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Fêtes et Coutumes populaires

Masques et Travestis

par Charles Le Goffic

Date de mise en ligne : mercredi 6 février 2008

Charles Le Goffic, « Masques et Travestis », Fêtes et Coutumes populaires, Éd. Armand Colin, Paris, 1911, pp. 47-58.

Masques et Travestis.

Mardi gras, ne t’en va pas,
J’ferons des crêpes, j’ferons des crêpes.
Mardi gras, ne t’en va pas,
J’ferons des crêpes et t’en auras !…

Vous connaissez le refrain : il est vieux comme les rues et toujours de circonstance aux jours de frairie qui précèdent l’entrée en carême. Dans la poêle, où le beurre rissolle avec un bruit de crécelle exaspérée, l’habile ménagère fait sauter la pâte de farine, mêlée à des jaunes d’œufs et trempée de lait pur. Les crêpes sont le mets particulier des jours gras, comme la galette est la friandise de Noël et de l’Épiphanie. On les sert chaudes sur la table de famille, pliées en quatre, dorées et fleurant bon. Mais le lendemain, refroidies, elles font encore dans le café ou le thé un manger délicieux. Il faut seulement veiller à ce que la pâte soit légère et bien cuite. Les meilleures crêpes ont la couleur de l’acajou verni et ne pèsent pas plus qu’une dentelle…

Un poète breton bien oublié aujourd’hui et qui eut son heure de demi-célébrité, Stéphane Halgan, a consacré tout un poème à la louange des crêpes. Un jour qu’il flânait sur les bords de l’Odet, non loin du Marhallac’h, l’orage le surprit et le força de chercher un refuge dans une chaumière voisine :

Attendant que le ciel fût au moins devenu
Calme, sinon sans voile,
Je voyais près de moi la servante au bras nu
Faisant fumer la poêle.
La pâte s’étalait ; son flot moins transparent
S’arrondissait en crêpe,
Et le gâteau cuisait, cuisait en susurrant
Ainsi qu’un vol de guêpe…
Lorsque la crêpe était bien blonde d’un côté,
D’une batte légère,
Voici qu’un tour de main leste et précipité
La tournait tout entière.

Cette gymnastique culinaire finit par intéresser le visiteur. Il s’enquit des éléments qui entraient dans la confection de ces fines galettes, du mode de battage et du degré de cuisson qu’il y fallait, et, l’orage passé, le ciel rasséréné, il composa son poème en regagnant les berges de l’Odet : les crêpes avaient trouvé leur Homère.

Leur Homère, mais non leur Hésiode : Halgan est muet sur l’origine des crêpes. Je ne suis guère plus savant que lui là-dessus. Je ne sais même pas avec précision pourquoi les crêpes sont la friandise des jours gras. Peut-être, — mais ce n’est qu’une hypothèse, — parce que le carnaval est le fourrier du carême. Caro vale ! Adieu la chair ! Et, en attendant, on se rue en cuisine et, par trois jours de vie copieuse, on tâche à se munir en vue des mortifications et des jeûnes du saint temps. La précaution n’est pas nouvelle. Un cartulaire du XIIe siècle dit qu’à Péronne les chanoines de la collégiale de Saint-Fursy tenaient, le mardi de la Quinquagésime, un past ou festin solennel. Et l’on sait que, dans les moindres hameaux du Berry, la promenade du bœuf villé ou viellé, ainsi nommée parce qu’elle se faisait au son des vielles, était l’annonce de grandes réjouissances culinaires.


LES CRÊPES DU MARDI GRAS.

