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Les “P” sœurs : Psychanalyse, Philosophie et Poésie

Pourquoi Trois ?

Dire avec Lacan qu’« il n’y a pas de rapport sexuel »…

Date de mise en ligne : samedi 19 janvier 2008

Auteur : Aurélien MARION

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« L’amour est impuissant, quoiqu’il soit réciproque, parce qu’il ignore qu’il n’est que le désir d’être Un, ce qui nous conduit à l’impossible d’établir la relation d’eux. La relation d’eux qui ? – deux sexes. » (Jacques Lacan, Séminaire XX).

Dire, avec Lacan, qu’il n’y a pas de rapport sexuel signifie quadruplement que l’humanité repose sur la ternarité. D’abord, il nous faut faire appel à la logique : si le 1 découle du 0, le 2, quant à lui, ne peut apparaître que par l’intermédiaire du 3. En effet, si yad’lun, c’est qu’il y a un manque, un trou, une béance. Pour qu’il y est Un, il faut qu’il y est de l’inexistence, un ensemble vide qui puisse nous faire distinguer l’Un. Ainsi, le Zéro est statut de l’impossible rapport du fait qu’à Deux, il en manque toujours Un. Inversement, l’existence d’un impossible ne peut se penser qu’à partir de son symbole, 0, qui en tant que signifiant, est 1. De même, la répétition ne pouvant être première, elle suppose un avant qui la fonde comme telle. Alors, 0 et 1 se légitimant, ils font apparaître le 2 comme signifiant de leur ‘di-stinction’. Ce Deux, on ne peut dire comment il vient, mais il apparaît du fait que l’Un soit. Ce qui se passe entre les 2 signifiants, 1 et 0, est ce qui fonde la répétition : ce mouvement que Lacan appelle la Nade peut désigner ce qu’Aristote nomme Epiphora ou ce que Kristeva entend par Anaphore. Seulement, à partir du moment où l’inexistence et l’existence produisent quelque chose, ce ne peut être qu’un tiers terme, le Deux. Effectivement, 0, 1 et 2 font, symboliquement, Trois. Les sexes étant Deux, leur rapport est impossible car il doit nécessairement en manquer Un pour que l’autre soit. Ensuite, il nous faut faire appel à l’essence même du rapport : ce dernier n’est qu’en tant qu’inscrit. Et, comme le sexuel relève d’un manque, d’une inexistence le signifiant, il ne peut s’écrire qu’en tant qu’impossible. De fait, c’est l’inscription de ce non-rapport qui sous-entend une trivalence : édifier l’inexistence d’eux (les sexes) revient à différencier l’existence de l’Un, et, celle de son corrélatif, le manque, d’où l’impossibilité signifiée par Trois. De cette double impossibilité, logique et langagière, découle l’existence d’une troisième : la différence de jouissances (J). Le ‘vide-médian’ (Lao-Tseu) en tant qu’impossibilité, sépare les jouissances de chaque sexe. Pour saisir leur ‘di-jonction’, il nous faut comprendre la relation du Réel (R) -c’est-à-dire, l’impossible du rapport sexuel signifié par le vide du 0- au Symbolique (S) — c’est-à-dire, le lieu de l’Autre (A) en tant qu’existences des signifiants et signifiants des existences : celle du manque et celle de l’Un. Penser impliquant forcément le langage, le Réel n’inexiste qu’en existant par le Symbolique. Seulement, l’Autre ne peut exister qu’en tant que structure du vide, ‘matérialisation’ de l’impossible, évocation de l’inconnaissable. De ce fait, l’Humanité n’est possible que dans la triangulation : la représentation psychique, donc langagière, du Réel par le Symbolique, ou plus précisément, la signifiance de l’être d’un Sujet par un signifiant, pour un autre. L’image du Sujet s’anaphorise, justement, comme différenciation par l’Autre pour l’autre : le Un et le Zéro sont une ‘Dyade’ à partir du moment où le Symbolique affirme leur co-existence — cette injonction ‘unaire’ est l’Imago fondatrice du Moi et de sa ‘dit-mension’ Imaginaire (I).

