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Alexandre Cullerre

Obsessions mentales diverses

Les frontières de la folie (Ch. II, §. IV)

Date de mise en ligne : mardi 18 septembre 2007

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre II, §. IV : « Obsessions mentales diverses », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 84-91.

CHAPITRE II
LES OBSÉDÉS

—  — —
IV
OBSESSIONS MENTALES DIVERSES

Il faut savoir se borner. Nous n’en finirions pas si nous voulions faire l’honneur d’un article à toutes les idées fixes, toutes les bizarreries, toutes les obsessions qui peuvent naître dans le cerveau d’un psychopathe lucide. Nous passerons rapidement en revue quelques unes de celles qui ont plus particulièrement attiré l’attention des observateurs après les trois syndromes principaux dont nous avons donné la description dans les pages précédentes.

L’onomatomanie a été décrite par MM. Charcot et Magnan [1]. Ils désignent sous ce nom un groupe de symptômes dans lequel le mot ou le nom joue un rôle prépondérant. « Ces troubles psychiques, disent ces auteurs, s’observent habituellement chez des sujets très-élevés dans l’échelle des dégénérescences mentales (les simples déséquilibrés), et constituent un des syndromes épisodiques de la folie héréditaire. »

L’onomatomanie peut se présenter sous des formes diverses : 1° la recherche angoissante du nom ou du mot ; 2° l’obsession du mot qui s’impose, et l’impulsion irrésistible à le répéter ; 3° la signification particulièrement funeste de certains mots ; 4° l’influence préservatrice de certains mots ; 5° le mot devenu pour le patient un véritable corps solide indûment avalé, pesant sur l’estomac, et pouvant être rejeté par des efforts d’expuition et de crachement. « Dans tous les cas, ajoutent les auteurs, le malade a une entière conscience de son état ; il regrette et déplore ces idées absurdes, mais il n’en reste pas moins l’esclave de ces bizarreries. »

Sans vouloir donner des exemples de toutes ces formes d’onomatomanie, nous nous contenterons de résumer l’observation suivante, des auteurs précédemment cités [2].

M. S… est un héréditaire qui, dès l’enfance, a manifesté des signes de déséquilibration mentale. À dix-huit ans il a un accès mélancolique, plus tard des perversions sexuelles, des tics convulsifs, des pleurs et des rires sans motif, des doutes sur l’Infini. Un jour, il rencontre une personne de connaissance et ne peut se rappeler son nom : obsessions, angoisses, serrement épigastrique, sueurs, refroidissement des extrémités, tendances à la syncope. Il rentre chez lui, se désolant, se lamentant, en proie à une angoisse extrême. Quinze jours plus tard, même aventure. À partir de ce moment il est constamment sur le qui vive, préoccupé du nom et du prénom des personnes avec qui le hasard le met en relations. Il s’empresse, dès qu’il a vu quelqu’un, d’inscrire le nom sur un feuillet de papier. Peu à peu, il est poussé à demander le nom d’inconnus, de gens qu’il rencontre dans la rue, puis encore le nom de personnes qui passent en voiture ; puis enfin des voyageurs que contient un train. L’impossibilité de réaliser de tels désirs le désole, l’exaspère et il finit par se séquestrer pour se soustraire à l’obsession des noms.

Un malade de M. Moreau (de Tours) avait pris l’habitude de ne jamais se séparer d’un almanach des 25000 adresses, tant l’angoisse qu’il éprouvait était forte quand il était obsédé par un nom propre dont il ne pouvait se souvenir.

Était-ce un onomatomane, ce prêtre dont parle le Dr Gros [3] qui avant de commencer sa messe disait : « Volo dicere missam ; non volo, volas, volat ; sed volo, vis, vult. » Ou avait-il simplement peur qu’on put se méprendre la-haut sur le sens des verbes ?

À côté de l’onomatomanie, mérite de prendre place l’arithmomanie qui n’en est qu’une sorte de variante. M. S…, dont nous avons parlé plus haut, après avoir été onomatomane, devint arithmomane.

Au bout de trois mois, l’obsession du nombre s’ajoutant à l’obsession du mot, M. S… se voit de plus en plus tourmenté et sa vie devient de plus en plus pénible. Il compte tout ce qui lui est servi à table ; il dresse à chaque repas un tableau sur lequel sont indiqués le nombre de morceaux ou de bouchées de pain, de viande, le nombre de cuillerées d’eau, de vin, de lait qu’il va prendre. Pour le lait, il compte le nombre de gouttes contenues dans une cuillerée et le nombre de cuillerées dans une tasse. Pourquoi se livre-t-il à ce calcul ? Il n’en sait rien, dit-il ; c’est ridicule, mais il doit le faire. Si on lui sert une tomate, il s’empresse de compter le nombre de graines qu’elle renferme ; il en est de même pour les pommes, les poires.