Mais ces innocentes réfections sont loin d’être particulières au carnaval. Ce qui le distingue entre toutes les fêtes profanes de l’année, c’est qu’il est un prétexte à déguisements et à mascarades. La coutume date de loin. Sans remonter jusqu’à la fête juive des phurim, aux anthestéries athéniennes, aux lupercales et aux saturnales des Romains, il suffit de rappeler que dès le Ve siècle les conciles et les écrivains ecclésiastiques reprochaient à nos pères de gâter le plus beau des ouvrages de Dieu en le transformant, durant les jours gras, « soit en bêtes sauvages et domestiques, telles que veaux et faons de biche, soit en monstres et larves de leur façon ». Ces graves avertissements restèrent lettre morte. Les mascarades se multiplièrent. On a gardé le souvenir des fêtes des fous et de l’âne qui se donnaient au moyen âge. Philippe le Bel se plaisait fort à la joyeuse procession du renard. Charles VI parut à la cour sous un costume de sauvage ; le feu prit à ses fourrures et il faillit brûler vif. Isabeau de Bavière osa figurer « en façon de syrène », nue jusqu’à mi-corps, dans un divertissement de mardi gras. Le synode de Rouen arrêta un moment ces scandales. Mais ils reprirent de plus belle sous le règne de François Ier.

Les dames de la cour avaient adopté, pour garantir leur teint des injures de l’air, des loups de velours noir, doublés de taffetas blanc, qu’on fixait dans la bouche à l’aide d’un fil d’archal terminé par un bouton de verre. Les seigneurs les imitèrent, et les abus furent tels que le Parlement se décida, en 1535, à faire enlever par ministère d’huissier tous les masques qui se trouvaient chez les marchands. On ne les toléra dans les rues qu’en temps de carnaval. Mais cette prohibition n’eut pas de longs effets. Henri III rappela les masques exilés et leur rendit la vogue.


LA FABRICATION DES MASQUES ET FAUX NEZ : L’ESTAMPAGE.

Vint Henri IV ; la cour mit plus de retenue à ses plaisirs, mais sans abandonner la mode des déguisements. À cette époque, le quartier général des masques était dans la rue Saint-Antoine. C’est là que Mardi-Gras-Carême-Prenant tenait ses assises solennelles. Le XVIIIe siècle n’eut garde de les supprimer. Paris n’était plus qu’une vaste mascarade. Le régent donnait le ton, le peuple faisait chorus. La dernière de ces mascarades fut celle de 1788. On entrait dans la Révolution. Le carnaval fut proscrit comme « attentatoire à la dignité humaine », et l’on peut noter que c’est l’une des rares fois où les pères conscrits de la Convention se soient trouvés d’accord avec les Pères de l’Église. L’interdiction dura jusqu’au Directoire, où elle fut levée. Aussi le carnaval de 1799 eut-il un éclat extraordinaire. « Tout le monde voulut se masquer, dit M. Henri Carnoy, et les fabriques de masques, loups et costumes de déguisements, travaillèrent nuit et jour pendant plus de trois mois. Ce fut cette année-là que l’italien Marrassi établit à Paris la première fabrique de faux visages qu’on y ait créée. »

De nos jours, le carnaval, réduit à des distributions de confetti et de serpentins, est en pleine décadence. Sous Louis-Philippe et pendant le second Empire, Paris eut encore sa descente de la Courtille et sa promenade du bœuf gras. Les organisateurs de la fête se recrutaient parmi les inspecteurs de la boucherie ; les frais étaient couverts par des souscriptions et des dons. Quant au personnel de la mascarade, il se composait presque exclusivement de garçons bouchers. L’Empire permit à la troupe d’entrer dans la composition du cortège. Après sa promenade traditionnelle sur les boulevards, la cavalcade pénétrait dans la cour des Tuileries et défilait devant l’Empereur.