Si l’ordonnancement du sexuel comme impossible, du corps comme inconnaissable ou de la guerre comme impensable est ce Réel que l’Autre jalonne de signifiants afin de symboliquement introjecter lalangue, matrice de notre Inconscient — structuré comme un langage — l’Imaginaire nous fait prendre conscience de cette ambivalence matricielle. Ainsi, les mouvements ‘inter-dits’, violence pure d’un Eros assailli par un Thanatos toujours déjà plus puissant, nous apparaissent, soit comme symptômes (jaillissements psychotique ou névrotique du Réel), soit comme productions inconscientes déformées par notre Imaginaire, en Réalité. Notre Moi diffuse le Réel tel que nous voulons le voir, sur l’écran de nos fantasmes, pas pour nous en garder moralement mais bien pour en adoucir la charge mortifère. Seulement, l’Imaginaire comme représentation de nos pensées (du monde) est, le plus souvent, barré par l’Autre, lieu symbolique originel d’où tout se soutient. De cette façon, la dialectique intersubjective n’est possible que par validation unienne de l’Autre : un Sujet reconnaît l’autre en tant qu’être-Un parce qu’il est lui-même fondé comme Un. C’est pourquoi, notre existence comme ‘être-au-monde’ est originellement triangulaire : mon Moi ne se représente l’autre imaginairement qu’à partir du moment où l’Autre l’a confirmé. De ce fait, nous pouvons comprendre l’impossibilité du rapport sexuel par l’opposition de la jouissance du sexe masculin à la jouissance du sexe féminin. La jouissance masculine ne peut être que phallique (J de Phi) car l’homme relève de l’au-moins-un : lors du stade oedipien, le Surmoi (comme instance morale de la loi du Père, celle du Nom) ordonne de jouir (de la Mère). L’injonction phallique du ‘jouis !’ fait loi du fait qu’il y est cet Hommoinzin mythique faisant exception à la règle : il jouissait de toute femme. Seulement voilà : si l’homme s’identifie comme être-homme à partir du moment où il est engagé dans la jouissance de la femme prise comme phallus, la femme, elle, n’existe jamais. En effet, l’homme est Tout puisqu’il fait l’expérience de la castration, comme survie du genre masculin dans l’avoir du phallus ; alors que la femme est pas-toute car elle est déjà ‘castrée’, elle ne peut s’identifier comme étant La femme car elle est phallus, à l’image de sa mère, matricielle et nourricière. Le phallus, néanmoins, elle peut aussi l’avoir, mais imaginairement, dans cette représentation du Deux de la jouissance sexuelle comme rapport. Ainsi, la jouissance phallique (toujours sexuelle), consistant à prendre l’autre comme phallus est ce rapport commun à chaque sexe : ce qui se passe entre le Zéro de l’absence et l’Un de la présence. Toutefois, l’homme étant fini et complet (Tout), sa jouissance ne consistera qu’en pulsion possessive de chaque femme : jouir d’elles, une par une : le genre défini jouit du genre indéfini infiniment ; a contrario, la femme étant éternellement a-définie dans son incomplétude de pas-toute, la jouissance phallique de chaque homme ne peut lui suffire : pour s’illusionner comme étant La femme, il lui faut jouir d’un Infini, d’un Tout pouvant l’instituer comme telle. Elle ne veut pas seulement jouir d’un homme, elle veut jouir de l’homme, non comme fini, mais comme Autre la définissant. C’est pour ça, aussi, que le rapport sexuel est impossible : la fusion n’est toujours qu’imaginaire car la jouissance de la femme est duelle alors que celle de l’homme est une. La ‘mêmeté’ des jouissances phalliques n’est possible qu’avec la pulsion d’accomplissement de la femme : la jouissance de l’Autre (J de A) comme mouvement tiers, l’Autre étant justement ce Trois qui nie l’osmose d’eux, déni du Deux et des dieux. En effet, l’Imaginaire va s’anaphoriser comme soutien à un Eros défaillant dans la mort : fantasme d’harmonie avec l’autre, pour ne faire qu’Un dans le désir de fusion, pour croire en un Autre transcendant nous épanouissant. La ‘nade’ est cette dynamique nous sauvant de la mort par la représentation érotique : c’est la foi, la religion, l’esthétique, le sens… et l’Amour, à la limite.

Cela nous amène à notre quatrième signification de l’impossible rapport : tautologique (répétition infondée), alangagier (sexuel ‘inter-dits’) et dissymétrique (jouissances déséquilibrées), le non-rapport sexuel implique, aussi, la relation désunie du corps et de l’âme, du sexe et de l’Amour, du désir et de la jouissance. De fait, une stricte différenciation s’impose. La jouissance est de l’ordre du corps, c’est une pulsion vouée au plaisir ultime, vers la mort. La jouissance est pure dynamique sexuelle du Réel dominé par Thanatos, pour tendre ‘téléologiquement’, vers le non-être, le trou, la Chose (‘Das Ding’ freudienne). Qu’elle soit phallique ou de l’Autre, la jouissance est une ‘jouis-sens’ de réalisation régressive, de satisfaction pleine mais auto-destructrice. Cette Chose qui soutient la jouissance n’est autre que ce trou du Réel, limite en moins l’infini égale à Zéro, origine transcendantale du ‘pré-natal’, la Mère en tant que matrice mais aussi en tant que vierge (pureté de l’origine). Ainsi, quand Kristeva propose la Vierge Marie (qui est bien immaculée !) comme archétype de la jouissance, cela suppose qu’en jouissant, nous soyons tous des Jésus oedipiens recherchant l’annulation. Toutefois, cette recherche de l’absolu ne pouvant qu’échouer (sauf, peut-être, dans le suicide), la jouissance aura toujours une perte, un reste d’éternité non refoulé : le plus-de-jouir. Cette trace transcendantale, va, alors, prendre l’aspect d’objets partiels, ceux qui dérivent d’un corps découpé par la jouissance, en bords érogènes. Oral, anal, scopique et incantatoire, ils seront cet objet a (a), à la fois, cause du désir et avènement du fantasme. Tout est là : à partir du moment où la jouissance n’est pas absolue, elle permet le désir, ce dernier palliant à l’impossibilité du rapport sexuel, par (et nous le verrons), l’Amour. Dans la jouissance, rapport de la mort au corps, l’Autre n’était qu’indirectement concerné -dans sa béance (J de Phi) ou dans son infini rôle de comblement (J de A). Le désir, lui, dépend d’une trivalence : l’objet a doit synthétiser l’origine (la Chose) et l’objet (l’Autre) — ou épithumène (Baas). Le désir a beau être pour l’autre, il n’en est pas moins de l’Autre, afin de ramener ce dernier à la dignité de la Chose (la ‘dingité’ dira Baas). C’est alors que l’expression taoïste désignant l’entre du yin et du yang prend toute sa valeur : ce ‘vide-médian’ n’est autre que cet Imaginaire idéal et équilibrant, ce champ fantasmatique déployé par l’objet a pour transformer l’impossibilité du sexuel en Amour, pour métamorphoser le déséquilibre des jouissances en unissant âme et corps, pour rejeter Thanatos dans l’Autre (jouissance langagière) afin de permettre à Eros de triompher des apories du Réel. Néanmoins, accepter d’exister en tant qu’homme, accepter d’évanouir l’horreur derrière le beau, accepter de ‘forclore’ le pire pour installer le rire, présupposera toujours une impuissance : notre statut adamique de désenchanté, ‘condamné’ à composer avec Eve, et cet Autre qu’on appelle langage. Alors, pourquoi Trois ? Parce que 1 et 1 ne font 2 qu’imaginairement (aveuglement érotique), à cause du 0 ; parce que vivre, c’est être pour l’autre mais nécessairement par l’Autre ; parce qu’être humain, c’est être, définitivement, dans l’ère de l’extimité (a), là où l’air(e) est si R-S-I.

