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Alexandre Cullerre

Lunatiques, instables, aventuriers

Les frontières de la folie (Ch. IV, §. I)

Date de mise en ligne : mardi 2 octobre 2007

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre IV, §. I : « Lunatiques, instables, aventuriers », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 121-133.

CHAPITRE IV
EXCENTRIQUES

—  — —
I
LUNATIQUES, INSTABLES, AVENTURIERS

À un point de vue général on peut admettre deux grandes formes d’excentricité : celle qui se révèle surtout par les idées et celle qui se manifeste presque exclusivement par les actes. Les excentriques de la première catégorie, nous les avons étudiés dans les premiers chapitres : ce sont les émotifs atteints de délire du doute et du toucher, les scrupuleux, les anxieux, qui ne peuvent s’empêcher d’attacher une valeur augurale ou symbolique aux actions les plus simples de la vie ; les obsédés que torture une idée fixe ; les onomatomanes, et quelques impulsifs non dangereux. S’ils pensent beaucoup, ils agissent peu, par suite de l’inhibition qu’exerce sur leur volonté l’émotivité craintive qui caractérise leur état mental.

Chez ceux de la seconde catégorie, au contraire, il ne semble exister aucune incorrection des idées, mais l’activité présente quelque chose d’exagéré, d’exubérant, de désordonné, allant souvent jusqu’à l’incohérence. En même temps, la sensibilité morale qui le plus souvent n’est qu’exaltée chez les premiers, se montre chez les seconds ou absente, ou profondément pervertie. De là une conduite bizarre, inconséquente, immorale, souvent dangereuse, parfois criminelle ; une instabilité anormale d’impressions et de sentiments chez des gens dont l’intelligence semble correcte et chez qui les facultés syllogistiques sont conservées.

Beaucoup se font remarquer par un goût inné pour les voyages, les aventures, ou plus simplement par un besoin instinctif de déplacement, de locomotion, sans but précis. Le Dr Foville a donné le nom de migrateurs à certains aliénés qui se déterminent, par suite de la nature et de l’évolution de leur délire, à entreprendre des voyages plus ou moins lointains. Ce qualificatif ne conviendrait pas moins, quoique pour un tout autre motif, à quelques excentriques qui finissent d’ailleurs, bien souvent, par échouer dans les asiles d’aliénés.

Tel qui dans sa famille compte de nombreux aliénés, est un individu exalté, dominé par un mysticisme d’autant plus singulier qu’il a en même temps des impulsions à la débauche, aux actes obscènes, et qu’il a éprouvé des impulsions irrésistibles au vol et à l’incendie. Ii a erré pendant plusieurs années par toute la France, au gré de son caprice, mangeant son petit avoir ; après quoi, il échoue dans un asile d’aliénés. Un de ses neveux, aussitôt hors de pages, se met à errer en France, en Belgique, dans diverses parties de l’Europe ; comme son oncle, il mange son patrimoine dans la débauche, et prend sa retraite dans une maison de santé où il vit jusqu’à un âge très avancé.

Tel autre appartient encore à une famille d’excentriques migrateurs. Dès l’âge de vingt ans il se met à voyager : il se rend à Rome, en Afrique, en Égypte, il ne peut tenir en place, et dépense quarante mille francs dans ses pérégrinations signalées par de nombreuses bizarreries. Il n’a jamais été enfermé ni considéré comme dangereux. Son frère, à dix-sept ans, s’enfuit de la maison paternelle : on le retrouve à Lyon. Plusieurs fugues succèdent à la première, une autre fois on le retrouve dans une prison, et une dernière fois enfin dans un asile. On compte plusieurs aliénés dans la famille.

Ce besoin irrésistible de locomotion semble être un caractère de dégénérescence mentale avancée. Il se rencontre chez diverses catégories d’individus atteints par le cerveau, et principalement chez les instinctifs et les imbéciles, qui prennent texte de ces fugues pour inventer des aventures de la plus haute fantaisie. Nous retrouverons ces derniers quand nous nous occuperons du penchant au mensonge.

