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Benjamin Ball

De la claustrophobie

Mémoire lu à la Société médico-psychologique (1879)

Date de mise en ligne : jeudi 30 août 2007

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Benjamin Ball, « De la claustrophobie » (Mémoire lu à la Société médico-psychologique), Annales médico-psychologiques, 6e série, t. II ; 38e année, Éd. G. Masson, Paris, 1879, pp. 378-386.

DE LA CLAUSTROPHOBIE
MÉMOIRE LU À LA SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE
DANS LA SÉANCE DU 8 JUILLET 1879,
par M. le Dr Benjamin BALL
Professeur de clinique des maladies mentales à la Faculté de Paris.

On sait depuis longtemps qu’il existe toute une série d’états cérébraux que l’un des membres de cette Société — M. le Dr Bourdin — a désignés sous le nom générique d’horreur du vide, — et dont le mieux connu est l’agoraphobie, ou peur des espaces.

Depuis quelques années, j’ai eu l’occasion d’observer des faits — en petit nombre, il est vrai, — qui témoignent en faveur de l’existence d’un état fort analogue, quoique en apparence tout opposé ; je veux parler de la claustrophobie, ou peur des espaces fermés.

Pour faire connaître les observations que j’avais recueillies, je croyais devoir attendre que leur nombre fût plus grand. Il est donc arrivé ce qui se produit presque toujours en pareil cas, c’est que des faits semblables ont été livrés à la publicité par d’autres observateurs.

Je n’en crois pas moins devoir soumettre à l’appréciation de la Société cette étude, qui s’appuie sur des faits bien authentiques et met en lumière une forme nouvelle d’aberration intellectuelle.

Au mois de mars 1875, je fus consulté par un jeune étranger du meilleur monde, qui présentait, à la suite d’une blennorragie, un cas type de cet état mental, que notre collègue, M. Legrand du Saulle, a décrit sous le nom peut-être impropre de délire du toucher. — Il n’existait chez ce jeune homme aucun délire sensoriel ; mais, par suite de la mésaventure à laquelle il s’était exposé, il avait longuement réfléchi aux inconvénients de tout contact impur, et il en était résulté chez lui des scrupules tellement exagérés qu’ils méritaient le nom de délire de propreté.

Il lui parut d’abord inadmissible de toucher à un bouton de porte, puisque des mains, si souvent malpropres, y ont laissé leur empreinte ; il en résulte un contact indirect, il est vrai, mais insupportable pour des gens délicats. À plus forte raison, il ne pouvait souffrir les poignées de main qui, dans nos habitudes démocratiques, sont trop souvent offertes, et qu’il est difficile de refuser. Pour obvier à ce désagrément, il portait constamment des gants.

Bientôt le même dégoût s’est étendu à toute espèce de contact, sur toute la surface extérieure du corps. Au sortir du lit, il chaussait immédiatement des pantoufles, pour éviter de toucher un tapis sur lequel tant de personnes avaient marché. II s’entourait de précautions exquises, n’embrassait plus personne, et se livrait à des ablutions perpétuelles. Interrogé à cet égard, il m’avoua que tout contact réputé impur lui donnait une sensation particulière, comme si les doigts eussent touché un corps gluant, une solution de sucre ou de gomme, et cette sensation purement imaginaire disparaissait dès qu’il avait pratiqué des ablutions presque fictives — comme celles des musulmans, où quelques gouttes d’eau suffisent pour effacer toute souillure ; — preuve évidente qu’il s’agissait bien à d’un trouble purement intellectuel, et non d’un délire du toucher.

Jusque-là, rien d’extraordinaire ; tous ces accidents se rattachent à un type bien connu et sont encore assez fréquents chez les personnes qui ont reçu une éducation trop soignée.

Mais, à sa seconde visite, il me fit part d’un trouble de toute autre nature, dont il ne m’avait point encore entretenu alors.