Un jour il avait mangé vingt cerises, mais il n’avait recueilli que dix-neuf noyaux ; il cherche le vingtième de tous côtés. Ne le découvrant pas, il pense qu’il l’a probablement avalé. Dès le soir il fouille dans ses garde-robes et passe la nuit à pétrir fiévreusement entre ses doigts les matières fécales. Il se lamente de l’insuccès de ses recherches. Sur les instances de sa famille, il se couche quelques heures vers le matin après avoir consenti à faire un grand lavage. Il se relève pour se présenter à la chaise, et l’évacuation obtenue, il recommence avec plus d’ardeur encore, la recherche du vingtième noyau qu’il finit par trouver le soir seulement après une troisième défection. Il se calme alors, prend un bain, se couche, et passe une bonne nuit.

L’arithmomanie, comme l’onomatomanie, coïncide souvent avec les autres syndromes que nous avons décrits. Un malade atteint de la folie du doute était venu consulter Legrand du Saulle. En sortant, il s’écria : « Vous avez quarante quatre volumes sur cette table et vous portez un gilet à sept boutons. Excusez-moi, c’est involontaire, mais il faut que je compte. »

Parmi les arithmomanes les plus curieux doit être rangé M. de W… dont Trélat a publié l’observation [4].

M. de W… est âgé de quarante-cinq ans. Il est presque continuellement renfermé dans son cabinet où on le croit adonné à de sérieux travaux. On ne peut le voir que très rarement et chaque fois qu’on le voit, il se plaint de migraines causées par l’excès du travail, et de la fatigue que lui causent ses veilles prolongées. Il a une femme aussi instruite qu’elle est aimable. On lui parle avec intérêt de la santé de son mari, du tort qu’il a d’abuser de ses forces, et on l’engage à obtenir de lui qu’il mette moins d’ardeur dans ses études. Elle répond avec douleur que toutes ses tentatives sont inutiles, mais elle ne fait rien pour ébranler la conviction de tous ses amis, quoiqu’elle sache bien à quoi s’en tenir sur cette triste question. La pauvre dame n’est préoccupée que du soin de mettre à couvert la raison et la dignité de son mari.

Mais en réalité, tout le temps que celui-ci passe enfermé dans son cabinet, il l’emploie à compter combien de fois les mêmes lettres, tantôt l’S, tantôt le T, tantôt le G, tantôt le Z, etc., sont répétées dans la Genèse, dans l’Exode, dans le Lévitique, dans les Nombres, dans le Deutéronome, dans le Livre des Rois, les Paralipomènes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, l’Apocalypse, etc. ; — combien de pages, dans telle édition, commencent par un P, combien par un B, combien par un A, etc. ; combien finissent par un T, combien par un G, combien par un E, etc.

D’autres études assez sérieuses pour que cet homme de lettres laisse écouler quinze jours et plus sans aucun soin de toilette, sans aucune ablution, consistent à supputer toutes les pensées contradictoires qui se trouvent dans le même auteur. Puis quand il a passé un an, deux ans, trois ans, sans interruption, à ces grandes études, ce travailleur opiniâtre consacre la même ardeur à démonter tous les mouvements et jusqu’aux plus petites pièces de ses pendules et à les remettre en place. Pendant six mois de suite il défait chaque jour ce qu’il a fait la veille. À toute personne qui se présente chez lui on répond invariablement : « Monsieur est trop sérieusement occupé pour qu’il puisse se déranger. » Chacun pense que cet auteur, trop modeste pour publier ses oeuvres de son vivant, laissera après lui d’immenses travaux. La pauvre femme suffit à elle seule jusqu’au dernier jour du malade, pour défendre et faire respecter une si profonde nullité.

Le nombre 13 a le don de troubler beaucoup de psychopathes. Le cas le plus curieux de la crainte que peut inspirer ce nombre est dû à Magnan. II s’agit d’un élève des Beaux-Arts, âgé de 21 ans, à antécédents héréditaires très-chargés, qui entre autres syndromes psychopathiques, possédait déjà celui de l’onomatomanie, attribuant une influence préservatrice à certains mots, et prononçant les mots tombeau, linceul, bière pour conjurer un malheur.

Bientôt [5] lui vint à l’esprit l’idée de la fatalité du nombre 13 et quelque fois, avant de se coucher, il touchait 13 fois sa table de nuit, ou 13 objets différents épars dans sa chambre. Peu a peu il lui est arrivé de répéter plusieurs fois de suite ces 13 contacts et finalement il passait des nuits entières, harassé de fatigue, à parcourir la chambre pour satisfaire ce besoin de toucher les objets. Le nombre 13, à partir de ce moment, s’impose à son esprit à l’égal d’un tic et intervient en dehors de sa volonté. Il évite de mettre 13 mots dans une phrase et s’il en a écrit 12, sans compléter le sens, il se hâte d’en ajouter au moins deux pour dépasser 13, par crainte que le treizième ne soit cause d’un malheur. Il en est de même pour le langage, il compte de manière éviter des phrases de 13 mots. Ce travail ridicule devient fatigant et le détourne de toute occupation sérieuse.