Mais lorsque l’intelligence atteint un plus large développement, l’instabilité mentale se présente sous une forme beaucoup plus compliquée, et l’appétit de locomotion et des voyages n’est plus qu’un des mille aspects sous lesquels elle se fait jour. Au migrateur succède l’aventurier, le déséquilibré, de large envergure.

Vers 1830, un membre de l’Académie française se jeta dans la Seine, du haut du pont des Arts ; rien n’expliquait ce suicide. Il laissa un fils, qui fut un type remarquable de déséquilibré raisonnant :

À peine âgé de douze ans, dit M. Legrand du Saulle [1], A… était déjà bizarre, ingouvernable et très difficile à fixer. Plus il grandit et plus il causa d’inquiétude et de chagrin à sa mère. Paresseux, mais ayant pour les sciences des aptitudes que l’on trouvait remarquables, il fut admis pour l’école navale et partit pour Brest. On le savait avide de l’inconnu et amoureux du danger et l’on prédit au futur marin les plus hautes destinées. Mais chassé de l’école pour insubordination, esprit de rébellion et propagande de révolte contre l’autorité, il revint à Paris, étudia le théâtre, essaya de jouer la comédie dans des salons, monta des représentations à domicile, disposa au besoin pour cet objet des tapisseries et des meubles de sa mère, passa son temps à apprendre et à faire répéter des rôles, puis s’affilia à des troupes de spectacles forains et de petits théâtres de la banlieue.

Placé au ministère de l’instruction publique, il s’y montra employé inexact, indocile, fantaisiste, versatile, dépourvu de sens moral, d’une désinvolture choquante, d’un esprit faux et d’une insociabilité absolue. Il n’y rendit aucun service, fut toujours conservé néanmoins, continua de faire des fugues en province, à la remorque de quelques acteurs et actrices de bas étage, dépensant beaucoup plus que ses revenus et entraîné dans toutes les aventures et tous les écarts de la vie la plus nomade, la plus irrégulière et la plus indigne de son nom et de sa famille.

En 1850, âgé alors de trente-deux ans, il prit tout à coup congé des siens et du ministère de l’instruction publique et partit brusquement pour la Californie. Là, il tenta de différents métiers, ne réussit dans aucun, et cessa d’écrire en France. Au bout d’un certain nombre d’années, sa famille finit par apprendre qu’il avait été ordonné prêtre, en 1855 ; qu’il avait déjà occupé plusieurs cures en Californie, qu’il jouissait d’une très haute considération, qu’il exerçait une sorte de suprématie ecclésiastique et administrative dans le pays qu’il habitait et qu’il allait certainement être appelé à l’évêché de San-Francisco. Il recommença à écrire en France vers 1870 et chaque fois il exigea des envois d’argent. On lui envoya de la sorte plus de vingt mille francs en deux ou trois fois. En 1873, on lui annonça qu’il venait de faire un héritage. Il répondit aussitôt qu’il était très heureux de pouvoir quitter l’Amérique et il ne tarda pas à arriver à Paris, accompagné d’une femme jeune, à la mine excentrique et au- allures suspectes ; l’un de ses parents, médecin distingué à Paris, obtint le retour de la voyageuse à San-Francisco, puis fut frappé des inconséquences et des étrangetés de A… qui, le matin, passait deux heures dans une église où il avait été admis comme prêtre habitué, et le soir, se rendait à l’Opéra, dans des petits théâtres lyriques assez mal fréquentés ou dans les cafés-concerts, avec un costume demi-laïque et demi-ecclésiastique !

Le sieur X… fut appelé, reconnut des signes sérieux d’une affection cérébrale un peu obscure, apprit que le malade avait eu, depuis une vingtaine d’années, un certain nombre de poussées congestives, sans perte de connaissance et sans convulsions, mais avec hémiplégie temporaire, tantôt à droite et tantôt à gauche, et qu’il se réparait en général assez promptement. Toutefois, M. X… déclara qu’il n’y avait pas lieu de placer le malade dans une maison de santé.

