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Alexandre Cullerre

Fanatiques

Les frontières de la folie (Ch. VI, §. II)

Date de mise en ligne : jeudi 23 août 2007

Mots-clés :

Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VI, §. II : « Fanatiques », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 203-216.

CHAPITRE VI
MYSTIQUES

—  — —
II
FANATIQUES

Le fanatique est un mystique agissant. Non seulement il se croit inspiré, chargé d’une mission divine ; non seulement il a des extases et des visions, mais encore il met au service de cette disposition d’esprit un zèle aveugle qui ne recule devant aucune conséquence.

De notre temps où les sentiments religieux s’affaiblissent, où la foi s’éteint, où les grands saints et les grands miracles se font si rares qu’on ne les voit plus, l’idée religieuse ne suffit plus à fixer tous les gens que la nature, par ses combinaisons mystérieuses, a créés avec le tempérament fanatique. Mais de même que le mysticisme ne s’exerce pas nécessairement sur des matières religieuses, de même le fanatisme met son bras au service d’idées étrangères à la religion, ou plutôt des religions nouvelles. La politique est la grande religion des temps modernes : c’est à sa rescousse que se précipitent, armés de pied en cap, le plus grand nombre des fanatiques de notre époque.

Comme tous les déséquilibrés, le fanatique pêche par le sens moral. Il n’en a pas, il est inconscient du juste et de l’injuste, du licite et de l’illicite ; ou plutôt il se croit investi du monopole de ce qui est bien, se croit le représentant de la morale, seul autorisé à en dicter les lois ; dès lors il ne recule pas devant les actes les plus odieux ou les plus criminels pour accomplir ce qu’il considère comme son devoir. Nous retrouvons là chez le fanatique cette infériorité de la conscience que nous avons déjà signalée chez d’autres déséquilibrés ; ce sont des demi-automates, suivant aveuglément sans s’en douter, les inspirations d’une passion maladive.

Le fanatisme politique domine dans les vieilles civilisations latines. Mais le fanatisme religieux se montre encore vivace dans les civilisations plus jeunes. En Orient il a toujours existé et existera toujours. Les Égyptiens se font écraser par le cortège du Chérif qui revient de la Mecque. Les Hindous se précipitent en foule dans les eaux sacrées du Gange ou sous les roues du char qui porte leur divinité.

« En 1831, dit M. Barnum [1], l’Amérique était en proie à une fermentation religieuse qui avait une tournure sauvage. On se suicidait par piété, on assassinait par dévotion. »

Le fanatisme pousse au suicide et à l’homicide. Tantôt le suicide est direct, tantôt il est indirect, comme était le supplice des martyrs chrétiens qui insultaient leurs juges, leur crachaient au visage, ou renversaient les autels des dieux établis dans l’espoir de se faire condamner à mort et de goûter ainsi plus tôt les félicités éternelles. Telle est encore la mort lente de l’ascète qui se livre aux mortifications, aux pénitences, et se prive de nourriture.

Une des plus curieuses tentatives de suicide indirect est celle d’Augusta Strohrn, citée par M. Brierre de Boismont [2], qui ayant assisté à deux exécutions capitales, se persuade que le plus grand bonheur était de terminer sa vie de pareille manière, c’est-à-dire de pouvoir être préparée à la mort et de faire une fin aussi édifiante que celle des condamnés. Espérant donc se faire condamner à mort, elle tue une amie endormie chez elle avec une hachette et un couteau, qu’elle avait eu soin d’aiguiser d’avance.

Les sectes religieuses pullulent en Russie. Une des plus connues est celle des Skoptzy, qui se châtrent pour gagner le ciel. II en est d’autres qui tuent dans le but d’être agréables à Dieu. Le tribunal du gouvernement de Wladimir a jugé il y a une vingtaine d’années un de ces forcenés qui avait renouvelé le sacrifice d’Abraham.

Le nommé Kursin, qui fait partie de la Secte du Sauveur, a tué son fils et l’a offert en sacrifice à Dieu.

