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J.-A. Dulaure

Du Culte du Phallus chez les Indiens et les Mexicains

Les divinités génératrices (Chapitre VI)

Date de mise en ligne : vendredi 23 novembre 2007

Mots-clés :

Jacques-Antoine Dulaure, Des Divinités génératrices, ou du Culte du Phallus chez les anciens et les modernes, Éd. Dentu, Paris, 1805.

CHAPITRE VI
DU CULTE DU PHALLUS CHEZ LES INDIENS ET LES MEXICAINS

Après avoir parcouru tout l’espace qui existe entre les bords du Nil et ceux de l’Indus, et avoir trouvé chez les diverses nations qui occupent cette vaste étendue de pays le culte du Phallus établi, je vais examiner quel fut et quel est encore ce culte chez les Indiens anciens et modernes.

Ces peuples diffèrent de ceux dont nous avons parlé, en ce que, malgré les efforts des missionnaires musulmans et chrétiens, ils ont conservé, pour la plupart, leur religion antique, ses dogmes et ses cérémonies.

Bardésane vit chez eux et dans un antre profond, une statue de dix à douze coudées de hauteur qui, en un seul corps, représentait l’homme et la femme. La moitié du visage, un bras, un pied appartenaient au sexe masculin, et l’autre moitié du corps au féminin. Sur la mamelle droite on voyait, en peinture, le soleil, et sur la gauche la lune. Tout le reste du corps représentait des figures de montagnes, de mers, de fleuves, de plantes et d’animaux. Les brahmanes, anciens philosophes indiens, disaient que Dieu avait donné cette statue hermaphrodite à son fils, afin qu’elle lui servît de modèle, lorsqu’il créa le monde. Elle était l’emblème des principes actifs et passifs de la nature. C’est ce que nous apprend Porphyre de cette figure symbolique des deux sexes, par laquelle les anciens indiens représentaient la génération des êtres [1].

On voit bien, dans cette description, que les deux sexes sont l’emblème de la génération ; mais on n’y voit pas figurer le signe qui caractérise le sexe masculin, nommé Priape ou Phallus, et que les Indiens appellent Lingam. Le silence de Bardésane ne prouve pas que ce signe était inconnu chez les indiens, lorsqu’il y a environ quinze cents ans, il voyagea parmi eux. Bardésane a bien pu n’y pas tout voir ; il a pu aussi y voir des Lingams et ne pas en parler, parce que ces simulacres ne lui présentaient rien d’extraordinaire, rien qu’il n’eût vu plusieurs fois dans son pays ; il a pu aussi les avoir vils, les avoir même décrits ; mais Porphyre, qui le cite, a pu aussi ne point relater tout ce que Bardésane avait mentionné sur le culte des Indiens.

Cette citation sert à prouver que la figure des deux sexes réunis était anciennement chez les Indiens un objet sacré ; elle prouve aussi que ces peuples ont scrupuleusement conservé, jusqu’à nos jours, les rites et les cérémonies qu’ils observaient il y a environ quinze siècles ; car la figure que Bardésane a remarquée dans l’Inde à cette époque ancienne, existe encore aujourd’hui dans la même forme [2].

Cette attention à ne rien altérer dans les pratiques de la religion me fait croire que la figure du Phallus ou du Lingam, que les Indiens vénèrent comme un objet sacré, était également vénérée par eux dans des temps très reculés.

Je suis confirmé dans cette opinion par le rapport de plusieurs voyageurs dans l’Inde, qui ont vu sur les murs des pagodes ou temples de ce pays, dont la structure remontait à la plus haute antiquité, des bas-reliefs qui représentaient le simulacre du sexe masculin, appelé Lingam, avec des formes très variées. Enfin, dire, à ceux qui connaissent l’éloignement des Indiens pour les innovations religieuses, que le culte du Lingam existe, c’est leur prouver qu’il a existé depuis très longtemps.

Les Phallus, appelés Lingams dans l’Inde, s’y trouvent sous plusieurs formes ; il en est d’isolés, de combinés avec la figure du sexe féminin ; il en est qui, par leur petitesse, doivent être mis au rang des amulettes ; d’autres qui sont d’une grandeur très disproportionnée avec le corps auquel ils adhèrent.