En 1874, A… avait une conversation habituelle paradoxale, étrange, décousue. Il ne manquait jamais d’insister sur ce fait qu’il jouissait de toute sa raison, qu’il n’avait jamais eu l’esprit troublé et qu’il était heureux de posséder une intelligence élevée, puis il racontait, d’autre part, qu’il s’était toujours tenu au courant, en Californie, des choses du théâtre, par la lecture du journal le Figaro, qu’il y avait à Paris des femmes très belles et très agréables et que l’on pouvait toujours passer son temps chez elles sans s’ennuyer un seul instant. Ses dépenses furent relativement déraisonnables et son inconduite le conduisit à des excès alcooliques, qui jusque-là n’avaient jamais été remarqués.

Du mois de novembre 1874 au mois de mai 1875, ii eut trois congestions cérébrales avec hémiplégie passagère du côté droit et tremblement choréiforme. Dès qu’il était un peu rétabli, il sortait, retournait dans les théâtres et disparaissait quelquefois pendant deux ou trois jours de suite. Il avait alors de l’amnésie et de l’incertitude dans la marche. Il affichait des relations avec une fille perdue, sortait avec elle, demandait et obtenait sans cesse de l’argent et rentrait toujours les poches entièrement vides.

Ne se trouvant pas assez libre, il quitta subitement sa famille au mois de mai 1875 et vint s’installer dans une petite maison de campagne, à Lagny, avec une vieille servante. On apprit bientôt qu’il venait constamment à Paris et qu’il oubliait souvent de rentrer à Lagny.

Le 20 juillet 1875, dans la soirée, A… tomba auprès de la gare du chemin de fer de l’Est et fut porté sans connaissance à l’hôpital Lariboisière. À certaines particularités de ses vêtements, les religieuses qui aidèrent à le déshabiller reconnurent qu’il devait être prêtre. Il fut réclamé et retrouvé par sa famille, soigné en ville, et put repartir chez lui, à Lagny, le 26 août.

Le 23 novembre suivant, à dix heures du matin, A… sans connaissance et en proie cette fois des accidents épileptiformes, fut porté d’une maison de la rue Lafayette où il avait passé la nuit, dans un fiacre, avec ordre de le déposer à l’adresse indiquée, entre les mains de ses parents. Le lendemain, le docteur B… nous raconta toutes les particularités qui précèdent et réclama de nous un conseil. J’allai voir le malade, je portai un pronostic grave, et, en face de l’hémiplégie alterne qui avait été observée, je pensai à une affection probable du bulbe. La famille plaça cette fois A… dans une maison de santé.

Le malade trouva encore la possibilité de se réparer partiellement, de reprendre de la force, de lire les journaux et de jouer aux cartes avec ses compagnons. Le 9 janvier 1876, ii s’évanouit tout à coup, eut de la déviation de la face, de la contracture généralisée, des secousses convulsives, de la dysphagie, de la respiration stertoreuse, de l’émission involontaire des urines et des matières fécales et expira au bout d’une heure. Le docteur X... qui était présent, est resté convaincu que A... avait succombé à une hémorragie de la protubérance. L’autopsie n’a point été faite.

De pareils sujets donnent lieu, pendant le cours de leur existence, à d’innombrables erreurs de diagnostic. Ils passent tour à tour pour être atteints de manie, de mégalomanie, de paralysie générale au début. Ils ne sont rien de tout cela ; ce sont des héréditaires.

Les congestions encéphaliques d’une gravité croissante signalées chez cet individu sont presque de règle chez tous ses pareils. Tantôt elles débutent à un âge prématuré, presqu’au sortir de l’adolescence, comme chez un raisonnant dont nous possédons l’observation, qui eut sa première attaque à vingt-trois ans et ne succomba qu’à soixante treize ans à une dernière attaque foudroyante après l’existence la plus agitée qui se puisse imaginer ; tantôt elles n’apparaissent que longtemps après le début de l’instabilité mentale. Dans ce cas, les poussés congestives ont sans doute existé, mais ne se sont manifestées que par de l’excitation intellectuelle comme dans une observation suivante.

