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Richard von Krafft-Ebing

Le développement des sentiments sexuels chez l’individu

Psychopathia Sexualis : I. — Fragments d’un psychologie de la vie sexuelle

Date de mise en ligne : mercredi 19 mars 2008

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Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

I
FRAGMENTS D’UNE PSYCHOLOGIE DE LA VIE SEXUELLE

L’instinct sexuel comme base des sentiments éthiques. — L’amour comme passion. — La vie sexuelle aux diverses époques de la civilisation. — La pudeur. — Le Christianisme. — La monogamie. — La situation de la femme dans l’Islam. — Sensualité et moralité. — La vie sexuelle se moralise avec les progrès de la civilisation. — Périodes de décadence morale dans la vie des peuples. — Le développement des sentiments sexuels chez l’individu. — La puberté. — Sensualité et extase religieuse. — Rapports entre la vie sexuelle et la vie religieuse. — La sensualité et l’art. — Caractère idéaliste du premier amour. — Le véritable amour. — La sentimentalité. — L’amour platonique. — L’amour et l’amitié. — Différence entre l’amour de l’homme et celui de la femme. — Célibat. — Adultère. — Mariage. — Coquetterie. — Le fétichisme physiologique. — Fétichisme religieux et érotique. — Les cheveux, les mains, les pieds de la femme comme fétiches. — L’œil, les odeurs, la voix, les caractères psychiques comme fétiches.

L’étude de la vie sexuelle de l’individu doit commencer au moment du développement de la puberté et le suivre à travers toutes ses phases, jusqu’à l’extinction du sens sexuel.

Mantegazza, dans son livre : Physiologie de l’Amour, fait une belle description de la langueur et des désirs qui se manifestent à l’éveil de la vie sexuelle, de ces pressentiments, de ces sentiments vagues dont l’origine remonte à une époque bien antérieure au développement de la puberté. Cette période est peut-être la plus importante au point de vue psychologique. Le nombre de nouvelles idées et de nouveaux sentiments qu’elle fait naître nous permet déjà de juger de l’importance que l’élément sexuel exerce sur la vie psychique.

Ces désirs d’abord obscurs et incompris, naissent de sensations que des organes qui viennent de se développer ont éveillées ; ils produisent en même temps une vive agitation dans le monde des sentiments.

La réaction psychologique de la vie sexuelle se manifeste dans la période de la puberté par des phénomènes multiples, mais tous mettent l’âme dans un état passionnel et tous éveillent le désir ardent d’exprimer sous une forme quelconque cet état d’âme étrange, de l’objectiver pour ainsi dire.

La poésie et la religion s’offrent d’elles-mêmes pour satisfaire ce besoin ; elles reçoivent un stimulant de la vie sexuelle elle-même, lorsque la période de développement du sens génésique est passée et que les désirs incompris et obscurs sont précisés. Qu’on songe combien fréquente est l’extase religieuse à l’âge de la puberté, combien de fois des tentations sexuelles se sont produites dans la vie des Saints [1] et en quelles scènes répugnantes, en quelles orgies ont dégénéré les fêtes religieuses de l’antiquité, de même que les meetings de certaines sectes modernes, sans parler du mysticisme voluptueux qui se trouve dans les cultes des peuples de l’antiquité.

Par contre, nous voyons souvent la volupté non satisfaite chercher et trouver une compensation dans l’extase religieuse [2].

La connexité entre le sens sexuel et religieux se montre aussi dans le domaine psychopathologique. Il suffit de rappeler à ce propos la puissante sensualité que manifestent beaucoup d’individus atteints de monomanie religieuse ; la confusion bizarre du délire religieux et sexuel, comme on le constate si souvent dans les psychoses, par exemple chez les femmes maniaques qui s’imaginent être la mère de Dieu, mais surtout dans les psychoses produites par la masturbation ; enfin les flagellations cruelles et voluptueuses, les mutilations, les castrations et même le crucifiement, tous actes inspirés par un sentiment maladif d’origine religieuse et génitale en même temps.

Quand on veut expliquer les corrélations psychologiques qui existent entre la religion et l’amour, on se heurte à de grandes difficultés. Pourtant les analogies ne manquent pas.

Le sens sexuel et le sens religieux, envisagés au point de vue psychologique, se composent l’un et l’autre de deux éléments.