« Être psychiquement en vie signifie que vous êtes amoureux, en analyse, ou bien en proie à la littérature. » (Julia Kristeva, Histoires d’Amour).

Vivre, si l’on suit Kristeva, revient à aimer : l’autre, l’Autre ou soi-même. Seulement, la révélation de l’Amour n’est pas seulement celle du Bonheur, elle est, aussi, celle du chemin, de l’immanence du temps, de l’existence du manque. Ainsi, l’existence pourrait se résumer à un rythme doublement ternaire : l’atemporalité érotique — Narcissisme et Sublimation ; Transfert et Idéalisation ; Désir et Réalisation —, du côté de la vie, et, l’éternité thanatique — Attente et Oubli ; Vengeance et Motérialisation ; Stabilité et Régression, du côté de la mort. Nous ne pourrons étudier les trois situations amoureuses (en les montant au carré) qu’après avoir cerné les battements temporels, les interstices glacials, les branches nous reliant à la mort. Révélés par Eros, les instances de survie (ou de ‘sous-vie’, plutôt) semblent nécessaires et paroxystiquement humaines, me montrant l’Amour comme un chemin qui ne mène nulle part, un chemin du manque. D’abord, l’attente, qui me rend douloureusement sensible à mon incomplétude que j’ignorais avant l’expérience érotique (Kristeva), m’emplit de ‘Déréel’ : degré 0 de l’excitation et de la jouissance, sentiment de vide où le temps semble s’arrêter pour me crier : ‘Jamais !’. L’espoir s’euthanasie en désesperrance (Derrida) et je m’immobilise dans l’oubli ou dans l’ennui. Plus de désir car plus de plaisir, douce apathie, abandon et sérénité. Proche d’un stoïcisme extrême, pas loin non plus de la ‘méditation’ bouddhique, l’attente me refuse l’accès au présent tout en m’enroulant dans un temps fait de passé et de futur… Instants toujours en instance ou instance toujours sans instants, attente, oubli, souvenirs évanescents, avenir évanouissant : ‘Carpe Diem’ toujours fuyant, expérience d’un Réel annihilant, seulement secondé par un Imaginaire pétrifiant (toute aspérité), ramenant tout à Zéro (le ‘Zen’ ?). Les autres ne m’intéressent plus, leurs rires me font dépérir et leur sourire me font mourir. Narcissisme ‘primaire’ et vide libidinal, solitude, ombres, nuit. Néanmoins, l’attente transforme le fait de mourir en quelque chose qu’il ne suffit pas d’atteindre pour cesser d’attendre (Blanchot) : nous comprenons alors que la mort ne s’atteint pas en attendant, éternelle errance aux portes du néant. Et pourtant, les morts ressuscitaient mourants. En effet, quand l’attente se pourrit dans l’ennui, dans la haine d’elle-même, ou, quand l’oubli révèle la vérité du détour de l’attente, dans l’allant latent de la mort, le Déréel se rallume, la flamme de nos passions resurgit et le monde nous rappelle car l’attente donne au regard le temps de traverser l’ignorance (Blanchot). Finalement, cette voie ‘sans issue’ va s’ouvrir par la honte, la tristesse ou la vengeance. Si l’attente se brise, si nos errements deviennent (t)erreurs, alors, nous pouvons retrouver la présence du présent pour se débarrasser de toute la frustration accumulée : catharsis ou jouissance, violence et signifiance. Soit expulsion de la mort vers le langage, permettant de respirer mieux le désir, soit jouissances sexuelles à n’en plus finir, dans un mouvement perpétuel de séduction et de pulsions. Ainsi, la route de l’ailleurs, ‘trans-érotique’, nous conduit vers le Symbolique ou vers le Réel, mais toujours dans le déséquilibre, contre plutôt qu’avec, mouvement négatif sans sublimation, où le champ fantasmatique n’est empli que d’élans sado-masochistes.