La secte du Sauveur est l’une des plus fanatiques, et elle possède de nombreux adhérents. Sa doctrine consiste en une négation absolue de tout bien sur la terre. Un adhérent de cette secte ne possède rien ici-bas, et, d’après ses idées, tout ce qui l’entoure représente le mal personnifié. Ces idées amènent naturellement les malheureux égarés à des actes de désespoir insensé.

Voici comment il raconte lui-même son crime :

« Une fois, dans la nuit, j’ai ressenti un chagrin si violent de ce que le genre humain doit bientôt périr, que je n’ai pu dormir un seul moment. Je me suis levé, j’ai allumé toutes les lampes devant les images des saints, et m’étant mis à genoux, j’ai prié Dieu avec ferveur en l’implorant de me sauver ainsi que ma famille. Tout à coup l’idée m’est venue de sauver mon fils de la damnation éternelle ; car comme cet enfant unique est très beau et développé au-dessus de son âge j’avais peur qu’il ne devint, après sa mort, la proie de l’enfer. C’est pourquoi je me suis décidé à l’immoler au Seigneur. Pénétré de cette idée, j’ai continué mes prières. Je me suis dit que si pendant ma prière la pensée d’immoler mon fils à Dieu me venait du côté droit je l’exécuterais ; si, au contraire, elle me venait du côté gauche, je renoncerais à son exécution ; car, d’après nos préceptes religieux, la pensée qui nous vient du côté droit nous vient de notre bon ange, et celle qui vient du côté gauche nous vient du diable.

« Après une longue prière, la pensée m’est venue du côté droit ; je suis donc rentré tout joyeux dans mon habitation où mon fils dormait à côté de ma femme. Convaincu que ma femme s’opposerait au sacrifice que je voulais faire à Dieu, je l’ai envoyée au marché chercher des provisions. Après son départe j’ai réveillé mon enfant et je lui dis : “Lève-toi, mon fils, prends ta chemise blanche afin que je puisse t’admirer. Après que mon fils eût exécuté mon ordre, je l’ai couché sur un banc et je lui ai porté plusieurs coups de couteau dans le ventre”. »

L’enfant, en se débattant, tombait continuellement sous le couteau de son père, et il a été trouvé couvert de nombreuses blessures.

Le père, voulant enfin mettre un terme aux horribles souffrances de son fils, lui perça le ventre du haut en bas. Malgré cette affreuse blessure, l’enfant n’est pas mort sur le coup.

Cette scène lamentable se passait le matin avant le lever du soleil, de sorte qu’une obscurité complète régnait dans l’habitation de l’accusé.

Au moment où le crime était consommé et où l’enfant rendait le dernier soupir, les premiers rayons du soleil pénétrèrent dans la cabane et illuminèrent le visage de l’innocente victime.

Kursin dit que cette vue produisit sur lui une émotion très vive ; il frissonna, ses mains s’affaissèrent, une prostration générale le fit tomber à genoux. Alors, dans un moment d’extase, il pria Dieu de recevoir avec miséricorde ce sacrifice.

L’infanticide Kursin, enfermé dans une prison, a refusé toute espèce de nourriture, et est mort d’inanition avant la sentence du tribunal [3].

Parmi les mystiques homicides les plus célèbres mérite de prendre place Charles Guiteau, l’assassin du président des États-Unis Garfield, qui fut condamné à être pendu.

Vingt-deux médecins aliénistes, les plus célèbres des Etats-Unis, furent appelés a l’examiner son état mental, et l’apprécièrent en termes très divers. Il n’en résulte pas moins des résultats médicaux publiés sur son compte qu’il appartenait à la catégorie des héréditaires que nous étudions ici.

Charles-Julien Guiteau est né le 8 septembre 1841. Son grand-père paternel était un médecin très considéré et ayant des opinions religieuses très exaltées.