Les indiens de la secte de Chiven, une des trois principales divinités, ont une grande vénération pour le Lingam ; c’est sous cette forme que ce dieu est adoré dans les pagodes ; mais, quand on le porte en procession dans les rues, son idole a la figure d’un homme [3].

Trois symboles réunis expriment ordinairement, dans les lieux consacrés au culte, les trois principales divinités, Brama, Wischnou et Chiven. Cette trinité indienne est caractérisée par un piédestal sur lequel est un vase où s’élève un corps en forme de colonne. Le piédestal signifie Brama, le vase posé dessus indique la figure du sexe féminin et l’emblème de Wischnou, la colonne qui s’élève du sein de ce vase désigne le sexe masculin, emblème de Chiven.

L’intérieur des pagodes et leur extérieur offrent des peintures et des sculptures bien faites pour blesser les yeux de tout autre peuple que les Indiens. Outre le Lingam, on y voit le pulleiar, qui représente la réunion des parties des deux sexes, et des ex-voto dans le même genre. Il s’y trouve souvent des scènes d’une indécence révoltante. Les pagodes, les chemins, les lieux destinés à loger les voyageurs, offrent partout le Lingam. La pagode de Villenour, située à deux petites lieues de Pondichéry, contient dans son enceinte une tour consacrée au Lingam. Cette tour est entourée de figures colossales et fort anciennes de ce simulacre de la masculinité [4]. La célèbre et antique pagode de Jagrenat, celle non moins ancienne d’Elephanta près de Bombay, dont William Alen a dessiné, en 1784, les bas-reliefs, offrent les tableaux les plus indécents qu’une imagination corrompue puisse concevoir [5].

Sur la porte d’une des villes du petit royaume de Sisupatnam, on voit une statue de Sita, femme du dieu Wischnou, incarné sous le nom de Rama. Cette statue, dans les proportions naturelles, est accompagnée de six fakirs ou pénitents indiens placés de manière que trois sont d’un côté et trois de l’autre. Ces pénitents sont représentés à genoux, entièrement nus, les yeux levés vers l’épouse du dieu, et tenant chacun des deux mains leur Phallus, dont ils semblent faire une offrande à cette divinité [6].

Sur la côte de Malabar se voient plusieurs pagodes dont les façades sont chargées de bas-reliefs : ils représentent des scènes des plus étonnantes pour des yeux européens ; tels sont ceux de la célèbre pagode de Gondoulour, située entre Pondichéry et Trinquebar, dont les vastes édifices forment quatre grands corps de bâtiments réunis ; tels sont ceux bien plus remarquables encore de la pagode de Tricoulour, située entre Pondichéry et Madras. Le culte du Phallus s’y voit exprimé avec les raffinements les plus extraordinaires. On y distingue une figure d’homme armée d’un Lingain d’une grandeur prodigieuse qui, se repliant comme le serpent du Laocoon, contourne les membres nus de plusieurs femmes et vient aboutir vers une dernière comme au but qui lui est destiné. Les attitudes les plus étranges que le génie lascif de l’Arétin n’a pu imaginer, se trouvent dans ces bas-reliefs consacrés par le culte, ainsi que dans ceux qui décorent les chars destinés aux pompes religieuses.

Un Français, récemment arrivé de l’Inde et qui me fournit ces détails, m’assure avoir furtivement pénétré dans le sanctuaire le plus secret de la pagode appelée Tréviscaré, qui est consacrée au culte de Chiven, et y avoir vu une espèce de piédestal en granit, composé d’une large base et d’une colonne qui supporte un bassin du milieu duquel s’élève verticalement un Lingam colossal d’environ trois pieds de hauteur. Au-dessous et sur la pierre qui forme le vase, est une vaste échancrure qui représente le sexe féminin. C’est sous cet emblème que les Indiens expriment leur trinité. C’est dans ce sanctuaire, qui n’est éclairé que par le toit, et sur cette pierre sacrée, que les prêtres de Chiven initient aux mystères de l’amour les jeunes devedasis ou danseuses, que les Européens nomment bayadères, qui, consacrées au culte, servent aussi au plaisir du public et sont, comme étaient les courtisanes de la Grèce, prêtresses et prostituées.