Ressentant la ‘cruauté’ de la ternarité, sentant l’impossibilité d’une idyllique fusion avec le Monde (ou avec l’autre), toujours déjà séparés par le langage, nous prenons, alors, l’Autre comme objet de haine, de vengeance et de souffrance : c’est l’éternel combat de la littérature. Quand Lacan parle des 3 ‘Da’ de l’hindouisme, il nous signifie les 3 positions de l’Homme face au Symbolique, cette entité nous coupant immuablement de l’osmose amoureuse : soumission (Damyata), don (Datta), et grâce (Dayadhvam). D’abord, ‘lalangue’ structure notre Inconscient et nous soumet à l’Autre : l’Imaginaire n’est pas encore là, seul le Symbolique pollue la pureté d’un Réel dominé par la mort (mais où Eros reste disponible). Ce n’est qu’avec la prise de conscience (donc, avec l’apparition du ‘vide-médian’, du Deux) que les symboles peuvent devenir signes, langage offert pour communiquer. Toutefois, après avoir goûté aux affres du gouffre, à l’abîme de la ‘déprime’, à la pâleur de la torpeur — celle qui nie le rapport (sexuel ou simplement mondain) — la langue n’est plus un outil de signification mais plutôt un univers à maltraiter, à combattre, à investir de ma souffrance. Là, je ne recherche pas la grâce d’une sublimation salvatrice, d’une métaphoricité riche de sens et d’Amour : je décharge mon malaise vers le Réel et à travers la Réalité : l’Imaginaire n’est plus qu’une odieuse source de mensonges stériles et je cherche à le détruire. Ce que je tente, c’est de déconstruire le monde pour pouvoir renaître de ses ruines. Après la voie de l’errance, je m’engage dans celle de la ‘Révolution’ ! J’exporte les relents thanatiques du Réel dans la langue : implosion du sens, destruction des signifiés, explosion du Symbolique. Je ‘jouis’ du langage en le martyrisant, en le dynamitant mais en me faisant du mal, à moi-même. Sadiquement, j’enroule les signifiants, en boule, dans une infernale spirale, pour retrouver du Réel. Masochistement, je me prive de repères, je joue avec la mort, dans un terrible (et épuisant) ‘corps-à-corps’ : tuer l’Autre pour retrouver l’origine, ce qu’il y a en-deça de mes blessures langagières : le sexe, la guerre, l’incompréhensible, l’inconnaissable, le Réel, transcendantal. Mais cette lutte, pour atteindre le paradis perdu d’avant la ‘babélisation’, est vaine, vouée à l’échec, face à ce langage qui toujours, revient m’embarrasser. Des romans carnavalesques de Rabelais (le rire et la répétition) aux obsessions ‘céliniennes’ de ‘dire’ la guerre (rôle des points de suspension) ; de la violence du ‘cut-up’ (couper, copier, coller — Burroughs, voire Cadiot) à la détemporalisation nihiliste des Blanchot, Stein ou Joyce (accélération ou dilatations : valse morbide des signifiants) ; des glossolalies ‘pornographiques’ des Guyotat, Jarry ou Prigent (le sexe, outrageux, obscène mais toujours dénaturé) aux expériences des limites ‘artaldiennes’ (la folie du corps) etc., tous les moyens sont bons pour anéantir ma ‘déréliction’. Cependant, toute cette entreprise mortifère n’aura que trois issues possibles : la reconstruction par un Réel réinvesti d’Amour (dans le meilleur des cas, celui où on s’écrie : ‘je revis’ !), l’épuisement aporétique d’où va résulter une frénétique jouissance sexuelle, ou, le dernier espoir, celui de l’analyse. Aller chez un psychanalyste n’est jamais préventif : c’est toujours pour réparer les échecs amoureux. Dans la cure, l’analyste devient objet a sous couvert du semblant : ‘sujet supposé savoir’ (tel Socrate), je dois aimer cet Autre pour m’en sortir ; c’est le transfert. La psychanalyse me ressuscite, d’abord, artificiellement, comme si l’on me greffait un cœur, mais cette vie psychique débouche, idéalement, sur un ‘miracle’ : le ‘bouche-à-bouche’ salvateur deviendra baiser passionné.