D’une façon générale, l’instabilité mentale dans cette catégorie d’excentriques, se traduit par l’impossibilité de se fixer dans la vie, de suivre une direction déterminée, d’embrasser aucune profession, de subir les conventions sociales, de se conformer aux lois et à une discipline quelconque.

A… est fils naturel [2]. Son père était un homme sans conduite, ivrogne ; livré à tous les genres d’excès, véritablement extravagant et qui a fini par mourir en état de folie confirmée. Oncle paternel mort fou. Une tante, soeur de son père, est aveugle depuis de longues années. Une autre tante du même côté, est atteinte d’une demi-cécité de nature congestive. Elle est, de plus, sujette à des étourdissements qui lui font craindre de devenir folle. Son neveu lui ressemble beaucoup ; comme elle, il est sujet à une sorte de tic du côté droit de la figure.

A… a le crâne étroit, le front fuyant, le regard louche, la physionomie doucereuse d’un faux bonhomme.

A… a toutes les apparences d’un homme raisonnable et cependant sa vie tout entière, à dater de la première enfance, sur les bancs de l’école, n’a été qu’une révolte incessante contre la société ; chez lequel, instincts, désirs, passions, n’ont jamais trouvé de contre-poids, soit dans le simple et rude bon sens qui interdit aux plus pervers de rien faire contre leur intérêt rien qui n’ait un but, sinon certain, du moins probable, d’utilité quelconque, soit dans cette voix intérieure qui s’élève au fond de l’âme humaine comme le contre-coup douloureux des mauvaises actions.

À peine put-il montrer son caractère, nous dit sa tante, dont nous transcrivons ici les paroles, qu’il parut toujours en opposition avec ce qui est bien. Volontaire, colère, vindicatif. il ne fut jamais comme les autres enfants ; il voulait tout ce qu’on lui défendait, prenait et mangeait tout ce qu’il trouvait, au risque de s’empoisonner ; il lui est arrivé de boire de l’encre et de l’eau de Javelle. À trois ans, ne pouvant ouvrir une porte pour se rendre chez une voisine qui lui donnait quelquefois des friandises, il s’est jeté par la fenêtre d’un premier étage : on l’a cru tué, il n’était qu’étourdi.

Les parents, ne pouvant absolument en rien faire, le mirent en pension à Belleville, espérant que des étrangers, auraient plus d’empire sur lui. Là, il fut pire que jamais ; chassé de la classe, il se réfugiait dans la cuisine où il cassait, volait et mangeait tout ce qu’il trouvait ; on ne voulut pas le garder.

Un jour sa grand-mère était allée le voir. A… lui demande de le ramener avec elle ; sur son refus, il ramasse une pierre et la lui lance à la tête. La pauvre femme fut blessée très grièvement et perdit beaucoup de sang. Réprimandé sévèrement, loin de se montrer repentant de cette mauvaise action, il exprime froidement le regret de n’avoir pas fait plus de mal. En grandissant, ce malheureux enfant devenait chaque jour plus terrible, et se montrait animé des plus mauvaises passions. Il s’est fait renvoyer ou s’est sauvé de toutes les pensions. Il volait ses camarades, les maltraitait ; on le fuyait comme la peste.

A… n’était pas dépourvu d’intelligence, bien au contraire ; mais il ne s’en servait que pour mal faire. De douze ans à dix-huit, on lui fit essayer de plusieurs métiers, ses patrons l’ont tous chassé de chez eux pour inconduite et plusieurs fois pour vol.

