revêtent une forme choréique, convulsive, pseudo-méningitique ou délirante. Comme nous l’avons dit précédemment, l’évolution de la puberté chez beaucoup d’entre eux est lente et difficile, et c’est souvent à ce moment que se décide leur avenir : ils évoluent définitivement ou vers l’imbécillité confirmée ou vers l’instabilité mentale et la folie héréditaire.

Un autre point à noter, c’est la façon originale dont se comportent les héréditaires vis-à-vis de l’alcool : les uns sont tellement sensibles qu’ils délirent à la moindre dose de boissons alcooliques ; les autres, au contraire, y sont tellement insensibles qu’ils ne peuvent s’enivrer et sont réfractaires aux plus forts excès.

Enfin, outre les particularités psychopathiques propres à la dégénérescence mentale, et qui font en quelque sorte partie du tempérament, de la manière d’être de l’individu, les héréditaires peuvent être atteints accidentellement de délire vésanique à la façon des aliénés ordinaires, mais encore dans ce cas, leur délire, quelle qu’en soit la forme, revêt des caractères spéciaux ; il a quelque chose de bizarre, d’incorrect, de mal venu, et ne semble obéir à aucune loi. Ils peuvent être atteints de manie, de délire des grandeurs, de délire de persécution, de mélancolie, mais par poussées, par accès, par bonds, avec des revirements et des volte-face inattendus, et des formes confuses, vagues, atténuées, se succédant, se superposant ou coïncidant chez le même sujet qui peut aussi présenter des délires multiples.

Morel divise les héréditaires en quatre classes.

Dans la première, il range ceux qui ne se font remarquer que par la simple exagération du tempérament nerveux. Ils présentent des anomalies dans la sphère des facultés intellectuelles et affectives, mais non des lacunes ; c’est une simple déséquilibration se traduisant par des excentricités et des idées fixes dont les patients ont pleine conscience, tout en étant dans l’impossibilité de s’y soustraire.

La seconde classe comprend ceux qui, avec une conservation apparente des facultés intellectuelles, présentent une profonde perturbation ou une absence complète des facultés morales, avec du délire des sentiments et des actes, des impulsions irrésistibles des perversions génésiques.

La troisième classe renferme les imbéciles, les instinctifs, les individus présentant des tendances précoces et innées pour le mal.

Enfin la quatrième comprend l’idiotie, c’est-à-dire l’arrêt complet de développement intellectuel.

Si cette classification est acceptable dans ses grandes lignes, elle est d’une application souvent bien difficile. Cependant, parmi tous les signes de dégénérescence physique et mentale que nous venons de passer en revue, il existe une sorte de hiérarchie. Ils n’ont pas tous, au point de vue du diagnostic, une valeur égale. Les anomalies physiques sont les plus graves de toutes ; elles révèlent sûrement la déchéance de l’individu et l’imperfection de ses organes, imperfection qui entraîne d’une façon fatale un mode vicieux de fonctionnement. Les multiples et bizarres déformations du crâne, par exemple, si communes chez les héréditaires, déterminent des compressions et des arrêts de développement du cerveau, dont les fonctions sont par là même, soit diminuées, soit perverties. La gravité des anomalies intellectuelles et morales varie, suivant que ces dernières consistent dans une diminution, une augmentation ou une perversion de ces facultés. Ainsi l’excès de sensibilité morale qui caractérise certains déséquilibrés a, au point de vue de la dégénérescence, une signification moins grave que l’absence complète ou la perversion du sens moral, qui caractérise tout une variété d’héréditaires. Il en est de même des excentricités intellectuelles comparées aux lacunes de l’intelligence.

Toutefois, nous le répétons, ces différences, bien que réelles, ne permettent pas d’établir une classification vraiment utile des dégénérescences mentales, car il n’y a ni fixité, ni uniformité dans leur manière de se grouper et de se manifester. Un imbécile peut être en même temps un excentrique ; un idiot moral est le plus souvent en même temps un imbécile intellectuel, mais on voit des idiots moraux doués d’une grande intelligence. L’exagération de la sensibilité morale, les impulsions et les obsessions se montrent tout aussi bien chez un individu faible d’esprit que chez une personne d’une intelligence très développée. Ce n’est donc que par un examen approfondi de chaque cas en particulier sous le triple aspect physique intellectuel et moral, qu’on peut arriver à établir le bilan d’un héréditaire et lui assigner son rang dans la hiérarchie des dégénérés.

Mais pour l’étude que nous nous sommes proposée, ces grandes divisions étaient insuffisantes. Pour présenter au lecteur les divers échantillons de la dégénérescence mentale, il nous a fallu, à défaut d’une classification acceptée par la science, adopter une méthode empirique, isoler, d’après leurs caractères saillants, les principaux types, et leur consacrer à chacun une description spéciale.

C’est ainsi que nous avons, dans les deux chapitres qui vont suivre, étudié les diverses sortes d’obsédés et d’impulsifs.

Dans les trois suivants, nous avons décrit les excentricités d’esprit souvent alliées à une certaine dose de folie, et qu’on rencontre chez les raisonnants, les persécuteurs, les mystiques.

Un autre est consacré aux états d’esprit où la perversion morale est prédominante, comme chez les hystériques et les criminels précoces.

Enfin, un dernier chapitre est consacré aux sexuels, c’est-à-dire à ceux qui présentent d’une façon prédominante des désordres psychiques ayant pour origine les fonctions et les organes de la génération.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre I, §. III : « Stigmates physiques, intellectuels et moraux de la dégénérescence héréditaire », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 33- 52.

Notes

[1Magnan, Comptes-rendus de la Société médico-psychologique (Annales médico-psychologiques, 1886).

[2« Les biographes de M. de Bismarck n’ont pas manqué de rapporter tout ce qui a trait à sa sensibilité pour les animaux et en particulier pour les chiens ; il en a toujours deux à table et il les nourrit de ses propres mains. Il y a dix ans il perdit Sultan, son molosse favori. Le chancelier l’assista jusqu’au bout et avec de telles marques de douleur que son fils essaya de lui faire quitter la pièce où se passait cette scène. M. de Bismarck y consentit, mais, arrivé à la porte, il se retourna, et ses yeux ayant rencontré le dernier regard de son vieil et fidèle ami : « Non, dit-il, laissez-moi seul ! » et il retourna auprès du pauvre Sultan. » (Temps, 1er septembre 1887).

[3Magnan, Annales médico-psychologiques, 1885.

[4Ces états délirants ont été précisément désignés par M. Magnan dans ses divers travaux sous le nom de Syndromes épisodiques de la folie héréditaire.

[5Legrand du Saulle, Annales médico-psychologiques, 1876.

[6J. Falret, Annales médico-psychologiques, 1867.

[7Campagne. Traité de la folie raisonnante. Paris.

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