La notion la plus primitive de la religion, c’est le sentiment de la dépendance, fait constaté par Schleiermacher bien avant que les sciences nouvelles de l’anthropologie et de l’ethnographie aient abouti au même résultat par l’observation de l’état primitif. Chez l’homme seul, arrivé à un niveau de civilisation plus élevé, le deuxième élément qui est vraiment éthique, c’est-à-dire l’amour de la divinité, entre dans le sentiment religieux. Aux mauvais démons des peuples primitifs succèdent les êtres à deux faces, tantôt bons, tantôt irrités, qui peuplent les mythologies plus compliquées ; enfin on arrive à l’adoration du Dieu souverainement bon, distributeur du salut éternel, que ce salut soit la prospérité terrestre promise par Jehova, ou les délices du paradis de Mahomet, ou la béatitude éternelle du ciel des chrétiens, ou le Nirvana espéré par les Bouddhistes.

Pour le sens sexuel, c’est l’amour, l’espoir d’une félicité sans bornes, qui est l’élément primaire. En second lieu apparaît le sentiment de la dépendance. Ce sentiment existe en germe chez les deux êtres ; pourtant il est plus développé chez la femme, étant donnés la position sociale de cette dernière et son rôle passif dans la procréation ; par exception, il peut prévaloir chez des hommes dont le caractère psychique tend vers le féminisme.

Dans le domaine religieux aussi bien que dans le domaine sexuel, l’amour est mystique et transcendantal. Dans l’amour sexuel, on n’a pas conscience du vrai but de l’instinct, la propagation de la race, et la force de l’impulsion est si puissante qu’on ne saurait l’expliquer par une connaissance nette de la satisfaction. Dans le domaine religieux le bonheur désiré et l’être aimé sont d’une nature telle qu’on ne peut pas en avoir une conception empirique. Ces deux états d’âme ouvrent donc à l’imagination le champ le plus vaste. Tous les deux ont un objet illimité : le bonheur, tel que le mirage de l’instinct sexuel le présente, paraît incomparable et incommensurable à côté de toutes les autres sensations de plaisir ; on peut en dire autant des félicités promises par la foi religieuse et qu’on se représente comme infinies en temps et en qualité.

L’infini étant commun aux deux états d’âme que nous venons de décrire, il s’ensuit que ces deux sentiments se développent avec une puissance irrésistible et renversent tous les obstacles qui s’opposent à leur manifestation. Leur similitude en ce qui concerne la nature inconcevable de leur objet, fait que ces deux états d’âme sont susceptibles de passer à l’état d’une vague extase où la vivacité du sentiment l’emporte sur la netteté et la stabilité des idées. Dans ce délire l’espoir d’un bonheur inconcevable ainsi que le besoin d’une soumission illimitée jouent un rôle également important.

Les points communs qui existent entre les deux extases, points que nous venons d’établir, expliquent comment, lorsqu’elles sont poussées à un degré très élevé, l’une peut être la conséquence de l’autre, ou bien l’une et l’autre peuvent surgir en même temps, car toute émotion forte d’une fibre vivante de l’âme peut exciter les autres. La sensation qui agit d’une manière continuelle et égale évoque tantôt l’une, tantôt l’autre de ces deux sphères imaginatives. Ces deux états d’âme peuvent aussi dégénérer en un penchant à la cruauté active ou passive.

Dans la vie religieuse cet état engendre le besoin d’offrir des sacrifices. On offre un holocauste d’abord parce qu’on croit qu’il sera apprécié matériellement par la divinité, ensuite pour l’honorer et lui rendre hommage, comme tribut ; enfin parce qu’on croit expier par ce moyen le péché ou la faute qu’on a commise envers la divinité, et acquérir la félicité.

Si, comme cela arrive dans toutes les religions, le sacrifice consiste dans la torture de soi-même, il est, chez les natures religieuses très sensibles, non seulement un symbole de soumission et le prix d’un bonheur futur acheté par les peines du moment, mais c’est aussi une joie réelle, parce que tout ce qu’on croit venir de la divinité chérie, tout ce qui se fait par son commandement ou en son honneur, doit remplir l’âme de plaisir. L’ardeur religieuse devient alors l’extase, état dans lequel l’intellect est tellement préoccupé des sensations et des jouissances psychiques que la notion de la torture subie peut exister sans la sensation de la douleur.

L’exaltation du délire religieux peut amener à trouver de la joie dans le sacrifice des autres, si la notion du bonheur religieux est plus forte que la pitié que nous inspire la douleur d’autrui. Des phénomènes analogues peuvent se produire dans le domaine de la vie sexuelle ainsi que le prouvent le Sadisme et particulièrement le Masochisme.