Entre le désir et la mort, entre la motérialisation de ma haine et l’attente, avant l’ultime porte de secours (la cure), il me reste la survie sexuelle, celle qu’impose la loi oedipienne : l’expérience indispensable de la jouissance. Ici, il va nous falloir distinguer, d’une part, la jouissance phallique ‘normale’ et stable de la jouissance phallique régressive et mélancolique (pour les hommes) ; d’autre part, la jouissance phallique ‘annulative’ et suicidaire de la jouissance de l’Autre épanouissante ou stabilisatrice (pour les femmes). Ainsi, la nécessaire étape âmosexuelle (Kristeva), celle que Lacan appelle ‘âmour’ (nous y reviendrons), débouche toujours sur 3 voies possibles. Pour l’homme, la manie de jouir d’un semblable, âmosexualité ‘narcissienne’, sera soit le terrain psychique de l’hainamoration (Lacan), expérience érotique classique (jouissance phallique, plus-de-jouir saisissable et ombre du tiers, loi indispensable au désir) ; soit vénération mortifère du phallus, régression allant jusqu’à la névrose (vers le trou de la Chose comme corps de la Mère) ou au suicide (Mishima) ; soit, enfin, jouissance sexuelle hyperactive, libertinage et mélancolie (la Chose n’est ni l’Autre nécessaire à l’Amour, ni cette origine qu’il faut retrouver, elle est cette Loi du désir — Baas, interdite et idéale). De fait, rater, et la mort (mouvement vers le Réel) et l’Amour (dynamique du fantasme), revient à emprunter cette ‘autoroute du plaisir’ si chère au Marquis de Sade. Plaisir de jouir et jouir pour le plaisir, aller de femme en femme, sans jamais s’arrêter… Jouissance éternelle où le plus-de-jouir est sans cesse renouvelé, infiniment en mouvement, et ainsi, insaisissable à jamais : le désir n’est plus qu’un idéal impossible et prend les traits de la Mère, perdue, de la Chose, déchue, de la Femme, inconnue (exemple plus moderne : certains acteurs de pornos). En littérature, cette ‘jouissance polytopique’ peut-être celle d’un Dom Juan (Molière) qui fit de son existence un art : séduire et posséder chaque femme (mil e tre), comme un jeu immense dont les seules règles seraient de pouvoir. Pouvoir jouir, indéfiniment, et, savoir que les ‘pas-toutes’ lui sont toutes acquises (préhistoire du Gai Savoir nietzschéen ?), sexuellement. Au cinéma, cette vie frénétiquement pulsionnelle serait celle du M. Chow de 2046 (Kar-Waï) : d’aventure en aventure, de train en train, de port en port (Lama), il devient le phallus, possession éternelle. Mais, il ne peut plus aimer : l’objet a ne synthétise plus rien car le plus-de-jouir courre toujours (strict opposé du Zen). De fait, ce chemin est aussi celui de la mélancolie : jamais je n’ai pu oublier ton corps (Lama). Les libertins possèdent les femmes mais perdent la femme, Don Juan transforme le plaisir en art mais ne peut que changer son désir en ‘chi-mère’, M. Chow va de sexe en sexe mais reste hanté par le souvenir de la seule qu’il ait vraiment aimée (Kar-Waï) : l’oiseau à une aile qui jamais ne se pose mais qui ne pense qu’à elle, en poème et en prose… Car la seule échappatoire est la sublimation : mélancolique, il écrit l’Amour, le vrai, l’unique, qui lui échappe, toujours. Pour la femme, l’âmour est aussi vecteur trivalent : jouissance phallique et désir de fusion ; ‘déjouissance’ suicidaire et annulation ; jouissance de l’Autre et déification. Laissons l’Amour de côté et opposons Antigone à Diotime : la première incarne la volonté régressive, le fantasme de l’androgynat alors que la seconde mythifie l’extase, jouissance divine. Antigone veut le retour à l’origine, vers la Chose, vers la pureté immaculée pré-sexuelle : refus du plaisir, refus du fantasme, unique ‘solipsisme’ du désir pur (Baas), vers cette zône interdite où la jouissance n’est plus que mort. Négation de l’Autre mais aussi de l’autre : androgynat du on, de la transparence et de l’absolu. Suicide blanc : Antigone s’origine, dans la neige (Baas) ou le lait maternel. Même la biologie fait débuter la vie en blanc et en transparent : dans le sperme, lumière arrachée au néant de la mort et du corps. Face à la régression, il y a l’épanouissement stabilisateur et identificateur de la jouissance diotimienne, celle que l’écrivaine Anaïs Nin a si bien incarnée : elle a su se présenter à chaque amant comme celle qui sait ce qu’il faut pour la jouissance de l’homme : elle participe à occulter l’absence de rapport sexuel et peut lui laisser miroiter l’agalma dans le reflet de sa propre image (Bon) : ainsi, elle procure à chaque homme l’âme recherchée sous l’apparence de cet agalma, objet a paré de l’éclat du phallus (Bon). Par cette jouissance, elle s’illusionne d’être la femme en prenant l’Autre (hommes et femmes : bisexualité ?) comme immanence de la transcendance : moi idéal gorgé de l’Idéal du moi (Kristeva). Ainsi, pour chaque homme, elle est semblant de ‘toute-femme’, elle se stabilise comme femme de Dieu, dans l’extase de satisfaire les hommes tout en s’accomplissant : à travers la chair, le sang et l’amour, j’étais entrée dans le Grand Tout, en Dieu. [...] à partir de cet instant, j’ai senti mon lien avec Dieu, un lien personnel, muet, total, qui procure une joie immense et le sentiment de la grandeur de la vie, en supprimant les limites et les frontières humaines. L’éternité. Je suis née femme. Pour aimer Dieu et pour aimer l’homme... (Anaïs Nin). Entre le suicide et l’éternité, pourtant, se dessine une ultime porte, celle que certaines choisissent, celle où beaucoup s’immiscent, celle de la stabilité et des délices : celle du lesbianisme : Nirvâna, ivresse et silence (Kristeva). Alors, pourquoi Trois ? Parce que l’Amour nécessite un Autre pour enformer l’objet a, pas de fantasmes sans loi de la jouissance conjuguée à la Loi du désir ; parce que survivre signifie cheminer dans le temps : attendre et errer, écrire pour se venger ou jouir et régresser ; parce qu’aimer, c’est marier Narcisse à Eros (entre stabilité et folie), c’est unir le maniaque et le sublime (entre enfer et paradis), c’est fusionner jouissance et idéal (entre plaisirs et harmonie).