Paris n’a plus de bœuf gras et la descente de la Courtille se réduit à quelques masques crottés qui promènent sur nos boulevards des panaches mélancoliques et de lamentables justaucorps. La vogue même des confetti et des serpentins commence à bien s’atténuer. C’est M. Lué, régisseur du Casino de Paris, qui le premier, en 1891, cherchant une attraction pour les bals de l’établissement auquel il était attaché, eut l’idée de remplacer par du papier inoffensif les cuisants confetti de plâtre dont on se bombarde en Italie. À cet effet, il chargea son père, ingénieur à Modane, de lui envoyer une certaine quantité de ces petits résidus de forme ronde enlevés des feuilles de papier que l’on perce pour l’élevage des vers à soie. Ainsi naquit le confetti parisien. Son succès fut énorme. Des établissements publics, l’invention gagna la rue ; tout le monde s’en mêla. Ce fut une vraie folie. Qui n’a vu, le lendemain du Mardi Gras et de la Mi-Carême, les chaussées couvertes d’une bouillie polychrome de quinze à vingt centimètres d’épaisseur ? Il ne se dépense pas, à Paris, en une seule journée de carnaval et pour peu que le temps soit beau, moins d’un million de kilos de ces minuscules projectiles. Quant aux serpentins, il faut renoncer tout de bon à compter les kilomètres et les myriamètres qui s’en déroulent. Si le confetti n’est pas autochtone, et s’il est permis de ne voir en lui qu’une contrefaçon du confetti transalpin, il n’en est pas de même du serpentin ou spirale qui est une invention exclusivement parisienne. Chose curieuse, cette invention remonterait à la même année que celle des confetti. On l’attribue à un jeune employé du bureau 47 des télégraphes de Paris. Les inventeurs sont modestes. Celui-ci n’a pas dit son nom. Tout ce que l’histoire sait de lui, c’est qu’il imagina de lancer sur la foule, du haut d’un balcon, des rouleaux de papier bleuté destiné au télégraphe Morse. Il n’avait pas pris de brevet pour sa découverte, sans quoi il serait aujourd’hui millionnaire. Paris fut tout de suite fou des serpentins comme il l’avait été des confetti. Le carnaval parisien leur dut un bref renouveau. Puis la satiété est venue. Nous revoilà au même point qu’avant. Mais, en province et dans quelques villes de l’étranger, le carnaval a conservé un certain éclat. On a mille fois décrit les carnavals de Nice, de Rome et de Venise, et nous n’y reviendrons pas. Celui de Venise excède d’ailleurs toutes proportions. Il ne dure pas moins de trois mois et tout le monde y porte le masque. Les chars et les gondoles circulent en musique ; les confetti et les coriandoli pleuvent comme mitraille ; princes, artisans, chacun participe à la folie générale.

Nous n’allons point, chez nous, à ces excès. Notre carnaval a l’haleine courte et dure au plus jusqu’au mercredi des Cendres. On cite celui de Nantes comme un des plus amusants ; c’est, dans la rue Graslin, un défilé ininterrompu de voitures et de chars splendidement décorés, et la bataille, assez chaude, s’y livre à coups d’oranges et de mandarines. Mais il n’y a rien là de bien caractéristique. Tout au contraire, à Arles et dans les environs, le mardi gras prête à une cérémonie intéressante qu’on appelle la Morisque et où les figurants, costumés à l’orientale, exécutent avec des sonnettes la danse sarrasine des épées. En Bourgogne, le dimanche gras donne lieu au baptême du seigneur Carnaval, immense mannequin de paille enguirlandé et enrubanné, qu’on promène en palanquin dans les rues et qu’on brûle vif, le mardi soir, sur un bûcher de sarments.


LE CARNAVAL À PARIS : LE CHAR DE LA REINE DES REINES.

Cette coutume, il est vrai, se retrouve un peu partout. Carnaval ou Carême-Prenant, suivant qu’on l’appelle de l’un ou l’autre nom, est flambé ou jeté à l’eau avec accompagnement de lamentations grotesques. Il y a bien quelques variantes au programme. C’est ainsi qu’en Bohême on figure messer Carnaval au moyen d’une vieille basse qu’on recouvre de draps blancs et qu’on porte en terre au son des violes et des fifres. Dans le Jura, on se passe même de personnage. Le dimanche qui suit le carnaval s’appelle dimanche des Bures, ou des brandons : on dresse d’immenses bûchers de sapin sur le haut des montagnes et on danse tout autour à la nuit tombante. Une coutume plus curieuse encore est celle de nos paysans de Touraine : quand un jeune homme désire se faire agréer d’une jeune fille, il porte à ses parents, le jour du mardi gras, un gigot enveloppé d’une serviette blanche. Si la jeune fille agrée l’hommage, elle retourne à son prétendu la queue du gigot enguirlandée de rubans et de fleurs, et l’on célèbre le soir même les fiançailles des amoureux.