Ainsi l’affinité souvent constatée entre la religion, la volupté et la cruauté [3], peut se résumer par la formule suivante : le sens religieux et le sens sexuel, arrivés au maximum de leur développement, présentent des similitudes en ce qui concerne le quantum et la nature de l’excitation ; ils peuvent donc se substituer dans certaines conditions. Tous deux peuvent dégénérer en cruauté, si les conditions pathologiques nécessaires existent.

Le facteur sexuel exerce aussi une grande influence sur le développement du sens esthétique. Que seraient les beaux-arts et la poésie sans l’élément sexuel ! C’est l’amour sensuel qui donne cette chaleur d’imagination sans laquelle il n’y a pas de véritable œuvre d’art ; c’est à la flamme des sentiments sensuels que l’art puise son brûlant enthousiasme. On comprend alors pourquoi les grands poètes et les grands artistes sont des natures sensuelles. Le monde de l’idéal s’ouvre quand le sens sexuel fait son apparition. Celui qui, à cette période de la vie, n’a pu s’enflammer pour le beau, le noble et le grand, restera un philistin toute sa vie. Même ceux qui ne sont point des poètes se mettent à faire des vers. Au moment du développement de la puberté, quand la réaction physiologique commence à se produire, les langueurs vagues, particulières à cette période, se manifestent par des tendances au sentimentalisme outré et à la mortification qui se développent jusqu’au tædium vitæ ; souvent il s’y joint le désir de causer de la douleur à autrui, ce qui offre une analogie vague avec le phénomène de la connexité psychologique qui existe entre la volupté et la cruauté.

L’amour de la première jeunesse a un caractère romanesque et idéaliste. Il glorifie l’objet aimé jusqu’à l’apothéose. À ses débuts il est platonique et préfère les êtres de la poésie et de l’histoire. Avec l’éveil de la sensualité, cet amour court risque de reporter son pouvoir d’idéalisation sur des personnes de l’autre sexe qui, au point de vue physique, intellectuel et social, sont bien loin d’être remarquables. Il peut en résulter des mésalliances, des faux pas, toute l’histoire tragique de l’amour passionné qui se met en conflit avec les principes moraux et sociaux et qui parfois trouve une solution sinistre dans le suicide ou le double suicide.

L’amour trop sensuel ne peut jamais être ni durable ni vraiment profond. Voilà pourquoi le premier amour est toujours très passager : il n’est que le flamboiement subit d’une passion, un feu de paille.

Il n’y a de véritable amour que celui qui se base sur la connaissance des qualités morales de la personne aimée, qui n’espère pas seulement des jouissances, mais qui est prêt à supporter des souffrances pour l’être aimé et à faire tous les sacrifices. L’amour de l’homme doué d’une grande force de caractère ne recule devant aucune difficulté ni aucun danger quand il s’agit d’arriver à la possession de la femme adorée et de la conserver. Il engendre les actes d’héroïsme, le mépris de la mort. Mais un tel amour court risque, dans certaines circonstances, de pousser au crime, surtout s’il n’y a pas un fonds solide de moralité. Un des vilains côtés de cet amour est la jalousie. L’amour de l’homme faible est sentimental ; il peut conduire au suicide s’il n’est pas payé de retour ou s’il se heurte à des difficultés, tandis que, dans des conditions analogues, l’homme fort peut devenir un criminel. L’amour sentimental risque souvent de dégénérer en caricature, surtout quand l’élément sensuel n’est pas assez fort. Qu’on se rappelle, à ce propos, les chevaliers Toggenbourg, les Don Quichotte, beaucoup de ménestrels et de trouvères du moyen âge.

Cet amour a un caractère fadasse, doucereux : par là même il peut devenir ridicule ; tandis que, dans d’autres cas, les manifestations de ce sentiment puissant du cœur humain évoquent ou la compassion, ou l’estime, ou l’horreur.

Souvent cet amour faible se porte sur d’autres objets : en poésie il produit des poèmes insipides, en esthétique il mène à l’outrancisme, en religion au mysticisme, à l’extase, et même, quand il y a un fond sensuel plus fort, aux idées sectaires et à la folie religieuse. Il y a quelque chose de tout cela dans l’amour non mûri de la puberté.

Les vers et les rimes, à cette période, ne supportent pas la lecture, à moins qu’ils n’aient pour auteurs des poètes de vocation.

Malgré toute l’éthique dont l’amour a besoin pour s’élever à sa vraie et pure expression, sa plus profonde racine est pourtant la sensualité.