Que dire de ces indécences, lorsqu’on est convaincu que ce n’est point le libertinage, mais la religion qui les a imaginées ? Un voyageur moderne fait, à propos de ces tableaux scandaleux, cette sage réflexion : « Ne jugeons point des coutumes des peuples avec lesquels nous n’avons aucune ressemblance, d’après nos préjugés et nos habitudes. Ces figures choquent les Européens, elles inspirent aux Indiens des idées religieuses [7]. »

Les Indiens ont cru donner plus d’expression ou de vertu à l’emblème de la fécondité, en réunissant les parties génératives des deux sexes. Cette réunion, que quelques écrivains confondent avec le Lingam, est nommée pulleiar. C’est sans doute un extrait de la statue moitié mâle, moitié femelle, que Bardésane avait autrefois vue dans l’Inde. « Ce symbole, aussi naïf qu’énergique, est, dit Sonnerat, la forme sacrée sous laquelle on adore Chiven : il est toujours dans le sanctuaire de ses temples. »

Les sectateurs de ce dieu ont une grande dévotion au pulleiar ils l’emploient comme une amulette ou un préservatif ; ils le portent pendu à leur cou, et les moines, appelés Pandarons, ne marchent jamais sans cette religieuse décoration. D’autres renferment le pulleiar dans une boîte en argent, qu’ils attachent à leur bras. Sonnerat nous apprend que les sectateurs de Wischnou méprisent cette pratique et la regardent comme infâme.

Les Indiens ont encore un petit joyau, d’or ou d’argent, appelé taly, que les femmes pendent ordinairement à leur cou, comme une amulette. Elles le reçoivent, le jour de leurs noces, des mains de leurs époux qui eux-mêmes le tiennent des brahmanes. Ces bijoux portent l’empreinte de quelques hiéroglyphes qui représentent le pulleiar ou le Lingam. C’est à leur occasion que Sonnerat, duquel j’emprunte ces détails, rapporte l’anecdote suivante

« Un capucin missionnaire eut une grande querelle avec les jésuites de Pondichéry, laquelle fut portée devant les tribunaux. Les jésuites, très tolérants lorsque la tolérance favorisait leurs desseins ambitieux, n’avaient point contrarié cet usage. M. de Tournon, légat apostolique du Saint-Siège, qui ne badinait pas sur de telles matières et qui n’aimait guère les jésuites, prohiba rigoureusement le taly et prescrivit aux chrétiennes de l’Inde de porter à la place une croix ou une médaille de la Vierge. Les indiennes, attachées à leurs anciennes pratiques, se refusèrent au changement. Les missionnaires, craignant de perdre les fruits de leur zèle, et de voir diminuer le nombre de leurs néophytes, entrèrent en composition, et prirent avec les chrétiennes de l’Inde un mezzo termine. Il fut convenu que l’on graverait une croix sur le taly. Par cet arrangement, le signe du chrétien fut accolé au simulacre des parties de la génération des deux sexes [8]. »

Quelques Lingams de l’Inde sont, comme étaient certains Phallus de l’Egypte et de la Syrie, d’une grandeur colossale, et très disproportionnée aux corps auxquels ils adhèrent : tels sont les Lingams de la pagode de Villenour, qui sont isolés, et ceux qu’on voit dans les bas-reliefs de celle d’Elephanta, qui adhèrent à des corps humains, etc. Un voyageur dans cette partie du monde, rapporte un exemple remarquable d’un Lingam gigantesque attenant à un Terme.

En passant vis-à-vis la côte de Trovancour, près le cap Comorin, ce voyageur, officier de marine, envoya un bateau à terre pour prendre des informations. « Le bateau, à son retour, apporta, dit-il, un Lingam ou Priape que les canotiers avaient enlevé d’une niche pratiquée dans un Terme, où il était exposé à la vénération publique. Le dessin n’en était que trop bien fini ; car il était indécent par la recherche de la sculpture… Les canotiers l’avaient pris pour servir de timon au gouvernail du bateau. Ils avaient gouverné le bateau avec ce Phallus, dont on peut juger les dimensions d’après cet usage [9]. »

Les rites et les cérémonies observés dans l’Inde pour honorer le Lingam et pour en tirer des avantages, se rapportent à plusieurs égards à ceux que pratiquaient les anciens Egyptiens.