Son père était un homme intelligent et énergique, ayant une capacité exceptionnelle pour les affaires ; mais c’était un fanatique en religion et il consacra les trente dernières années de sa vie à prêcher l’amour libre et le socialisme ; il mourut à l’âge de soixante-dix ans, après plusieurs mois d’une maladie accompagnée d’émaciation et de délire. Quelques membres de sa famille et quelques personnes au courant de ses rêveries le considéraient comme au moins partiellement aliéné ; mais il semble que, d’après l’opinion la plus générale, il passait seulement pour un excentrique. Il y a dix-huit ans, il eut occasion de conduire un malade à l’hôpital central pour les aliénés à Jaksonville (Illinois), et il y resta plusieurs jours. Il prétendait avoir personnellement des relations directes avec la Divinité ; il voulait essayer de guérir les aliénés par la simple imposition des mains ; d’après cela, et d’après l’ensemble de sa conduite, le docteur Mac Ferland, qui était directeur de l’asile, le considéra, à cette époque, comme un aliéné.

Un oncle paternel de l’assassin est mort aliéné dans un asile ; un autre, qui était ivrogne, a fini par la démence ; une de ses tantes paternelles épousa un homme qui fui fou ; elle en eut une fille aliénée et mourut poitrinaire. Une autre tante paternelle eut aussi un fils aliéné placé dans un asile ; elle paraît avoir présenté elle-même certains indices de folie.

La mère de Guiteau, au moment de la naissance de ce dernier, était, depuis plusieurs mois, atteinte d’une affection cérébrale pour laquelle on lui avait rasé le crâne ; elle eut, après Guiteau, deux autres enfants qui moururent, l’un à deux ans, l’autre à vingt mois.

La soeur unique de Guiteau, après avoir déposé devant la cour, eut une attaque du petit mal ; son médecin déclara qu’elle y était sujette et qu’elle avait été atteinte antérieurement de manie puerpérale. Le frère unique de Guiteau, en témoignant devant la cour, fit une déclaration fanatique sur l’antagonisme de Satan et de Jésus-Christ et sur l’intervention perpétuelle de ces deux influences contraires dans tous les faits qui constituent l’existence de l’homme ; il termina en disant : « Telles étaient les opinions théologiques de mon père ; ce sont celles de mon frère ; ce sont les miennes. » La demi-soeur unique de Guiteau, âgée d’environ vingt-six ans, est atteinte de goitre exophthalmique ; aucun renseignement n’a été donné sur la santé de son demi-frère unique, âgé d’environ vingt-trois ans.

Guiteau ne parla que très tard ; son éducation fut fort négligée, son père s’adonnant aux extravagances religieuses de la communauté de l’Amour libre à Onéida. Il reçut dans son enfance, à la partie supérieure et postérieure de l’os frontal, un violent coup qui laissa une cicatrice. Il était peu enclin au travail manuel, mais avait le goût des livres. Ce ne fut qu’à partir de dix-huit ans qu’il s’abandonna au fanatisme religieux ; il avait des habitudes solitaires et contracta à cette époque une maladie vénérienne. À dix-neuf ans, par suite sans doute de son goût pour le libertinage et de cette dépravation sexuelle qui est si fréquente dans les formes congénitales de dégénérescence intellectuelle il se joignit aussi à la communauté de l’Amour libre. Il était d’une irritabilité extrême et passait par des périodes d’affaissement mélancolique suivies d’exaltation. Il se croyait inspiré. Vaniteux et volontaire, il finit au bout de cinq ans par quitter la communauté, où il ne se jugeait pas apprécié à sa valeur. Alors il veut fonder un journal intitulé la Presse théocratique pour supprimer les églises et assurer l’éducation religieuse des États-Unis tout entiers. « Je suis venu à New-York, écrivait-il à son père, pour obéir à ce que je considère comme une inspiration de Dieu… Je suis convaincu que la Presse théocratique est destinée à remplacer avec le temps, en grande partie, le culte dans les églises. »

Sa tentative eut à peine un commencement d’exécution. Il rentre à Onéida, puis au bout d’un an s’enfuit clandestinement, dénonçant les abus de l’Amour libre, et menaçant de diriger contre la communauté un procès en revendication.