L’amour platonique est une absurdité, une duperie de soi-même, une fausse interprétation d’un sentiment.

Quand l’amour a pour cause le désir sexuel, il ne peut se comprendre qu’entre individus de sexe différent et capables de rapports sexuels. Si ces conditions manquent ou si elles disparaissent, l’amour est remplacé par l’amitié.

Il est à remarquer le rôle important que jouent les fonctions sexuelles dans le développement et la conservation de la confiance de l’homme en lui-même. On s’en rend compte quand on voit l’onaniste aux nerfs affaiblis et l’homme devenu impuissant perdre leur caractère viril et la confiance en leur propre valeur.

M. Gyurkovechky (Männl. Impotenz. Vienne, 1889) fait justement remarquer que les vieillards et les jeunes gens diffèrent psychiquement surtout par leur degré de puissance génitale, car l’impuissance porte une grave atteinte à la gaieté, à la vie intellectuelle, à l’énergie et au courage. Plus l’homme qui a perdu sa puissance génitale est jeune et plus il était porté aux choses sensuelles, plus cette atteinte est grave.

Une perte subite de la puissance génitale peut, dans ces conditions, produire une grave mélancolie et pousser même au suicide ; car, pour de pareilles natures, la vie sans amour est insupportable. Mais, même dans ces cas où la réaction n’est pas aussi violente, celui qui en est atteint devient morose, envieux, égoïste, jaloux, misanthrope ; l’énergie et le sentiment d’honneur s’affaiblissent ; il devient même lâche.

On peut constater les mêmes phénomènes chez les Skopzys de Russie, qui, après s’être émasculés, perdent leur caractère viril.

La perte de la virilité se manifeste d’une manière bien plus frappante encore chez certains individus, chez qui elle produit une véritable effémination.

Au point de vue psychologique, la femme, à la fin de sa vie sexuelle, après la ménopause, tout en étant moins bouleversée, présente néanmoins un changement assez notable. Si la vie sexuelle qu’elle vient de traverser a été heureuse, si des enfants sont venus réjouir le cœur de la mère au seuil de la vieillesse, le changement de son individualité biologique échappe à son attention. La situation est tout autre quand la stérilité ou une abstinence imposée par des conditions particulières ont empêché la femme de goûter les joies de la maternité.

Ces faits mettent bien en relief la différence qui existe entre la psychologie sexuelle de l’homme et celle de la femme, entre leurs sentiments et leurs désirs sexuels.

Chez l’homme, sans doute, l’instinct sexuel est plus vif que chez la femme. Sous le coup d’une forte poussée de la nature, il désire, quand il arrive à un certain âge, la possession de la femme. Il aime sensuellement, et son choix est déterminé par des qualités physiques. Poussé par un instinct puissant, il devient agressif et violent dans sa recherche de l’amour. Pourtant, ce besoin de la nature ne remplit pas toute son existence psychique. Son désir satisfait, l’amour, chez lui, fait temporairement place aux intérêts vitaux et sociaux.

Tel n’est pas le cas de la femme. Si son esprit est normalement développé, si elle est bien élevée, son sens sexuel est peu intense. S’il en était autrement, le monde entier ne serait qu’un vaste bordel où le mariage et la famille seraient impossibles. Dans tous les cas, l’homme qui a horreur de la femme et la femme qui court après les plaisirs sexuels sont des phénomènes anormaux.

La femme se fait prier pour accorder ses faveurs. Elle garde une attitude passive. Ce rôle s’impose à elle autant par l’organisation sexuelle qui lui est particulière que par les exigences des bonnes mœurs.

Toutefois, chez la femme, le côté sexuel a plus d’importance que chez l’homme. Le besoin d’aimer est plus fort chez elle ; il est continu et non pas épisodique ; mais cet amour est plutôt psychique que sensuel.

L’homme, en aimant, ne voit d’abord que l’être féminin ; ce n’est qu’en second lieu qu’il aime la mère de ses enfants ; dans l’imagination de la femme, au contraire, c’est le père de son enfant qui tient le premier rang ; l’homme, comme époux, ne vient qu’après. Dans le choix d’un époux, la femme est déterminée plutôt par les qualités intellectuelles que par les qualités physiques. Après être devenue mère, elle partage son amour entre l’enfant et l’époux. Devant l’amour maternel, la sensualité s’éclipse. Aussi, dans les rapports conjugaux qui suivent sa maternité, la femme voit plutôt une marque d’affection de l’époux qu’une satisfaction des sens.