Les prêtres de Chiven, chaque jour, à l’heure de midi, ornent de guirlandes de fleurs et de sandal le Lingam sacré ; et, pour se rendre dignes de cette auguste fonction, ils s’y préparent en se purifiant par un bain.

Dans la cérémonie, appelée nagapoutché ou office de la couleuvre, ce sont les femmes qui remplacent les prêtres. Elles portent, sur le bord d’un étang, une figure du Lingam représentée entre deux couleuvres, lavent cet emblème de la génération, après s’être purifiées elles-mêmes par un bain ; brûlent devant lui des morceaux de bois affectés à ce sacrifice, lui jettent des fleurs et lui demandent des richesses, une nombreuse postérité et une longue vie pour leurs maris [10].

Les cachi-caoris sont une espèce de moines ou de Pandarons qui font le pèlerinage de Cachi, d’où ils rapportent de l’eau du Gange dans des vases de terre. Ils doivent la transporter jusqu’à Ramessourin, près du cap Comorin, où est un temple très renommé de Chiven. Ils répandent cette eau sacrée sur le Lingam, adoré dans ce temple sous le nom de Ramanada-Suami, qui signifie Dieu adoré par Brama. On ramasse cette eau qui a découlé du Lingam, et on la distribue aux Indiens, qui la conservent religieusement et qui ont pour usage d’en verser quelques gouttes sur la tête et dans la bouche des agonisants. Ils en boivent, et croient que cette eau les lave de toutes souillures, et les rend dignes d’arriver, après leur mort, dans les célestes béatitudes [11].

Les andis ou pénitents sont dans l’Inde ce que les fakirs sont dans le Mogol ; presque tous sectateurs de Chiven, ils offrent continuellement leur adoration au Lingam, qui est à peu près l’unique meuble dont ils sont pourvus [12].

On trouve encore dans l’Inde une secte particulière de Chiven, dont ceux qui la composent sont nommés Laris ; on les voit tout nus, couverts de cendres, demander l’aumône, le Lingam à la main. Parmi ces mendiants, on révère comme des saints ceux qui tiennent constamment les deux mains sur la tête en empoignant le Lingam. Les gens charitables leur donnent à manger et leur portent les morceaux à la bouche [13].

Le Lingam, sortant des mains de l’ouvrier, est un meuble sans vertu. Il n’en acquiert que lorsqu’un brahmane l’a béni et y a incorporé la divinité par des prières et des cérémonies [14].

Les prêtres de Chiven ne se mutilent pas comme ceux de Wischnou ; mais ils sont obligés d’approcher du Lingam entièrement nus et en présence du public. L’obscénité de l’idole, les scènes voluptueuses peintes ou sculptées sur les murs de la plupart des temples de ce dieu, n’empêchent pas que la chasteté la plus rigoureuse ne leur soit prescrite : et, lorsqu’ils exercent leur ministère, on leur fait une loi de s’abstenir même des désirs que ces images licencieuses pourraient faire naître. Si ces prêtres avaient alors le malheur d’y arrêter leur pensée, et qu’ils éprouvassent l’émotion qui en est la suite ordinaire, cette émotion, que leur nudité absolue rendrait visible, serait sévèrement punie. « Si le peuple, dit Sonnerat, venant faire ses adorations, s’apercevait qu’ils éprouvassent le moindre mouvement de la chair, il les regarderait comme infâmes, et finirait par les lapider [15]. »

Les femmes stériles viennent mettre en contact certaines parties de leur corps avec l’extrémité du Lingam consacré à cet effet. On y conduit même des bestiaux que l’on soumet à la même cérémonie, afin qu’ils se multiplient plus abondamment. Cet usage, avec ce motif, se pratiquait, comme on le verra dans la suite, chez les Grecs et les Romains.

Duquesne a vu, dans les environs de Pondichéry, les jeunes mariées venir faire à cette idole de bois le sacrifice complet de leur virginité. Dans une partie de l’Inde, appelée Canara, ainsi que dans les environs de Goa, de pareils sacrifices sont en usage. Les jeunes filles, avant d’épouser, offrent et donnent dans le temple de Chiven les prémices du mariage à une semblable idole dont le Lingam est de fer, et l’on fait jouer à ce dieu le rôle de sacrificateur [16].