À divers moments, mais surtout pendant la nuit, il était saisi d’une terreur panique à l’idée de se voir enfermé seul. Lorsqu’il se trouvait dans une pièce quelconque, il tenait essentiellement à ce que portes et fenêtres restassent ouvertes. S’il était en compagnie, ce sentiment perdait de son intensité, et, par égard pour ses visiteurs, il consentait à laisser fermer les issues. Mais pendant la nuit, il était d’une bien plus grande intolérance : il fallait que les fenêtres de sa chambre à coucher restassent ouvertes, — habitude assez commune en pays étranger ; de plus, les gens de la maison avaient défense expresse de fermer la porte de sa chambre, et, ce qui était plus difficile à obtenir, de fermer la porte de l’appartement. Il lui est arrivé plus d’une fois de se lever la nuit pour s’assurer que ses ordres étaient rigoureusement exécutés. Enfin, pris d’une inquiétude irrésistible, il se voyait quelquefois obligé de descendre, au milieu de la nuit, dans la cour de la maison, et même de se faire ouvrir la porte cochère, pour errer toute la nuit dans les rues, jusqu’aux premières lueurs du jour.

Interrogé sur ses sensations intimes, il m’assura qu’il éprouvait dans ces moments une angoisse constrictive, comparable à celle qu’on pourrait ressentir en rampant à travers un passage de plus en plus étroit, jusqu’au point où, collé contre les parois, on ne pourrait plus ni avancer ni reculer. C’est au moment où il lui semblait se trouver dans cette position intolérable que, frappé d’une terreur extrême, il prenait la clef des champs.

Je n’ai vu ce malade que deux fois. Mais peu de temps après j’ai eu l’occasion de recueillir une observation beaucoup plus complète, et qui se rattache évidemment par les antécédents héréditaires à la grande famille des psychoses.

Voici le fait en peu de mots :

Mme X…, âgée de trente-six ans, fille d’un père aliéné, a joui d’une assez bonne santé pendant les premières années de sa vie. Elle s’est mariée de bonne heure et a eu trois enfants : l’aîné est un garçon de quatorze ans dont l’esprit est si faible qu’il pourrait presque passer pour « un arriéré » ; impossibilité de comprendre les leçons d’ailleurs très-élémentaires qu’il reçoit à l’école, absence totale d’affection pour ses proches, goûts et penchants absolument enfantins, tout concourt à faire de lui un de ces déshérités de l’intelligence qui, sans être absolument idiots, sont incapables de tenir leur place dans la société. La second enfant est une fille de douze ans, assez intelligente autrefois, mais qui depuis deux ans a des attaques d’épilepsie qui lui ont troublé l’esprit et ôté la mémoire. La fille cadette jouit en apparence d’une bonne santé.

La malade avait été bien portante et raisonnable jusqu’en 1868 ; elle eut à cette époque une fièvre typhoïde fort grave qui, d’après ses propres expressions, a laissé chez elle « une grande simplicité d’esprit, des douleurs violentes et constantes à la tête, et une absence complète de mémoire. » Il faut se rendre compte de ce que la malade veut dire à cet égard : sans doute elle a beaucoup de mémoire puisqu’elle a pu me donner le récit détaillé de sa maladie, mais elle est inconséquente et distraite, et comme elle le dit elle-même, « d’une minute à une autre je ne me rappelle de rien. » Souvent même, il lui arrive de s’arrêter au milieu d’une conversation, ayant oublié ce qu’elle était en train de dire.

À la suite de cette maladie, elle devint anémique et fut atteinte de crises nerveuses à forme hystérique, qui développèrent chez elle une extrême irritabilité, à tel point qu’elle entrait dans des accès de fureur pour un ordre qui n’était pas immédiatement exécuté ; quelquefois même elle allait jusqu’à frapper les gens dans sa colère. En même temps elle fut prise d’une tristesse extrême, avec idées de suicide ; la vie ne lui paraissait plus supportable ; le sommeil était aboli, et elle éprouvait, même au coin du feu, une sensation très-intense de froid. Enfin, dernier détail, elle fut prise subitement d’une telle aversion pour les rapports sexuels qu’elle fuyait son mari toutes les fois qu’il manifestait quelque velléité de ce genre.