La femme aime de toute son âme. Pour la femme, l’amour c’est la vie ; pour l’homme, c’est le plaisir de la vie. L’amour malheureux blesse l’homme ; pour la femme, c’est la mort ou au moins la perte du bonheur de la vie. Une thèse psychologique digne d’être étudiée, ce serait de savoir si une femme peut, dans son existence, aimer deux fois d’un amour sincère et profond. Dans tous les cas, la femme est plutôt monogame, tandis que l’homme penche vers la polygamie.

La puissance des désirs sexuels constitue la faiblesse de l’homme vis-à-vis de la femme. Il dépend d’autant plus de la femme qu’il est plus faible et plus sensuel. Sa sensualité s’accroît avec son nervosisme. Ainsi s’explique ce fait que, dans les périodes d’amollissement et de plaisirs, la sensualité s’accroît d’une façon formidable. Mais alors la société court le danger de voir l’État gouverné par des femmes et entraîné à une ruine complète (le règne des maîtresses à la cour de Louis XIV et Louis XV ; les hétaïres de la Grèce dans l’antiquité). La biographie de bien des hommes d’État anciens et modernes nous montre qu’ils étaient esclaves des femmes par suite de leur grande sensualité, sensualité due à leur constitution névropathique.

L’Église catholique a fait preuve d’une subtile connaissance de la psychologie humaine, en astreignant ses prêtres à la chasteté et au célibat ; elle a voulu, par ce moyen, les émanciper de la sensualité pour qu’ils puissent se consacrer entièrement à leur mission.

Malheureusement le prêtre qui vit dans le célibat est privé de cet effet ennoblissant que l’amour et, par suite, le mariage, produisent sur le développement du caractère.

Comme la nature a attribué à l’homme le rôle de provocateur dans la vie sexuelle, il court le risque de transgresser les limites tracées par la loi et les mœurs.

L’adultère chez la femme est, au point de vue moral, plus grave et devrait être jugé devant la loi plus sévèrement que l’adultère commis par l’homme. La femme adultère comble son propre déshonneur par celui de l’époux et de la famille, sans tenir compte de la maxime : Pater incertus. L’instinct naturel et sa position sociale font facilement fauter l’homme, tandis que la femme est protégée par bien des choses. Même les rapports sexuels de la femme non mariée doivent être jugés autrement que ceux de l’homme célibataire. La société exige de l’homme célibataire de bonnes mœurs ; de la femme, la chasteté. Avec la civilisation et la vie sociale de nos temps la femme ne peut servir, au point de vue sexuel, les intérêts sociaux et moraux qu’en tant qu’elle est épouse.

Le but et l’idéal de la femme, même de celle qui est tombée dans la fange et dans le vice, est et sera toujours le mariage. La femme, comme le dit fort justement Mantegazza, ne demande pas seulement à satisfaire son instinct sexuel, mais elle recherche aussi protection et aide pour elle et pour ses enfants. L’homme animé de bons sentiments, fût-il des plus sensuels, recherche pour épouse une femme qui a été chaste et qui l’est encore. Dans ses aspirations vers l’unique but digne d’elle, la femme se sert de la pudeur, cuirasse et ornement de l’être féminin. Mantegazza dit avec beaucoup de finesse que « c’est une des formes physiques de l’estime de soi-même chez la femme ».

L’étude anthropologique et historique du développement de ce plus bel ornement de la femme n’entre pas dans le cadre de notre sujet. Il est probable que la pudeur féminine est un produit de la civilisation perpétué par l’atavisme.

Ce qui forme un contraste bien curieux avec elle, c’est l’étalage occasionnel des charmes physiques, sanctionné par la loi de la mode et la convention sociale, et auquel la vierge, même la plus chaste, se prête dans les soirées de bal. Les mobiles qui président à cette exhibition se comprennent. Heureusement la fille chaste ne s’en rend pas compte, de même qu’elle ne comprend pas les raisons de certaines modes qui reviennent périodiquement et qui ont pour but de faire mieux ressortir certaines parties plastiques du corps, comme les fesses, sans parler du corsage, etc.

De tout temps et chez tous les peuples, le monde féminin a manifesté de la tendance à se parer et à mettre en évidence ses charmes. Dans le monde des animaux la nature a distingué le mâle par une plus grande beauté. Les hommes, au contraire, désignent les femmes sous le nom de beau sexe. Évidemment cette galanterie est le produit de la sensualité masculine. Tant que les femmes s’attifent uniquement dans le but d’être parées, tant qu’elles ne se rendent pas clairement compte de la cause physiologique de ce désir de plaire, il n’y a rien à redire. Aussitôt qu’elles le font en pleine connaissance de cause, cette tendance dégénère en manie de plaire.