« Le seul alchimiste capable de tout changer en or est l’amour. L’unique sortilège contre la mort, la vieillesse, la vie routinière, c’est l’amour. » (Anaïs Nin, Journal).

Aimer, si l’on en croit Abel Bonnard, c’est donner rendez-vous au bonheur dans le palais du hasard. Seulement, cette perfection trivalente n’est possible que dans le dénouement des ‘dit-mensions’, par l’ouverture des systèmes psychiques, par la ‘rencontre du Réel’, tychique. De fait, le hasard est originellement ce quatrième terme, cet accident qui nous transforme, avec l’aimé(e). Mais cette rencontre du Réel (Danielle Eleb ou Agnès Sofiyana) est à jamais perdue pour l’automatisme aléatoire des signifiants (l’Automaton aristotélicien), elle est étrangère à toute répétition, toujours unique, déjà éternelle. C’est ainsi que l’Amour est à comprendre comme le symptôme absolu, le ‘sortilège’ contingent de la Tuchê, contre l’errance, l’itérativité, la ‘routine’ : la tuchê est à reconnaître du côté de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (Sofiyana : l’instant du regard, le temps pour comprendre et le moment de conclure), seules trois permettraient d’accéder au bonheur (le conditionnel étant inattaquable car un coup de dés jamais n’abolira le hasardMallarmé). Bien entendu, l’écrire revient déjà à l’enfermer dans un destin, aussi vivant soit-il, mais ce destin ne peut qu’être éphémère donc oxymorique, à l’image même de ce Réel, source ‘transcendantalo-transcendante’. La première phase nécessaire, celle que l’on dira ‘identificatoire’, se divise elle-même en trois stades : le stade narcissien (Kristeva) où le vide ‘érothanatique’ se soutient d’un battement médian (entre le Père aimant, celui de la préhistoire individuelleFreud, et, l’abject ou ab-jet — Kristeva, la Mère défaite des besoins) induisant l’espace propre du psychisme, et donc, faisant advenir la séparation de l’esprit (comme pneuma, c’est-à-dire, principe de vie) et de l’âme (comme principe d’évolution, c’est-à-dire de création) ; à ce niveau-là, temps et espace deviennent possible : avènement de la ‘nade’, différance (Derrida), Satori (Zen) ou encore commissure de l’être (Baas), ce stade peut-être compris comme l’hypostase de l’il-y-a en un hic et nunc ‘présubjectif’, comme l’imagine Levinas ; à ce niveau-là, être et avoir mais aussi, besoins, demande et désir, se séparent — en fin de compte, ce stade originel ne serait que le reflet de la babélisation qui aliène le futur Sujet immédiatement au langage, dans une parousie adamique. Le deuxième stade identificatoire est celui du Stade du miroir, fondateur du corps propre et de la ‘conscience’ narcissique dans l’épiphanie d’un Moi idéal lui-même défini par l’Idéal du Moi car il y a corps lorsqu’un organisme vivant incorpore l’organe du langage (Lacan, S. XXIII) ; ce niveau est celui d’une perte, celle des semblants occultant les manques, et donc, celle du leurre amalgamant l’agalma : c’est à partir de là que le futur Sujet va chercher à se combler, par le plus-de-jouir. Ne reste, alors, plus que l’essentiel stade oedipien où l’enfant va distinguer la jouissance du désir, la loi de la Loi, l’inter(-)dit de l’impossible, et plus fondamentalement encore, la Mort de l’Amour. Toutefois, la socialisation de la puberté, connue sous le nom d’adolescence, démontre que ces trois stades n’ont pas de chronologie absolue mais bien plutôt une nécessité topique et obligatoirement actualisable.