C’est dans ces conditions que les médecins, après lui avoir prescrit divers traitements, lui conseillèrent un changement d’air. — Je vais laisser maintenant parler la malade :

« Mon départ pour la campagne eut lieu il y a trois ans. Est-ce la solitude des bois, le calme de la nature ? toujours est-il que mon mal empira. Depuis cette époque je n’ai pas eu un instant de repos ; les emportements devinrent plus rapprochés et plus violents ; â chaque instant, le sang me monte à la tète, mes yeux sont injectés de sang, et il me semble que je suis sous le coup d’une congestion cérébrale. Après la crise survient un grand calme. Je deviens toute sombre, broyant du noir à belles dents ; alors il ne faut pas me parler ; le son de ma propre voix me fatigue, et je fuis les personnes que j’aime le mieux.

Je me sens aller chaque jour davantage à la folie, et le premier avertissement que j’en ai reçu, le voici :

Un jour, poussée par la curiosité, je voulus visiter la tour Saint-Jacques : nous voilà partis, père, enfants, mari. Au beau milieu de l’ascension, je suis prise d’une terreur folle ; il me semble qu’on a fermé la porte d’en bas et que nous ne pourrons plus sortir. Les miens traitèrent cela d’enfantillage et me firent monter plus haut : tout à coup, sans qu’on ait pu comprendre ma pensée, je descendis jusqu’au bas comme un trait, malgré les cris de mes enfants, bousculant tout sur mon passage : je ne sentais plus, puisque ma tête se heurtant contre le mur ne me causait aucune douleur ; il parait que ma dernière heure n’était pas arrivée, car j’aurais pu me tuer cent fois ; ma descente avait été vertigineuse, au dire de mon mari.

À peine étais-je arrivée en bas, à l’air libre, que la crise se dissipait comme par enchantement, et je respirais bruyamment, comme au sortir d’un puits.

Une autre fois, étant au bain avec mes trois enfants et une jeune fille de quinze ans, une crise s’est déclarée parce que j’avais, par mégarde, fermé la porte du cabinet et que la fille de service ne venait pas ouvrir assez vite. J’ai cassé le cordon de sonnette, puis j’ai brise un carreau de la porté vitrée pour pouvoir m’échapper.

La peur est tout mon mal. Ainsi chez moi, dans mon propre appartement, il faut, nuit et jour que la porte d’entrée ne soit fermée qu’au pêne. Je me relève la nuit pour aller m’assurer qu’elle n’est pas fermée à clef. Si par hasard je la trouve fermée, j’appelle au secours, j’ai des hallucinations, je cours d’une pièce à l’autre pour chercher les clefs, et je ne me reconnais pas chez moi ; il me semble que je ne sais pas où je suis. Il faut pour calmer cet accès, que la porte soit ouverte ; aussitôt le trouble s’évanouit.

On ne me ferait pas rester seule dans une pièce fermée pour un empire ; ou alors ma tête déménage et je ne sais plus ce que je fais. Il faut, pour me calmer, qu’on me laisse la porte ouverte, ainsi que la fenêtre, et que j’entende les personnes aller et venir.

À Trouville, sur la plage, j’ai peur des espaces, et il me semble que je ne pourrai jamais retrouver mon chemin pour rentrer chez moi… »

J’ai tenu, messieurs, à reproduire textuellement le langage coloré, mais parfois incorrect, de la malade ; certaines expressions en particulier, telles que les mots « hallucination » et « peur des espaces » ne sont certainement pas employés dans le sens des aliénistes. Mais il me paraît évident qu’au milieu de ce bouillonnement confus, dans lequel la malade ne perd nullement la conscience de son état, un délire spécial se manifeste, la peur des espaces fermés, à laquelle je propose de donner le nom de claustrophobie, déjà créé par M. le professeur Verga (de Milan).

Des faits analogues viennent d’être signalés par le Dr Meschede, au congrès des naturalistes allemands à Cassel.

Dans le premier cas rapporté par cet auteur, il s’agissait d’un jeune homme de vingt an, qui éprouvait de la dyspnée et des vertiges toutes les fois qu’il entrait dans une petite chambre ou dans un local étroit. Il fut donc obligé de quitter ses études et d’entrer chez un fermier. Il ne pouvait pas reposer dans une chambre, mais il campait, la nuit, dans les bois ou dans les champs ; et c’était seulement pendant la partie la plus rigoureuse de l’hiver qu’il consentait à dormir dans une vaste chambre à coucher, mais à la condition de laisser portes et fenêtres largement ouvertes.