L’homme qui a la manie de s’attifer, se rend ridicule toujours. Chez la femme on est habitué à cette petite faiblesse, on n’y trouve rien de répréhensible tant qu’elle n’est pas l’accessoire d’une tendance pour laquelle les Français ont trouvé le mot de coquetterie.

En fait de psychologie naturelle de l’amour, les femmes sont de beaucoup supérieures aux hommes. Elles doivent cette supériorité soit à l’hérédité, soit à l’éducation, le domaine de l’amour étant leur élément particulier ; mais elles la doivent aussi à leur plus grand degré d’intuition (Mantegazza).

Même quand l’homme est arrivé au faîte de la civilisation, on ne peut pas lui faire un reproche de voir dans la femme avant tout un objet de satisfaction pour son instinct naturel. Mais il lui incombe l’obligation de n’appartenir qu’à la femme de son choix. Dans les États civilisés il en résulte un traité normal et obligatoire, le mariage ; et, comme la femme a besoin de protection et d’aide pour elle et ses enfants, il en résulte un code matrimonial.

En vue de certains phénomènes pathologiques que nous traiterons plus tard, il est nécessaire d’étudier les processus psychologiques qui rapprochent un homme et une femme, les attachent l’un à l’autre au point que, parmi tous les individus d’un même sexe, seuls tel ou telle paraissent désirables.

Si l’on pouvait démontrer que les procédés de la nature sont dirigés vers un but déterminé, — leur utilité ne saurait être niée, — cette sorte de fascination par un seul individu du sexe opposé, avec de l’indifférence pour tous les autres individus de ce même sexe, fait qui existe réellement chez les amoureux vraiment heureux, paraîtrait comme une admirable disposition de la création pour assurer les unions monogames qui seules peuvent servir le but de la nature.

Quand on analyse scientifiquement cette flamme amoureuse, cette « harmonie des âmes », cette « union des cœurs », elle ne se présente nullement comme « un mystère des âmes » ; dans la plupart des cas on peut la ramener à certaines qualités physiques, parfois morales, au moyen desquelles la personne aimée exerce sa force d’attraction.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

Notes

[1Consulter Friedreich, qui a cité de nombreux exemples. Ainsi la nonne Blankebin était sans cesse tourmentée par la préoccupation de savoir ce qu’a pu devenir la partie du corps du Christ qu’on a enlevée lors de la circoncision.
Veronica Juliani, béatifiée par le pape Pie II, a, par vénération pour l’Agneau céleste, pris un agneau véritable dans son lit, l’a couvert de baisers et l’a laissé téter à ses mamelles, qui donnaient quelques gouttelettes de lait.
Sainte Catherine de Gènes souffrait souvent d’une telle chaleur intérieure que pour l’apaiser elle se couchait par terre et criait : « Amour, amour, je n’en peux plus ! » Elle avait une affection particulière pour son père confesseur. Un jour elle porta à son nez la main du confesseur et elle sentit un parfum qui lui pénétra au cœur, « parfum céleste, dont les charmes pourraient réveiller les morts ».
Sainte Armelle et sainte Elisabeth étaient tourmentées d’une passion analogue pour l’enfant Jésus. On connaît les tentations de saint Antoine de Padoue. Nous citons encore comme très caractéristique cette prière trouvée dans un très ancien missel : « Oh ! puissé-je t’avoir trouvé, très charmant Emmanuel, puissé-je t’avoir dans mon lit ! Combien mon âme et mon corps s’en réjouiraient ! Viens, rentre chez moi, mon cœur sera ta chambre ! »

[2Consulter Friedreich : Diagnostik der psych. Krankheiten, p. 247, et Neumann : Lehrb. der Psychiatrie, p. 80.

[3Cette trinité trouve son expression non seulement dans les phénomènes de la vie réelle, tels qu’ils viennent d’être décrits, mais aussi dans la littérature dévote et même dans les beaux-arts des périodes de décadence. Sous ce rapport, on peut rappeler la triste célébrité du groupe de sainte Thérèse de Bernini, qui, prise d’un évanouissement hystérique, s’affaisse sur une blanche nuée, tandis qu’un ange amoureux lui lance dans le cœur la flèche de l’amour divin (Lübke).

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