Dans quelques pays de l’Inde, les prêtres, plus adroits, ont ravi à ce dieu une fonction aussi précieuse. Ce sacrifice, bien préférable au premier, a paru sans doute plus saint aux sacrificateurs et plus doux aux victimes.

Le roi de Calicut, par exemple, cède au plus considéré d’entre les prêtres de son royaume, pendant une nuit, la jeune fille qu’il va épouser, et paie ce service par une somme considérable [17].

Pendant les huit jours que dure la fête du dieu adoré dans la célèbre pagode de Jagrenat, les brahmanes donnent une femme à leur dieu. Une jeune vierge est conduite en triomphe dans le temple ; on lui annonce que le dieu va l’épouser, et on lui recommande de l’interroger sur la récolte prochaine, sur sa stérilité ou son abondance. Un prêtre, à la faveur des ténèbres de la nuit, profite de cette aubaine, et la fille abusée croit avoir eu commerce avec le dieu [18].

L’histoire ancienne offre un grand nombre d’exemples, d’usages et de fourberies pareilles [19].

En voici un qui ne paraîtra pas moins étrange que les précédents.

Dans le pays de Canara dont j’ai déjà parlé, les prêtres de Chiven, lorsqu’ils sortent de leurs pagodes, sont nus et se promènent ainsi dans les rues, en faisant retentir une sonnette. À ce bruit, les femmes les plus qualifiées accourent au-devant de ces pieux personnages, et baisent dévotement leurs parties sexuelles en l’honneur du dieu Chiven.

C’est ainsi que plusieurs pénitents, se montrant aussi insensibles à la douleur qu’aux amorces du plaisir, reçoivent sans émotion de pareils baisers de la part des dévotes indiennes.

Cette vénération religieuse pour l’organe viril de la génération, était inculquée dans l’âme de tous les peuples orientaux. Ce qui nous paraît ridicule ou honteux était pour eux noble et sacré. J’en rapporterai quelques preuves dans la suite.

L’Egypte fournit des exemples pareils à ceux de l’Inde, et on voit encore des Egyptiennes remplir, envers quelque inspiré, le même acte de dévotion que les femmes de Canara font à l’égard des prêtres de Chiven [20].

Pour justifier l’adoration du Lingam et le culte de Chiven, auquel cette partie était consacrée, les prêtres indiens, comme ceux des autres nations, imaginèrent plusieurs fables, dont voici les plus accréditées.

Pendant que Chiven vivait parmi les hommes, il enleva à des prêtres ou brahmanes plusieurs belles femmes attachées à leur service ; car Chiven était un dieu de fort mauvais exemple, comme la plupart des divinités grecques et romaines. Ces brahmanes, mécontents, prononcèrent tant de malédictions contre le dieu ravisseur, qu’il perdit l’usage d’un de ses membres, fort nécessaire en cette occasion. Le dieu maudit ne put en conséquence satisfaire ses désirs auprès de ces femmes et le Lingam fut consacré comme un monument commémoratif de cette aventure, honteuse pour Chiven et honorable pour les brahmanes.

Dans d’autres pays de l’Inde, la fable est différente.

Un jour que ce dieu, couché avec son épouse, allait savourer ce que les jouissances de l’amour ont de plus vif, un dévot vint, fort mal à propos, frapper à sa porte. Le dieu est trop occupé pour lui ouvrir. Le dévot continue à frapper, mais frappe sans succès. Impatienté de ce retard, il exhale sa colère, en se répandant en injures contre Chiven qui, les ayant entendues, répond à l’importun par de violents reproches. Alors le dévot, consterné, change de ton, s’excuse beaucoup, et demande que ceux qui adoreront Chiven sous la figure du Lingam, soient plus favorisés que ceux qui ne l’adorent que sous la figure humaine : sa prière fut exaucée.

Une autre fable rapporte que la partie sexuelle de ce dieu était si grande qu’elle atteignait son front. Il fut obligé de la couper et de la diviser en douze parcelles, qui donnèrent naissance à toutes les créatures humaines.