De 1866 à 1871 ii mène une vie aventureuse. Il se fixe à Chicago comme homme d’affaires, à peu près ignorant du droit et s’appropriant parfois les sommes qu’il recevait pour ses clients. En 1869, ii se marie à une femme estimbale qu’il abandonne au bout de quatre ans pour vivre avec une prostituée.

Après un voyage infructueux à San Francisco, il revient s’établir à New-York comme homme d’affaires. Il ne réussit pas plus que précédemment, se lance dans la politique, espérant obtenir une place ; songe à réclamer pour diffamation cent mille dollars de dommages et intérêts au New-York Herald et finit par échouer en prison pour abus de confiance.

En 1875, il invente un nouveau mode de publicité, et se croit si sûr du succès qu’il offre la présidence des États-Unis ou le Gouvernement de l’Illinois à qui voudra commanditer sa découverte.

S’étant réfugié chez sa soeur, à la campagne, en juillet 1875 un jour qu’il cassait du bois, par une grande chaleur, il leva sur elle sa hache au moment où elle passait près de lui. Le médecin de la famille appelé à l’examiner, déclara qu’il était fou ; il disparut subitement emportant sa bible qu’il lisait constamment.

En 1876, il est de nouveau à Chicago. Excité par les prédications de Moody et Sankey, il se croit appelé à remplir le rôle d’un grand évangéliste. Il ne recueille que le mépris et le ridicule.

En 1879, il publie ses sermons sous le titre de : La Vérité compagnon de la Bible. Il ne paya pas son éditeur et ne put vendre son livre.

En 1880, il végétait à Boston, faisant des dettes, et négligeant de les payer disant qu’il était le serviteur de Dieu et que Jésus-Christ n’avait pas l’habitude de payer ses notes, ce qui ne l’empêchait pas de déployer l’astuce d’un fort habile coquin. Enfin il se lance dans la politique. Il parut croire qu’il avait pris une part importante à l’élection de Garfield et lui écrivit pour le féliciter. Peu de temps après il écrit au secrétaire d’État, Evarts, pour obtenir quelque mission importante ; puis adresse lettres sur lettres au Président pour lui rappeler ses prétendus services et lui réclamer tantôt une mission en Autriche, tantôt le consulat de Paris. Il devient un véritable persécuteur ; ses démarches étaient tellement répétées et indiscrètes qu’il fut nécessaire de lui interdire l’entrée de la Maison Blanche.

Se voyant négligé malgré tous ses témoignages de dévouement et de fidélité, Guiteau conçut pour la première fois l’idée de supprimer le président six semaines avant le meurtre. Cette pensée lui traversa l’esprit, une nuit qu’il s’était couché accablé de fatigue. Il dit que cette idée le révolta d’abord, et qu’il pria Dieu de l’en délivrer ou de lui faire savoir si c’était une suggestion du diable ou une inspiration divine. Il affirme que le 1er juin il sut positivement qu’il agissait sous l’inspiration divine, locution dont il s’était déjà servi par rapport à des actes insignifiants de sa vie de tous les jours [4].

Le 8 juin, il emprunte quinze dollars et achète un pistolet du plus fort calibre. Le 18 juin, sachant que le Président devait aller à Long-Branch, il se rend à la station du chemin de fer ; mais ne le tue pas ce jour là parce que, écrit-il, le coeur lui a manqué, en voyant madame Garfield avoir si mauvaise mine et s’appuyer si tendrement au bras de son mari. Pendant trois semaines il le guetta. Enfin, le 2 juillet, il l’aborde dans une gare et lui tire deux coups de pistolet dans le dos, sans la moindre hésitation et tout en conservant le plus grand sang-froid. II est douteux que jamais meurtre ait été préparé avec plus de précaution et accompli avec plus de décision.