Il n’existait chez ce malade aucune prédisposition héréditaire, mais il éprouvait divers troubles nerveux.

Les mêmes dispositions intellectuelles ont été observées par M. Meschede chez un diabétique.

S’appuyant sur ces deux faits, il croit pouvoir conclure qu’il s’agit d’une forme particulière de délire, qui doit être placée à côté de l’agoraphobie ; car, dans l’un et l’autre cas, le malade semble ne plus pouvoir apprécier les dimensions de l’espace.

Je ne saurais accepter cette opinion sans réserves, on verra bientôt pourquoi ; mais il importe avant tout de réparer une omission commise involontairement par M. Meschede, qui semble s’attribuer le mérite de cette petite découverte. Il avait été précédé dans cette voie par M. le Dr Raggi, de Bologne, auquel nous devons un travail assez étendu sur ce sujet, et par M. le professeur Verga, de Milan, qui en a fait l’objet d’une communication à l’institut des sciences de Lombardie (Istituto Lombardo delle scienze, etc.)

Parmi les malades dont il cite l’observation, M. Raggi nous raconte l’histoire d’un peintre de trente ans, qui se rendit un jour dans une salle fermée pour prendre part à un concours de peinture. Il se met au travail, et, excité par les éloges de ses camarades, il était sur le point de mettre fin à son oeuvre. Tout à coup, avec l’aspect d’un homme dominé par une préoccupation tyrannique, il se dirige vers la porte de sortie, qui était naturellement fermée à clef. Ne pouvant l’ouvrir, il perd l’esprit, court çà et là, comme pour échapper à un péril imminent, puis apercevant la fenêtre, il l’ouvre, descend par le toit d’une maison voisine, et de maison en maison il arrive jusqu’au mur du jardin de l’établissement, d’où il trouve heureusement moyen de descendre. — Une fois sa liberté acquise, il devient tranquille comme d’habitude.

M. le Dr Raggi propose de désigner cet état dont il rapporte d’autres exemples, sous le nom de clitrophobie ; mais cette expression, qui prête à l’équivoque pour des oreilles françaises, me parait devoir être avantageusement remplacée par le mot de claustrophobie.

M. le Dr Raggi estime que le traitement d’une pareille folie serait une liberté très-grande, avec des habitations très vastes et des travaux champêtres.

Les faits que je viens de rapporter, joints à ceux de M. Meschede, me font supposer au contraire que le séjour de la campagne ne contribue en rien à la guérison de cet état psychique, qui me parait d’ailleurs l’une des maladies les plus opiniâtres de l’intelligence.

La malade dont j’ai donné l’observation a été améliorée et calmée, mais non guérie, par l’usage de bromures alcalins. C’est dans cet ordre d’idées que je chercherais volontiers les indications d’un traitement méthodique.

M. le Dr Beard, de New-York, dans un intéressant travail sur les terreurs morbides (morbie fears) propose d’englober cet état pathologique, avec l’agoraphobie et quelque autres états similaires, sous le nom de topophobie. Il me parait préférable, jusqu’à plus ample informé, de réserver à ces divers troubles intellectuels, leur dénomination distincte et spéciale ; plus tard, nous serons mieux préparés à apprécier les rapports qui les unissent.

Je crois donc devoir formuler les conclusions suivantes :

1° Il existe une forme spéciale de délire, caractérisée par la peur des espaces fermés.

2° Il s’agit, dans l’espèce, d’une vraie psychose, et non pas d’un simple trouble sensoriel, bien que le malade ait conscience de son délire.

3° II me parait convenable de désigner cet état sous le nom de claustrophobie ; car cette expression, bien que peu correcte au point de vue étymologique, a le mérite d’une clarté parfaite.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Benjamin Ball, « De la claustrophobie » (Mémoire lu à la Société médico-psychologique), Annales médico-psychologiques, 6e série, t. II ; 38e année, Éd. G. Masson, Paris, 1879, pp. 378-386.

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