Cette dernière fable paraît allégorique ; les précédentes ne le sont point. Elle semble exprimer la révolution annuelle du soleil, divisée en douze mois. L’auteur qui l’a imaginée a laissé voir la vérité à travers le voile léger dont il l’a enveloppée. Cette allégorie prouve que le Lingam a la même origine et les mêmes rapports avec le soleil régénérateur que le Phallus, et Chiven paraît être le dieu-soleil des Indiens.

les régions voisines, qui sont à l’est ou au nord de l’Inde ou de l’Hindoustan, on ne retrouve plus le culte du Phallus. Les relations que nous avons sur le Pégu, Ava, Siam ou l’empire des Birmans, sur le Tibet et le Bhoutan, n’offrent aucune notion sur ce culte ; quoique les religions de ces différentes nations aient entre elles et celles de l’Inde des rapports nombreux, il paraît n’avoir jamais été adopté dans les vastes contrées de la Tartarie. On serait tenté de croire qu’il l’a été en Chine, d’après une idole que les voyageurs les plus récents ont vue dans cet empire, et qu’ils qualifient vaguement d’idole consacrée à la volupté. « On voit, dit l’un d’eux, plusieurs de ces idoles obscènes, dans les temples ou miaos ; elles reçoivent un tribut de confiance et de respect de la part des Chinoises, très pudiques d’ailleurs. La superstition est un voile pour ces images [21]. »

Voilà bien le culte d’une idole obscène, et ce culte est rendu par des femmes ; mais ces notions trop vagues n’annoncent ni le sexe de l’idole, ni par conséquent le Phallus ; ainsi, l’on peut dire, jusqu’à ce que de nouvelles lumières nous éclairent, que le culte de cet objet sacré se serait étendu en Asie, depuis les rives du Nil jusqu’à celles du Gange, et n’aurait point franchi cette dernière limite.

L’extension de ce culte sur cette partie de la terre, qu’aucun obstacle ne sépare, où les communications sont faciles, n’a rien de bien étonnant ; mais ce qui l’est beaucoup, c’est de trouver précisément, aux antipodes de l’Inde, dans le Mexique, le même culte établi.

Le culte du Phallus, existant au Mexique comme dans l’Inde, pays si éloignés l’un de l’autre, séparés par de vastes mers et sur lesquels les monuments historiques de l’antiquité ne nous ont laissé aucune trace de communication, est un problème qui ne peut être résolu que par la science géologique, mieux connue.

Lorsqu’on fit la découverte du Mexique, on y trouva, dans la ville de Panuco, le culte particulier du Phallus bien établi. Sa figure était adorée dans les temples. On voyait dans les places publiques des bas-reliefs qui, comme ceux de l’Inde, représentaient de différentes manières l’union des deux sexes.

À Tlascala, autre ville du Mexique, on révérait l’acte de la génération sous les symboles réunis des parties caractéristiques des deux sexes [22].

Garcilaso de la Vegua dit, d’après Blas Valera, que, chez les Mexicains, le dieu de la luxure était nommé Tiazolteuti [23].

Je ne dois pas négliger d’observer que le soleil était la divinité principale du Mexique, et que là, comme en Asie, le culte du Phallus se trouvait associé à celui de cet astre.

Passons en Europe, et examinons quel fut le sort du culte du Phallus dans cette partie du monde.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Jacques-Antoine Dulaure, Des Divinités génératrices, ou du Culte du Phallus chez les anciens et les modernes, Éd. Dentu, Paris, 1805.

Notes

[1Porphyre, de Stige, p 283 ; Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXXI, p. 136.

[2L’abbé Mignot, dans son second Mémoire sur les anciens philosophes de l’Inde, après avoir cité le passage de Porphyre sur le voyage de Bardésane, dit, à propos de cette figure à deux sexes : « Cette espèce de Lingam se trouve encore aujourd’hui dans l’Inde, comme on le voit par les figures des idoles de ce pays qui ont été envoyées à M. le marquis de Marigny. » (Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXXI. p. 136.) Un autre écrivain témoigne de l’existence de cette figure. Elle est appelée aujourd’hui, dit-il, Ardhanary-Eswara. Ce mélange fut fait, disent les bramines, parce que Eswara (ou Chiven), amoureux de Parvatti, lui donna la moitié de son corps. (Mœurs des Bramines, par Abraham Roger, p. 154.)