Autre cérémonie originale, connue sous le nom de scie d’Harfleur et qui se déroulait au Havre, dont Harfleur n’est distant que d’un ou deux kilomètres : une cavalcade partait de cette dernière ville, conduite par une façon de monarque burlesque tenant à la main un sceptre qu’on appelait, je ne sais pourquoi, bâton friseux. « Derrière lui, dit Prosper Legros, s’avançaient deux hommes costumés d’une manière bizarre, qui portaient en triomphe une scie bariolée de rubans. » La mascarade pénétrait au Havre, rendait visite au maire, au commandant de la place et aux principales autorités, et, à chacune de ces stations, elle chantait une chanson de circonstance et donnait la scie à baiser. La cérémonie datait de si loin, son origine était si ancienne, qu’on en avait oublié la signification.

Il n’est pas jusqu’à la sévère et croyante Bretagne qui ne se laisse aller aux séductions du carnaval. Carême-Prenant y porte le nom de Meurlajé ou Morlajé, autrement dit « Boule-de-Graisse » ou « Mer-de-Suif ». Comment serait-on mélancolique avec un nom pareil ? Un quatrain l’affirme :

Meurlaje a zo eur paotr ge !
Me garche e badfe bemde
Hag an eost diou wech ar bla,
Gouël Mikel bep seiz bla.

« Meurlajé est un gai luron ! Je voudrais qu’il revînt tous les jours, et le temps de la moisson deux fois l’an, et la Saint-Michel (époque du terme) une fois seulement tous les sept ans. »

Comme pendant au carnaval breton, voulez-vous connaître un mardi gras cosaque ? La scène est d’ordinaire dans une grange, où, harnachés de grelots et d’oripeaux, jeunes et vieux se livrent à un galop effréné en chantant une de ces doumskas populaires dont le grand compositeur russe Glinka n’a pas dédaigné de s’inspirer :

Le vent siffle dans les bois.
Il pleut, mais des chants s’élèvent dans la nuit.
La ronde tourbillonne.
Demain est au jeûne et à la prière ;
Aujourd’hui est à la joie.
Vive le carnaval !

On s’explique moins que les Arabes, qui n’ont pas, malgré le Rhamadan, l’excuse de nos quarante jours d’abstinence, aient éprouvé le besoin de « faire carnaval », comme on disait au XVIIe siècle. « Qui se douterait, lisons-nous chez un explorateur, M. Bache, qu’à l’extrémité du Sahara algérien on dût trouver nos coutumes des jours gras ? Il en est ainsi pourtant. Hommes et femmes se déguisent à l’envi, et cette mascarade générale, montée sur des chameaux, court pendant sept jours et sept nuits les rues et les marchés d’Ouargla. Ce n’est point là une importation française ; la coutume existe de temps immémorial. » Nul doute cependant qu’elle ne disparaisse un jour où l’autre, comme notre propre carnaval. Les vieilles coutumes s’en vont, et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on l’observe. La disparition de celle-ci ne nous inspirera d’ailleurs qu’un regret médiocre ; ces folies, souvent licencieuses, trahissent plus de fatigue que de véritable gaieté. Sommes-nous trop vieux pour nous y plaire ou n’est-ce point qu’elles avaient pour condition même les mortifications du « saint temps », auxquelles si peu de gens se soumettent encore ? Les jours gras supposent des jours maigres, et qui mange et boit tout son saoul pendant le Carême ne sent plus la nécessité de se fortifier contre l’abstinence par une indigestion préalable.

Mardi Gras est mort.
Sa femme en hérite
D’une cuillère à pot
Et d’une vieille marmite.
Chantez haut, chantez bas :
Mardi Gras n’reviendra pas.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après le texte de Charles Le Goffic, « Masques et Travestis », Fêtes et Coutumes populaires, Éd. Armand Colin, Paris, 1911, pp. 47-58.

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