À dix-huit ans, engagé volontaire dans un régiment de ligne, il se conduit assez bien tant que son régiment est en campagne, et qu’il y a des coups de fusil à donner ou à recevoir ; il se fait même remarquer par son courage. La paix rétablie, il se passe peu de semaines qu’il ne soulève contre lui les plus vifs mécontentements. D’un caractère sauvage, il a sans cesse le sabre à la main pour se venger de prétendues injures. Il subit plusieurs punitions fort graves, fort pénibles, celle des silos entre autres, tout cela avec la plus complète indifférence. Ayant été condamné à mort pour voies de fait envers un supérieur, A… accueillit la sentence en disant : « Ma foi, je ne l’ai pas volé, et, après tout, il est temps que cela finisse ; qu’on me tue, je serai débarrassé de moi-même. » La peine fut commuée en dix années de détention.

Peu après sa sortie de prison, A… donna enfin des signes positifs d’insanité d’esprit ; il fut en proie pendant quelques jours à un véritable délire maniaque. Il fut envoyé à Bicêtre où il séjourna pendant deux ans.

Moreau (de Tours) ajoute qu’il nota dans l’état mental de cet individu une particularité de la plus haute importance : Ce n’était que par intervalles irréguliers qu’il montrait cette irascibilité et cette violence de caractère dont il est question dans l’observation précédente. Il exigeait alors une surveillance toute particulière, il fallait le séparer des autres malades, sans cela on eût pu avoir à déplorer quelque malheur.

Dans l’intervalle, il était laborieux, serviable, presque bon garçon. Il avait conscience du changement qui s’était opéré en lui et se croyait sûr, désormais, d’être toujours parfaitement maître de lui.

C’était précisément lorsque l’excitation allait revenir que A… manifestait toutes ces belles dispositions. On remarquait alors comme une très légère teinte d’ivresse dans son regard. Dans ses moments de pleine lucidité, A.. se tenait volontiers à l’écart, attendait qu’on l’interrogeât. pour prendre la parole, et se gardait de toute importunité.

Nous retrouvons chez ce personnage, si finement analysé par l’auteur de l’observation, une tendance très nette aux poussées congestives ; et de plus nous avons à noter un phénomène sinon nouveau, du moins plus nettement accusé que précédemment, une véritable intermittence dans les excentricités, rapprochant A.. des aliénés atteints de manie périodique on intermittente. Avec lui nous entrons, par une transition graduée, dans le domaine incontesté de la folié proprement dite. Il serait facile de trouver des exemples où aux phénomènes d’excitation et de rémittence complète viennent s’ajouter des symptômes de dépression, et qui constituent de véritables ébauches de folie circulaire. Ces formes mentales étant essentiellement héréditaires, ces rencontres n’ont rien que de très naturel.

Rien n’égale le cynisme et l’inconscience de ces individus. Après les actes les plus odieux, les plus méprisables, ils étalent un front candide, une ingénuité monstrueuse et se recommandent de leur moralité et de leurs vertus dont ils pensent qu’on ne saurait douter.

D’abord placé au séminaire, puis au collège, dit M. Dagonet [3] X… se fait renvoyer vers l’âge de 14 ans pour cause d’insubordination. Embarqué à l’âge de 18 ans comme mousse, puis expédié en Afrique après avoir signé un engagement militaire, il se fait licencier trois mois après.

De retour dans son pays, il s’engage dans l’armée belge, déserte, vient à Paris, se présente au supérieur du grand séminaire, auquel il fait accroire qu’il veut se faire prêtre, est envoyé dans une maison religieuse qu’il quitte peu de temps après ; retourne en Belgique, se fait arrêter et condamner pour désertion à un an de prison.

Il est gracié au bout de quelque mois, puis réincorporé ; il déserte de nouveau. Condamné une deuxième fois, il est de nouveau gracié à l’avènement de Léopold II.

Nommé instituteur communal, il se marie malgré le consentement de ses parents et quitte sa femme après quatorze jours de mariage. À la suite des désordres auxquels il se livre, il est destitué de son emploi et, dans l’impossibilité d’avoir une nouvelle place, ii tombe bientôt dans une extrême misère.