[3Abraham Roger, p. 157, Chiven ou Siven, Schiva, Esswura, Ixora ou bien Routren, sont les noms de la même divinité, prononcés différemment dans divers cantons de l’Inde, ou différemment orthographiés par les Européens. Ce dieu a beaucoup de rapport avec le Priape des Grecs et des Romains.

[4Essais historiques sur l’Inde, par Delaflotte, p. 206, et Voyage de Grandpré dans l’Inde.

[5Dans l’ouvrage anglais intitulé : An account of the Remains of the Worship of Priapus, etc., by R. P. Knight, publié en 1791, on a gravé plusieurs monuments antiques de l’Inde qui ont rapport au culte de Priape. On y voit deux ex-voto tirés de la pagode de Tanjore, dont l’un réunit les deux sexes. On remarque surtout la gravure d’un bas-relief de la pagode d’Elephanta, qui représente un groupe exécutant l’action infâme que les Latins désignaient par le mot irrumatio.

[6Dictionnaire de la Fable, par Noël, au mot Sita.

[7Voyage à Canton, et Observations sur le Voyage de la Chine de Lord Macartney, par Charpentier-Cossigny.

[8Voyage aux Indes et à la Chine, par Sonnerat, depuis 1774 jusqu’en 1781, t. I, 1. II.

[9Voyage dans l’Inde et au Bengale en 1789 et 1790, par L. de Grandpré, officier de marine, t. li, p. I10.

[10Voyage aux Indes et à la Chine, par Sonnerat, t. II, p. 109.

[11Voyage de Sonnerat, t. II, p. 116.

[12Essais Historiques sur l’Inde, par Delaflotte, p. 206, etc.

[13Id., p. 192.

[14Essais histor. sur l’Inde, par Delaflotte, p. 206.

[15Voyage aux Indes et à la Chine, par Sonnerat, t I. p. 322.

[16Voyage dans l’Inde, par Duquesne, t. II.

[17Voyage dans l’Inde, par l’amiral van Caerden.

[18Voyage dans le Mogol et l’Indostan, par Bernier, et Essais historiques sur l’Inde, par Delaflotte, p. 213.

[19Dans une espèce de sanctuaire du temple de Bélus, à Babylone, était un lit magnifique où les prêtres menaient chaque nuit une des femmes de la ville pour coucher avec le dieu, et devenir son épouse. Les prêtres, tour à tour, on n’en doute point, jouaient le rôle de l’époux divin.

[20Un Turc insensé parcourait, tout nu, les rues d’Alexandrie en Egypte. Il entrait dans les boutiques, prenait ce qui tombait sous sa main sans le payer, le gardait ou le jetait dans la rue. Loin de déplaire aux marchands turcs, cette extravagance les flattait beaucoup. Ils voyaient dans ce gaspillage une preuve de la protection du Prophète : car depuis longtemps, en Orient, on a l’opinion singulière de regarder les fous comme des inspirés : on les nomme les saints de Dieu tandis qu’en Europe, les inspirés passent pour des fous.

Pendant que ce Turc nu se livrait à ces actes de folie, arrive une vieille musulmane. « D’une main, dit l’auteur qui me fournit cette anecdote, elle tire son voile de côté, afin de lui laisser voir une partie de sa figure, et de l’autre elle prend, à genoux, la partie du fou que la décence ne permet pas de nommer, quoiqu’elle fût plus malpropre que la boue même ; elle la baise et la porte à son front. Le saint ne fait aucune résistance ; la femme suit son chemin, et le fou, d’un air dédaigneux, continue sa marche nonchalante. » (Voyage en Orient, par M. A. D. B., chap. II.).

Pokoke vit à Rosette deux de ces fous qualifiés de saints. Ils étaient nus, et des femmes leur rendaient dévotement le même hommage.

[21Voyage de l’Ambassade de la Compagnie Orientale hollandaise vers l’Empereur de Chine.

[22Histoire des Incas, par Garcilaso de la Vega, 1. II, chap. VI.

[23Histoire de la Floride, par le même.

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