La deuxième phase indispensable à l’Amour est la plus romantique, la plus foudroyante et la plus étrange : c’est l’énamoration. La sortie du Narcissisme est celle de l’entrée transférentielle dans le monde ‘hainamoureux’, celui de l’illusion duale, toujours brutale car réduisant la trinité Père-Mère-enfant au tutoiement des regards. L’innamoramento s’écrit fondamentalement ‘hainamoration’ (Lacan) parce que cette phase amoureuse est la plus violente : idéalisée car incompréhensible, elle n’en demeure pas moins un ‘coup de foudre’ qui nous fait ‘tomber amoureux’ ! Néanmoins, ce KO mental n’est jamais, comme la légende le voudrait, instantané : c’est un ravissement (dans tous les sens du terme), c’est-à-dire le croisement de deux mouvements subjectifs, la coïncidence ‘désasymptotisante’ de deux désirs. Mais cette concordance cache la partie haineuse du désir âmosexuel. Cet âmour (et non (a)murLacan, car le plus-de-jouir est ici saisissable, grâce à un Tiers oblitérant alors que le mur du semblant où l’on ne peut qu’écrire son échec au bonheur ressemble à cet Amae japonais, affection artificielle bien qu’indispensable à l’existence) est d’abord ‘amour-pour-soi’, terreau des plantes carnivores de la jalousie, cette perversion ‘maniaco-obsessionnelle’ consistant à posséder érotiquement. Ici, plus personne n’existe, amoralité pure et transparence de l’amortalité mure, névrose aux mots roses qui deviendra psychose morose si l’aimé(e) s’en va… C’est le passage de cette phase à la troisième, l’ultime, qui pose le plus problème : jusqu’ici, Thanatos a dominé Eros et l’Amour n’a pu qu’être ‘âme-mort’, ou dit autrement, ‘oxy-mort’ moïque et stoïque. Seulement, l’Amour est une mise à mort qui me fait être (Kristeva) car il faut que je sacrifie l’âme-mort pour passer à l’Amor, donc euthanasier la Mort par sa puissance même, en annulant son champ d’action : le temps. Mais comment éterniser l’a-mort ? Par la seule voi(e/x) possible menant au bonheur, celle de l’aveu amoureux. Si toutes les routes mènent à ‘Roma’, seule celle-là peut amener à son anagramme. De fait, l’unique ‘mot magique’ est ‘Je-t-aime’, incantation jaillissant dans un cri ou un souffle, totalement indécomposable (comme le Saranghee coréen, par exemple) et tautologique, cet atome langagier, dernier signifiant à disparaître dans les eaux érotiques, est le bord du trou aspirant le nœud du Symbolique et du Réel. ‘Je-t-aime’ est la seule zone érogène permettant l’extase extime. Plutôt que l’errance des signes, désespérance, plutôt que les perpétuels rituels, pour éviter les adieux à Dieu ou au mieux, aux yeux (2046 ou toutes les tragédies classiques), il faut sacrifier le corps pour en avoir encore, et surtout, pour (se) ressusciter ! Au Je est parce que j’aime (Kristeva — ego affectus est bernardin), il faut préférer le ‘transhommer’ novarinien, en écho au changement de corps artaldien. Mais cette renaissance, paradigme christique, n’aboutit pas à la catharsis comme au théâtre, elle aboutit à l’alchimie du trésor très or, hors de l’amer et de la Mort, à la félicité, voire au bonheur, degré final de l’Amour. Je suis en tant qu’aimé donc j’aime pour être (Kristeva) : l’être-amoureux est amour-pour-l’autre et équilibre de son propre psychisme. Phase synonyme de joie et de liberté, éphémère ouverture où tout est possible, où je suis souverain, comme elle. Ainsi, en Amour, tous les mots ne sont pas les mêmes (n’en déplaise à Mylène Farmer) et dire je-t-aime est au-delà de tous les poèmes, c’est répondre au Redonne-moi l’Amour et le choix/Tout ce qui fait qu’on est roi (Farmer), c’est s’ouvrir à l’Amour ‘pur’ : pour rendre un homme amoureux, une femme doit lui laisser entrevoir une ouverture dans [l]es trois registres du corps, de l’esprit et de l’âme. (Norbert Bon) : quand je recouds des boutons pour Henry, ce ne sont pas des boutons que je recouds, mais tout l’univers de Henry. Je recouds ensemble toutes les choses auxquelles il aspire, nourrissant son rêve et ses livres [...]. Je demeure sous ses rêves en cousant des boutons magiques sur la toile d’araignée de son monde... (Anaïs Nin). Et vice-versa versa vertu.