Il protesta que son crime n’avait pas pour mobile la vengeance ou l’intérêt. « Pendant deux semaines de sérieuses prières, je fus convaincu que la Divinité m’avait chargé d’accomplir cet acte et de m’y préparer. C’était le 1er juin ; depuis cette date je n’ai lamais eu le moindre doute sur le caractère divin de l’acte et la nécessité de le commettre. »

— J’ai, dit le Dr Folsom [5], d’après le travail duquel nous avons résumé l’observation précédente, examiné Guiteau dans sa prison une semaine avant le jugement. Je n’ai pas trouvé chez lui de caractère physique évident d’une maladie cérébrale. La tête n’est pas tout à fait symétrique, la courbure de la voûte palatine est légèrement exagérée et les incisives supérieures avancent un peu trop ; ce sont là des particularités qui, jointes à d’autres symptômes, et particulièrement à une forte prédisposition héréditaire pour les maladies nerveuses, peuvent avoir une certaine valeur comme signes corroboratifs d’aliénation.

L’observation précédente, toute résumée que nous ayons été obligé de la présenter, est éminemment propre à justifier les idées doctrinales que nous avons exposées au début de ce livre. Quelle existence que celle de Guiteau ! Aventurier, orgueilleux, inventeur, utopiste, dépravé, persécuteur, dénué de sens moral, mystique, fanatique et assassin, il pourrait indifféremment prendre place dans les diverses catégories que nous avons étudiées. Il semble qu’il réunit dans sa personne toutes les particularités mentales qui caractérisent la dégénérescence ; c’est un héréditaire complet.

Son procès a été la plus grande satisfaction de sa vie : « Qui a tiré le coup, crie-t-il à ses juges ? Est-ce la Divinité, est-ce moi ? » Lorsqu’il trouvait l’occasion de déclamer devant la cour, quelque passage de son Oraison sur l’apôtre saint Paul, il était dans un état de béatitude évidente, et éprouvait une joie infinie à être l’objet d’une attention générale.

D’après le Dr Folsom, il était sujet, comme la plupart des héréditaires à de véritables accès d’excitation maniaque. On en retrouve au moins huit bien caractérisés dans son existence. « C’était au moment de ces recrudescences d’excitation — pendant lesquelles il différait certainement beaucoup de l’état de calme où il restait souvent de longs mois de suite — qu’il poursuivait les femmes de ses absurdes projets de mariage. »

Le fanatisme politique, qui a joué et joue encore dans notre histoire contemporaine un rôle si désastreux, est affaire de tempérament et de milieu, comme autrefois le fanatisme religieux. Dans les têtes de ces prophètes nouveaux, l’idée semble bouillonner et déborder de toutes parts. Mais en allant au fond des choses, on s’aperçoit qu’ils sont presque toujours séduits par des théories platement vulgaires, et des conceptions puériles qui les fascinent d’autant plus qu’elles sont plus bizarres et plus incompréhensibles. Mais qu’importe ! Leur foi est inébranlable comme leur orgueil.

Je ne rappellerai pas les douloureux événements de 1871, où la folie a joué un rôle si prédominant [6] ; mais chaque jour nous assistons à des spectacles où le fanatisme, s’il est moins redoutable, n’en étale pas moins son immoralité à la fois monstrueuse et naïve. C’est hier, que l’anarchiste X… s’écriait devant la cour d’assises : « Je serai pour vous un accusateur. Je revendique le droit des malheureux. Je ne suis pas une bête de somme taillable et corvéable à merci. Je suis de ceux qui croient que nous avons tous un droit immuable, le droit à l’existence. Vous devez tous trembler sur vos tibias à la pensée de la révolution qui vous menace ! » D… qui défendait avec une éloquence si convaincue et si incohérente, la pauvreté et la vertu, était poursuivi pour avoir, avec une bande de malfaiteurs, pillé et incendié un hôtel.