Le passage suivant extrait d’une note qu’il avait remise permet de suivre le singulier raisonnement qui l’a poussé plus tard à adopter certaines formules en guise de talisman protecteur. « Ne pouvant par le raisonnement vaincre ces obsessions, je mis à profit, dit-il, le nombre 13 comme engin de combat. Et, parlant en moi-même comme si le monde m’était soumis : Si je fais d’ici à demain un seul acte superstitieux, me dis-je un soir, que toutes ces étoiles que je vois soient 13. Et, en même temps, je m’imaginais, au-dessus de ma tête, tous les astres changés en nombre 13, composés d’une infinité de molécules, ayant pour essence le nombre 13. Je ne comprenais pas bien ce que pouvait dire une étoile 13, mais j’avais une telle horreur de nombre 13 que je ne fis pas d’actes absurdes jusqu’au lendemain. Le procédé ayant réussi, j’en usais tellement qu’il ne réussit plus à la longue. Que Dieu soit 13 si je fais un seul acte superstitieux d’ici demain ! Imaginer Dieu 13 n’était pas plus absurde que d’imaginer les étoiles du ciel ayant pour essence le nombre 13. Et puis, absurde ou non, je ne raisonnais plus. Cette idée de Dieu m’effrayait et cela a suffi pour m’empêcher, pendant quelque temps, de me livrer à des actes ridicules. »

De temps à autre l’état du malade s’aggrave et il associe le nombre 13 à une foule d’autres mots auxquels il donne une signification et une valeur particulières. Erreur 13, Vérité 13, etc. Si, après avoir dit mentalement : Erreur 13, il ne prononçait pas mentalement : Vérité 13, tout ce qui l’entoure, croit-il, ne serait qu’un monde imaginaire et il prendrait pour vrai ce qui est faux. Il est ainsi parfois obligé de répéter la formule Dieu 13, non plus mentalement, mais réellement au fond du gosier ; il ferme la bouche, contracte les muscles du pharynx de manière à faire passer, dit-il, de bas en haut, à travers le crâne, la formule Dieu 13 et il lui arrive de la répéter jusqu’à cent fois dans un quart d’heure. Ce qui est plus étrange, dit-il, dans cette manie, c’est que je ne crois guère à l’existence de Dieu et que je suis très sceptique en matières religieuses.

Quoiqu’il en soit, ces obsessions pèsent d’un grand poids sur son existence et interviennent dans la plupart des actes de sa vie. Au point de vue spécial qui nous occupe, ce psychopathe m’a appris que cet état mental lui interdit toute approche sexuelle. Dès qu’il se prépare entrer en conversation intime avec sa maîtresse, la formule Dieu 13 surgit dans son esprit « et glace sa virilité. » Chez ce jeune homme, l’aggravation de ces phénomènes qui se produit de temps à autre, est suivie de découragement, de désespoir, et aussi d’idées de suicide.

À côté des formes précédentes mérite de prendre place la coprolalie, ou besoin irrésistible de prononcer des mots orduriers [6]. Elle peut se présenter isolement ou associée à divers troubles nerveux de nature convulsive.

Nous en dirons autant de la manie blasphématoire signalée par Verga. Une dame noble de Milan, qu’il a soignée, ne pouvait se livrer à la prière sans qu’il lui vînt des blasphèmes à la bouche. Un respectable prêtre à qui il donnait aussi des soins, ne pouvait s’empêcher de crier à tue-tête : « Maudits soient Dieu, la Vierge et les Saints ! »

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre II, §. IV : « Obsessions mentales diverses », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 84-91.

Notes

[1Archives de Neurologie, t. X.

[2On verra quelques exemples d’onomatomanie à la fin du travail intitulé : Des perversions sexuelles chez les persécutés. Annales, 1996.

[3Annales médico-psychologiques, 1885. [Cf. Dr Gros, De l’agoraphobie (peur des espaces) (N.d.E., Psychanalyse-paris.com)]

[4Trélat, Folie lucide.

[5Lantéirès. Essai descriptif sur les troubles psychopathiques avec lucidité d’esprit. Thèse de Paris, 1885.

[6Voyez Gilles de la Tourette. Étude sur une affection nerveuse caractérisée par de l’incoordination motrice accompagnée d’écholalie et de coprolalie. (Arch. de neurol., t. IX.)

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