Bien sur, la quatrième phase ne peut qu’être moins paradisiaque. Pour autant, elle est la stricte suite logique du bonheur, comme les deux suivantes, les trois pouvant être synchroniques comme diachroniques, elle est la sublimation du ‘tout-devient-possible’ en création, les cinquième et sixième se cristallisant respectivement en morale et en procréation. Si elles sont possibles sans l’avènement des trois premières, ce n’est que dans une emprise mortifère. Mais dans la représentation érotique, la création comme métaphore de l’Amour est une ‘religion esthétique’ (provisoire abreuvé d’imaginaire) ; la morale comme métaphore de l’Amour est une présence éthique (aussi proche de l’Amor intellectualis spinozien que de la réponse à/de/pour autrui de Levinas) ; la procréation comme métonymie de l’Amour est un don héréthique (Kristeva), voire éréthique, la réintroduction ou plutôt le retour de Thanatos, par une nouvelle transformation existentielle, rendant accessible les trois dernières phases, ou degrés, de l’Amour (achronique, bien évidemment). Cependant, pour comprendre ce ‘plus-de-plus-de-jouir’, il est nécessaire de différencier les trois bonheurs possibles, montrant que l’asymétrie des jouissances s’y retrouve (les femmes ont une possibilité particulière, encore une fois) et les trois cas génériques de l’Amour (hétérosexuel, homosexuel — double — et bisexuel), sans omettre l’Amour à trois. Hommes et femmes peuvent être heureux, par un hasard tychique au second degré, comme équilibre parfait dans l’Amour, pourtant toujours régénérateur. Etre heureux est aussi possible, sans doute, dans l’union éphémère et éternelle de l’extase (seul le battement à l’unisson du sexe et du coeur peut créer l’extase — Anaïs Nin), à mi-chemin entre le Réel et l’Imaginaire, dans la perpétuelle dé-saisie du plus-de-jouir, dans une jouissance ‘maniaco-sublime’, transitoire infini, phallérotisme. C’est l’être-heureux de l’entre-deux, hors de soi, hors de l’autre, mais ensemble. Le premier bonheur est un équilibre érotique. Le second est un déséquilibre dynamique. Et puis, il y a le troisième, celui d’une femme transformant sa jouissance de l’Autre en ‘transérotisme’ : par pure coïncidence, comme l’avatar du ravissement, l’harmonie se brise dans la Mort du couple libre par l’arrivée de l’enfant. ‘Mettre au monde’, c’est être simultanément Dieu, Femme et Mère. Le plus-de-jouir se cristallise en une vie autre, en ‘plus-de-vie’, en réalisation d’une humanité à-venir et donc en éclipse du présent fusionnel, voire heureux. Semblant devenir la femme, la procréatrice devient en tout cas la Mère : c’est la septième phase de l’Amour. Par transfert, l’homme devient Père et y accède à son tour. Mais s’il peut en rester là, conservant le premier et/ou le second bonheur, son aimée est elle transformée : je désire la Loi. Et puisqu’elle n’est pas faite pour moi seule, je me risque à désirer hors la loi. Alors, le narcissisme ainsi éveillé qui se veut sexe, erre soufflé. Dans le transport des sens, je suis désemparée. Rien ne rassure car seule la loi fixe. Qui appelle cette souffrance ? C’est le plaisir des damnés (Julia Kristeva). La Mère est dans le leurre, elle doit composer avec les besoins de l’enfant tout en souffrant ses désirs et ceux de l’aimé. Il lui manque des re(-)pères, elle doit réapprendre sans l’Autre, elle perd son ombre pour accepter le Réel : innocence réelle, inaccessible, poids attachant et légèreté séraphique. Enfant ? (Kristeva). L’angoisse du septième degré doit faire place à la huitième phase amoureuse. Puis à la neuvième, si c’est possible. La pauvreté langagière que la mère subit par la division du cœur et du corps, face à l’abîme la séparant de l’enfant toujours-déjà hors d’elle, l’amène à devoir choisir : abolir l’Homme ou au contraire, huitième degré amoureux, désirer, comme jamais, la saturation d’un éréthisme. Face à l’angoisse, l’ars erotica, les délices, les caresses, les supplices. Oui, mais la Mort comme l’Amour, le septième comme le huitième degré, refusent d’assumer la maternité. Pour atteindre la phase terminale, il faut en passer par l’oubli, de soi, d’abord. Oublier l’Amour et la Mort pour une nouvelle stabilité, celle de l’hérétique ; dépassant toutes désillusions, vieillesses et passions, la mère atteint un bonheur inouï et impensable : civilisatrice, déesse de l’Amour, humanophane. Elle fait apparaître l’Humanité. Et cela ne l’empêche plus d’être une femme, recommençant encore et en cœur, la valse des fleurs : absence, brasier, oubli. Scansion de nos amours (Kristeva). Finalement, Cupidon a toujours raison. Homosexuellement, ces trois phases ‘bonus’ n’existent pas. Mais les cinq premières suffisent aux bonheurs. Quand deux hommes s’aiment, l’Amour oscille du maniaque au sublime, favorisant le second bonheur. L’équilibre est aussi possible mais sans doute doit-il passer par la phase quatre, se confondant à la troisième, dans un ‘faire-ensemble’. Les Amours gomorrhéennes, lesbiennes, bref, homosexuellement féminines, naissent probablement d’une réminiscence du corps-à-corps avec la mère, par le fantasme d’une unicité retrouvée. Equilibre naturel, proche d’une amitié nécessaire. Ici, le bonheur premier est plus souvent atteint que le second. La bisexualité permet de tout vivre. Sans doute est-ce avant tout un Amour se voulant universellement libertaire, ou plutôt, par une perte accidentelle d’une identité fixe, la chance d’atteindre l’impossible : hasard au troisième degré, possibilité d’être triplement heureuse : palais pyramidal de la trinité érotique ? Reste le très tragique trinôme : rarement homosexuel (cas extrêmes de micro-humanité), l’Amour à trois oppose l’entre-deux-hommes à l’entre-deux-femmes (et au-delà ? Je n’y crois plus…) : le premier cas n’est pas forcément à problème, redoublant simplement jalousie et errance mais il abolit les privilèges du couple (phases sept à neuf) ; le dernier, au-delà du voyeurisme fantasmatique, de la ‘stratégie de sauvegarde’ et de l’échangisme exacerbé, est d’abord une intensification équilibrante mais reste sous la menace du ‘duel de mères’, inacceptable ; sans doute est-ce la situation la plus sublimatoire. Alors, pourquoi Trois ? Parce que l’Amour évanouit la Mort en trois phases au minimum et le triple au summum ; parce que le bonheur est une coïncidence manifestant le Réel tiercement et s’avérant imminemment immanent à l’Amour, en trois mouvements ; parce que l’humanité se transpire en trois empires, se transfère en trois sphères et se meurt d’Amour étroit, d’enfer à Trois.

P.-S.

Rédigé au mois d’octobre-novembre 2006.

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