Tel est encore cet autre anarchiste qui, inculpé de tentative d’assassinat, s’écriait devant ses juges : « Je suis un justicier et non un assassin. J’étais allé chez L… pour tuer un patron ; en cas d’insuccès, je faisais volontiers le sacrifice de ma vie au triomphe de la cause révolutionnaire ! »

C’est parmi ces théoriciens ignorants et convaincus que l’assassinat politique trouve encore des adeptes. L’artiste X…, poursuivi pour avoir tenté d’assassiner un député, écrivait dans une brochure destinée à exposer un plan d’organisation politique, des maximes de ce genre : « On peut bien détruire une dizaine de chenilles pour sauver un cent de choux. » X…, disait le médecin expert chargé de l’examiner, n’a pas d’instruction et a été victime de lectures mal digérées d’où il a tiré des conceptions fausses sur le monde ; il y avait dans son esprit une sorte d’obsession. Il a fini par croire qu’il avait réellement une mission à remplir.

Toujours les sauveurs ! toujours cette idée de mission, qui revient dans tous ces faits de mysticisme et de fanatisme. H… l’assassin de Bazaine, avait, lui aussi, reçu une mission divine.

« Le jour où la capitulation de Metz nous parvint à Paris, je montais l’avenue des Champs-Elysées, ayant en face de moi l’Arc-de-Triomphe. Les derniers rayons du soleil couchant de ce jour maudit éclairaient d’une triste et sinistre lumière le groupe de Rude qui fait face à l’avenue, il me sembla que les yeux de nos héros se remplissaient de larmes. Je crus les sentir frémir d’horreur, je crus que Dieu venait de les animer en donnant une me à la pierre.

« Mon coeur se serra, je versai d’abondantes larmes sur les malheurs de ma patrie adorée, en songeant que cet infime Bazaine trahissait.

« Tout à coup, levant les yeux sur le ciel, je fixai mes regards sur une étoile qui brillait d’un éclat si vif et si puissant que mes yeux crurent apercevoir un immense diamant ; puis je vis comme du feu, puis du sang.

« Je jurai de frapper l’infâme, quel que fût le lieu et l’heure où Dieu le placerait sous mes coups.

« C’est de cet instant que date mon serment. Depuis, une seule minute ne s’est pas écoulée sans que cette idée ait hanté mon cerveau, sans que ma conscience m’ait crié : Tu as la France à venger ! Qu’attends-tu ? Et ton serment ?

« L’heure a sonné… »

Voir en ligne : Chapitre VI : Mystiques — §. III : Érotomanes

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VI, §. II : « Fanatiques », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 203-216.

Notes

[1Despine, De la folie au point de vue philosophique. Paris, 1875.

[2Brierre de Boismont, Du suicide. Paris, 1865.

[3Annales méd. psych., 1868.

[4Il y aurait une curieuse étude à faire sur l’état mental des régicides. Beaucoup appartiennent à la catégorie des fanatiques et des mystiques ; la plupart ont l’esprit troublé. Exemples : Jacques Clément, « homme d’un caractère sombre et mélancolique, d’un esprit ardent et inquiet, d’une imagination déréglée, ignorant et grossier, fanatique et libertin, » qui, la veille de son crime, s’inspirait de la lecture du meurtre d’Holopherne par Judith. — Jean Châtel, sexuel, obsédé, mélancolique, assassinant Henri de Bourbon dans l’espoir que cette action serait utile à l’Église et ferait en sa faveur réduire à quatre les huit degrés des tourments de l’enfer. — Ravaillac, extatique, halluciné, rendu régicide par l’inspiration divine et pour accomplir sa mission. — Margaret Nicholson, Frith, Hadtield, assassins de Georges Ill, déclarés fous par le conseil privé et les médecins. — Staps, l’assassin de Napoléon, halluciné. — Le meurtrier du duc de Berry, mélancolique. — Anne Neil, qui voulut assassiner le président Johnson, devenue folle à la suite de pertes d’argent. — Junius Brutus Booth, l’assassin du président Lincoln, adonné à des excentricités de tout genre, mélancolique et suicide, sujet à des crises de fureur aveugle avec délire, etc.

[5Ch. Folsom, Ch. Guiteau, l’assassin du président Garfield (Annales medico-psych., mai 1882). — Voy. aussi Lutaud, Ann. d’hyg. publ. et de médecine légale, 1882.

[6Voyez tous les détails nécessaires dans : V. Laborde, Les hommes et les actes de l’insurrection de Paris, 1872.

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