Comme il était marié et qu’il était d’ailleurs suffisamment connu, il ne peut trouver à s’engager. Alors il se procure de faux papiers, se rend en Hollande et sous un nom supposé contracte un engagement pour les Indes. Il touche une prime de 160 florins.

Nommé sous-officier et détaché au bureau topographique, il arrive à gagner, tant à Java qu’à Batavia, 60 florins par mois. L’ennui ne tarde pas à le prendre : il simule une maladie, parvient à se faire réformer et revient à la fin de 1869 à Rotterdam, où il reçoit comme sous-officier une nouvelle gratification de 300 francs.

Il rentre alors à Bruxelles où il ne reste que deux jours, part pour Paris où il se fait condamner à quinze jours de prison pour outrages à un magistrat. Remis en liberté, il se livre à diverses tentatives d’escroquerie, se fait donner 20 francs par le directeur du séminaire sur la promesse qu’il retournera de suite chez lui à Bruxelles, passe son temps dans les cafés, vend ses habits, se fait entretenir par une ouvrière qu’il quitte lorsqu’elle est à bout de ressources ; fait des dépenses de voiture et de consommation dans un café, qu’il ne peut payer, et se fait alors arrêter.

Il présente à son arrivée des symptômes de délire ambitieux, mais il prétend qu’il avait exagéré cette disposition d’esprit et qu’il s’était fait une sorte de plaisir d’induire en erreur même le médecin chargé de son observation.

Il n’en est pas moins certain que sous l’influence de la moindre excitation ce malheureux jeune homme ne se domine plus, qu’il perd tout empire sur lui-même et qu’il n’a plus la conscience des actes auxquels il se livre. Il insulte alors, sans motifs, les agents de l’autorité et pour peu que son exaltation prenne des proportions plus grandes, on le voit aussitôt présenter des troubles intellectuels manifestes. Il est alors dominé par les idées ambitieuses les plus insensées : il se figure être le fils de grands personnages, en un mot il devient bien réellement aliéné. Toutefois, chose remarquable, il montre dans ce cas une disposition bizarre à exagérer sa folie, comme si, même dans cet état, il conservait encore en partie la conscience de sa position.

Nous avions depuis quelques années perdue de vue ce malade, lorsqu’une lettre du médecin d’une maison d’aliénés, en Belgique, nous était adressée. Cet honorable confrère nous faisait savoir que X… était sur le point de passer en cour d’assises ; il avait commis des faux, s’était enrôlé sous le nom et avec les papiers d’un jeune homme mort peu de temps auparavant, et avec lequel il avait quelque grossière ressemblance d’âge, de taille et de physionomie. Lui-même nous écrivait une lettre singulière pour réclamer notre bienveillante assistance : « Convaincu, disait-il, de votre opinion sur ma moralité et sur mes moeurs, j’ai l’entière confiance que vous ferez en sorte de m’aider dans les bornes du possible pour me tirer de la déplorable position où je me suis mis, en ne jouissant pas de ma liberté morale. »

Ces dernières lignes sont caractéristiques. Elles montrent suffisamment jusqu’où peut aller l’effronterie inconsciente d’un déséquilibré raisonnant.

Mais un autre point clinique fort important à relever dans l’observation de ce sujet, point qui confirme ce que nous avons dit des habitudes pathologiques de ce genre de malades, ce sont ces poussées de délire transitoire à forme ambitieuse qui lui donnent un accès incontesté dans le domaine de l’aliénation mentale et lèvent tous les doutes sur la nature des perversions morales dont il a fait preuve dans le cours de son existence.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre IV, §. I : « Lunatiques, instables, aventuriers », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 121-133.

Notes

[1Legrand du Saulle, Ann. méd.-psychol., 1872.

[2Moreau de Tours, Psychologie morbide. Paris, 1860.

[3Dagonet, Folie morale et folie intellectuelle. (Ann., 1877.)

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